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Les Turcs d'Alger

Publié le 01/03/2015

Extrait du document

Le 15ème et le 16ème siècle représentent une période décisive, puisqu'elle symbolise l'établissement ottoman aussi bien sur les terres européennes que dans le bassin méditerranéen. La guerre de conquête a permis à l'empire Ottoman d'élargir son territoire aux portes des vieux empires européens. C'est la prise du Kosovo en 1448, Constantinople en 1453, le Péloponnèse, ainsi que Morée en 1461, et la Bosnie en 1462. On a l'idée d'une puissance invaincue qui menace l'ordre établi. Sous l'impulsion de Mehmet II, la république Vénitienne est confrontée directement à celle-ci. En effet, le sultan à l'aide de ses troupes envahit les Pouilles en juillet 1480. Aucune résistance n'a suffit à repousser l'envahisseur, c'est seulement la mort de Mehmet II qui a poussé l'armée ottomane a reculé. Cet épisode symbolise un choc dans les esprits européens et alimente les futurs stéréotypes à l'égard des turcs. Cette expansion ne s'arrête pas là, et se poursuit sur tout le pourtour méditerranéen avec la prise d'Alger en 1516, les côtes marocaines,Rhodes, la Mecque en 1517, Chypre et le delta du Nil. De plus, la Hongrie tombe définitivement aux mains des turcs suite à de nombreux affrontements en 1544. En parallèle, la reine espagnole Isabelle Ière, dit Isabelle la Catholique, a lancé une politique de conversions forcées des musulmans et des juifs du royaume espagnol sous peine d'expulsion. En 1492, Grenade, le dernier royaume musulman d'Andalousie, tombe et les espagnols attaquent les côtes du Maghreb dans l'espoir de prendre pied sur le continent africain. Ils ont pris Oran, Alger, Mers-el-Kébir et Béjaia au prix de nombreux massacre. Ces actions entraînent l'organisation d'un mouvement de représailles et parmi les corsaires musulmans le plus connu est Barberousse. Il prend Alger en 1516 et prête allégeance au Sultan Salîm Ier qui instaure la régence du territoire. Pour en revenir au cas particulier d'Alger sur lequel se repose notre texte, la présence ottomane ne fut pas de type coloniale, il n'y a pas eu d'apport massif de population donc la majorité des turcs présents font partie de la caste dirigeante ou sont des militaires. Sous la domination du sultan, le Maghreb a joué un rôle dans le jeu politique européen, notamment contre l'Empire hispano-allemand. A la fin du XVIe siècle les turcs règnent de la frontière marocaine à Tunis. C'est dans le cadre de la captivité que Diego de Haedo nous offre son récit. Diego de Haëdo : auteur d'origine espagnol est né dans la vallée de Carança et décédera dans la première partie du XVII ème. Il consacra une période de sa vie à la pratique de la religion, puisqu'il fut notamment abbé de Fromista. C'est donc un fervent croyant. De 1578 à 1581, il est fait captif et séjourne durant ces longues années à Alger. C'est dans ce contexte qu'il va découvrir la ville, et donc s'en inspirer pour l'écriture de son livre, « Topographie et Histoire générale d'Alger », publié en 1612. Il va mettre en avant une analyse de la société algérienne, et étudier son fonctionnement. Son travail reste relativement marqué par l'influence chrétienne dans laquelle il est bercé, de ce fait à certains moments il manque d'objectivité notamment face à la culture mais aussi face à la pratique de l'Islam qu'il ne connaît pas. De plus, ils s'inscrit dans la succession des auteurs qui ont contribué à établir une image péjorative des turcs. Comme nous l'avons dit précédemment, les nombreuses victoires de l'empire Ottoman et sa rapidité d'installation vont effrayé l'Europe. Parmi les auteurs ayant contribué à cette entreprise, on compte notamment Georges de Hongrie dans son « traité sur les moeurs, les coutumes et la perfidie des turcs » de 1481. Il construit le mythe d'un turc serviteur de l'antéchrist sur terre, ayant le physique d'une bête sanglante. Ce mythe va être repris aussi bien par des auteurs tels qu'Erasme, et Luther dans ses Turkenbüchlein, que par la papauté elle-même comme par exemple Pie II qui va tenter