Les Palestiniens existent...
Publié le 22/02/2012
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3 novembre 1991 - Comme pour tempérer l'étonnante impression de satisfaction laissée par les négociateurs des deux bords après la réunion " israélo-palestinienne " de la veille à Madrid, Itzhak Shamir a jugé nécessaire de déclarer, lundi 4 novembre à Jérusalem, que son gouvernement " n'acceptera pas que la paix américaine fasse pousser de mauvaises herbes telles qu'un Etat palestinien ".
Devant la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, le premier ministre a réaffirmé qu'il n'entendait " renoncer à aucune partie d'Eretz Israël " -la " terre " d'un pays qui, selon lui et les siens, va de la Méditerranée au Jourdain, incluant la Cisjordanie-et il a démenti des informations parues dans la presse israélienne selon lesquelles la délégation jordano-palestinienne devait se scinder en deux parties indépendantes lors des négociations à venir. Cette dernière précision n'était sans doute pas inutile tant les délégués israéliens avaient paru, dimanche, avoir " oublié " la partie jordanienne en donnant le sentiment de n'avoir eu affaire qu'aux représentants palestiniens.
Mais personne ne s'y est trompé, Israël a franchi un grand pas à Madrid lorsque ses délégués ont souligné l'importance de leur première rencontre directe avec leurs interlocuteurs palestiniens, s'accordant avec ces derniers à reconnaître la " bonne atmosphère " de la réunion, l'aspect " positif " et " sérieux " de la discussion. Le porte-parole israélien a même indiqué que " plaisanteries ", " bons mots " et " rires " avaient été échangés. Quelle différence avec l'attitude de froide réserve manifestée de part et d'autre à l'ouverture de la conférence !
Certes, cette bonne humeur affichée a quelque chose de tactique. Les Israéliens n'ont-ils pas toujours exigé des pourparlers séparés que les Arabes n'avaient jusqu'alors cessé de leur refuser ? L'Etat hébreu, dimanche, obtenait enfin gain de cause sur ce point. Il s'agissait aussi de faire pièce à la position " dure " de la Syrie, qui persiste à montrer de très fortes réticences à ce type de contacts.
Toutefois, que de chemin parcouru, en quelques jours, du côté israélien ! Les délégués palestiniens, avec qui la discussion a été entamée dimanche, ne venaient-ils pas, par la voix de leur chef, jeudi, de rappeler leur volonté de fonder un Etat palestinien et de se référer ouvertement à l'autorité de l'OLP ?
Dimanche soir, un député de l'opposition de gauche à la Knesset n'a pas manqué de faire valoir ce changement avec ironie : il a déposé plainte contre la délégation israélienne, l'accusant d'avoir violé la loi prohibant tout rapport avec l'OLP, une loi au nom de laquelle le pacifiste israélien Abie Nathan a encore été récemment condamné à une peine d'emprisonnement ferme.
Il faut se souvenir que, pendant des mois, le gouvernement israélien s'est battu pour limiter la représentation palestinienne, en faisant en sorte non seulement qu'il n'y ait pas de délégation palestinienne distincte de celle de la Jordanie mais encore que soient écartées des personnalités de Jérusalem-Est-comme Fayçal Husseini, pourtant principal interlocuteur de James Baker-ou des gens de l' " extérieur " des territoires occupés, notamment parce que ceux-ci étaient supposés être plus directement sous la coupe de l'OLP. Tous ces efforts se sont finalement révélés assez vains. Les délégués israéliens, Itzhak Shamir à leur tête, sont restés à leur place quand Haïdar Abdel Chafi, dans son discours en séance plénière, a parlé de la " direction " de l'OLP et fait de claires allusions au mandat accordé par cette organisation aux représentants palestiniens à Madrid.
Les Israéliens ne pouvaient non plus ignorer que des membres de l'OLP étaient partout présents dans les coulisses de la conférence pour assurer la coordination, et qu'une " délégation bis ", constituée de Palestiniens exclus, à la demande d'Israël, de la représentation officielle, avait également fait le voyage de Madrid, avec, parmi eux, Fayçal Husseini.
Qu'ils le veuillent ou non, les délégués israéliens ont achevé dimanche de " distinguer " leurs interlocuteurs palestiniens en soulignant le bon climat de leur rencontre, en dépit de tout ce qui les sépare. Cet aveu de satisfaction, calculé ou non, a presque valeur de légitimation. Les Israéliens semblent donc avoir enfin compris qu'on ne peut rechercher réellement la paix qu'avec ses véritables ennemis, quels qu'ils soient, et qu'on ne peut les choisir.
Il est vrai que, de leur côté, en s'asseyant à la table de négociation, les Palestiniens ont concrètement confirmé leur acceptation de l'existence de l'Etat d'Israël et qu'ils viennent de faire, eux aussi, une concession de taille en admettant d'envisager une autonomie provisoire en Cisjordanie et dans le territoire de Gaza, étape transitoire qu'ils n'avaient cessé de rejeter depuis que cette formule a été proposée en 1978 dans les accords israélo-égyptiens de Camp David.
Israéliens et Palestiniens ont fait à Madrid des efforts notables, même si leurs positions restent sur le fond inconciliables pour le moment. Ils ont déjà pris le risque de provoquer la colère des extrémistes des deux camps. Mais c'est la seule voie possible. Il semble que, sous la pression des Etats-Unis, chacun a décidé de faire assaut d'habileté manoeuvrière en essayant de prendre l'autre au piège d'une relative modération. Mais cela vaut beaucoup mieux que la stérile et dangereuse confrontation des intransigeances. Tel est le changement intervenu à Madrid. C'est actuellement le seul résultat de la conférence, mais il n'en est pas moins important.
FRANCIS CORNU
Le Monde du 6 novembre 1991
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