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Les extraits critiques suivants débattent de la question de l'utilité ou de la gratuité du conte de fées, de sa fonction ou de son « a-fonctionnalité », de sa signification ou de son insignifiance. Je vous propose d'entrer à votre tour dans le débat. Vous vous inspirerez de ces propos divers et divergents pour proposer une argumentation sur ce thème. Vous vous appuierez sur des lectures théoriques, des considérations historiques et éventuellement des expériences pratiques de réception

Publié le 10/10/2010

Extrait du document

question

 

Voici donc les quatre extraits qui formeront la base de votre réflexion : Extrait 1 : Jean-Paul Sermain, Le conte de fées du classicisme aux Lumières, Paris, Desjonquères, 2005, p. 154 : « Peu légitime dans le système contemporain de la critique, moins que le roman encore, tout conte de fées est problématique dans son existence même : l’attachement qu’il suscite tient du paradoxe car on ne sait pas pourquoi il a été écrit ou lu. L’organisation polyphonique du conte fait qu’il intègre dans son propos cette conscience critique et ce soupçon d’insignifiance : il donne place à sa propre parodie. […] La dimension parodique intrinsèque au conte a pour effet d’impliquer le lecteur dans une aventure douteuse, de susciter une sorte de malaise à l’égard de son origine naïve ou grossière et du pouvoir accordé aux désirs. « Extrait 2 : Jack Zipes, Les contes de fées et l’art de la subversion, trad. fr. F. Ruy-Vidal, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1986, rééd. 2007 (Fairy Tales and The Art of Subversion, Londres, 1983), p. 13 et 25 : « […] des auteurs cultivés se sont délibérément approprié, à une certaine époque, le conte oral de tradition populaire et l’ont converti en un type de discours littéraire, nourri des mœurs, pratiques et valeurs de cette époque, en vue d’obtenir que les enfants entrent plus facilement dans la civilisation régie par les codes sociaux en vigueur. […] Il y a assurément un danger à trop considérer l’écriture du conte de fées pour enfants en termes de manipulation. Si tel avait été son rôle principal, ou sa seule fonction, on pourrait, à juste titre, accuser le genre entier d’avoir opéré une machination. Ce qui n’est pas le cas. Cependant, comme j’ai tenté de le démontrer, alors qu’il commençait à se constituer en tant que genre, on peut dire que le conte de fées pour enfants prit de plus en plus le tour d’un discours institutionnalisé incluant parmi ses composantes la manipulation. « Extrait 3 : Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, trad. fr. T. Carlier, Paris, R. Laffont, 1976 (The Uses of Enchantment, 1976), coll. Bouquins, p. 137 (« De l’utilité de l’imagination «) : « Les contes de fées ne prétendent pas décrire le monde tel qu’il est ; ils ne donnent pas davantage de conseils sur ce qu’il convient de faire. […] Les vertus thérapeutiques du conte de fées viennent de ce que le patient trouve ses propres solutions en méditant ce que l’histoire donne à entendre sur lui-même et sur ses conflits internes à un moment précis de sa vie. « Extrait 4 : François Flahaut, La pensée des contes, Paris, Anthropos, 2001, p. 45 : « Le conte, encore une fois, n’agit pas sur nous comme une parabole débouchant sur une leçon. En fait, comme tous les récits de fiction, il exerce une action ambiguë : il apporte une expression aux désirs excessifs ou destructeurs qui nous habitent, et en même temps nous invite à nous contenter d’un semblant de cette démesure […]. Un récit parfaitement moral, c’est-à-dire sans violence, sans démesure, sans aucune expression du mal retirerait du même coup à ses auditeurs, lecteurs ou spectateurs la racine du plaisir qu’ils en tirent. Cette racine, c’est le lien entre le sentiment d’exister et l’affirmation inconditionnelle et illimitée de soi. L’arbre, heureusement, n’est pas fait de ses seules racines, mais celles-ci ne peuvent être coupées sans qu’il meure. «