de prêcher la croisade contre les turcs. Si l'on fait abstraction de l'influence culturelle et religieuse dans laquelle évolue de Haedo, son oeuvre reste une source considérable pour l'Alger de l'époque. Il dépeint un portrait précis de la ville passant par l'aspect urbanistique (la description de ses murailles, portes, monuments, rues, maisons..), à l'aspect sociale, culturel, commercial et religieux. Il insiste également au fil de ses chapitres sur l'aspect cosmopolite de celle-ci. Son histoire générale d'Alger est composée de quarante-un chapitres, traduit de l'espagnol par Monnereau et Berbugger. Au travers de cet exposé, nous nous concentrerons sur le chapitre 12 consacré aux Turcs d'Alger. Le texte est découpé en huit parties : de la ligne 1 à 3, on prend connaissance du fait que selon l'auteur il existe deux types de turcs. De la ligne 3 à 25, il fait la description du premier type de turc. Il les décrit physiquement, moralement et aborde leurs origines. De la ligne 25 à 32, il parle du second type de turc, les rénégats. Il explique ce que ce terme signifie. De la ligne 33 à 42, il cherche à expliquer la conversion de chrétien à l'islam. De la ligne 43 à 64, il s'intéresse aux relations entre turcs et rénégats. De la ligne 65 à 98, il explique le déroulement de la cérémonie de l'apostasie. De la ligne 99 à 113, il aborde le cas particulier des riches chrétiens souhaitant se convertir, et de la ligne 114 à 124, celui des femmes. Tout au long de notre travail, nous aurons pour objectif de répondre à la problématique suivante : «Comment selon l'auteur les chrétiens finissent-ils par se convertir à l'islam au contact des turcs et comment cette conversion se matérialise-t-elle ? » Pour cela, nous aborderons dans une première partie les différents statuts des turcs d'Alger, tout en s'intéressant aux motivations de la conversion. Dans un second temps, nous nous focaliserons les relations qu'ils partagent pour ensuite terminer sur la cérémonie de l'apostasie. I.Les Turcs d'Alger : Joanna A. les Turcs Dès les premières lignes du texte, l'auteur nous peint le portrait de la ville d'Alger d'un point de vue ethnographique. En effet, de la ligne 1 à 3 lorsqu'il écrit «Il y'a deux espèces de Turcs : ceux qui sont, eux ou leurs pères, naturels de Turquie, et ceux qu'on peut appeler Turcs de profession. », il aborde la présence de Turc dans la ville mais surtout les différents statuts que ce mot entend. Diego de Haëdo distingue deux types de Turcs : ceux originaires du territoire ottoman et ceux qui se sont convertis et qui sont donc devenus Turc par choix. Le fait qu'il utilise le terme « d'espèce » pour les décrire, montre un certain mépris et son opinion face à ces derniers puisque ce terme est généralement utilisé pour les animaux. Cela renvoie directement à l'image que l'on avait à l'époque du turc. Souvent, on le comparait à une bête sanglante comme nous l'avons dit en introduction. Pour en revenir au portrait que l'auteur établit, il va s'attarder dans un premier temps à décrire l'origine de ces Turcs et leurs descriptions physiques. C'est le cas de la ligne 3 à 7« Des premiers, il en vient beaucoup journellement de l'empire des Osmanlis, sur des galères ou autres navires, attirés par le renom des richesses d'Alger, et du grand et continuel butin que procure la course maritime sur les chrétiens. ». L'empire des Osmanlis renvoie à l'empire Ottoman. Depuis la conquête, certains turcs se sont installés dans la ville aux côtés de la population. A la ligne 13 à 15 « Les uns viennent de l'Anatolie ou Turquie asiatique, les autres de la Romanie, ou Turquie d'Europe », l'auteur apporte une précision sur les zones de départ des immigrés. Il fait notamment référence à la Romanie, qui est un territoire d'Asie Mineure. Ce dernier a été pris lors de la conquête byzantine. Pour ce qui est de l'aspect physique, il va d'abord établir un portrait général. Il en est question à la ligne 7 avec la citation suivante,« Ces turcs sont très velus, pesant et communs, on les surnomme chacals. » ainsi qu'à la ligne 10 à 13 lorsqu'il écrit « Ils