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Marcel MAUSS (1872-1950) Origine religieuse de la peine

Publié le 19/10/2016

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Marcel MAUSS (1872-1950)

Origine religieuse de la peine

L'origine religieuse de la peine éclate à tous les yeux.

Le mécanisme de l'inculpation, tant dans les premiers types de législation que dans les dernières formes, porte encore la marque de cette origine. Une faute rituelle volontaire ou involontaire n'en est pas moins une faute. Dans le droit primitif comme dans tout droit religieux, l'intention n'est nullement requise pour faire d'un acte une faute ou un crime. Il suffit qu'il y ait eu manquement à une coutume imposée, d'un acte interdit, pour déchaîner la fureur du clan. Tous les faits que nous avons cités militent en faveur de cette remarque. C'est l'acte seul contre lequel la société réagit. Le caractère religieux de la peine elle-même demande aussi à être noté. Presque toujours la peine est capitale. La nature absolue d'un pareil châtiment, le peu de ressemblance qu'il a avec les autres punitions que le clan inflige à ses membres [...] sont les signes de son origine. L'allure cruelle, aveuele, de tous les anciens droits trouve ici son explication. [...]. Les procès faits aux animaux, aux pierres, par les tribunaux de Rome, d'Athènes, par nos Parlements, n'étaient pas de purs enfantillages. C'étaient de véritables satisfactions données aux principes religieux qui ont été pendant presque toute l'évolution juridique le véritable moteur, le foyer du droit pénal.

À l'intérieur de ce système des interdictions rituelles, il nous est d'ailleurs possible d'indiquer différents moments plutôt logiquement qu'historiquement distincts. La sanction des interdictions rituelles, même des plus graves, a pu traverser trois phases : 1 ° elle n'a pas existé parce qu'inutile ; 2 ° elle n'a consisté que dans une punition magique ; 3 ° enfin elle a revêtu le caractère pénal que nous venons de voir. Tous les ethnographes ont remarqué la rareté de l'inceste ; la rupture des tabous sexuels qui constituent l'exogamie est de l'aveu de tous extrêmement exceptionnelle. D'autre part les raisons que le sauvage donne de sa conduite sont manifestement inventées à plaisir ; et les causes que les sociologues attribuent à ce fait sont bien lointaines et bien vagues. Peut-être la cause est-elle que le sauvage agit ainsi parce qu'il n'a pas idée d'agir autrement. La conscience sociale lui impose ses prohibitions avec une telle force que l'obéissance est instinctive et aveugle. « Il y a bien moins d'actes permis aux sauvages qu'à l'homme civilisé. » Chaque démarche de la vie est entourée d'un tel nombre de tabous et de rites absorbants, que ceux-ci pénètrent tellement toute la conduite que l'individu ne les sent plus et agit comme s'ils faisaient partie du système de ses instincts. Tel est encore le fonctionnement actuel du tabou en Mélanésie, par exemple celui du tabou des sangs de la femme : le natif les évite raturellement. Mais dès que le sauvage se demande pourquoi il fait ainsi, ou dès qu'on lui pose la question, la première raison qu'il trouve et qu'il donne, c'est qu'il évite les risques magiques que la violation du tabou lui ferait courir. Car l'interdiction rituelle a par elle-même une puissance surnaturelle. L'acte criminel expose immédiatement l'individu aux dangers dont l'imagination entoure la transgression d'une règle sacrée. Les esprits dont le sauvage remplit l'univers sont des gardiens vigilants des tabous (plus tard, au contraire, ce sera la présence d'esprits qui fera le tabou). Mais à l'origine le seul caractère surnaturel d'une chose fait que tous l'évitent. [...]. 

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