Lettre XXIV - Des Lettres Persanes Montesquieu
Publié le 17/01/2011
Extrait du document
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes: je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner.
Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or comme le roi d'Espagne son voisin; mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre; et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.
D'ailleurs ce roi est un grand magicien: il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et il le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu'il a sur les esprits.
Ce que je dis de ce prince ne doit pas t'étonner: il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape: tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un; que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.
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Montesquieu : (1689-1755), un des quatre grands philosophes du XVIII° avec Voltaire, Diderot et Rousseau. Il appartient à la grande noblesse qui fait de lui un magistrat. Il aime l’observation concrète, respecte l’être humain, et a un certain goût pour le libertinage. Ses principales œuvres sont Les Lettres Persanes, Considérations et L’Esprit des Lois.
Lorsqu’en 1721 Montesquieu publie Les Lettres Persanes, il lance une double mode : celle des « Turqueries « (clichés) et celle des lettres. Montesquieu prépare une révolution culturelle : en inventant ces Persans qui viennent à Pars, il contraint la société française (et européenne) à se regarder du dehors et à réfléchir à son propre fonctionnement. Il inaugure ainsi une méthode d’observation qui consiste à faire de son propre mode de vie un spectacle que l’on voit comme des étrangers qui découvriraient un pays pour la première fois. Le procédé est amusant, et à première vue, anodin. Il va se révéler subversif (troublant) et redoutablement efficace.
L’idée du roman est simple : deux Persans visitent la France de 1710 à 1718, ils échangent des Lettres avec leurs amis restés en Perse et leur font part de leur étonnement devant les mœurs, les coutumes, les croyances et les structures de la société française. Ainsi, ils obligent le lecteur à s’étonner à son tour car ils le contraignent à voir les choses différemment.
La lettre XXIV est une des sept plus célèbres et plus brillantes lettres. Elle inaugure la méthode et le succès des Lettres Persanes : celle de l’étranger qui découvre une société et s’étonne de tout ce qui nous paraît normal parce que nous y sommes habitués. Ici l’étonnement et la critique abordent les sujets tabous de l’époque : la politique et de la religion. L’enjouement de la satire ne doit pas masquer le caractère subversif du texte. Pour la première fois, deux institutions sacrées sont remises en cause : la Monarchie et l’Eglise qui se trouvent ainsi désacralisées. Le texte offre ainsi un aperçut significatif des objectifs du livre, le combat des philosophes contre l’absolutisme et le pouvoir de la religion. Il donne aussi un aperçut des méthodes employées par Montesquieu : l’usage de l’ironie sous la forme récurrente de la fausse naïveté des voyageurs Persans derrière laquelle on devine le sourire malicieux de Montesquieu.
LES OBJECTIFS DU COMBAT
L’auteur cherche à faire prendre conscience au lecteur le caractère arbitraire et parfois tyrannique des institutions et des croyances de son pays.
* La première cible est la Monarchie française dont il dénonce :
Sa fragilité, sa richesse
Ses ruses et ses mensonges (ventes de titres, dévaluation de monnaie dissimulée,
papier monnaie, miracles)
Sa propagande (la « monarchie spectacle «, le roi est « magicien « = il fait voir des
résultats en dissimulant les procédés)
Son pouvoir despotique, tyrannique
* La seconde cible est l’Eglise, dont il dénonce :
L’absurdité des dogmes
L’abus de pouvoir des institutions et particulièrement du Pape
LES ARMES DU COMBAT
La méthode des Lettres Persanes est de montrer l’étonnement de l’étranger devant une société qu’il voit du dehors. Dans le premier paragraphe il revendique un regard extérieur, une naïveté. Il utilise aussi l’ironie et ses variantes : la fausse admiration, la fausse naïveté, la fausse objectivité, l’exagération « hyperbole « qui sont destinées à faire sourire.
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