sont tous robustes de corps, parce que dès leur enfance on les élève sans aucune retenue ni crainte, la bride sur le cou comme les bêtes, et avec tous les genres de vices que l'instinct charnel inspire. ». Par sa description, l'auteur semble mettre en avant des stéréotypes. Tous les turcs sont barbus, tous sont imposant.. Il aborde également de manière futile l'éducation de ces derniers. Il semble qu'ils soient éduqués dans la barbarie et dans le mal, de sorte à ceux qu'aucun turc n'échappe à ce comportement. Au delà des traits communs que tous partagent, l'auteur montre que certains turcs parviennent à se distinguer par leurs origines. Il fait référence à cela de la ligne 16 à 17, «Ceux de la Romanie sont vifs, habiles, plus blancs que les autres, et bien proportionnés, bien qu'ils ne soient que des chacals ou roturiers ; ceux d'Anatolie sont plus grossiers et un peu bruns de peau et beaucoup moins bien partagés sous le rapport de taille et des avantages personnels. ». Les seules vraies variantes se trouvent dans la couleur de la peau et dans le détail du corps. Mais peu importe pour l'auteur, ces derniers restent je cite « des chacals ». Le turc représente l'opposé du chrétien, que ce soit au niveau du physique, de l'éducation et du caractère. A la ligne 21 à 22, il parvient même à quantifier leur nombre « Il y'a environ 1 600 maisons habitées par cette catégorie de Turcs ». En confrontant ce chiffre à celui apporter par Pierre Boyer dans son article publié dans la revue de l'occident musulman et de la Méditerranée, qui réfère sur le nombre de maison totale de l'époque, c'est à dire 12 000, cela montre que les turcs font partis d'une minorité égale à 13%. B. les turcs de profession Passons à présent au deuxième type de Turc. C'est celui des renégats. Les renégats sont ceux qui ont renoncés voir niés leur religion en faveur d'une autre. L'auteur offre sa propre définition de la ligne 25 à 28 lorsqu'il écrit « Les Turcs de profession sont tous les renégats qui, étant chrétiens par le sang et la parenté se sont faits turcs volontairement, avec impiété et méprisant leur Dieu et Créateur. ». Les renégats sont pour lui des traîtres et des ingrats. Il semble porter très peu d'estime à ces derniers. Tout comme dans le cas du premier type de turc, il essaie d'apporter une notion quantifiable avec la citation suivante de la ligne 28 à 30 « Ceux-ci et leurs enfants, sont par eux-même plus nombreux que les autres habitants maures, turcs et juifs, car il n'est pas une seule nation de la chrétienté qui n'ait pas fourni à Alger son contingent de renégats. ». Selon Pierre Boyer, il y'aurait un peu plus de 6 000 maisons renégates. Ces derniers représentent donc la population dominante de la ville. Il est difficile de définir leurs origines puisqu'ils viennent de tous les pays d'Europe, mais dans son oeuvre Haëdo cite partiellement leurs origines. Ce sont majoritairement des italiens, originaires de Calabre, Venise, Naples, Sicile, mais aussi des Corses, des Albanais, des Grecs, des Hongrois, des Espagnols et des Français. Ces derniers seraient motivés par la course maritime. C.expliquer la conversion. Nous allons à présent nous intéresser à ce qui selon l'auteur pousse les chrétiens à se convertir à l'Islam. Il existe pour lui trois causes. Il les aborde dans la citation de la ligne 33 à 36« Le motif qui, à la si grande perdition de leurs âmes, les pousse à abandonner le vrai sentier de Dieu, est chez les uns la lâcheté qui les faits reculer devant les travaux de l'esclavage, chez les autres le goût d'une vie libre, et chez tous, le vice de la chaire si fort pratiqué chez les Turcs. ». Il s'agit dans un premier temps d'un manque d'assiduité dans le travail, et un manque de courage à effectuer les tâches. Comme nous le verrons plus tard, lorsqu'un esclave se convertie à l'Islam, ce dernier est automatiquement affranchis. De ce fait, il n'a plus à travailler pour les ordres de quelqu'un d'autre. La seconde cause de conversion fait à nouveau référence à l'affranchissement, et la troisième s'explique par le phénomène d'acculturation