les stratégies de séduction
Publié le 13/05/2014
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LES STRATÉGIES DE SÉDUCTION Les Liaisons dangereuses est un roman épistolaire écrit par Laclos en 1782, qui met en scène deux libertins calculateurs, manipulateurs, le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil aux stratégies de séduction élaborées. En effet, les stratégies de séduction sont motivées par plusieurs enjeux : le défi, la vengeance, la gloire et le pouvoir. Les codes moraux du libertinage sont particulièrement la réputation, la comédie, la charité et leur projet. En quoi Valmont et Merteuil appliquent- ils les stratégies de séduction caractéristiques du libertinage? Comment la séduction s'opère-t-elle dans l'?uvre ? Nous verrons tout d'abord que la séduction est un terrain de prédilection d'un être ayant une parfaite maitrise de soi, puis que la séduction est une stratégie militaire. Tout d'abord, la séduction apparaît comme le terrain de prédilection d'un être ayant une parfaite maîtrise de soi. En effet, le libertin est d'abord un être polymorphe capable d'endosser toutes les apparences que réclame une situation. Le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil interprètent donc des rôles parfois aux antipodes de ce qu'ils sont dans la réalité. Valmont, par exemple, lors d'une conversation avec la Présidente de Tourvel, lui assure vouloir changer et devenir quelqu'un de bien, de bon, comme il le raconte avec cynisme à la Marquise de Merteuil dans la lettre 6 (p.31) : "Je lui ai raconté moi-même, et comme en m'accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prêche. Elle veut, dit-elle me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu'il lui en coûtera pour le tenter". Dans le film, cette conversation est exploitée, et l'on voit Valmont et la présidente marcher le long d'un bois, où Valmont tente de convaincre la jeune femme de son désir de changer. De même, plus tard, se sachant suivi, le Vicomte simule des élans de charité en aidant une famille du village, afin que le récit de sa bonté soit rendu à la Présidente de Tourvel. Il évoque avec ironie cet épisode dans la lettre 21 (p.60), où il expose son stratagème : "J'ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours", "cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres", "tout calculé je me félicite de mon invention". On retrouve également cet aspect polymorphe chez la Marquise de Merteuil, peut-être plus encore chez elle que chez Valmont. En effet, dans la lettre 81 qui constitue une sorte d'autobiographie, elle confie au Vicomte qu'il lui a fallu prétendre être insensible au plaisir de la chair avec son propre époux : elle parle de "froideur apparente" (p.216). Elle feint d'être étourdie alors qu'en réalité c'est une femme calculatrice et observatrice à qui rien n'échappe : "j'y joignis, par une seconde réflexion, l'air d'étourderie qu'autorisait mon âge" (p.216). Plus qu'un être protéiforme, Mme de Merteuil est un personnage de composition, et elle dit même "Je puis affirmer que je suis mon ouvrage" (p.214). Le jeu de la séduction implique également d'afficher une apparence parfaitement vertueuse pour ne pas dévoiler l'être pervers qui se cache en la personne du libertin. Mme de Merteuil, par exemple, lorsqu'elle tente de séduire Prévan, joue d'abord la prude : (lettre 85 à Valmont, p.233) "Nos yeux parlèrent beaucoup. Je dis nos yeux : je devrais dire les siens ; car les miens n'eurent qu'un langage, celui de la surprise". Elle tente de se faire passer pour une femme irréprochable et non pour la libertine aguerrie qu'elle est (p.234) : "M'offrit-il la main. J'eus la malice, en l'acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement, et d'avoir, pendant ma marche, les yeux baissés et la respiration haute. J'avais l'air de pressentir ma défaite, et de redouter mon vainqueur". Toujours dans la même optique, elle souhaite lui faire croire qu'il l'obtiendra facilement (p.235) : "Dans ma feinte défense, je l'aidais de tout mon pouvoir : embarras, pour lui donner le temps de parler ; mauvaises raisons, pour être combattues ; crainte et méfiance, pour ramener les protestations". Elle se donne des airs d'innocence (p.237) : "Je convins avec candeur", mais ne les conserve que jusqu'à l'acte libertin (p.238) : "Ce jour où je devais perdre ma vertu et ma réputation". D'autre part, la séduction