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Marguerite Duras, Le Ravissement De Lol V. Stein (Le Portrait Initial De Lol)

Publié le 18/10/2010

Extrait du document

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L'histoire de Lol (telle qu'elle se dégagera peu à peu dans le roman)

 

Elle se fiance avec Michael Richardson, par qui elle est abandonnée pour une autre femme, Anne-Marie Stretter au cours du bal de T. Beach : cet évènement marque le début d'une crise pour Lol. Plus tard, elle se marie, apparemment sans lien amoureux fort, avec Jean Bedford, qui lui donne trois enfants.

Dix ans s'écoulent avant qu'elle ne rencontre à nouveau son amie d'enfance, Tatiana Karl, mariée et accompagnée de son amant, Jack Hold. Lol et Jack tombent amoureux l'un de l'autre : à son tour, Lol va enlever un homme à celle qui l'aime, comme A.M. Stretter lui avait enlevé M. Richardson. Serait-ce une tentative de mettre un terme définitif à la "crise"?

 

On a ici le premier portrait de Lol : c'est celui que trace, pour Jack Hold, Tatiana Karl, la seule qui connaisse Lol depuis son enfance.

Jack est le narrateur : on le découvre clairement l. 28 ("Je lui ai demandé") et l.31 ("Je ne crois plus à rien"). Mais pour ce portrait initial, il laisse le rôle de narratrice à Tatiana : il s'agit d'un jeu complexe de l'auteur, d'autant plus qu'il est intervenu au cours de la narration de Tatiana (l. 15 : "Où? Dans le rêve adolescent? Non, répond Tatiana" - Il n'y a pas de tiret, pas de guillemets : le lecteur doit deviner le dialogue).

C'est un portrait un peu déroutant : en effet, il est différent de celui du roman réaliste traditionnel, fait par un romancier omniscient, qui développe avec certitude les traits de son personnage. Ici, on a un procédé du Nouveau roman : le narrateur ne le trace qu'à partir de ce qu'il voit, devine, ressent.

 

Le portrait que trace Tatiana est sa propre interprétation. Elle le construit à partir de ses impressions, de ses hypothèses : elle "ne croit pas" (l.1), "elle donnait l'impression" (l.7), "jamais elle n'avait paru souffrir" (l.10), "Tatiana avait tendance à croire" (l.18), "Oui, il semblait que" (l.20).

Elle le construit, l'élabore devant Jack : on peut voir sa réflexion à l'œuvre. Un silence marque sa réflexion, avec l'alinéa (l.11) alors qu'il s'agit de la suite du paragraphe précédent. Elle se pose des question : "Était-ce le cœur qui n'était pas là ?" (l.17). Elle souligne certaines expressions : "- elle dit : là" (l.7 et 19). Cette présentation signifie sans doute qu'elle marque un temps d'arrêt avant d'énoncer le mot "là" pour exprimer avec plus de force l'impression étrange qu'elle a ressentie. Mais elle dénote aussi la présence de Jack, témoin du portrait qu'elle élabore : "elle dit" et peut révéler son attention, son étonnement. Les éléments du portrait qui concernent une période plus récente (fiançailles) sont exprimés de façon différente (l. 23 à 27) : elle se pose deux questions assez brutalement, sans les développer. En effet, des années se sont écoulées depuis leur adolescence commune, elle n'est plus un témoin intime de la vie de Lol et les doutes qu'elle ressent résultent de ses anciennes impressions, et non d'un ressenti direct.

Il s'agit donc d'un portrait "psychologique" construit par un témoin extérieur qui ne peut se fier qu'à ses propres impressions (les éléments réalistes sont peu nombreux : "collège", "famille aimante", "fiançailles", "crise"). Il est donc sujet à caution et la réaction du destinataire (qui reprend sa place de narrateur) le montre bien : "Je ne suis convaincu de rien" (l.31), "je raconterai mon histoire de Lol" (l.33) mais lui aussi en sera réduit à "inventer" (l.33).

 

Le portrait que fait Tatiana a un but : révéler la maladie, la folie de Lol V. Stein. Le mot "maladie" est énoncé dès le début (l. 2 et 4). Tatiana en recherche les "origines" (l.4).

