Les relations internationales de 1945 à nos jours (Première partie)

 

 

 

Introduction Pendant 45 ans les relations internationales sont dominées par la guerre froide : c'est-à-dire l’affrontement idéologique et stratégique entre deux puissances qui s'affirment détentrice d'un modèle à vocation universelle et sont chacune à la tête d'un bloc d’où l'expression « monde bipolaire ». On évoque souvent les relations internationales pendant cette période le plus souvent comme les relations Est-Ouest ou américano-soviétiques, mais il ne faut pas omettre que la décolonisation et l'émergence politique du Tiers -monde ainsi que la construction européenne s'effectuent au même moment. Cette évolution du contexte n'est pas sans incidence sur les relations entre les États-Unis et l'URSS. Le terme guerre froide a été employé pour la première fois en Espagne au moment de la Reconquista par Juan Manuel de Castille pour définir les relations entre les royaumes catholiques et musulmans d'Espagne : guerre ouverte ou larvée qui ne se termine jamais par la paix. Mais le terme a été relancé par un économiste américain Bernard Baruch en 1947 puis popularisés par des journalistes. En 1951 Raymond Aron la qualifie de » paix impossible, guerre improbable ».

 

 

Comment est-on passé de la Seconde guerre mondiale qui avait vu se conclure la grande alliance puis les accords de Yalta et la charte de l'ONU à une situation de tension puis de division en Europe qui s'étend ensuite à l'Asie et au reste du monde ? Que deviennent les principes énoncés par les traités de paix et les conférences internationales ? Qui est responsable de la dégradation des relations ? Peut-on résumer la guerre froide à une guerre idéologique ou est-elle une lutte entre deux puissances qui veulent accéder à l'hégémonie et dont la politique extérieure est largement orientée par les évolutions intérieures respectives ?

 

 

C’est un conflit multiforme qui présente plusieurs caractères.

 

-Méfiance et blocage dans le règlement des questions de l'après-guerre en particulier la situation en Europe et surtout en Allemagne (échecs des négociations). -Recherche du meilleur positionnement stratégique : alliance militaire, recherche sur l'armement en particulier nucléaire (course à l’armement). -Diabolisation de l'autre : violences verbales des discours des responsables politiques et répressions sévères des militants favorables à l'autre camp. -Compétition économique, sportive puis spatiale et » guerre des images ».

 

 

On peut distinguer plusieurs étapes dont les coupures chronologiques sont parfois sujet à débat entre les historiens.

 

-de 1945 à 1947 on passe de la méfiance à la rupture entre les deux grandes puissances. -De 1947 à 1962 l'antagonisme politique et militaire se renforce, des blocs se constituent ; chaque création d'une structure dans un camp entraîne son pendant dans l'autre camp. On observe néanmoins une pause de 1953 à 1962 après la mort de Staline (coexistence pacifique), ce qui n'empêche pas le déroulement de crises majeures en1956, 1961 et 1962. Certains historiens considèrent cette période véritablement comme celle de la « guerre froide ». -De 1962 à1979 « l'équilibre de la terreur » du à la parité de l'armement nucléaire amène un apaisement et une reprise du dialogue qualifiée de Détente. Mais de nouvelles tensions éclatent dans la seconde moitié des années 70 et conduisent jusqu'en 1985 à une nouvelle période appelée « la guerre fraîche »dans un contexte plus complexe puisque des conflits régionaux indépendants des blocs se multiplient. -l'échec des réformes dans le bloc communiste amène de 1985 à 1991 l'effondrement progressif du bloc soviétique, la fin de la guerre froide et l'apparition d'un « nouvel ordre mondial ».

 

 

Très rapidement la Grande Alliance s'effrite et la rupture est prononcée dès 47. On assiste de 45 au printemps 47 à une escalade des méfiances : chaque mesure est prise comme une menace et suscite une contre-offensive aussitôt interprétée comme agressive. Des divergences et des rivalités apparaissent rapidement entre les deux grands vainqueurs de la Seconde guerre mondiale et font obstacles à l’application des accords signés à la fin de la guerre.

 

 

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale le rapport de force international a changé. Désormais les grandes puissances européennes sont en recul tandis que les États-Unis et l'URSS apparaissent comme deux grandes puissances aux caractères idéologiques opposés et dont la situation militaire, diplomatique, économique et le rayonnement présentent à la fois des atouts et des faiblesses.

