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Les desirs naturels existent-ils ?

Publié le 14/12/2014

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Introduction Il est curieux de demander si des désirs naturels peuvent exister. Le langage courant l’affirme en donnant pour exemple la nécessité de boire, de manger, de dormir pour pouvoir continuer à vivre. Dans ce cas, désir et besoin sont jugés synonymes. Puis il existe d’autres désirs, que l’opinion qualifie de superflus, alors que les besoins restent toujours naturels. Que faut-il alors penser ? Boire est un besoin mais souhaiter boire tel vin à l’exclusion de tous les autres est un désir. Est-il artificiel alors que son fondement est naturel ? Comment expliquer qu’une chose puisse engendrer son contraire ? La situation est donc plus complexe qu’il n’y paraît et nous devons éclairer le sens des termes. Que signifie désirer ? Qu’entend-on par « naturel » ? 1. Les imprécisions de l’opinion A. Une évidence du sens commun Ce qui est naturel porte la marque de la spontanéité. Il paraît alors évident que des désirs naturels existent. Un nourrisson ressent la faim et la soif et se tourne, sans apprentissage, vers ce qui pourra lui apporter satisfaction. De même la fatigue produit le désir du repos. Nous pouvons ainsi ajouter que de tels comportements sont nécessaires etuniversels. On ne peut pas vivre sans se nourrir, boire, dormir et ceci est commun non seulement à l’homme mais au genre animal. Cependant, nous reconnaissons volontiers que certains désirs sont artificiels et nous accusons même le désir de nous entraîner dans des voies inutiles ou dangereuses lorsque nous le comparons à la simplicité des besoins. Désirer serait se perdre dans le monde illimité des choses superflues quand le besoin aurait pour valeur de nous cantonner dans ce qui est indispensable à la vie. B. Une difficulté du sens commun Cette imprécision de l’opinion est l’indice d’une difficulté. Nous pourrions dire qu’il existe des désirs naturels et d’autres qui ne le sont pas, mais ce serait admettre que les premiers sont des besoins. Est-ce aussi évident ? Le point commun de ces deux notions est le sentiment du manque et de l’insatisfaction qu’il produit. Celui qui désire reconnaît que quelque chose lui fait défaut et met en œuvre des moyens pour supprimer une tension qui peut aller jusqu’à la souffrance. Pour autant, le besoin reste une détermination fondamentalement organique qui le rapproche de l’instinct, au sens où les deux sont involontaires et n’impliquent pas une représentation de l’objet. Le désir à l’inverse est un phénomène plus élaboré qui va de pair avec l’imagination et le choix. Si nous éprouvons tous le besoin de manger, le fait de préférer du poisson à de la viande est un acte du désir. Disons même que plus nous raffinons nos exigences plus nous indiquons que l’objet est désiré. C’est ainsi que le désir est porteur de démesure comme nous le voyons dans le cas du luxe, alors que quelqu’un dans le besoin acceptera ce qu’on lui donne du moment qu’il échappe à la pression de la faim ou du froid. [Transition] Cette différence ne met-elle pas en cause l’existence de désirs naturels ? 2. La valeur ontologique du désir A. Un phénomène social L’exemple ci-dessus montre que le désir est lié à l’affirmation de soi. Il est la manifestation d’un sujet qui, par ce biais, se révèle à autrui et à lui-même. En désirant nous marquons notre différence par rapport aux autres ou au contraire notre souhait de ressembler à certains d’entre eux. Nous voyons donc que le désir est un phénomène essentiellement social et à ce titre non naturel. Hume le souligne en disant que l’objet des passions est toujours le moi. « Un homme peut être fier de sa beauté, de sa force, de son adresse, de son allure, de son habileté à danser, à manier les chevaux ou les armes, de sa dextérité dans quelque occupation ou travail manuel. […] Notre patrie notre famille, nos enfants, nos relations, nos richesses nos maisons […] nos habits, toutes ces choses peuvent devenir causes d’orgueil ou d’humilité. » Nous voyons que le but du désir vise moins la possession d’une chose ou l’accomplissement d’une action que laconsidération que nous en retirons de la part des autres. En désirant, le moi se prend pour objet, c’est-à-dire qu’il cherche à apparaître à lui-même. Il est en quête d’une représentation de soi. B. Le désir est l’essence de l’homme Ce phénomène nous montre que tous les désirs ont en commun d’avoir pour but de nous procurer le sentiment d’exister. Ils ont donc une valeur ontologique qui les différencie des besoins naturels et, plus encore, de l’instinct animal, lequel est dépourvu de conscience. Spinoza distingue en ce sens l’appétit du désir et dit de celui-ci qu’il est l’essence de l’homme. Précisons encore : les exemples de Hume montrent que la puissance du désir est incompréhensible si on l’isole abstraitement du milieu dans lequel elle se déploie. Comme le note Hegel, le bourgeois jouit moins des choses que de la représentation de lui-même qu’il obtient à travers elles. Dès lors, les objets possédés n’ont de valeur qu’en tant qu’ils sont désirés par d’autres sujets. Obtenir une image de soi n’est possible que par la médiation d’autres consciences désirantes. Le désir est donc un phénomène intersubjectif. Ceci explique aussi bien les processus d’imitation que le souhait de se démarquer de la majorité. Un tel désirera aller où tout le monde va, un autre cherchera un pays peu fréquenté, mais la logique reste sur le fond identique. Nul ne peut exister vraiment s’il n’est pas reconnu, c’est-à dire si ses désirs ne sont pas jugés désirables par ses semblables. Le désir humain est désir du désir des autres alors que le besoin et l’instinct ne cherchent que la satisfaction physique. Dans Émile ou de l’éducation Rousseau affirme pour cette raison le caractère non naturel de l’amour car il implique l’élection d’une personne, alors que l’instinct sexuel reste un mouvement qui porte vers un autre indéterminé. [Transition] Parler de désirs naturels semble donc impropre. Une difficulté subsiste toutefois. Comment expliquer que des philosophes emploient cette expression et notamment dans le domaine moral ? 3. Nature et morale A. Les dangers du désir Spinoza affirme que nous ne désirons pas les choses parce que nous les jugeons bonnes, mais que nous les jugeons bonnes parce que nous les désirons. L’homme qualifie immédiatement ce qui l’entoure sans suivre forcément les conseils de la raison. Désirer reste un élan en partie involontaire et affectif voire inconscient de ses origines, ce n’est pas l’acte d’une volonté qui s’oblige à faire son devoir. De ce fait, le désir est porteur de deux dangers : la démesure etl’aveuglement. Le besoin et l’instinct sont bornés, le désir est, comme le dit Hobbes, « une continuelle marche en avant » dans la conquête de ce qui nous apparaît être un bien et ce jugement peut être égaré par notre avidité. La philosophie morale dénonce la quête des faux biens qui maintient l’âme dans un trouble opposé au bonheur. La recherche sans mesure du pouvoir, des richesses, des honneurs est une source perpétuelle d’inquiétude car ces réalités sont instables. Les hommes sont jaloux, ils se concurrencent et le vainqueur d’aujourd’hui a tout à craindre de ceux qu’il domine temporairement. De plus, le lien avéré du désir à l’imagination fait que nous sommes exposés à nous laisser séduire par des mises en scène comme celles de la publicité. La santé du corps comme de l’esprit peut en être dégradée. B. Nature et raison C’est en ce sens qu’Épicure distingue et oppose des désirs naturels à d’autres qui ne le sont pas. Celui qui désire l’immortalité ou la gloire se prend au piège d’aspirations vaines, sans objet réel malgré les apparences. Il court après des fantasmes qui le laisseront insatisfait. Le naturel devient alors la marque de ce qui est conforme à une vie menée sous la conduite de la raison, laquelle nous enseigne la prudence dans l’usage des plaisirs. L’homme sage sait qu’il faut se garder des séductions du luxe, il use des plaisirs sensibles avec modération pour en jouir sans en dépendre. Est naturel ce qui est simple, facile à se procurer, comme le pain et l’eau qui comblent aussi bien notre faim que les plats les plus recherchés. Nous voyons ainsi que cet adjectif signifie « raisonnable ». Il ne désigne pas ici des besoins communs à tous les animaux mais il exprime un jugement de valeur relativement à ce que doit être une vie libérée des troubles de l’âme. Le désir de connaître les vraies causes des phénomènes peut donc aussi être dit naturel car la connaissance nous guérit de la superstition. Elle nous aide à nous épanouir. Conclusion Cette question nous conduit à une double conclusion due à l’ambiguïté du mot nature. Dans un premier temps, nous soutenons qu’il n’y a pas de désirs naturels au sens où tout désir implique la conscience et des représentations collectives, ce qui en fait un phénomène social et intersubjectif. Le désir n’est ni un besoin ni un instinct car son but véritable n’est pas la possession de l’objet mais le sentiment d’être. On désire pour exister à nos propres yeux et on ne peut atteindre ce but que si les autres répondent à notre désir. Dans un second temps, nous avons vu que l’adjectif « naturel » avait un sens moral. Il désigne la norme d’après laquelle on évalue les désirs. Il y a en ce sens des désirs naturels, mais nature est ici identique à raison. Ce qui est naturel demande un effort et de la réflexion pour être suivi. Ce n’est donc pas un besoin naturel.