 

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Qu’est-ce qu’un conte ? Si nous cherchons aujourd’hui dans le dictionnaire la définition du mot « conte «, nous pourrons y lire « Récit de faits, d’aventures imaginaires, destiné à distraire «. Mais si nous nous penchons sur l’histoire du conte et sur les recherches qui ont pu être faites sur le sujet, nous ne pouvons nous contenter de cette définition. En effet, depuis que le conte existe, que ce soit sous sa forme orale ou écrite, il a rempli différentes fonctions selon l’époque. Bien que la structure du conte soit sensiblement toujours la même au fil du temps (récit fictif, merveilleux, qui se déroulent dans un temps et un espace indéterminés, dont les personnages qui, à la différence des personnages que nous rencontrons dans la mythologie, portent en eux les qualités et les défauts de la race humaine, personnages généralement non individualisés et qui se trouvent au départ dans une situation difficile, voire cruelle, vivent des aventures, aidés par des auxiliaires magiques, dont ils sortent grandis et heureux), il n’a pas toujours été conté, écrit ou lu dans le seul but de distraire. De plus, il s’inscrit toujours dans une communauté et est donc marqué par les codes et les valeurs qui la caractérisent. Nous pouvons alors nous interroger sur son utilité ou sa gratuité, sa fonction ou son ‘afonctionnalité, sa signification ou son insignifiance. Pour ce faire, il nous semble intéressant, dans un premier temps de faire une courte présentation du conte oral, ou conte populaire, dont la pratique existe encore aujourd’hui (en Afrique notamment) avant d’explorer, dans un second temps, l’apparition du conte lettré, son évolution et ses différentes visées au cours de l’histoire, en nous appuyant sur les citations des différents auteurs inspirant ce débat, mais aussi sur d’autres auteurs ayant écrits sur le sujet et sur une expérience pratique de réception par un public préadolescent en difficulté de langage.

 

Difficile, voire impossible de dater l’apparition du conte oral. Par contre nous savons que cette pratique ancestrale s’organisait le plus souvent lors de veillées. Nous pouvons donc aisément imaginer que les conteurs d’adressaient à un auditoire composé d’adultes. Sa principale fonction était sociale. Le moment du conte était un moment privilégié de rassemblement et les récits étaient l’occasion d’inscrire l’histoire de la communauté dans une mémoire collective, comportant ainsi un aspect moral, voire didactique, en expliquant de manière ludique les merveilles et les horreurs du monde. Le conteur savait captiver son auditoire et adapter le récit à son public. Aujourd’hui encore, en Afrique, cette pratique orale du conte est encore bien présente, les enfants sont maintenant associés à ces moments. L’objectif n’a pas changé, ces moments sont toujours motivés par une volonté de cimenter la communauté. Ces contes oraux vont se transmettre de bouche à oreille, passer les frontières et être sans cesse remodelée à force d’être racontés des milliers de fois par des 2

 

