Les Fenêtres Dans Fin De Partie
Publié le 17/01/2011
Extrait du document
Corrigé en partie rédigé du devoir type bac sur les fenêtres dans Fin de partie
Fin de partie de Beckett met en scène un huis clos qui réunit quatre personnages dans un mystérieux « refuge «. Mais l’espace scénique décrit par la première didascalie comporte trois ouvertures : une porte menant à la cuisine, à droite de la scène, et deux fenêtres, « petites « et « haut perchées «, au fond de la scène, sur les murs de gauche et de droite. L’une des premières choses que fait Clov dans la pièce, c’est d’ouvrir les rideaux qui couvrent ces fenêtres. A plusieurs reprises, il regarde par les fenêtres et décrit à Hamm ce qu’il voit. Les fenêtres apparaissent donc comme une interface entre l’intérieur du « refuge « où sont cloîtrés les personnages, et le monde extérieur. Cependant, elles ne semblent offrir qu’une perspective de désolation et ouvrir sur un néant. On peut donc se demander à quoi servent ces fenêtres.
I. Une place cruciale dans la constitution de l’espace scénique et de l’espace dramatique
1. Les fenêtres structurent l’espace scénique. Au même titre que la porte de la cuisine ou le fauteuil de Hamm, les fenêtres constituent un pôle d’attraction régulier pour les déplacements de Clov. Elles accentuent l’aspect géométrique de l’espace (symétrie gauche/droite ; dualité : comme les poubelles, comme les deux couples ; placées en hauteur : dans le travail d’arpentage de Clov, fait de lignes, de diagonales, etc., elles ajoutent la verticalité : mouvement du regard de bas en haut, déplacement du corps quand Clov monte sur l’escabeau : mise en relief du caractère « cubique « de l’espace ; comme celui de la cuisine… lecture analytique de la 1re didascalie).
2. Elles suscitent aussi une interrogation et des hypothèses sur le lieu où se trouvent les personnages. Ce qui frappe le spectateur d’emblée, c’est la difficulté qu’il y a à accéder à ces fenêtres « haut perchées «, que Clov ne peut atteindre qu’en utilisant un escabeau, comme s’il avait « rapetissé «, constate Hamm, qui feint peut-être d’oublier à quel point ces fenêtres, « petites «, sont peu commodes, peu conformes à celles que l’on s’attend à trouver dans une maison, un foyer, un « home «, puisque c’est ainsi qu’il qualifie le lieu que représente l’espace scénique… Tout en créant un sentiment d’absurdité, ces fenêtres ont aussi un pouvoir évocateur : elles suggèrent des lieux comme la prison, la cave, le soupirail ou encore le bunker.
3. Enfin, en tant que lieu d’observation de l’extérieur, elles participent à la constitution d’un espace dramatique qui semble reposer sur l’opposition entre l’intérieur du refuge et le monde extérieur. Elles ouvrent en effet sur un hors-scène, le « monde «, « l’univers «, même, si l’on en croit Clov qui affirme de façon hyperbolique qu’il fait « noir clair dans tout l’univers «. De ces deux fenêtres, l’une donne sur la mer (côté jardin), l’autre sur la terre (côté cour). Elles permettent donc de situer le refuge dans un entre-deux, entre terre et mer, entre deux grands éléments, l’eau et la terre. Clov est chargé, parce qu’il peut encore se déplacer et qu’il voit encore (même mal…), de rendre compte à Hamm de cet extérieur. Mais en réalité, plutôt qu’une opposition entre intérieur et extérieur, les paroles de Clov suggèrent une analogie frappante entre les deux espaces : couleur (« lumière grisâtre « à l’intérieur, nous dit la première didascalie du texte, « gris «, « noir clair « à l’extérieur, nous dit Clov) ; extinction progressive de la vie (dedans, Nell meurt probablement – de toute façon, cet intérieur suinte l’agonie ; dehors, tout est « mortibus «) ; même désolation ; même sensation d’amoindrissement et de disparition : aux « il n’y a plus de (bouillie, calmant, etc.)… « concernant le refuge répondent les « il n’y a plus de (navigateurs, lumière, « plus rien «, etc.) « concernant le monde extérieur.
