Les Illuminations - Arthur Rimbaud
Publié le 04/01/2017
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ILLUMINATIONS Recueil poétique en prose d'Arthur Rimbaud (1854-1891), publié à Paris dans la Vogue, et en volume aux Éditions de cette revue en 1886. Dans l'édition des Poésies complètes (Paris, Léon Vanier, 1895), figurent des textes découverts plus tard et absents dans l'édition de la Vogue ainsi que dans la première effectuée par Vanier en 1892. Dans chacune de ces éditions, le recueil est précédé d'une «Notice» ou «Préface» de Paul Verlaine. En 1875, lors d'une dernière rencontre à Stuttgart, Rimbaud remit à Verlaine le manuscrit des Illuminations, qui passa ensuite entre de nombreuses mains, avant d'être publié en 1886. Rimbaud, qui avait depuis longtemps renoncé à la poésie et vivait en Abyssinie, ignora cette publication. Selon le témoignage de Verlaine, l'ouvrage «fut écrit de 1873 à 1875» (Notice de l'édition 1886). En effet, si quelques poèmes en prose sont antérieurs à ceux d'Une saison en enfer, il est désormais généralement admis que la plupart sont contemporains ou postérieurs. Cela n'interdit toutefois nullement de voir dans Une saison en enfer une sorte de testament poétique que les Illuminations corrigent ou prolongent. Résumé Les textes des Illuminations - quarante-deux ou quarante-quatre, selon les éditions - sont, dans l'ensemble, relativement brefs et divisés en quelques paragraphes qui rythment la prose, scandent le parcours poétique. Plus rares sont les poèmes longs et comportant plusieurs sections tels que "Enfance", "Vies", "Veillées" ou "Jeunesse". L'organisation du recueil n'est pas due à Rimbaud mais au critique Félix Fénéon qui opéra un classement des feuillets épars confiés à la Vogue. L'ordre de succession des poèmes n'est donc pas en lui-même pertinent. La lecture du recueil permet toutefois de repérer des systèmes d'écho, des configurations signifiantes entre les textes: certains dessinent un univers urbain et moderne - "Ville", "Villes I", "Villes II", "Ouvriers", "les Ponts" -, d'autres un monde dans lequel la beauté naturelle et originelle a été préservée - "Aube", "Fleurs", "Marine" -; d'autres encore nous plongent dans l'enfance et la féerie - "Enfance", "Conte", "Royauté". Ainsi se créent une intelligibilité qui excède les limites d'un seul poème et une cohérence interne qui subsume le morcellement. Critique Le titre du recueil - que l'on ne trouve nulle part écrit par Rimbaud mais dont Verlaine a certifié l'authenticité, tout comme celle du sous-titre «coloured plates» [assiettes, plaques ou planches, coloriées ou peintes] - privilégie la vision. Selon Verlaine, les Illuminations font allusion aux enluminures populaires. Il est vrai que la poésie rimbaldienne s'ancre dans un imaginaire collectif et traditionnel qu'elle transmue, bien sûr, à sa manière, ce qui lui confère une tonalité parfois naïve, proche du monde de l'enfance. En outre, les textes se présentent le plus souvent comme émanant d'un regard particulier et requièrent du lecteur la contemplation partagée d'un spectacle. Le poète s'apparente à un montreur, sans que l'on sache exactement si l'objet désigné préexiste au regard ou si c'est l'acte de nomination qui le fait apparaître: «Il y a une horloge qui ne sonne pas. / Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches. / Il y a une cathédrale [...]» ("Enfance"). Le terme «illuminations» peut se rapporter également à ce pouvoir d'apparition des objets poétiques qui imposent leur éclat aussi bien aux yeux qu'à l'esprit. Les nombreuses phrases nominales ou présentatives ont cette même valeur déictique: «C'est le repos [...] / C'est l'ami [...] / C'est l'aimée [...]» ("Veillées"). La perception visuelle n'est cependant pas exclusive dans les Illuminations, qui octroient notamment une large place au sens auditif. Le vocabulaire musical est très présent et donne matière à mainte image qui mêle les sensations. Ainsi, le spectacle initialement visuel du poème intitulé "les Ponts" intègre peu à peu des notations musicales: «Des accords mineurs se croisent [...] Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics?» Ici encore, l'image se déploie en toute liberté et l'«illumination», révélation et hallucination tout à la fois, transfigure le monde: «La musique, virement des gouffres et choc des glaçons aux astres» ("Barbare"). La musique, c'est aussi celle que crée le texte, par ses rythmes et ses sonorités. Bien différente de celle prônée et pratiquée par Verlaine, la «musique savante» ("Conte") de Rimbaud est heurtée, parfois cahotique, toujours diverse. Elle utilise par exemple l'assonance et l'allitération comme conducteurs de la parole poétique: «Fleurs qu'on appellerait c?urs et s?urs, Damas damnant de longueur» ("Métropolitain"). L'enchaînement et le heurt des sonorités semblent primer sur le sens pour créer une cohérence avant tout auditive. La musique des textes émane aussi de l'utilisation de termes étrangers: leur sens, là encore, importe moins que l'effet de rupture qu'ils produisent, qu'il s'agisse du «wasserfall blond» ("Aube"), des «desperadoes» ("Jeunesse"), des «fanums» ("Promontoire") ou de titres tels que "Being Beauteous" et "Bottom". Le mot rare a ce même pouvoir d'ébranlement et d'envoûtement: «Un souffle ?uvre des brèches opéradiques dans les cloisons» ("Nocturne vulgaire"). De même, les fréquentes accumulations nominales confèrent à la prose des Illuminations une fluidité très particulière, à la fois vertigineuse - le flot énumératif semblant susceptible de se poursuivre indéfiniment - et accidentée - les allitérations venant souvent comme marteler la succession des vocables -: «Les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles» ("Métropolitain"). Enfin, cas plus rare, un poème tel que "Barbare" ne dédaigne pas la musique issue de la répétition d'une phrase refrain: «Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques.» Mais ce principe est manié sans régularité, voire déconstruit, puisque les derniers mots du texte n'en réitèrent qu'une bribe initiale: «Le pavillon...» Les titres des poèmes offrent quelques clés pour pénétrer dans l'univers rimbaldien. Même s'ils sont loin d'en épuiser d'emblée la teneur, et même si certains demeurent énigmatiques, ils dessinent de possibles trajets et délivrent quelques tonalités majeures du recueil. Ainsi "Enfance", "Jeunesse" et "Vies" semblent-ils se répondre pour constituer une unité biographique, voire autobiographique. Seuls, avec "Veillées", à être divisés en sections, ces trois textes voient émerger, plus ou moins amplement, une première ou une deuxième personne qu'il est tentant d'identifier au poète lui-même. Dans "Vies" surtout, le «je» est omniprésent, Rimbaud paraît livrer des fragments de son existence - «Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde» - et définir sa tâche poétique - «Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour.» "Enfance" se présente tout d'abord comme un texte impersonnel mais, dans les deux dernières parties, «je» impose sa présence avec force; la formule «je suis», maintes fois répétée, scande le poème. Une identité s'affirme, se cherche et trace un itinéraire poétique en forme de parcours initiatique: «Je suis le saint», «Je suis le savant», «Je suis le piéton», «Je suis maître du silence». Dans "Jeunesse", enfin, si le «je» est absent, le «tu» qui domine le texte est en fait le protagoniste d'un dialogue intérieur et représente donc encore le poète qui se parle à lui-même: «Tu te mettras à ce travail.» Toutefois, cette transparence est toute relative et bien des passages de ces trois poèmes se dérobent à une lisibilité autobiographique. Cette poésie, toujours mouvante et déroutante, ne se laisse jamais emprisonner dans quelque système que ce soit. Certes, le travail poétique se désigne parfois lui-même dans les Illuminations mais de manière éparse, fragmentaire, souvent énigmatique, et les trois textes que nous venons d'évoquer ne sont pas les seuls à comporter de tels passages où le poète explicite et narre son expérience: «J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le rendre à son état primitif de fils du Soleil, et nous errions, nourris du vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule» ("Vagabonds"; les références à Verlaine, à la vie londonienne et aux errances des deux compagnons sont ici quasi transparentes). Les titres des poèmes offrent également l'image d'un univers poétique à la fois moderne et sans âge. La modernité, c'est l'histoire contemporaine, avec des termes tels que "Démocratie" ou "Ouvriers", et c'est aussi le monde urbain: deux poèmes