A considérer le nombre de fous qui traversent son œuvre, et leur importance, il faut admettre que Marguerite Duras est fascinée par la folie.

On pourrait penser que le comportement étrange de Lol, sa folie, sont dus à la "crise" qu'elle a vécu après avoir été abandonnée par son fiancé. Mais Tatiana est persuadée que cette maladie est présente en Lol depuis toujours : "elle fait remonter plus avant, plus avant même que leur amitié" (l.3), avec la répétition de "plus avant", elle insiste sur cette lointaine origine. "elles étaient là [...] couvées, mais retenues d'éclore" :seules certaines circonstances (affection de sa famille, succès auprès des autres élèves du collège) ont fait que la maladie ne s'est pas révélé plus tôt. Tatiana réfute en tout cas le rôle de la "crise" dans l'apparition de la maladie : "elle croyait que cette crise et Lol ne faisaient qu'un depuis toujours" (l.29). Elle justifie ses certitudes : elle a décelé des manifestations de cette maladie dès leurs années de collège.

Lol semble absente à l'univers dans lequel elle vit : "Au collège, [...] il manquait déjà quelque chose à Lol pour être - elle dit : là" (l.6/7). Elle est aussi absente à elle-même : une part d'elle même est toujours en allée... "dans rien encore, justement, rien" (l.16/17). Elle a recours à un dédoublement de personnalité : elle endure "dans un ennui tranquille une personne qu'elle se devait de paraître mais dont elle perdait la mémoire à la moindre occasion (l.8/9). Elle paraît insensible : "jamais elle n'avait paru souffrir. Ou être peinée", jamais on ne lui avait vu une larme de jeune fille" (l.10/11). Tatiana fait des hypothèses : "Était-ce le cœur qui n'était pas là ?" (l.17). "Il semblait que c'était cette région du sentiment qui, chez Lol, n'était pas pareille" (l.20/21) : une anomalie par rapport aux comportements "normaux" est marquée ici, c'est un signe de maladie. Tatiana justifie ainsi ses doutes ultérieurs : "Lol ne faisait elle pas une fin de son cœur inachevé?" (l. 26/27).

Tatiana est persuadée que Lol souffre d'une maladie originelle et permanente : "Elle croyait que cette crise et Lol ne faisaient qu'un depuis toujours." (l.29/30).

 

A travers le portrait orienté que trace Tatiana, quel portrait de Lol se dessine pour le lecteur ?

C'est un personnage complexe, difficile à cerner : il est à la fois attirant et fuyant. C'est un portrait tout en oppositions (avec les propositions circonstancielles d'oppositions "mais" et "bien que") : "gloire douceur, mais aussi d'indifférence" (l.9), "on se la disputait bien qu'elle vous fuît dans les mains" (l.12/13 - imparfait du subjonctif après un verbe principal à un temps du passé : concordance des temps) ; "Lol était drôle, moqueuse [...] bien qu'une part d'elle-même eût été toujours en allée loin de vous et de l'instant" (l.14/15). C'est un personnage insaisissable, qui est comparé à l'eau (cf. Lol) : "fuît dans les mains comme l'eau" (l.13). Il semble fait de "vide", de néant. On note de nombreuses tournures négatives : "jamais elle n'avait paru souffrir" (l.10), "on ne lui avait vu" (l.11), "Était-ce le cœur qui n'était pas là ?" (l.16), "cette région du sentiment qui, chez Lol, n'était pas pareille" (l.20/21). On peut relever des termes indiquant le manque, la perte, le vide, comme "un ennui tranquille" (l.8), "elle perdait la mémoire à la moindre occasion" (l.8/9) "en allée", "Dans rien encore, justement, rien" (l.16) ; des préfixes privatifs : "indifférence" (l.9), "coeur inachevé" (l.27). Le caractère difficile à cerner du personnage est marqué également par la progression hésitante des paroles de Tatiana : elle marque des pauses, elle se répète, comme pour s'assurer elle-même : "Non, répond Tatiana, non" (l.15), "Dans rien encore, justement, rien" (l.16). Elle pose des questions.

 

La maladie de Lol

 

Lol joue un personnage mais sans grande conviction (ligne 7). Ce personnage constitue un grand mystère.

