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Malraux, l'Espoir (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Malraux, l'Espoir (extrait). Situé dans la troisième partie éponyme du roman, ce passage montre le talent de Malraux pour la narration des combats : l'art du conteur est d'alterner récit et discours direct et, par souci de réalisme, de s'abstenir de commentaires extérieurs à l'action, qu'il réserve pour les passages où le penseur se superpose au romancier. Effectuant une patrouille aérienne destinée à détruire des avions fascistes camouflés au sol, les protagonistes se trouvent pris en chasse par ces derniers. L'infériorité numérique et technique des républicains, sur laquelle Malraux insiste durant tout le récit, se voit ici compensée par les qualités morales et humaines que le narrateur cherche à mettre au jour. L'Espoir d'André Malraux (troisième partie, chapitre 3) L'un après l'autre, un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept avions ennemis sortirent des nuages. Les avions de chasse républicains étaient des monoplaces à ailes basses, avec lesquels on ne pouvait confondre les Heinkel ; Magnin reposa ses jumelles, fixé, et fit serrer les trois avions. « Si nous avions des mitrailleuses convenables nous pourrions quand même tenir le coup «, pensa-t-il. Mais il avait toujours les vieilles Lewis, non jumelées. « 800 coups à la minute × 3 mitrailleuses = 2 400. Chaque Heinkel a 1 800 coups × 4 = 7 200 «. Il le savait mais se le répéter faisait toujours plaisir. Les fascistes arrivaient sur le groupe des trois multiplaces ; orientés à gauche, résolus à attaquer d'abord un seul bombardier. Pas un avion de chasse républicain dans le ciel. Sous les avions, les cailles passaient, dans leur migration annuelle. L'avion de gauche était celui de Gardet. Pujol, le premier pilote, achevait d'y faire distribuer du chewing-gum par Saïdi, en signe de jubilation. Pujol maintenait les bonnes traditions de Leclerc : avec sa barbe rasée d'un seul côté (conséquence d'un voeu sentimental), son chapeau de jardinier, garni de plumes écarlates, remis dès la fin du bombardement, ses vingt-quatre ans, son nez en trompette, et son foulard de la F.A.I. (dont il ne faisait pas partie), il ressemblait assez à l'image que les fascistes se faisaient des bandits rouges. Les autres étaient normaux, si l'on négligeait quelques bas roulés sous les serre-tête, et le petit fusil de Gardet. Celui-ci, qui maintenait avec une autorité ferme et voilée l'ordre nécessaire à l'efficacité militaire, admettait tous les pittoresques comme son propre fusil de bois ; et Magnin avait encore des indulgences spéciales pour les folies qui ne paralysaient pas l'action, surtout lorsqu'il les sentait liées aux fétiches. Gardet avait compris, lui aussi, la manoeuvre allemande. Il vit que Magnin faisait descendre les deux avions au-dessous du Canard, pour conjuguer le feu des mitrailleuses dès que celui-ci serait attaqué. Il contrôla celles de son appareil, prit la tourelle avant, pensa une fois de plus que les Lewis le dégoûtaient, et tourna sa tourelle vers les Heinkel qui grossissaient au-dessus du point de mire. Quelques balles arrivèrent. -- Vous en faites pas, cria Gardet : il y en aura d'autres ! Pujol avançait en S. C'était la première fois qu'attaqué par devant il voyait la chasse ennemie arriver sur lui de toute sa vitesse, avec l'amertume qu'a tout pilote aux commandes d'un appareil lourd et lent attaqué par des avions rapides. Les pélicans savaient que les meilleurs d'entre leurs propres chasseurs les eussent descendus sans peine. Et, comme avant chaque combat, tous, sous eux, commençaient à prendre conscience du vide. Scali, mettant sa mitrailleuse en position, aperçut tout à coup à sa gauche une de leurs grosses bombes : elle ne s'était pas décrochée pendant le bombardement. -- Les v'là ! Magnin avait bien établi ses distances : les Heinkel ne pouvaient entourer le Canard. Deux au-dessus, deux au-dessous, trois sur le côté ils grossirent jusqu'à ce que le serre-tête des pilotes devînt visible. Tout le Canard fut secoué par ses mitrailleuses tirant à la fois. Dix secondes, il y eut un boucan d'enfer, le petit bruit du