 

La situation militaire :

 

- Les Etats –Unis ont démontré lors des opérations de débarquement en Europe et dans la guerre dans le Pacifique leur logistique performante sur tous les fronts : ils détiennent la bombe atomique dont ils se sont servis au Japon et ont montré leur capacité à mener la guerre sur deux fronts. Mais ils sont loin de leurs cibles potentielles (nécessité de traverser les océans). -L'URSS détient une armée conventionnelle importante (plus de 3 millions d’hommes), l’Armée rouge, stationnée dans l'Europe centrale qu’elle a largement contribué à libérer : elle est à proximité du théâtre potentiel des tensions ayant des frontières à la fois en Europe et sur la côte pacifique.

 

La situation diplomatique

 

Les États-Unis sont largement à l'initiative de l'ONU : ils accueillent la première conférence à San Francisco le 26 juin 45, puis le siège à New York. L'URSS détient comme les États-Unis un siège au conseil de sécurité mais très vite la méfiance s'installe.

 

La situation économique et sociale :

 

 

Les efforts de reconstruction des EU sont plus limités que pour les autres puissances car leur pertes humaines sont faibles et leur sol n’a pas été touché par les destructions. Au contraire, les États-Unis sont sortis des séquelles de la crise de 29 (surproduction, chômage ,tensions sociales) et la prospérité est de retour :ils occupent largement le rang de première puissance économique mondiale, bénéficiant à la fois d’abondantes ressources ,d'une force productive importante sur le plan agricole( Food power ou arme verte )d’une industrie dynamique et créative( voir cours sur la puissances des EU) où la part des industries de consommation grandit et permet d'assurer un niveau de confort élevé aux classes moyennes :la guerre a amené aussi l'industrialisation de la côte Ouest, en particulier en Californie, et d’importantes innovations technologiques qui vont avoir des applications civiles( nucléaire, aéronautique, informatique, textiles artificiels, pharmacie, etc) . Par ailleurs, les États-Unis ont conforté leur puissance financière : ils détiennent les deux tiers du stock d'or mondial et sont majoritaires au sein du FMI. Les États-Unis s'affirment comme les leaders du modèle économique capitaliste libéral et sont particulièrement attachés à la défense du libre-échange : ils sont donc à initiative de la création du GATT en 47 (p 32). Cependant les milieux économiques américains vivent dans la hantise d'une nouvelle crise de 29 et craignent la surproduction. Cet essor économique a permis la reconversion rapide des 15 millions d’appelés qui ont bénéficié de bourses universitaires ou de prêts garantis par l’État ( GI bill) et vont contribuer à accroître une classe moyenne dynamique, principale soutien d’une consommation de masse initiée par le Tayloro-fordisme.

 

 

La partie européenne a perdu 30 % de son potentiel économique ; de vastes zones sont donc improductives ou difficiles à exploiter et contribuent à maintenir une situation de pénurie alimentaire qui s’ajoute aux problèmes de logement. Dans de nombreux domaines, on observe un retard technologique tandis que les exportations restent faibles. La guerre a anéanti les efforts de modernisation entrepris depuis les réformes des années 30. La reconstruction est par ailleurs freinée par l'importance des pertes démographiques (26 millions de victimes) qui crée un déséquilibre du sex-ratio) ; cependant la guerre a amené la création de nouvelles zones industrielles à l'est particulièrement axées sur l'industrie lourde. Depuis la Révolution russe, un modèle d'économie collectivisée et planifiée a été mis en place et accentué par Staline.

 

Le rayonnement culturel

 

Les États-Unis ,pays d'immigrants ont vu naître un modèle culturel attractif fondé une grande créativité qui fait la synthèse d’influences diverses( culture classique et traditions populaires venues de diverses régions d’ Europe, chants et rythmes des esclaves d’Afrique et apports des immigrants chinois et japonais) et donne naissance à de nouveaux genres musicaux et cinématographiques (en particulier le western ,la comédie musicale , le dessin animé, le jazz puis le rock) ; cette culture tournée largement vers le divertissement est largement soutenu par la force productive de grands studios financés par des investissements des milieux d'affaires ; cette production abondante et variée connait une large diffusion par l'intermédiaire des armées de libération stationnées en Europe mais aussi d’ accords privilégiés comme pour la France l’accord Blum –Byrnes. En URSS la vie culturelle est fortement encadrée par l’état selon le principe du « réalisme socialisme ». Ces œuvres qui cherchent à valoriser les réalisations du régime exaltent les thèmes d'un monde plus égalitaire et plus juste, volontariste tourné vers l'action et la maîtrise de la nature ; elles suscitent un grand espoir chez les peuples opprimés du monde colonisé mais aussi chez les masses ouvrières du monde capitaliste. Des artistes(les compagnons de route) comme Picasso, des écrivains comme Aragon sont séduits par ce discours mais le rayonnement est limité par l’absence de moyens, la censure et la méconnaissance en Europe occidentale de la langue russe

 

Les leaders

 

Roosevelt est mort en avril 45 et a été remplacé par Truman qui a moins de charisme. En URSS au contraire le prestige de Staline est à son comble : il incarne l'âme de la résistance nationale, défense du socialisme et de l'utopie communiste : le culte de la personnalité a été poussé pendant la guerre à son paroxysme et l’accord germano –soviétique est oublié.