et l'assimilation des moeurs et coutumes turques. C'est en vivant en contact avec ces derniers, que les chrétiens deviennent eux-mêmes musulmans et turcs par choix. Par la suite, l'auteur souhaite expliquer plus en détail le choix de conversion du à l'acculturation. Il en est question à la ligne 36 à 38« Chez plusieurs, la honteuse pédérastie est inculquée des l'enfance par leurs maîtres, dérèglement auquel ils prennent bientôt goût. ». Dès l'enfance, les chrétiens que ce soit en tant qu'esclaves ou enfants d'esclaves sont confrontés aux moeurs, aux coutumes et aux pratiques turcs. L'auteur prend ici l'exemple de la pédérastie. Il tente de dénoncer cette pratique contraire aux dogmes chrétiens, qui semble ici frôler la pédophilie. Etant dès le plus jeune âge confronté à la pédérastie, ces jeunes chrétiens s'y habituent et semblent appréciés au point selon l'auteur de se convertir. Ces derniers se convertissent afin de pouvoir poursuivre leurs vies dans le pécher. Diego de Haëdo poursuit dans cet optique avec la citation suivante« Ils sont de plus en plus encouragés dans ce vice par les cadeaux que leur font les Turcs qui se montrent plus généreux envers eux qu'envers leurs femmes. C'est ainsi que sans apprécier ni connaître ce qu'ils laissent et ce qu'ils prennent, ils se font musulmans. ». Il souhaite montrer que cela va plus loin encore. Il ne s'agit plus simplement de relation sexuelle mais aussi de partage de cadeaux. On se rapproche plus d'une relation amoureuse. L'auteur souhaite montrer que les Turcs tentent d'acheter les chrétiens avec des cadeaux, et lorsque ces derniers se convertissent c'est parce qu'ils sont intéressés et tournés vers l'avarice. Ils abandonnent la foi chrétienne et rejoignent l'islam pour de mauvaises raisons selon l'auteur. Ce que l'auteur n'aborde pas ici par mépris pour les renégats, c'est la conversion par désespoir. Il semble n'avoir aucune pitié pour ces derniers et n'arrive pas à accepter leurs choix, bien que dans certaines conditions il puisse se justifier : la faim, la peur, la fatigue comme dans le cas des royaumes de Bosnie, Slavonie ou bien encore d'Albanie. Contrairement à la position que l'auteur met en avant, la conversion peut être aussi un dernier recours. Certains théologiens ou historiens de l'époque vont tenter d'expliquer cette conversion massive d'un tout autre aspect. On a l'idée que l'Islam et la culture turque incarnent le mal, une maladie incurable qui se propagent au sein du monde et face à laquelle il faut combattre. Pie II qui fut pape de 1458 à 1464, prêcha contre ces derniers en prônant une croisade. On a une idée d'un turc malin et manipulateur, apte à détourner facilement les bons chrétiens de leur foi. Le chrétien converti n'est donc pas un traître mais plutôt un être possédé par le mal. A présent, abordons les relations entre les Turcs et les renégats. II.les relations entre les Turcs et renégats : A. une relation de maître et esclave. Au travers du texte, l'auteur met en avant deux types de relation entre Turcs et chrétiens. Celle de maître et d'esclaves, et celle d'égal à égal entre le Turc et le converti. Dans cette première sous partie, nous allons nous concentrer sur celle de maître à esclave. L'esclavage fait totalement parti de la culture turque, voire de la politique turque. Il y'a ce besoin, et cette nécessité. Cela fait parti des normes, et quasiment tous les turcs possèdent des esclaves. L'auteur tente d'expliquer ce phénomène à la ligne 43 à 45, lorsqu'il écrit « Quant aux Turcs, c'est avec plaisir qu'ils font des renégats d'abord parce que ceux qui se piquent de dévotion raffinée, croient en cela servir Dieu et le Prophête ». Pour lui, l'esclavage permet aux turcs de se comporter en bon musulman. Comme si le fait de convertir des chrétiens s'apparentait à faire le djihad. Par la suite, il développe une autre idée de la ligne 45 à la ligne 50 « ensuite parce qu'ils sont bien aise de voir adopter par d'autres un genre de vie aussi profitable à eux-mêmes qu'à leurs affiliés, car d'après les us et coutumes de ces gens, si un renégat meurt sans