adultes différents à d’autres adultes et à des enfants. Ces récits seront ensuite retranscrits (une trace est gardée, même si pour le coup le récit se fige, et fait alors « officiellement « partie d’un patrimoine culturel) et rentreront dans la littérature au point de devenir un genre littéraire à part entière. Certains auteurs comme Bruno Bettelheim ou Jean-Paul Sermain iront même jusqu’à les qualifier d’œuvres d’art. Olivier Piffault, dans son ouvrage Il était une fois…les contes de fées en dit même que « Les contes de fées que racontaient autrefois les paysans à la veillée pour se distraire des tâches domestiques comme réparer des outils, ravauder de vieux vêtements ou pétrir le pain se sont transformés avec bonheur dans les nurserys pour l’amusement et l’édification des bambins. « C’est au XVIe et XVIIe siècles que nous assisteront à la « fabrique du conte lettré «. Les italiens d’abord, avec Straparola et ses Piacevoli notti (1550) où le public visé est très clairement un public adultes étant donné l’aspect anti-clérical, grivois et même obscène de son œuvre. Dans la préface de Straparola, les réunions de la compagnie qui s’organisent les soirs précédant Carnaval, ont pour objectif de passer le temps et de divertir, la fable (ainsi est nommé le conte) est alors un divertissement comme un autre pour cette compagnie « passant le temps en danse et en plaisant propos, l’entretenant avec sons et chants. « Il sera suivi près d’un siècle plus tard par Basile et son Conte des contes (publication posthume en 1634 et 1636) qui met en place des récits comiques et carnavalesques, alimentés de motifs érotiques ou obscènes. Aucun doute là non plus sur le public visé par cet auteur. Nous y trouvons là aussi, comme chez Straparola, la mise en scène d’un auditoire (la compagnie), la notion de divertissement et de moments de communication puisque chaque récit est suivi de commentaires et de bavardages collectifs. Ces deux auteurs se réclament du divertissement et terminent leurs contes par un court proverbe populaire, une énigme, un problème. Il faudra attendre la fin du XVIIe siècle pour que ce nouveau genre littéraire apparaisse en France. Jean-Paul Sermain in Le conte de fées. Du classicisme aux Lumières nous dit que « Par un coup d’audace, des hommes et des femmes de lettres s’emparèrent en plein âge classique de ces contes transmis de bouche à oreille pour les transformer en œuvres d’art. « L’apparition du conte lettré coïncide avec un climat politique et économique sombre sous le règne de Louis XIV avec une France en guerre et frappée par la famine. Une volonté de se réfugier dans le rêve et le merveilleux se fait sentir et ainsi, les contes trouvent leur place dans les salons. Selon Louis Marin, l’allusion au caractère oral de la transmission est toujours présente mais relève ici d’un code social, à savoir « la transcription de récits en situation oral « et « l’effacement de l’auteur écrivain devant une instance orale sans nom propre «. L’auteur est une voix anonyme. Les textes ne sont alors pas publiés. Le coup d’envoi sera donné par la publication de L’Ile de la félicité de Madame d’Aulnoy en 1690. 3

 

Elle publiera également au début du XVIIIe siècle Le Cabinet des fées. Un « prospectus « au sujet de cet œuvre en décrit très clairement les visées et donne à voir la pensée du moment concernant le bienfondé de l’écriture et de la lecture de ce genre littéraire. Ainsi nous découvrons que « c’est peut-être le seul genre littéraire qui se soit répandu aussi abondamment et avec autant de rapidité parmi toutes les classes des citoyens : ils ont dû ces grands succès à deux avantages essentiels qui l’est rare de trouver réunis dans les Ouvrages d’imagination : l’instruction et l’amusement. (…)La morale mise en action sous les traits de la fiction, est certainement l’idée la plus heureuse pour faire couler sans force et sans gêne les sentiments de la vertu dans un jeune cœur. « Ainsi, il n’est plus question que de divertir un public adulte par la découverte d’un texte original, mais d’en faire un objet d’instruction pour les enfants.

 

Telle sera également la revendication de Charles Perrault. Denise Escarpit in Que Sais-je ? La littérature d’enfance et de jeunesse nous explique que l’ « On considère généralement que la littérature d’enfance et de jeunesse débute avec la publication des Histoires ou contes du temps passé avec moralités de Charles Perrault en 1697 «. Pourtant Charles Perrault s’inscrit très clairement dans la querelle entre les Anciens et les Modernes, nous pouvons alors peut-être considérer que son objectif d’écriture est avant tout politique. En effet, nous pouvons lire dans la Présentation par Annie Collognat et Marie-Charlotte Delmas in Les contes de Perrault dans tous leurs états, qu’ « On croit connaître Perrault, en effet. On l’imagine réservé aux enfants. Cependant si on prend la peine de lire ses contes, tels qu’il les a écrits, on découvre un univers où l’humour l’emporte souvent sur le merveilleux. Où les fées ne font que de très brèves apparitions. Où la morale n’est pas très morale. « Quant à Perrault, il s’en défendra comme nous pouvons le découvrir dans ses préfaces (toujours dans le même ouvrage) en écrivant « Ils (les gens de bon goût) ont été bien aises de remarquer que ces bagatelles n’étaient pas de pures bagatelles, qu’elles renfermaient une morale utile, et que le récit enjoué dont elles étaient enveloppées n’avaient été choisi que pour les faire entrer (les enfants) plus agréablement dans l’esprit et d’une manière qui instruisît et divertît tout ensemble. «