 

Des conceptions différentes sur l'avenir du monde et de leur rôle dans les relations internationales

 

Des divergences pour la sécurité mondiale apparaissent cependant dans l’immédiat après-guerre : les deux pays n'entendant pas construire le nouvel ordre mondial de la même manière. Pour les États-Unis la sécurité internationale dépend de leur responsabilité (de ce point de vue ils ont tiré les leçons de la Première guerre mondiale) .Ils rejettent la solution isolationniste (doctrine de Monroe) qui avait été la leur dans les années 20. Il s'agit à la fois de jouer le rôle d'arbitre dans les relations internationales mais également d'œuvrer en faveur de l'exportation du modèle libéral, le retour à la prospérité mondiale garantissant la paix. L'isolationnisme cède donc la place un interventionnisme. Les États-Unis redoutent l'expansion des partis communistes et observent avec inquiétude la présence militaire de l'Armée rouge en Europe centrale et orientale qui favorise le noyautage croissant des postes –clés par des partis communistes locaux, minoritaires mais très actifs, le retard des élections libres dans les pays occupés (en particulier en Pologne : dossier p24-25 )l'influence de l'URSS sur les partis italiens et français, les procédures de démontage et de pillage économique en Allemagne. Pour l'URSS se développe rapidement l'obsession de la sécurité des frontières qui est renforcée par la création d'un glacis défensif composé d'États sous son contrôle ; selon les analystes d’Henri Kissinger, la marche vers la guerre froide fut accélérée par la conscience qu'avait l'Union soviétique de sa faiblesse par rapport aux États-Unis. L'URSS redoute le monopole nucléaire des États-Unis, s'inquiète du retard des prélèvements économiques prévus par les accords de Yalta en Allemagne et de l'évolution de l'attitude plus modérée des occidentaux face à l'Allemagne. La politique de Staline fut donc de faire croire que son pays se trouve en position de force en refusant de céder face aux alliés dans les conférences internationales, en restant intransigeant en matière de politique extérieure et surtout en maintenant la présence de l'Armée rouge dans les territoires libérés. Ces intérêts divergents perceptibles lors des grandes conférences interalliées pendant la guerre mais mis en sourdine par la nécessité de conserver intacte la Grande Alliance pour obtenir la victoire sont déjà beaucoup plus apparents lors des deux grandes conférences de paix de Yalta et de Potsdam. Ces divergences s'accentuent au cours de l'année 46 et débouchent donc sur la rupture.

 

 

Economiques

 

L’économie européenne peine à se reconstruire ; la pénurie et le rationnement persistent et sont parfois pires que pendant la guerre ; on observe une inflation des prix surtout en France où ils sont multipliés par 19 entre 37 et 49.L'aide des États-Unis est indispensable mais très vite l'Europe est confrontée à la pénurie de dollars (dollars gap) .Dans de nombreux pays, les grèves et manifestations, souvent animées par le parti communiste, se multiplient.

 

Politiques

 

Des difficultés entre communistes et non communistes fractionnent l'union des forces de résistance.

 

-Les communistes ont de nombreux militants et s'introduisent à tous les échelons de la vie locale ; dans les gouvernements d'Union nationale ils n'hésitent pas à faire de la surenchère (exemple : en France, en Tchécoslovaquie).En Europe centrale, le processus de satellisation s’accentue -Les régimes ébranlés par la Seconde guerre mondiale comme la France ou l'Italie peinent à retrouver une certaine stabilité ; en France de Gaulle démissionne en janvier 46 tandis que l'élaboration d'une nouvelle constitution est difficile. -En Grèce, monarchistes (soutenus par le Royaume- Uni) et communistes (soutenus par l’URSS) reprennent leur guérilla pour le contrôle du pays tandis qu'en Chine les affrontements ont lieu entre nationalistes et communistes. En Turquie, l'URSS réclame la révision des traités sur les Détroits . - En mars 46, Churchill en visite aux États-Unis évoque à Fulton »le rideau de fer » et une situation en Europe centrale qui inquiète les occidentaux

 

 

-Les points de désaccord grandissent quant au règlement définitif du sort de l'Allemagne et de la Pologne après les accords de Potsdam .Staline est mécontent du projet d'union économique entre la zone américaine et britannique en Allemagne dès août 46. Les occidentaux freinent le prélèvement des réparations destinées à l'URSS et s'opposent à la décartellisation de l'industrie allemande alors que les soviétiques démontent des usines et entreprennent des réformes agraires. Cependant, au cours de l'année 46, le procès de Nuremberg aboutit à la condamnation de grands dignitaires nazis par les quatre puissances alliées.