progéniture, ses bien reviennent au maître dont il a été d'abord l'esclave, bien qu'il lui ait donné la liberté. ». C'est celle de l'intérêt, et du goût de l'argent et du profit. Cette idée semble d'avantage compréhensible et trouve sa légitimité notamment dans le fait que les turcs vont fonder des familles d'esclaves afin que leurs nombres croient. Il y'a énormément de demande concernant les esclaves. Pourtant, cela ne veut pas dire que les maîtres ne respectent pas leurs serviteurs, car généralement un maître finit toujours par affranchir un esclave que ce soit au moment de sa mort ou au moment de sa conversion. B. un respect gagné par la conversion Nous nous intéresserons ici à la relation des turcs avec les renégats qui ont été libérés grâce à leurs conversions. En effet, dès qu'ils ont été officiellement convertis à l'islam les esclaves gagnent un nouveau statut ainsi que de nouvelles relations comme nous l'explique l'auteur des lignes 55 à 60 « Or il y'a des Turcs qui ont jusqu'à vingt et plus de ces renégats, que beaucoup d'entre eux appellent leurs fils et considèrent comme tels. En effet, dès qu'ils se sont faits musulmans, ils leur délivrent aussitôt leur lettre d'affranchissement, leur donnant des esclaves et de l'argent ; ils les soutiennent même par la suite s'il le faut. » L'auteur suggère ici que ces anciens esclaves se forgent une nouvelle identité, une nouvelle famille, ils passent sous la protection de leur ancien maître. Ces renégats peuvent atteindre un niveau de vie confortable ainsi qu'un statut important au sein de la société grâce à l'argent que leur fourni ce nouveau « père ». Ils entrent alors dans la sphère privée de la famille, dans sa clientèle. Mais l'auteur nous montre qu'il ne s'agit pas d'une simple connexion, ils deviennent, au même titre que les enfants légitimes, des membres de la famille de leur maître et reçoivent le même traitement. L'auteur insiste sur ce point avec la notion de l'héritage qui est abordé des lignes 60 à 63. « Quand ces patrons viennent à mourir sans héritiers, ils partagent entre ces affranchis leurs biens et propriétés comme avec des enfants. » Donc les renégats reçoivent une part de l'héritage de leurs patrons exactement comme s'ils étaient des enfants biologiques cependant cette mesure n'est valable que dans le cas où ce dernier décède sans hériter légitime. On peut toutefois noter qu'Haëdo se contredit puisque précédemment il nous disait qu'à la suite d'une conversion les maitres « délivrent aussitôt leur lettre d'affranchissement » à leurs esclave or des lignes 63 à 64 il écrit « Généralement, ils affranchissent en mourant tous les renégats qui sont encore esclaves dans leurs maisons. » Donc on peut se demander si le simple fait de se convertir suffisait à accéder à statut plus important dans la société turc. Ses esclaves convertis sont-ils traités comme des membres de la famille de leur maitre ou restent-ils de simple captifs ? III.La cérémonie de l'apostasie : le déroulement Dans la suite de son texte d'Haëdo nous donne des informations sur le déroulement de la cérémonie de l'apostasie. Grâce aux nombreux détails qu'il nous fournis on peut raisonnablement supposer qu'il a eu l'occasion d'assister à une cérémonie lorsqu'il était lui-même retenu en tant qu'esclave. Ainsi il décrit des lignes 65 à 69 « Au jour qui leur agrée, ils dressent dans une chambre et la nuit venue (car ils ne font jamais aucune fête de ce genre dans le jour), ils donnent un repas qu'ils appellent sosfia où s'assied le néophyte au milieu des parents, ami et invités » L'auteur nous montre ici que c'est un événement solennelle très ritualisée mais également très festive entourée du maximum de publicité. On peut penser que cette mise en scène permet d'inciter les esclaves chrétiens à se convertir à leur tour et cela sert également aux turcs puisque certains pensent qu'en les convaincant « cela servir Dieu et le Prophète ». Il s'agit généralement d'un moment de fête qui est offert la ville tout entière. Dans son article, Conversion ou reniement ? Modalités d'une adhésion ambiguë des