 

Ces récits serviraient donc à instruire la jeunesse tout en veillant à préserver le bon goût et la bienséance. Ils s’achèvent en effet le plus souvent par sur une morale, comme dans les fables. Si nous nous reportons aux propos de Denise Escarpit, il s’agirait là plutôt d’une manipulation de trois ordres : « manipulation qui sert une politique culturelle personnelle, manipulation d’ordre sociale qui présente une certaine image de la société, manipulation moralisatrice qui obéit au code de la morale bourgeoise du XVIIe vieillissant. « Selon elle « C’est cette possibilité de multiples manipulations qui font la force du conte « puisque les auteurs répondent ainsi aux « impératifs 4

 

sociaux et culturels du moment. « Ce constat est rejoint par Jack Zippes qui dans son ouvrage Les contes de fées ou l’art de la subversion présente le conte lettré comme un « discours littéraire, nourri des mœurs pratiques et valeurs de cette époque, en vue d’obtenir que les enfants entrent plus facilement dans la civilisation régie par les codes sociaux en vigueur. Par contre, il nuance la notion de manipulation et parle davantage de « discours institutionnalisé « proposé au public enfantin.

 

La question de « l’utilité « du conte peut alors être posée. Le conte est utile, assurément, mais qui sert-il ? Nous ne pouvons avoir aucun doute sur le fait qu’il ait servi les auteurs des XVIIe et XVIIe siècles, comme nous l’explique Jean-Paul Sermain « les conteurs et conteuses ont contribué à l’essor des Modernes à une époque qui va de la révocation de l’Edit de Nantes (1685) à, la mort de Louis XIV (1715) «. Considéré utile également aux enfants de cette même époque comme nous avons pu le voir dans le Prospectus du Cabinet des fées ou dans les préfaces de Charles Perrault, puisque selon les auteurs il était nécessaire d’instruire les enfants considérés en ce temps-là comme des êtres ignorants à modeler. Il nous semble que la notion de plaisir et de divertissement n’est pas à négliger non plus. Que le conte soit destiné à un public adulte ou à des enfants, la dimension de plaisir est extrêmement importante, car elle contribue à l’épanouissement personnel de chacun et en cela, nous pouvons encore confirmer l’utilité de ce genre littéraire. Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’un nouveau regard se pose sur l’impact possible de cette littérature. Le genre intéresse différents champs de recherche comme la psychanalyse ou la pédagogie et ces recherches ont permis de mettre en évidence la très grande portée et l’utilité que peut avoir le conte sur et pour la jeunesse. Si nous nous intéressons à l’approche psychanalytique du conte, Maria Tatar dans son article Des monstres et des magies, nous explique que « depuis quelques dizaines d’années, les pédopsychiatres voient dans les contes de fées un formidable moyen thérapeutique susceptible d’aider enfants et adultes à résoudre leurs difficultés en réfléchissant sur les conflits incarnés dans ces histoires. « Bruno Bettelheim est certainement l’auteur le plus connu ayant écrit sur le sujet (même s’il s’est concentré sur des recherches portant sur un public d’enfants). Dans son ouvrage Psychanalyse des contes de fées, il explique que ces récits exercent une fonction thérapeutique sur l'enfant, qu’ils répondent de façon précise à ses angoisses. Ainsi, le Roi et la Reine seraient une image inconsciente des bons parents et la marâtre, l’ogre ou la sorcière, une image des parents méchants et frustrants. Il insiste également sur l’impact que peut avoir sur le jeune enfant la découverte de contes lus par 5