II. Une fonction dramatique paradoxale et ambiguë
Les fenêtres mettent en valeur le caractère répétitif, vain et absurde de l’action, mais elles sont aussi ce par quoi l’imprévu advient.
1. Les fenêtres sont le prétexte d’un rituel quotidien. Clov se rend quatre fois aux fenêtres pour regarder l’extérieur, de sa propre initiative la première fois (ouverture de la pièce), puis à la demande de Hamm ; il conduit aussi une fois le fauteuil de ce dernier sous les fenêtres. « Pourquoi cette comédie, tous les jours ? «, demande Clov après avoir dû regarder pour la deuxième fois par la fenêtre. L’observation par la fenêtre s’inscrit dans la tendance répétitive et lassante de la gestuelle quotidienne des personnages, mais aussi dans la tendance au ressassement de leur discours, puisque les échanges verbaux liés aux fenêtres correspondent à un schéma récurrent où Hamm donne des ordres, puis questionne tandis que Clov se plie à ses caprices (avec ou sans lunette…) et répond en usant à plusieurs reprises des mêmes termes : « rien «, « zéro «, « gris «. On peut noter d’ailleurs que les fenêtres sont systématiquement l’occasion de jeux de scène comiques et répétitifs, de gags (dès la didascalie initiale, oubli de l’escabeau ; plus tard, oubli de la lunette, puis véritable numéro de clown lorsque Clov, levant les bras aux ciel, manque de perdre l’équilibre et se rattrape de justesse, etc.) Cet effet de répétition ne doit cependant pas masquer une évolution : l’exaspération croissante de Clov face aux ordres de Hamm qui l’obligent à se hisser péniblement jusqu’aux fenêtres, au point qu’il finit par frapper ce dernier avec le chien (p. 99) ; et Clov affirme finalement qu’il va rompre l’épuisante répétition : « Je te préviens. Je vais regarder cette dégoûtation puisque tu l’ordonnes. Mais c’est bien la dernière fois. «
2. Les fenêtres semblent ainsi renforcer le huis clos plutôt que de l’ouvrir. Jamais l’extérieur observé par Clov ne communique avec l’intérieur autrement que par la parole de ce dernier : quand Hamm demande à s’approcher de la fenêtre, côté terre puis côté mer, pour sentir la lumière ou entendre la mer, il ne perçoit rien, que les fenêtres soient ouvertes ou non. Parce qu’il n’y a grand chose à percevoir, sans doute, mais aussi parce que ces fenêtres ne remplissent pas vraiment leur fonction de communication entre les deux univers, celui du refuge et « l’autre «. Les fenêtres renforcent ainsi le huis clos. Contrairement à une symbolique traditionnelle de la fenêtre, signe d’espoir, de perspective, les fenêtres de Fin de partie n’offrent pas d’échappatoire crédible à l’imaginaire : « zéro «, « néant «, pas de soleil ni de vie, aucune promesse d’autre chose, donc, ou plutôt si : « l’autre enfer «, comme le dit Hamm. D’ailleurs, il faut noter que Hamm ne recherche (en vain) de ces fenêtres que des sensations : chaleur du soleil, bruit des vagues, et non un quelconque changement annonciateur de salut, un événement qui bouleverserait le cours des choses. Bien au contraire, l’absence de nouveauté, de vie, le rassure (cf. le deuxième passage de Clov aux fenêtres qui, après sa succession de « Zéro «, demande : « Alors ? Rassuré ? «, puis, après avoir trouvé le mot « mortibus « : « Alors ? Content ? « Et lorsque Clov manifeste un étonnement devant ce qu’il voit, la didascalie précise que Hamm est « inquiet « : « Quoi ? Une voile ? Une nageoire ? Une fumée ? « ; puis il est « rassuré « par les paroles de Clov : ce n’est que le fanal qui est sous l’eau – l’extérieur conserve son aspect diluvien). Hamm redoute notamment toute nouveauté venue de l’extérieur qui annoncerait du vivant, une capacité reproductive (d’où le traitement réservé aux parasites – puce, rat – dans le refuge !).