chrétiens à l'islam (XVIe-XVIIe), Bartolomé Benassar nous apprend qu'il y avait régulièrement des adhésions collectives à l'islam suivies également de circoncisions collectives sont souvent organisées pour les enfants. Cette dernière est décrite par d'Haëdo dans les lignes 70, « Après ce repas, le patient est placé sur une chaise ou bien il se tient simplement debout, retenu par-dessous les bras par deux hommes » puis 75 « Bientôt arrive l'opérateur, lequel est ordinairement quelque Juif habile en cet office, qui à l'aide d'un instrument en manière de bâillon, fait exprès pour cela, excise et circoncit le néophyte, lui coupant en rond toute la peau du prépuce sans rien en laisser » Donc ici l'auteur nous fait un description clinique du phénomène. Il en profite également pour faire un rapprochement avec la culture judaïque. Cette longue description laisse entendre l'importance de ce moment du rituel. Si ce n'est pas l'un des cinq point qui font d'eux de véritable musulman cela reste une épreuve qui prouve l'obéissance et la foi. Si ce n'est pas explicitement écrit dans le Coran cela résulte d'une ancienne tradition. L'auteur nous montre son importance dans le passage à l'Islam en écrivant ligne 81 à 84 « Au moment même où l'instrument pénètre dans les chairs, poussent de grands cris, invoquant Mahomet, en disant : Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son envoyé ». Donc même dans la douleur, les esclaves qui choisissent de se convertir, ne reviennent pas vers leur Dieu mais il supplie leur nouveau Dieu et son prophète. Haëdo renforce ici le parallèle entre l'importance de l'événement qui n'est pourtant pas obligatoire et la conversion, ces esclaves ont donc renié leur foi. C'est encore une fois souligné ligne 89 « Cela fait, ce musulman nouveau » Cependant il nous dit aussi que cette cérémonie n'est pas spécifique à l'apostasie puisque on a ligne 89 à 93 « On le met sur le lit de parade qui a été préparé ou bien on le conduit à son logement, comme on fait à ceux qui ne sont pas aussi favorisés et dont le circoncision n'est pas aussi solennelle ». On peut supposer que la conversion d'un chrétien à l'islam est un évènement encore plus important que la circoncision d'un turc de naissance. Cela montre bien l'importance de ces renégats dans la religion mais également dans la société le cas particulier des riches chrétiens Haëdo aborde ensuite le cas des esclaves qui avaient un statut important avant d'être capturé. S'ils choisissent d'abandonner leurs croyances pour se convertir ils ont un droit à un traitement spécial, beaucoup imposant que pour les simples esclaves. Il nous expose cette différence des lignes 101 à 106 « Si c'est une personne de marque, par exemple un soldat déserteur d'Oran, un patron ou un officier de navire, ceux-là, on les faits monter à cheval, habillés à la turque, une flèche dans la main et les janissaires les promènent publiquement par la ville le matin qui précède la soirée où l'on doit les circoncire » Cela fait penser à la parade romaine, au tour d'honneur que faisait les militaires romains victorieux. En effet, on constate ici que ces renégats sont portés en triomphe dans toute la ville. On trouve dans l'article de Bartolomé Benassar une description de cette parade, les riches esclaves sont habillé à la turque puis on les met sur un cheval avec une flèche qu'ils tiennent dans la main droite. Ils lèvent index et doivent dire trois fois publiquement la ilaha illâ Allah Mohammed rezùl Allah un fantassin more part en tête du cortège il arbore un étendard fait une lance sur laquelle est fichée une enseigne longue queue de cheval aux soies tressées et six Turcs marchent devant le porte-étendard leurs cimeterres nus accompagnés un orchestre de chalumeaux et de timbales et ils parcourent toute la ville. Le renégat lève la flèche sur laquelle il pose les doigts et si cette flèche tombe les Turcs lui coupent la tête. D'autre part l'auteur nous donne une nouvelle preuve de la spécificité de ces renégats aux lignes 110 à 112 « Pour ces renégats, le pacha fait les frais du vêtement et du repas