bois qui éclate sous les balles ennemies et un réseau de balles traçantes. Gardet vit l'un des Heinkel du dessous descendre verticalement, touché par Scali ou par les mitrailleuses des autres multiplaces. Une fois de plus, il sentit le vide. Mireaux quittait la tourelle arrière, la bouche entr'ouverte ; de son bras pendant, le sang coulait dans la carlingue comme d'un bec d'arrosoir. Scali remonta de sa cuve, s'allongea : son soulier semblait avoir éclaté. « Garrottez-vous ! « gueula Gardet, envoyant comme un palet la pharmacie de bord vers Mireaux, et sautant dans la cuve. Saïdi avait pris sa mitrailleuse, et le bombardier celle de Mireaux : les pilotes ne semblaient pas touchés. Les Heinkel revenaient. Plus au-dessous : ceux qui tentaient l'attaque en chandelle étaient sous le feu de la mitrailleuse de cuve et des six mitrailleuses du Marat et de l'avion de Moros dont les traçantes entrecroisées faisaient sous le Canard un filet de fumée. Le copain du Heinkel descendu, lui, était passé au-dessus. Pujol filait pleins gaz, ses S de plus en plus allongés. Mêmes balles traçantes, même chahut même petit bruit de bois. Saïdi quitta la tourelle arrière sans rien dire, vint s'accouder au-dessus de Scali, à côté de qui Mireaux s'était allongé. « S'ils ont le culot de se coller à nous en balancier parderrière au lieu de faire des passages... « pensa Gardet. Dans la pénombre, le jour, à travers les trous des balles ennemies, brillait comme de petites flammes. Le moteur de gauche cessa de tourner. Le Marat et l'espagnol vinrent encadrer le Canard. Pujol pencha dans la carlingue sa tête ensanglantée encore couverte du chapeau de jardinier à plumes : -- Ils se débinent ! Les Heinkel filaient. Gardet prit ses jumelles : la chasse républicaine arrivait au Sud. Il sauta de sa cuve, ouvrit la boîte de pharmacie à quoi les autres n'avaient pas touché, garrotta Mireaux (trois balles dans le bras gauche, une dans l'épaule : une rafale) et Scali (une explosive dans le pied). Saïdi avait une balle dans la cuisse droite, mais souffrait peu. Gardet alla vers le poste de pilotage. L'avion volait à 30°, soutenu par un seul moteur. Langlois, le second pilote, indiqua de l'index le compte-tours : 1 400 au lieu de 1 800. L'avion, bientôt, ne pourrait compter que sur le plané. Et ils arrivaient sur la montagne de neige. En bas, d'une maison, montait une fumée tranquille, absolument droite. Pujol, sanglant mais légèrement atteint, sentait son manche dans son corps, comme les autres leurs blessures. Le compte-tours passa de 1 200 à 1 100. L'avion tombait d'un mètre par seconde. Au-dessous, les contreforts de la montagne de neige. Là, c'était la dégringolade dans les gorges, une guêpe saoule assommée contre un mur. Au-delà, la neige, en larges plans ondulés. Et quoi dessous ? Ils traversèrent un nuage. Dans le blanc absolu, le plancher de la carlingue était tout taché de semelles sanglantes. Pujol essayait de sortir du nuage en montant. Ils en sortirent par leur chute même : ils étaient à 50 mètres de la montagne. La terre se jetait sur eux, mais ces molles courbes de neige... Ils avaient une sacrée envie de s'en tirer, maintenant qu'ils avaient réussi le bombardement et échappé au tir. -- La bombe ! cria Gardet. Si elle ne se larguait pas cette fois, tous sautaient. Saïdi abaissa les deux manettes de déclenchement à la fois, à les casser. La bombe tomba, et, comme si elle eût projeté la terre contre l'avion, tous reçurent la neige dans le ventre. Pujol sauta de son siège, à ciel ouvert tout à coup. Sourd ? Non, c'était le silence de la montagne après le fracas de la chute, car il entendit une corneille et des voix qui criaient. Son sang ruisselait doucement sur son visage, tiède, et faisait des trous rouges dans la neige, devant ses souliers. Rien, que ses mains, pour écarter ce sang qui l'aveuglait, et à travers quoi apparaissait confusément un noir buisson métallique plein d'appels, l'inextricable enchevêtrement des avions broyés. Source : Malraux (André), l'Espoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade «, 1947. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« Mêmes balles traçantes, même chahut même petit bruit de bois.

