Les liaisons dangereuses. Lettre 81 commentaire
Publié le 22/01/2011
Extrait du document
Quant au XVIIIème siècle, deux mouvements contraires apparaissent, philosophie des Lumières et libertinage. Deux mouvements en complète opposition l'un étant basé sur un bonheur collectif l'autre sur la recherche des distractions et du bonheur individuel.
Choderlos de Laclos écrit alors en 1782, \"un chef d'œuvre de la perversion libertine\". C'est ainsi qu'est donc qualifiée son œuvre : Les liaisons dangereuses. Une œuvre pour le moins paradoxale à son mode de vie et à ses idéaux, ce qui fait toute sa complexité.
Dans ce passage, Mme de Merteuil explique la manière dont elle s'est travaillée, apparaît aussi comme une femme aux idées plus complexes, et comportant une notion tragique contraire à sa vision.
Mme de Merteuil apparaît dans cet extrait comme une femme intelligente, autodidacte et avide de connaissances. En effet, par le fort emploi des champs lexicaux de la science (réflexions L7, réfléchir L11, expériences L46, science L51) et de l'éducation ( m'instruire L15, m'apprit L16, ) ou de l\"auto éducation\" si l'on puit dire (je m'étudiais L23, Je me suis travaillée L26, ce travail sur moi-même L 43) elle laisse deviner, par l'utilisation de ce vocabulaire, une démarche scientifique afin d'apprendre, qui prouve son intelligence et son auto éducation. De plus les quelques qualifications telles que \"cette utile curiosité\"L15 ou encore \"aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir\"L51 appuie cette soif d'apprendre qui a été le moteur de sa jeunesse.
Bien qu'intelligente, Mme de Merteuil apparaît également comme une femme égocentrique et bourreau. Ainsi la présence importante des pronoms personnels comme \"moi\"L1, \"mes\" L3 et 4, \"mon\" L8, \"moi-même\"L43 traduit cet égocentricité. La question de rhétorique (\"Mais, moi qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées?\" L1) qui débute le texte annonce clairement la prétention qu'elle se donne par la mise en valeur du \"moi\", et le refus d'être assimilé aux autres femmes. Ce refus accentué par la suite avec la comparaison quelque peu péjorative \"comme ceux des autres femmes\"L5 et l'accumulation en rythme ternaire ( donnés au hasard, reçus sans examens, et suivi par habitude\"L5). La métaphore militaire (\"cette puissance\" L29, \"ces premières armes\"L34) mets en avant ce côté brutal et froid de Mme de Merteuil. Une métaphore qui induit un stratagème, traduit lui par tout ce travail pour cacher ses pensées, appuyé aussi par la comparaison avec les politiques (\"je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent leur réputation\"L48), qui apparaissent comme faux et possède un certains pouvoir que n'a pas le peuple. On peut ainsi conclure que Mme de Merteuil, se considère comme un politique vis à vis des autres femmes de sa société, par conséquent plus intelligente, et avec plus de pouvoir. Elle pense avoir trouvé dans le libertinage le moyen de diriger les autres, surtout les hommes, tout en les laissant croire que c'est eux qui mènent le jeu.
Le mode de vie des libertins, et le courant du libertinage apparaissent très clairement dans ce texte. Effectivement, le champ lexical du jeu (\"je m'amusais\" L36, \"mes fantaisies\"L39) et celui du secret (\"dissimuler\" L16, \"cacher\" L16,) retrace bien les intérêts des libertins, qui cherchaient dans la séduction un moyen de se divertir et prenait un certain plaisir à tromper les autres. La métaphore militaire évoquée précédemment peut ici, appuyer le côté libertin par le fait que l'amour où la séduction apparaît dans ce courant comme une conquête, qui impose souvent un stratagème digne des militaires. De plus, l'égocentrisme de Mme de Merteuil, et sa prétention permettent de retrouver l'idée du bonheur individuel que prône le libertinage. Enfin le champ lexical de \"l'art de paraître\" (\"on me croyait\"L11, \"me montrer sous des formes différentes\"L36) confirme la présence des pensées libertine dans ce texte.