s'apparente aussi à une scène de théâtre, et les libertins eux-mêmes en ont conscience : (lettre 70 p.174) "ce que nous appelons le grand théâtre". En effet, le libertin incarne à la fois le rôle de comédien et de metteur en scène. En tant que comédien, il excelle dans la représentation et le Vicomte comme la Marquise évoquent parfois leur facilité à se composer un personnage, comme par exemple la marquise de Merteuil dans la lettre 113 (p.328) : "J'essaie déjà depuis quinze jours, et j'ai employé tour à tour la froideur, le caprice, l'humeur, les querelles". Valmont également met en avant son sens de la comédie et du stratagème, lorsqu'il fait à la Marquise de Merteuil le récit de sa déclaration d'amour à la présidente, dans la lettre 23 : (p.68) "Par bonheur, je m'étais livré à tel point, que je pleurais aussi ; et, reprenant ses mains, je les baignais de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire; car elle l'était si occupée de sa douleur, qu'elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n'avais pas trouvé ce moyen de l'en avertir". On pourra noter les compliments que la marquise de Merteuil s'adresse à elle-même à ce propos dans la lettre 81 p.219 : "Je commençais à déployer sur le grand théâtre les talents que je m'étais donnés". Le libertin endosse également le rôle de metteur en scène dans cette grande scène de théâtre que constitue la séduction. En effet, nos deux libertins, à travers leur façon de s'écrire entre eux, semblent être surs et certains du déroulement des intrigues à venir, comme s'ils en écrivaient eux-mêmes les scénarios : (lettre 70 p.275) "Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera ; de ne pas la conduire si vite, que le remords ne puisse la suivre ; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie ; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle ; et de ne lui accorder le bonheur de m'avoir dans ses bras, qu'après l'avoir forcée à n'en plus dissimuler le désir". Le terme même de "projet" montre que l'intrigue est déterminée à l'avance, que le libertin sait d'ores et déjà comment la mener et arriver à ses fins. Valmont et Mme de Merteuil, s'ils 'écrivent' eux-mêmes leurs histoires, influent également sur les intrigues amoureuses des autres. Par exemple, la Marquise donne de nombreux conseils au Vicomte dans son intrigue avec la Présidente de Tourvel, et c'est elle-même qui en écrit littéralement la fin, lorsqu'elle impose au Vicomte une lettre de rupture dans la lettre 141. Elle se vante même d'aider Valmont dans la lettre 85 : (p.231) "Vous languissez loin de la Beauté qui vous engage ; je dis un mot, et vous vous retrouvez auprès d'elle. Vous voulez vous venger d'une femme qui vous nuit ; je vous marque l'endroit où vous devez frapper et la livre à votre discrétion". Valmont et elle tirent aussi les ficelles des histoires de Cécile de Volanges et du chevalier Danceny, en leur parlant chacun de leur côté dans le but de les rassembler : (lettre 14 p.48, Cécile à Sophie) "Elle assure que le Chevalier Danceny me trouve plus jolie qu'elle" ; ou en leur conseillant, voire leur dictant des réponses, comme la lettre 117, de Cécile Volanges au Chevalier Danceny et dictée par Valmont. Enfin, le libertin est un être qui tâche de tout contrôler, qu'il s'agisse de lui ou des autres, afin d'être toujours maître de la situation. Ainsi, il fait preuve d'un refus total de céder au sentiment amoureux car, pour lui, l'amour est une faiblesse, un signe de vulnérabilité, comme le dit Madame de Merteuil dans la lettre 10 adressée au Vicomte : (p.38) "Déjà vous voilà timide et esclave ; autant vaudrait être amoureux." Dans la même lettre, elle parle du "déraisonnement de l'amour" et parle des sentiments de Valmont pour la Présidente comme d'un "mal". Le but de la stratégie de séduction est donc de charmer l'autre sans soi-même tomber sous son charme. De plus, les libertins, dans leur maîtrise du jeu, savent l'importance qu'il faut attacher à la rédaction des lettres et, pour cela, ils maîtrisent l'ambiguité : (lettre 70 p.175 de Valmont à Mme de Merteuil) "J'ai mis beaucoup de soin à ma Lettre, et j'ai tâché d'y répandre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment". La lettre 48 qu'il adresse à la Présidente et qu'il rédige sur le corps d'Emilie est l'exemple le plus remarquable de l'ambiguïté dont ils usent et abusent. Chaque phrase en effet peut