 

l’adulte, dans son désir d’acquérir les techniques de lecture puisque ces récits ajoutent quelque chose d’important à la vie de l’enfant : « rien ne peut être plus enrichissant et plus satisfaisant dans toute la littérature enfantine que les contes de fées puisés dans le folklore.« Un impact donc sur l’entrée de l’enfant dans les apprentissages scolaires mais un impact également au niveau de la construction de soi et de la découverte du monde dans lequel il vit car « l’enfant, parce que la vie lui semble souvent déroutante, a le plus grand besoin qu’on lui donne une chance de se comprendre mieux au sein du monde complexe qui l’entoure.« L'enfant traverse des épreuves : déceptions, rivalités fraternelles, confrontation au monde extérieur, prise de responsabilités…Face à ces épreuves l’enfant peut se sentir seul et angoissé. Certains pensent qu’il vaut mieux éviter d’offrir aux enfants des récits jugés (par l’adulte lui-même) trop durs, trop violents, voire cruels afin de les protéger, de les préserver et en leur proposant de préférence une image du monde idéale. Cela n’apaise pas les enfants car ils se rendent bien compte qu’autour d’eux tout ne se passe pas de cette manière et que la vie ne réserve pas que de bonnes surprises. Offrir la lecture de contes aux enfants, même très jeunes, permet d’apaiser leurs angoisses et les encouragent à s’engager dans la vie, car ils leur offrent la possibilité de comprendre « qu’il existe des solutions momentanées ou permanentes aux difficultés psychologiques les plus pressantes. « Les enfants se fient aux contes de fées car ils s'adressent à eux sous une forme magique. Jusqu’à la puberté, l’enfant reste en grande partie animiste (Piaget) dans son monde à lui, où la frontière entre vivant et inanimé, hommes et animaux, imaginaire et réalité est encore floue. Ainsi, dans l’univers des contes, en étant transporté dans un autre temps et dans un autre espace, décalé de son quotidien, l’enfant est rassuré car selon Bruno Bettelheim « le conte de fées rassure, donne de l’espoir pour l’avenir et contient la promesse d’une fin heureuse. « La force des contes est alors de proposer aux enfants une multitude de personnages auxquels il est possible de s’identifier, personnages qui personnifient également leurs désirs car « ce n’est pas le triomphe final de la vertu qui assure la moralité du conte mais le fait que l’enfant, séduit par le héros, s’identifie avec lui à travers toutes ses épreuves (…) Les luttes intérieures et extérieures du héros impriment en lui le sens moral. « Selon Bettelheim, les impacts du conte se font à un niveau inconscient et il insiste fortement sur le fait qu’il ne faut pas expliquer le récit aux enfants, ni pourquoi il leur plaît, moins encore à quel besoin ou questionnement il répond et il explique au lecteur que « Les contes de fées enrichissent la vie de l’enfant et lui donnent une qualité d’enchantement uniquement parce qu’il ne sait pas très bien comment les contes ont pu exercer sur lui leur charme. « Il est rejoint sur ce point par François Flahaut qui dans son ouvrage La pensée des contes écrit que « Le conte, encore une fois, n’agit pas sur nous comme une parabole débouchant sur une leçon. En fait, comme tous les récits de fiction, il

 