« de nous entraîner dans des voies inutiles ou dangereuses lorsque nous le comparons à la simplicité des besoins.

Désirer serait se perdre dans le monde illimité des choses superflues quand le besoin aurait pour valeur de nous cantonner dans ce qui est indispensable à la vie. B.

Une difficulté du sens commun Cette imprécision de l'opinion est l'indice d'une difficulté.

Nous pourrions dire qu'il existe des désirs naturels et d'autres qui ne le sont pas, mais ce serait admettre que les premiers sont des besoins.

Est-ce aussi évident ? Le point commun de ces deux notions est le sentiment du manque et de l'insatisfaction qu'il produit.

Celui qui désire reconnaît que quelque chose lui fait défaut et met en oeuvre des moyens pour supprimer une tension qui peut aller jusqu'à la souffrance. Pour autant, le besoin reste une détermination fondamentalement organique qui le rapproche de l'instinct, au sens où les deux sont involontaires et n'impliquent pas une représentation de l'objet.

Le désir à l'inverse est un phénomène plus élaboré qui va de pair avec l'imagination et le choix.

Si nous éprouvons tous le besoin de manger, le fait de préférer du poisson à de la viande est un acte du désir.

Disons même que plus nous raffinons nos exigences plus nous indiquons que l'objet est désiré.

C'est ainsi que le désir est porteur de démesure comme nous le voyons dans le cas du luxe, alors que quelqu'un dans le besoin acceptera ce qu'on lui donne du moment qu'il échappe à la pression de la faim ou du froid. [Transition] Cette différence ne met-elle pas en cause l'existence de désirs naturels ? 2.

La valeur ontologique du désir A.

Un phénomène social L'exemple ci-dessus montre que le désir est lié à l'affirmation de soi.

Il est la manifestation d'un sujet qui, par ce biais, se révèle à autrui et à lui-même.

En désirant nous marquons notre différence par rapport aux autres ou au contraire notre souhait de ressembler à certains d'entre eux.

Nous voyons donc que le désir est un phénomène. »

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