 

 

-Moscou réclame l'interdiction des armes nucléaires mais refuse les mesures de désarmement.- A l'ONU, chaque supergrand met son veto à l'entrée des candidats parrainés par l'autre camp.

 

 

Au début de 1947, les Américains savent que la partie est perdue pour l'Europe centrale mais ils veulent lutter contre l'influence soviétique à l'ouest et au sud d'autant plus que la situation économique favorise la poussée du communisme. Les conseillers de Truman le poussent à prendre des initiatives.

 

Les initiatives américaines

 

 

Le 12 mars 47 Truman fait un discours au Congrès pour demander un crédit de 400 millions de dollars afin d'aider la Grèce et la Turquie à lutter contre la guérilla communiste( la Grande – Bretagne ayant du diminuer son aide) ; après avoir analysé la situation en Europe et les différences entre les deux modèles, il exprime à cette occasion la position officielle des États-Unis ;c’est la doctrine Truman ou politique d’endiguement (containment) : tout gouvernement qui veut se défendre contre la menace communiste a droit à l'aide des États-Unis. C’est donc la manifestation de la rupture avec la position affichée jusque-là par les États-Unis à savoir l'isolationnisme. Cette déclaration est suivie d'une dégradation rapide des relations ave l’URSS.

 

Mars- avril 47 : échec de la conférence de Moscou qui réunit les ministres des affaires étrangères des États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et URSS à propos du sort de l'Allemagne. Mars -mai 47 : en Belgique, France, Italie les gouvernements se séparent des ministres communistes.

 

 

Les États-Unis décident de recourir à l'arme économique après l'échec de la conférence de Moscou .Dans un discours devant les étudiants de Harvard, le secrétaire d'État George Marshall propose une aide économique aux Européens : il la propose à l'ensemble du continent mais l’assortit de conditions(les états bénéficiaires doivent coopérer économiquement entre eux) telles que Staline refuse et fait pression sur ses états satellites. Les intentions américaines sont à la fois :

 

- politiques : éviter la contagion communiste dans les pays occidentaux. -économiques : favoriser le libre-échange et éviter une crise de surproductions aux EU prévisible si les Européens cessent d'importer faute de dollars.

 

Le plan est négocié avec 16 pays occidentaux et voté le 12 avril 48 par le Congrès américain. 13 milliards de dollars sont répartis en quatre ans sous forme de dons. Le 16 avril 1948 est créé l'O E. C. E. (organisation européenne de coopération économique) qui devient plus tard l‘OCDE. Le plan comprend la fourniture gratuite de produits américains, charbon, engrais, acier et l'octroi de prêts à faible taux d'intérêt pour financer les importations européennes. Ce plan permet la reconstruction rapide de l'Europe de l'Ouest achevé à partir de 1950 globalement et entérine la division politique de l'Europe en deux camps.

 

La réponse de l'URSS

 

 

Staline craint la progression de l'influence des États-Unis à l'est et voit dans le plan Marshall un risque de dislocation des liens entre l'Europe centrale et URSS ; il oblige donc la Tchécoslovaquie à refuser l'aide américaine puis crée en Septembre 47, le Kominform (bureau d'information communiste) pour coordonner sous le contrôle du PCUS la politique des neufs partis communistes européens( 7 à l'est plus ceux de la France et de l'Italie).

 

 

En Pologne, Jdanov fait un discours qui reprend le thème de la division du monde en deux camps entre lesquels il faut choisir, dénonce un impérialisme agressif des EU et de leurs alliés occidentaux, par ailleurs grandes puissances coloniales, et développe la théorie de la satellisation des pays de l'Est.

 

 

L'URSS finance sa reconstruction et son développement avec l'aide de ses pays satellites. En 1949 est créée le CAE M. chargé d'orienter les échanges des démocraties populaires vers l'URSS et les pays satellites : chaque partenaire contribue à la production de l'ensemble en livrant des produits particuliers ; il en résulte une spécialisation de l'appareil de production des pays de l'Est sous le contrôle de l'URSS.