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exerce une action ambiguë : il apporte une expression aux désirs excessifs ou destructeurs qui nous habitent, et en même temps nous invite à nous contenter d’un semblant de cette démesure […]. « Ces auteurs nous démontrent ici très clairement l’utilité, la fonction thérapeutique des contes. Si nous regardons du côté de la pédagogie, nous nous rendons compte que depuis fort longtemps le conte est considéré comme instructif, ayant des vertus éducatives. Aujourd’hui, les instructions officielles de l’Education Nationale préconisent la découverte des contes à tous les niveaux du parcours élémentaire et les contes dits « classiques « (conte de Charles Perrault, Andersen, les frères Grimm, Madame d’Aulnoy, Madame Leprince de Beaumont) apparaissent dans les listes officielles conseillées en littérature. Il est question ici de permettre aux enfants d’acquérir un patrimoine culturel commun, mais aussi pour les enseignants d’utiliser le conte comme outil pédagogique pour l’acquisition du langage oral, du langage écrit et également pour favoriser l’accès à l’imaginaire. Le conte peut être également un support littéraire privilégié pour travailler avec les enfants en grande difficulté scolaire. Serge Boimare a beaucoup écrit à ce sujet et dans son ouvrage L’enfant et la peur d’apprendre il nous explique que le gage essentiel de réussite en matière de réduction de l'échec scolaire repose sur la médiation culturelle. Il croit beaucoup à l'apport de la médiation et en particulier à l’apport de la littérature. Le principe repose sur le « nourrissage culturel « qui passe par la lecture de mythes et de contes. Ce « nourrissage « traite de préoccupations capitales pour ces enfants, donne une forme, une image à leur pensée. Ils peuvent alors s’appuyer sur leur monde interne pour commencer à penser. On trouve alors le moyen de les intéresser en répondant à leur curiosité primaire. C’est sur cet entraînement aux fonctionnements intellectuels, à travers l'utilisation de la parole, que repose la possibilité de relancer la machine à penser des enfants présentant des troubles des apprentissages. Selon lui, grâce à la culture, « il faut les aider à mettre de l'universel et du général dans ce qui est trop individuel ou catégoriel. « Deux expériences ont été menées récemment dans un établissement accueillant des enfants présentant des troubles du langage écrit, âgés de 11 à 14 ans. Pour un groupe il s’agissait de découvrir un certain nombre de contes classiques et modernes, d’abord pour trouver ou retrouver le goût et le plaisir d’entendre des histoires pour ensuite leur permettre de se lancer eux-mêmes dans l’écriture d’un conte. Un deuxième groupe d’enfants, de la même tranche d’âge a également découvert différents contes pour ensuite se focaliser sur le conte Les habits neufs de l’Empereur d’Andersen afin de travailler à sa mise en scène avec l’aide d’un metteur en scène professionnel. Pour chacun des groupes nous avons pu constater que les élèves prenaient beaucoup de plaisir à 7

 

découvrir les contes et que la plupart ne les connaissaient pas, ou uniquement sous forme de dessins animés. Nous avons vu naître au fil des semaines une curiosité pour ce genre littéraire et une envie de lire et d’écrire. Les élèves ont globalement tous gagné en confiance dans leur vie d’ « apprentilecteurs « et la théâtralisation du conte a véritablement permis à certains de grandir et d’affronter leur peur du langage (écrit ou oral) et la peur du regard des autres.

 

Suite à ces réflexions, il nous paraît difficile de trouver des arguments pouvant justifier la gratuité, l’a-fonctionnalité ou l’insignifiance du conte. Quelle que soit l’époque à laquelle nous pouvons nous situer, nous pouvons nous rendre compte que ces récits ont toujours eu une utilité, une fonction et une signification, que ce soit au niveau culturel, politique, sociale, thérapeutique, éducatif ou pédagogique. Aujourd’hui, qu’ils soient oralisés ou lus, les contes restent des histoires où tout est possible, se déroulant dans un univers manichéen, des histoires pour la plupart optimistes, qui permettent de s’évader de la banalité d’un quotidien, qui séduisent petits et grands alors qu’elles sont vraisemblablement l’une des plus vieilles formes d’expression de l’humanité. Continuons alors à les faire vivre, à les faire découvrir, aussi bien pour le plaisir que pour servir des objectifs plus « intéressés «, sans oublier qu’ils sont peut-être avant tout, comme le disait Lewis Caroll, des « cadeaux d’amour «.

 

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