se lire de deux manières différentes : (p.126) "La situation où je suis, en vous écrivant, me fait connaître plus que jamais la puissance véritable de l'amour ; j'ai peine à conserver assez d'empire sur moi". D'autre part, l'une des stratégies de séduction est la fuite. En effet, fuir suscite le désir chez l'autre et permet en même temps de mesurer son attachement. De même, madame de Merteuil utilise le silence comme moyen d'attiser le désir de l'autre : (lettre 85 p.235) « Ce silence de [ma part], qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage » Enfin, un outil particulièrement utile dans l'art de la séduction est la jalousie. C'est ainsi que Valmont mesure les sentiments de la Présidente de Tourvel en se faisant voir aux bras d'une courtisane, Emilie, et il la désigne même comme "la jalouse femme" (p.399) dans la lettre 138. De même, dans le film, Madame de Merteuil utilise Danceny pour rendre jaloux Valmont. Ainsi la séduction chez les libertins que sont Valmont et madame de Merteuil répondent à deux exigences contradictoires : l'inconstance, c'est-à-dire la séduction des innocents, et la fidélité, par la promesse d'une réconciliation définitive entre eux deux. Avant de s'apparenter à une guerre relevant de vraies stratégies militaires, la séduction est d'abord négociation. En effet dans la lettre 96, le Vicomte de Valmont parle de négociations d'ambassadeurs, il associe ses conquêtes à de la politique « Il a fallu passer aux offres » page 266 . Le dialogue est donc une stratégie qui se place avant la guerre. De plus, la séduction est une stratégie militaire. En effet, dans les lettres 4 et 6, on remarque Valmont en prédateur, il choisit sa victime, sa proie. Page 24 « Vous connaissez ma présidente de Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères. Voila ce que j'attaque ; voila l'ennemi digne de moi, voila le but ou je prétends atteindre Et si de l'obtenir je n'emporte le prix, j'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. » . Page 31 « la seule chose qui m'effraie est le temps que va me prendre cette aventure, car je n'ose rien donner au hasard ». Ainsi on note deux sortes de stratégies : l'attaque et le siège. Par exemple, la séduction de Cécile est une bataille progressive, tout d'abord il la manipule en étant le messager de Danceny, puis avec l'épisode de la clé et enfin lorsqu'il pénètre dans sa chambre en pleine nuit. De plus, ce qui étonne le lecteur qui ne s'y attend pas, est l'embuscade de Valmont par le biais du Père Anselme : il l'utilise pour se rapprocher de Madame de Tourvel, on pourrait le comparer au cheval de Troie dans l'Antiquité. De même, la conquête de Prévan par Madame de Merteuil est une embuscade, et celle de Danceny est rapide, directe lorsqu'elle lui écrit « je serai seule chez moi », Danceny y va par ses propres moyens, il est donc consentent. Par ailleurs, le libertin est persévérant, il ne se laisse jamais aller : par exemple quand Valmont revient dans le château de Madame de Rosemonde, il ne tolère aucune résistance ni aucun obstacle venant de la présidente de Tourvel, rien ne peut l'arrêter, bien qu'elle refuse de recevoir ses lettres (lettre 36). Il ne supporte pas qu'une femme perturbe son schéma de conquête établi, cela accroit sa violence de prédateur : « Quel plaisir j'aurai à me venger ! Je la retrouverai, cette femme perfide, je reprendrai mon empire sur elle. Si l'amour m'a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé à la vengeance ? Je la verrai encore à mes genoux, tremblante et baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix et moi, je serai sans pitié » (lettre 100 page 282) Le mot « merci » montre le rapport vainqueur/vaincu, Valmont a soif de pouvoir et de triomphe sur la présidente de Tourvel, on sent un désir de la posséder immédiatement contre son gré. Ainsi, nous pouvons dire que la séduction est une stratégie militaire. La femme animalisée est l'un des premiers symptômes de l'absence de compassion du libertin à l'égard de sa victime. Sa volonté de posséder Madame de Tourvel est visible dans diverses comparaisons et métaphores dans lesquelles il ne dissimule pas sa nature guerrière : dans la lettre 10 « attaque vive et bien faite » et dans la lettre 23 « Cependant elle voulut fuir» p.66 et p.69 « laissons le braconnier obscur tuer à l'affut le cerf qu'il a surpris ; le vrai chasseur doit le forcer » cette