s'intitulent "Villes", un autre "Ville", et "les Ponts" ou "Métropolitain" renvoient à ce même paysage avec son «épaisse et éternelle fumée de charbon» ("Ville"), «ses bruits de métiers» ("Ouvriers") et sa «police» ("Villes I"). Volontiers descriptive, l'écriture enregistre alors le réel avec froideur et précision: «Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angle sur les premiers» ("les Ponts"); «On sert des boissons populaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies» ("Villes I"). Le ton est celui du compte-rendu, comme si l'écriture cherchait à se dépouiller à l'extrême pour mieux laisser comparaître le monde, comme si le regard du sujet s'effaçait au profit de la réalité extérieure. Cependant, rien n'étant jamais stable ni définitif dans cette poésie, le spectacle purement visuel bascule vite vers une transfiguration imaginaire et la vision du témoin neutre devient celle d'un visionnaire. "Villes II" offre notamment le spectacle de villes - «Ce sont des villes», annonce d'emblée le texte - peuplées de mythiques personnages; la description, à partir de quelques repères réels, acquiert une dimension fantastique, parfois indéchiffrable: «Toutes les légendes évoluent et les élans se ruent dans les bourgs» ("Villes II"). La modernité rejoint ainsi le mythe, et ces poèmes sont donc moins étrangers qu'il n'y pouvait paraître à ceux qui prennent source dans l'univers des légendes, comme en témoignent certains titres: "Conte", bien sûr, mais aussi "Antique" et "Après le Déluge". Diverses mythologies se côtoient et engendrent un monde féerique. Dans "Après le Déluge", par exemple, la référence biblique cohabite, par le biais d'«Eucharis», avec la Mythologie grecque et avec celle des contes puisque l'on voit paraître «Barbe-Bleue» aussi bien que «la Reine, la Sorcière». Cependant la magie des Illuminations n'est pas essentiellement faite d'emprunts. Les noms ou les figures traditionnelles sont là comme autant de clés, de formules rituelles qui ouvrent sur un monde échappant aux lois du quotidien et du réel, mais la poésie rimbaldienne engendre sa propre magie, son «défilé de féeries» ("Ornières"), avec ses «fleurs magiques» et ses «bêtes d'une élégance fabuleuse» ("Enfance"). Parfois, la fable se déploie sur l'ensemble du poème et la continuité narrative invite à une interprétation parabolique. C'est le cas en particulier dans "Conte" et "Royauté"; mais de telles unités sont rares car Rimbaud préfère l'éclatement à la cohérence, le morcellement à la continuité. Ainsi, la féerie des Illuminations naît surtout des réseaux sémantiques et thématiques qui se tissent d'un poème à l'autre. La récurrence de l'or et des pierreries crée une atmosphère de conte et un éclat visuel qui contribuent à la magie du recueil; on trouve ainsi dans "Fleurs" «un gradin d'or», «des pièces d'or jaune semées sur l'agate», «un dôme d'émeraude», «de fines verges de rubis». La magie procède aussi du monde du cirque et de la fête qui alimente de multiples visions, cosmiques et oniriques: «J'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse»; «Il sonne une cloche de feu rose dans les nuages» ("Phrases"). Cette euphorie et cette exubérance des images ne vont pas sans violence. Les contes rimbaldiens sont souvent cruels et le sang, dans les Illuminations, est tout aussi présent que l'or. Les «fantasmagories» ("Métropolitain") sont aussi fabuleuses qu'atroces. Enfin, la poésie rimbaldienne se porte volontiers aux frontières de la déconstruction et de la dérision. Ainsi, le poème prosaïquement intitulé "Solde" se présente comme une litanie de camelot qui dilapide au rabais «l'immense opulence» poétique des Illuminations. Moins apparents, d'autres procédés, au détour d'une phrase, invitent à se méfier des mots, des clichés par exemple, que l'écriture exhibe comme en autant de grincements: «La haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes» ("Enfance"), «Entouré d'un "luxe inouï"» ("Phrases"). Chères aux surréalistes, qui ont pensé y déceler une pratique de l'écriture automatique - ce qui est sans doute incontestable pour certains textes mais ne peut être considéré comme un principe systématique -, les Illuminations constituent un texte fondateur pour l'ensemble de la poésie moderne.
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