Saïdi quitta la tourelle arrière sans rien dire, vint s’accouder au-dessus de Scali, à côté de qui Mireaux s’était allongé.

« S’ils ont le culot de se coller à nous en balancier par- derrière au lieu de faire des passages… » pensa Gardet.

Dans la pénombre, le jour, à travers les trous des balles ennemies, brillait comme de petites flammes.

Le moteur de gauche cessa de tourner.

Le Marat et l’espagnol vinrent encadrer le Canard. Pujol pencha dans la carlingue sa tête ensanglantée encore couverte du chapeau de jardinier à plumes : — Ils se débinent ! Les Heinkel filaient.

Gardet prit ses jumelles : la chasse républicaine arrivait au Sud. Il sauta de sa cuve, ouvrit la boîte de pharmacie à quoi les autres n’avaient pas touché, garrotta Mireaux (trois balles dans le bras gauche, une dans l’épaule : une rafale) et Scali (une explosive dans le pied).

Saïdi avait une balle dans la cuisse droite, mais souffrait peu. Gardet alla vers le poste de pilotage.

L’avion volait à 30°, soutenu par un seul moteur.

Langlois, le second pilote, indiqua de l’index le compte-tours : 1 400 au lieu de 1 800.

L’avion, bientôt, ne pourrait compter que sur le plané.

Et ils arrivaient sur la montagne de neige.

En bas, d’une maison, montait une fumée tranquille, absolument droite. Pujol, sanglant mais légèrement atteint, sentait son manche dans son corps, comme les autres leurs blessures.

Le compte-tours passa de 1 200 à 1 100. L’avion tombait d’un mètre par seconde. Au-dessous, les contreforts de la montagne de neige.

Là, c’était la dégringolade dans les gorges, une guêpe saoule assommée contre un mur.

Au-delà, la neige, en larges plans ondulés.

Et quoi dessous ? Ils traversèrent un nuage.

Dans le blanc absolu, le plancher de la carlingue était tout taché de semelles sanglantes.

Pujol essayait de sortir du nuage en montant.

Ils en sortirent par leur chute même : ils étaient à 50 mètres de la montagne. La terre se jetait sur eux, mais ces molles courbes de neige… Ils avaient une sacrée envie de s’en tirer, maintenant qu’ils avaient réussi le bombardement et échappé au tir. — La bombe ! cria Gardet. Si elle ne se larguait pas cette fois, tous sautaient.

Saïdi abaissa les deux manettes de déclenchement à la fois, à les casser.

La bombe tomba, et, comme si elle eût projeté la terre contre l’avion, tous reçurent la neige dans le ventre. Pujol sauta de son siège, à ciel ouvert tout à coup.

Sourd ? Non, c’était le silence de la montagne après le fracas de la chute, car il entendit une corneille et des voix qui criaient.

Son sang ruisselait doucement sur son visage, tiède, et faisait des trous rouges dans la neige, devant ses souliers.

Rien, que ses mains, pour écarter ce sang qui l’aveuglait, et à travers quoi apparaissait confusément un noir buisson métallique plein d’appels, l’inextricable enchevêtrement des avions broyés. Source : Malraux (André), l’Espoir, Paris, Gallimard, coll.

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