citation illustre non pas une chasse quelconque, mais une chasse à cour. En outre, pour être victorieux, il doit combattre la vertu qui est son bouclier la plus efficace. Son discours prend alors une couleur sombre où s'exprime sa cruauté, dans la lettre 70 : « Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera...de faire expirer sa vertu dans une lente agonie? » L'agonie sous-entend ici la mise à mort de Mme de Tourvel. Ainsi la marquise de Merteuil et Valmont déshumanisent leurs victimes : Danceny, Cécile, Tourvel tous sont considérés comme des objets. Comme le dit Danceny dans la lettre 174, la marquise abuse de ses victimes. La stratégie militaire est surtout visible grâce au langage, on remarque dans les lettres les désignations des victimes, mais aussi comment se considère Valmont : un prédateur, ayant une proie, un projet. En outre, dans le film de Frears, Valmont veut exposer à Mme de Merteuil son trophée, sa réussite quand il accourt chez la marquise en criant « VICTOIRE ! VICTOIRE ! ». On remarque aussi dans la lettre 125 « la voila donc vaincue » et, page 364 dans la 125, le recours à un lexique de la guerre « méthode, Turenne ou Frédéric, combattre l'ennemi, man?uvres, terrain, ennemi, retraite, combat, action , conquis, succès, Annibal ». La séduction de la présidente n'est pas une guerre noble, il la pousse à bout. La durée de cette conquête est d'au moins trois mois, on peut parler de siège. Les libertins cherchent aussi à asseoir leur empire, ils surenchérissent constamment, comme si ils jouaient au poker. Ils gardent sous la main les plus faibles, leurs animaux : Belleroche, Prévan, Danceny, Cécile, la Vicomtesse de ****, Emilie, Tourvel?(lettre 71) En outre, la marquise de Merteuil régit tout : elle fait chanter Valmont, elle lui offre une récompense en échange de son obéissance. La stratégie de séduction est ici un contrat précaire. Le langage de la Marquise de Merteuil fait partie intégrante de sa stratégie de séduction, c'est l'exemple le plus abouti d'un travail minutieux qui vise à accorder avec justesse le geste, la parole et l'intention. Il est, pour la libertine, à la fois un moyen de persuasion efficace et une façon de montrer sa singularité. Ainsi, Laclos donne aux lecteurs une impressionnante leçon de séduction par le biais des ses deux personnages libertins, sans doute les meilleurs professeurs qui soient, et l'on comprend ainsi que la séduction est bien plus qu'un jeu pour eux, c'est une guerre qu'ils mènent, surs d'eux, grâce à une parfaite maîtrise des stratégies militaires et par un savant travail sur eux-mêmes. A la fois acteurs, metteurs en scène, prédateurs et guerriers, les personnages de Laclos sont les figures exemplaires du libertinage du XVIIIème siècle. Liste des lettres essentielles : Lettre 4 : combat de guerre, distraction. Lettre 6 : Valmont est sur de gagner Lettre 21 : stratégie = la charité avec les paysans, comédie. Lettre 40 : Valmont fait surveiller Tourvel pour la dominer Lettre 108,45,9 Lettre 99 : échange des égards, code amoureux de la courtoisie Lettre 120 : maitrise de Tourvel = Père Anselme Lettre 125 : « la voila donc vaincue » = butin remporté, lexique militaire. Et page 358 « capitulation » « victoire » « triomphe » « gloire » Lettre 100 : « Mais pour être victorieux, il doit combattre sa vertu? » Lettre 70 : « Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera? » Lettre 126 : fascination de Valmont pour Mme de Tourvel, chasseur obnubilé Lettre 96 : négociation de ministre Lettre 23 : guerre Tourvel =gibier « Cependant elle voulut fuir, mais elle fut bientôt dans mes bras » « Laissons le braconnier?le vrai chasseur doit la forcer. Ce projet est sublime n'est ce pas ? » Lettre 174 : Danceny à Mme de Rosemonde en parlant de la marquise qui a abusé de ses victimes « elle a mis tous ses soins à abuser de tant d'innocence et de candeur » Lettre 81 : autobiographie de La marquise, explique les stratégies qu'elle adopte. Lettre 87 : la Marquise de Merteuil à Madame de Volanges . Elle calomnie Prévan pour se faire passer pour une femme non libertine pour pouvoir voir Cécile. = être/paraitre , mensonge, comédie. Lettre 96 et 97 : Valmont relate sa stratégie et son succès auprès de la petite Volanges. Cécile reconnait son incapacité à résister. Lettre 10 : « attaque vive et bien faite » Lettre 71
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