Ce sont les silences et les lacunes du texte qui placent le lecteur devant un mystère; celui qui entoure le personnage lui-même. Qu’est-ce qui nous fait donc percevoir ce personnage comme fou? La folie, c’est d’abord une maladie si on en croit Tatiana Karl, c’est une maladie mentale, inscrite en Lol V. Stein dès l’enfance, qui explique l’étrangeté de sa personne.

 

Origine de la maladie : depuis toujours ? («plus avant même«) Depuis le bal? («rôle prépondérant…)

 

Lol souffre d'une absence à soi ou aux autres, d'un manque irremplaçable. On note une profonde indifférence de sa part. On est à la fois dans le rêve et la réalité. Elle est troublée, vidée et elle n'éprouve pas de sentiments. Le narrateur la compare à l’eau (l.13): c'est quelqu'un qui attire par son mystère. On peut relever «Manquait«, «perdait«… «ne…pas« ou encore la présence de préfixes privatifs. Il s'agit d'un personnage habité par le vide. «Elle fuit« comme l’eau, elle est inconsistante.

 

Personne n'arrive à retenir son attention. Elle ressent des sentiments différents, elle est unique. D'après Tatiana, il n'y a aucun amour entre Lol et et Michael.

C'est un personnage atypique, sans désir, sans projet, dont on ne peut rien en dire hors mis le fait qu’il soit attirant. Elle n’a pas d'«affect«, peut-être par peur de l’abandon?

Lol est un personnage flottant, inachevé et difficile à cerner. Si le personnage de Lol V. Stein nous fascine, nous questionne, c’est d’abord parce qu’il nous inquiète car il renferme une part d’ombre.

 

 

 

Originalité du texte

 

Au début, on ne sait pas qui parle: c'est seulement à la ligne 29 qu'on a un «je«, et donc une focalisation interne: le narrateur est Jack Hold. Il délègue la parole à Tatiana jusqu'à son apparition.

Sa volonté de rapporter les hésitations de Tatiana rend le texte assez peu clair (« n’est pas, plutôt qu’est, il semblait que…, elle donnait l’impression…, elle vous fuyait…,il lui resta un doute… «) Il insiste sur le fait que Tatiana n’est sure de rien. Discours direct et indirect libre sont mêlés. Le portrait qui est fait par Tatiana est très riche.

 

On note un refus de la cohésion, on ne ressent plus le besoin d'une narration romanesque pour comprendre. Il y a un jeu de l'auteur dans la manière de raconter: qui est le narrateur qui met en scène ses incertitudes? Celui-ci met en scène sa recherche, et rompt ainsi avec la narration. Le travail semble se faire sous les yeux du lecteur. On retrouve l'idée d'incertitude, avec des ruptures temporelles et thématiques et avec cet "appel à témoin" mis en place par le narrateur.

 

On a dans ce texte une écriture très fragmentée, l'"incohérence" même. C'est un texte qui se contredit. On ne peut pas en faire une lecture passive.

 

Dans le dernier paragraphe, l'accumulation des termes « faux semblant «, « invente « et « mon histoire«  laisse le lecteur dans l'obscurité la plus complète.

 

Ce texte s'écarte de l'attente traditionnelle, s'écarte du portrait réaliste. Contrairement à ce dernier une déconstruction du héros est menée: c'est en quelque sorte un refus du réalisme. Lol ne se laisse pas cerner, c'est un personnage qui s'échappe à lui-même. Il ne s'agit pas ici de raconter une histoire comme c'était le cas dans un roman plus traditionnel.

 

L'énonciation se fait au présent, ce qui donne un effet de télescopage: le récit est en train de se construire. Le passé, lui, remémore des faits.

 

Le rôle de ce texte est d'abord de présenter le personnage de Lol. C'est un personnage étrange, qui s'ennuie ("un ennui tranquille"), qu'on essaie d'expliquer. Mais le personnage reste attirant, du fait qu'il soit capable d'aimer. C'est un personnage qui est contradictoire.

 

Un horizon d'attente est créé.

 

Questions:

 

    * Lol est-elle une héroïne romanesque ?

    * Quel est le rôle d'un portrait romanesque?

    * Que pensez-vous de ce narrateur?

             I - Le narrateur est indécis et imprécis

             II- Le narrateur est responsable de ce portrait

    * Quel est le but du narrateur?

 

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