3) Pourtant, c’est bien des fenêtres que surgit finalement un élément nouveau, potentiellement perturbateur : l’apparition, selon Clov, d’une manifestation de vie humaine à quelques mètres du refuge, un « môme «. L’étonnement de Clov se manifeste par un mouvement de surprise mentionné dans la didascalie (ce n’est pas la première fois, mais auparavant, il s’agissait d’une fausse alerte), par le « aïeaïeaïe « qui contraste avec les paroles désabusées qu’il tient habituellement sur ce qu’il voit, les exclamations : « quelqu’un ! C’est quelqu’un ! «, la multiplication des regards vers l’extérieur (limités à deux ou trois lors des précédent passages aux fenêtres ; notez que c’est le seul moment aussi où il se penche par la fenêtre : un premier mouvement de sortie, enfin ?) : bref, cette apparition n’est pas loin de ressembler à un coup de théâtre (cela est d’ailleurs suggéré par le souhait exprimé par Hamm : « Pourvu que ça ne rebondisse pas ! «). De cet extérieur apparemment stérile semble soudain surgir une existence qui pourrait remettre en question les certitudes et les renoncements de Hamm et Clov. Cependant, la posture de l’enfant ne suggère pas vraiment un élan vital : immobile, prostré même, il regarde « son nombril «. De plus, le spectateur, tributaire du discours de Clov autant que Hamm, ne peut être sûr de la réalité ni de la vérité de ce que voit Clov, d’autant que l’apparition de l’enfant survient au moment où Clov affirme son refus de se prêter plus longtemps au jeu des fenêtres. Le spectateur sait par ailleurs, depuis l’épisode du chien, que Clov peut mentir effrontément à Hamm ; il sait aussi que les affirmations de Clov ne sont jamais définitives ni bien assurées ; qu’il a des « visions « (p. 57), etc. Rappelons aussi que dans ses carnets de mise en scène de Fin de partie en 1980, Beckett suggère qu’à un moment, Clov, au lieu de monter sur l’escabeau, tape sur les marches de celui-ci pour faire croire à Hamm qu’il lui obéit ( séance sur les notes de mise en scène de Beckett). Il n’en reste pas moins que, quelle que soit la réalité de cet enfant, c’est sa mention par Clov qui suscite chez Hamm le constat que la fin est là : « C’est fini, Clov, nous avons fini. Je n’ai plus besoin de toi. « Hamm dit aussi que la terre « appelle « Clov, comme si de ces fenêtres pouvait finalement naître un désir d’évasion. Même si le départ de Clov est loin d’être assuré à la fin de la pièce, son imminence est plus crédible qu’au début. Il s’est donc bien passé quelque chose grâce à ces fenêtres…
III. Une fonction symbolique ?
Les ambiguïtés volontaires de Beckett quant à la nature de l’extérieur sur lequel ouvrent ces fenêtres suscitent la tentation d’une interprétation symbolique.
1) Les fenêtres : un poste d’observation qui questionne la capacité de l’homme à percevoir correctement le monde ? La lunette, image grossière de l’instrument d’observation scientifique (lorsque Clov égare sa lunette sur scène, il dit qu’il lui faudrait « un microscope « pour la retrouver, preuve qu’on est à la fois dans le champ lexical de l’instrument scientifique et dans le domaine de l’absurde). Ce qui est observé : le ciel, la mer, la terre, le cosmos en somme (« l’univers «) : l’activité d’observation de Clov serait alors l’image parodique des tentatives dérisoires de l’homme pour connaître le monde. Or, borné par son propre espace mental, soumis aux limites du langage, l’homme ne peut que produire du « mal vu, mal dit «, pour reprendre le titre d’une œuvre de Beckett. Hamm, qui avoue lui-même aimer les « vieilles questions « et les « vieilles réponses «, et qui ne cesse de questionner Clov sur le monde extérieur, représenterait donc l’inanité de la prétention au savoir, à la connaissance du monde. De manière générale, ce qui est questionné, c’est la notion de perception (une notion qui obsède Beckett), les limites de la perception, mais aussi l’impossibilité d’y échapper (cf. Film écrit par Beckett pour Buster Keaton.) A ce propos, on peut citer le choix scénographique de la mise en scène de J.-Cl. Fall en 2007 : fenêtres rondes comme des yeux, des orbites ( séance sur les mises en scène de la pièce).