et s'il le veut, il les fait recevoir janissaire » Donc ce n'est pas le maître de ces esclaves qui paient la cérémonie mais le Pacha en personne, dirigeant qui assure la régence d'Alger au nom de l'empire ottoman jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Leurs privilèges peuvent aller bien plus loin puisqu'ils peuvent être enrôlés dans un ordre militaire très puissant composé d'esclave d'origine chrétienne : les janissaires. Ces derniers sont très présent en Algérie et ont notamment donné naissance à la communauté des Kouloughlis (fils d'esclave) C. la conversion des femmes La situation est très différente pour les femmes comme nous le dit l'auteur ligne 114 « La manière de recevoir une chrétienne renégate est différente » La cérémonie est beaucoup simple, sans artifice et très discrète. Pour les turcs et dans l'islam la femme doit être préservée, elle ne doit pas s'exposer à tout le monde ce qui explique la circonspection de cette cérémonie. On a la description de ce moment des lignes 115 à 118 « On la fait d'abord laver, on lui fait faire sa prière dans une chambre, on lui coupe un peu les cheveux de devant et on lui rase la nuque ; on lui donne ensuite un nom arabe ou turc, et c'est là toute la cérémonie » Donc les femmes doivent se purifier le corps et c'est lors de leur première prière que la conversion s'opère. A cette époque les femmes sont relégués au second plan puisque généralement les chrétiennes achetées par ceux qui en ont les moyens deviennent des esclaves-concubines dans leur harem. Le sultan par exemple peut avoir un harem pouvant compter jusqu'à 250 esclaves-concubines. Conclu La ville d'Alger est contrôlée par les Turcs, qu'ils soient d'origines ottomanes ou convertis. En effet, ils représentent plus de 60% de la population à la fin du 16ème siècle. Ils imposent alors leurs moeurs, coutumes, religions au sein des murs de la régence. En parallèle se poursuit une politique de grand raid, et de capture de chrétiens qui serviront d'esclaves. Cette idée s'inscrit dans la culture et prend aussi un aspect politique. Comme nous l'avons dit, un turc peut posséder jusqu'à vingt esclaves. Pour autant, un respect s'établit entre le maître et ce dernier. Ce respect se gagne par la conversion à l'islam. Tout en étant influencé par sa religion et nationalité, de Haedo va tenter de l'expliquer. Selon lui, celle-ci s'explique par la lâcheté du futur convertis, et par son contact avec « l'animal » que représente le turc. Le renégat apparaît alors comme un traître, un irréfléchi. Pourtant, ces derniers ne représentent pas une minorité et s'inscrivent dans un phénomène auquel toute l'Europe va s'engager. Au delà de l'apport de détail concernant la société algérienne de l'époque, l'auteur nous offre aussi une approche des pratiques religieuses musulmanes comme celle de l'apostasie dont il nous explique le déroulement. Tout en prenant en compte du manque de critique de la part de son auteur, ce texte symbolise une source essentielle pour mieux connaître l'Alger du 16ème. Bibliographie : Ouvrage : Bartolomé BENASSAR, Les Chrétiens d'Allah, édition Tempus Perrin, 1990 Georges de HONGRIE, Des Turcs, Traité sur les moeurs, les coutumes et la perfidie des Turcs, édition Anacharsis, Toulouse, 2003 Robert C. DAVIS, Esclaves chrétiens Maîtres musulmans, L'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800), édition Jacqueline Chambon, 2006 Article : Bartolomé BENASSAR, Conversion ou reniement ? Modalités d'une adhésion ambiguë des chrétiens à l'islam (XVIe-XVIIe siècles). In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 43e année, N. 6, 1988. pp. 1349-1366 Pierre BOYER, Contribution à l'étude de la politique religieuse des Turcs dans la Régence d'Alger (XVIe-XIXe siècles). In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°1, 1966. pp. 11-49 Pierre BOYER, Les renégats et la marine de la Régence d'Alger. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, N°39, 1985. Les Ottomans en Méditterranée - Navigation, diplomatie, commerce. pp. 93-106

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