Moins évident, mais présent tout de même, on trouve paradoxalement, une des idées principales des lumières. En effet, Mme de Merteuil \"n'avai[t] à [elle] que [sa] pensée et [s]'indignai[t] qu'on puisse la [lui] ravir ou la [lui] surprendre contre [sa] volonté\"L 32. Or l'idée d'une pensée personnelle et du droit de la garder pour soit vient bien du mouvement des Lumières. Ensuite, les champs lexicaux de la science, de l'éducation ou de l'auto éducation, viennent ici, après avoir confirmé l'intelligence de Mme de Merteuil, appuyer la présence de ce mouvement, en y intégrant les grands principes, comme le droit à l'éducation et au savoir, ou encore la curiosité et la Science. De plus, en s'appuyant sur les textes du corpus qui ont pour sujet l'éducation des femmes, et pour certains, comme auteur des philosophes des Lumières, on peut y voir la raison pour laquelle cet extrait y est intégré. Ainsi, Mme de Merteuil est une femme aux idées paradoxales, ayant le mode de vie d'une libertine, mais dont la base est une idée des Lumières.
Si aux premiers abords, Mme de Merteuil, paraît avoir trouvé un moyen de garantir sa liberté dans la société, il n'en est pas moins qu'elle reste prisonnière de son état, et comporte en ce sens une notion tragique. La constante comparaison du temps de sa jeunesse et de son âge actuel est traduite par l'emploi de l'imparfait, ou du temps passé (\"j'étais vouée\" L10, \"on me croyait\" L11, \"m'apprit\" L16, \"m'entouraient\" L18, \"Je m'étudiais\"L23, \"je m'indignais\"L32) en opposition avec le temps présent du début de la lettre (\"qu'ai-je\" L1, \"je me suis\"L2, \"Ils ne sont pas\" L5). Ainsi, lorsqu'elle écrit \"Entrée dans le monde dans le temps où fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction\"L9, il faut y comprendre, qu'en opposition à ce temps, elle est maintenant libre de ces mouvements et de ces actions. Autrement dit, c'est une femme libre. Cependant, les champs lexicaux déjà évoqués, comme celui du secret, et celui de l'art de paraître, confirme bien la notion de tragique dans le sens où ils induisent le fait qu'elle ne s'est jamais montré telle qu'elle est réellement. De plus le champ lexical des sentiments toujours énumérés par antithèse (chagrin / sérénité, joie L23 et 24; douleurs / plaisir L25 et 26) montre qu'elle ne laisse pas de place à la sincérité. Enfin, la gradation de son ressentie envers sa façon d'être (\"non contente de ne plus me laisser pénétrer\"L35, \"je m'amusais à paraître sous différentes formes\"L36, \"je réglai les uns et les autres (…) ou même seulement suivant mes fantaisies\" L39, \"Je ne montrai plus celle qu'il m'était utile de laisser voir\"L41) montre qu'elle est devenue une personne calculatrice, fausse et même froide, ce qui appuie la notion de tragique. Car voulant en premier lieu se protéger de la société, elle est devenue elle même un des bourreaux de celle-ci, et s'est prise à son propre jeu, ne pouvant plus se montrer réellement.
La notion de tragique de ce personnage est aussi dans le fait que Mme de Merteuil ne pense pas par elle même, elle n'est qu'un personnage de roman. En effet, le fait que dans ce texte on trouve une idée des lumières, est la preuve même que Laclos ne disparaît pas derrière son personnage. En prenant en compte le discours de Laclos sur les femmes intégré au corpus, on comprend que Laclos est plus proche des Lumières que du libertinage. Cependant il donne, dans son roman, la parole à une libertine. La notion complexe, est qu'en lui donnant pour base une idée des Lumières, et en prenant en compte son discours qui introduit le fait que les femmes préfèrent avoir recours aux vices plutôt que d'avoir le courage de se révolter, il prouve ainsi par ce procédé les fondements de son idée sur la société et la place des femmes. Mme de Merteuil est donc un personnage tragique car par le simple fait de s'être laisser prendre à son jeu, et de plus d'être manipulée par son créateur, il est prouvé qu'elle n'est pas libre de ses actes voir même de ses pensées.
Mme de Merteuil apparaît dans cet extrait comme une femme complexe, et prisonnière de sa société, en voulant s'en protéger. L'intelligence qui lui est donné en est la principale fautive, il est sous entendu qu'il aurait été dans son intérêt de se laisser guider par les principes de la société et non de suivre les siens qui l'ont finalement mené à ce jeu de paraître, dont elle ne peut plus sortir. De plus, Laclos vient ici aborder une notion plus complexe en introduisant une idée des lumières à une figure libertine. On peut se demander si la fin de ce roman, la chute de Mme de Merteuil donc, est une démonstration de Laclos sur les \"ravages\" du vice, en l'occurrence du libertinage, pour les femmes dans la société.
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