2) Les fenêtres sont également au service de la métathéâtralité. Ce n’est pas un hasard si, au début de la pièce, Clov ouvre les « rideaux « de ces fenêtres : celles-ci ouvrent sur un spectacle que Clov est le seul à voir. Clov est ainsi une image du spectateur. Sachant que, par ailleurs, le spectateur se trouve aussi dans la même situation que Hamm, puisqu’il n’a pas plus que ce dernier accès à ce qu’il y a derrière les fenêtres : mystère et frustration… Enfin, la salle est, lors de la représentation de Fin de partie, soudain traitée de la même manière que le hors-scène, que le monde extérieur, puisque Clov braque sa lunette sur elle, prétendant voir « une foule en délire « : brisant explicitement l’illusion théâtrale, montrant que la dérision omniprésente dans la pièce n’épargne pas la pièce elle-même, Beckett suggère aussi qu’il existe une autre fenêtre, invisible, dans le « quatrième mur « … Le spectateur devient un spectacle pour le personnage sur scène, c’est « l’observateur observé « ! On retrouve alors une réflexion sur ce que signifie « voir «, et sur ce qu’est un « spectacle «. ( cours sur la dimension métathéâtrale de la pièce)
3) Enfin, on peut considérer l’idée que ces fenêtres seraient, pour Clov, comme des miroirs et une scène pour ses projections mentales. Miroir : cf. le parallèle marqué entre l’enfant du récit de Hamm, peut-être (ou peut-être pas) inspiré par l’histoire de Clov, et celui qu’aperçoit Clov (« aïeaïeaïe « dans les deux cas, même allusion au « sexe « qui n’a pas d’« importance «… lecture analytique du « roman « de Hamm) : la fenêtre côté terre serait-elle un miroir dans lequel Clov aperçoit son propre passé ? A moins que Clov n’imite le récit romanesque de Hamm, en inventant un nouveau personnage qui, tout en faisant écho à l’enfant du récit de Hamm, ferait de Clov un narrateur lui aussi (il a, face à l’enfant, les mêmes réactions que le narrateur du « roman « de Hamm…), un narrateur comme Hamm, qui lui-même est un narrateur comme Nagg… Mais avant même l’arrivée de l’enfant, cette vision de désolation, de destruction, de fin du monde, que rapporte Clov lorsqu’il regarde par les fenêtres (cf. le vocabulaire qu’il emploie : « cette ordure «, « cette dégoûtation « : profonde répugnance que lui inspire ce spectacle), rappelle singulièrement celle d’un autre personnage évoqué par Hamm, le peintre « fou « qui, par la fenêtre, ne voit que cendres là où les autres voient un charmant paysage naturel. Clov est-il semblable à ce peintre ? Est-il, comme lui, enclin à ne voir que la noirceur, la mort, sous l’apparente vitalité du paysage ? S’interdit-il, comme le peintre, les élans poétiques et bucoliques ? Clov serait alors un artiste du désastre, refusant de se laisser prendre aux illusions de la beauté du monde, etc ( cours sur les thèmes de la représentation et de la création).
Conclusion
Les deux fenêtres ont donc une triple fonction : scénique, dramatique et symbolique, mais aucune de ces fonctions n’échappe à l’ambiguïté ni aux incertitudes de l’interprétation. Ce qui est incontestable en revanche, c’est que les fenêtres synthétisent le mélange de comique (comique de répétition, clowneries, comique de mots, car l’extérieur est l’objet de calembours, etc.) et de tragique (enfermement, absence de perspective, cf. il n’y a rien « à l’horizon «, omniprésence de la mort, absurdité, quête de sens et de savoir vouée à l’échec, etc.) qui caractérise Fin de partie.
Liens utiles
- FICHE DE REVISION Incipit Fin de Partie, Samuel Beckett
- Juste la fin du monde De Jean- Luc Lagarce Etude linéaire Première partie, scène 10 (de «Plus tard encore..» à «Nous pourrions les séduire.»)
- Bac de Français - Explication linéaire - Juste la fin du monde (Partie 2 - Scène 2) - La colère d'Antoine
- FIN DE PARTIE - Samuel Beckett (résumé)
- L'Absurde - Fin de Partie