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Les Caractères, Livre V, "De la société et de la conversation" (remarque 74) - La Bruyère : Hermagoras

Publié le 12/09/2006

Extrait du document

Parmi tous les travers d’esprit critiqués par la littérature, le pédantisme est peut-être l’un de ceux que l’on attache le plus à l’humour. À cet égard, le XVIIe siècle s’illustre tout particulièrement, et dans des genres aussi variés que la fable (l’écolier, le pédant, et le maître d’un jardin, La Fontaine), ou le théâtre (les femmes savantes, de Molière). Tandis que le siècle précédent avait vu dans l’érudition l’achèvement parfait de l’intellect humain, le XVIIe s’est ainsi attaché à ses éventuels travers : la pédanterie, le babillage voire l’imposture. Il n’est donc pas étonnant de voir qu’à de multiples reprises, La Bruyère s’est inscrit en adversaire de ces dérives, que ce soit avec le portrait d’Arias, ou celui d’Ascagne. Le livre V des Caractères, intitulé De la société et de la conversation, n’y échappe naturellement pas, et la remarque 76 résume bien l’opinion du moraliste : « C’est la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique (…) « peut-on lire. Celle-ci semble faire écho, d’une certaine manière, à la remarque 74, qui fait le portrait satirique d’un certain Hermagoras, qui, loin d’être inculte, fait néanmoins preuve d’un savoir aussi désuet qu’importun et pédant, doublé d’une ignorance grotesque des réalités de son temps. Ce paradoxe est à considérer à l’aune du titre de la section où elle se situe : le portrait étant construit principalement au moyen du discours rapporté, il est également possible de voir dans cette remarque non seulement la critique d’un savoir superflu, mais aussi une critique de la conversation, dévoyée par le pédantisme. Aussi, par quels moyens La Bruyère joint-il l’humour à la critique, dans cette attaque à la fois morale et satirique du pédant? Le portrait fait preuve d’une certaine vivacité du style, qui renforce l’aspect comique et paradoxal du personnage. Cet aspect comique est renforcé par la satire, toute la critique reposant sur le regard ironique de l’auteur. L’auteur, bien que presque absent de la remarque, se manifeste néanmoins par un style caractéristique, intéressant car foncièrement opposé au caractère de Hermagoras. La remarque 74 est un portrait : elle commence par le prénom du personnage, Hermagoras, qui par la suite ne sera désigné que par « il «, pronom dont la récurrence (« il « est répété 36 fois) appuie la focalisation externe : c’est en effet par des actions, qu’il nous est donné à voir, d’où le nombre important de verbes d’action (« il s’étonne «, « il raconte «, « il débrouille «, « il demande «, « il vous dira «, « il sait « …), dont beaucoup ont trait à la parole. On peut donc parler d’éthopée. À l’inverse, les verbes d’état sont rares, si bien que le personnage se dessine sous nos yeux, et évolue à travers ses propres propos. mais également à travers ce qui semble être des appréciations de l’auteur (« Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie.. «), qui explicite les propos rapportés ( « il s’étonne de n’entendre faire aucune mention du roi… «). Les autres personnages sont davantage des « figurants «, que ce soit les noms qu’il cite, ou les gens avec qui il converse, désignés impersonnellement (« on «) ou d’une manière généralisante (« vous/nous «). Il apparaît donc seul, livré au regard du lecteur, et les propositions, accumulées dans un style très parataxique, semblent autant de focus sur les ridicules du personnages. Le style coupé de La Bruyère a un effet d’exclusion : sans conjonction de coordination, c’est bien le pronom « il « qui articule la plupart des proposition. Ainsi, chaque fois qu’un thème concret et simple est abordé, lui s’en trouve exclu. Il s’agit d’un procédé très théâtral (on pense par exemple aux portraits de Célimène dans le Misanthrope), qui se rapproche du monologue : et certes, Hermagoras ne parle pas tout seul, mais il en donne l’impression : ces répliques condensées sont autant de focus sur ses ridicules. Ces ridicules sont rendus de manière évidente dans la construction même du portrait : celle-ci repose en partie sur une mise en parallèle comique de la réalité et des thèmes discutés pas Hermagoras, ainsi que sur une logique d’accumulation rendant compte de la conversation du personnage. Le pédantisme trouve son expression dans le décalage entre les sujets abordés, concrets et réels (« guerres de Flandre et de Hollande «, « Versailles «, « les maisons de France « etc…) et sa manière d’y répliquer (« guerres des géants «, « tour de Babel «, « rois des Mèdes ou de babylone «) qui trahissent son absence d’écoute. Il se flatte d’un savoir aussi absurde que peu classique : les noms et faits qu’il cite sont perses, égyptiens, babyloniens, et n’ont donc pas le sérieux attribué alors à la culture gréco-latine (peut-être ce qu’entend La Bruyère par « la vénérable antiquité «). Ces noms sont « barbares «, peu harmonieux, et leur consonnance abrupte (Mardokempad, Noesnemordach, Artaxerxe) ce qui tranche avec le raffinement qu’on attend d’une conversation. En outre, son savoir interpelle par son goût du détail, poussé jusqu’à l’absurde : de nombreuses hyperboles traduisent cette érudition insensée : « il en raconte (…) les moindres détails, rien ne lui est échappé « ou encore « Il a presque vu la tour de Babel, il en compte les degrés «. Le décalage est presque géographique : le centre du monde contemporain de La Bruyère (la France, l’Autriche, la Bavière) sont mis en parallèle avec des hauts lieux de l’antiquité (Egypte, Babylone). L’absurde trouve son point d’orgue dans les deux derniers phrases du passage, où Hermagoras laisse libre cours à ses divagations. Le style coupé donne l’effet d’un pêle-mêle de paroles sans aucune connection, malgré la logique réflective que le personnage manifeste, qui se caractérise par des digressions. Les deux dernières phrases restituent particulièrement cette logique propre à Hermagoras, le regard du narrateur semblant même absent. Le caractère prosaïque et inintéressant des informations citées (sur la « voix… les bras… une main… «) sont typiques des extrémités jusqu’où le pédantisme peut mener dans les comédies. L’opposition entre l’ineptie des propos et leur expression savante et érudite tient a priori à un paradoxe constitutif du personnage. Cet aspect paradoxal est d’ailleurs exprimé dans la seule phrase au discours direct de la remarque : « Quelles minuties ! « trahit l’absence de remise en question du personnage. On observe que les conjonctions ou subordonnant d’opposition sont très souvent associés à la simultanéité ( par ex : la subordonnée « pendant qu’il récite… « contredit la proposition qu’elle complète, et le coordonnant « et « marque le décalage dans « on lui dit que le roi jouit d’une santé parfaite et il se souvient que… «). Cette suffisance explique le dédain du pédant pour la réalité à quoi il préfère l’antiquité, même quand elle est fictive (comme la « guerre des géants «), et explique donc son isolement involontaire. L’obstination, voire l’aveuglement que souligne l’utilisation du futur (« personne ne lui apprendra… « « Il n’a jamais vu Versailles, il ne le verra point «…) donnent également une tonalité burlesque, caricaturale au pédant : malgré toutes ses lacunes pourtant basiques, les expressions ayant trait à sa culture (« il sait «, « bien fondé«, « récite « ) et à son discours docte (« il ajoute.. « « il vous révélera«) sont dominantes dans le texte. Cette abondance tourne en dérision le savoir certes abondant mais inutile de Hermagoras, mais surtout la fatuité dont il fait preuve. On peut voir dans les questions « Que ne sait-il point ? Quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité ? « un discours indirect libre, et donc une focalisation interne, mais également la présence du satiriste au travers de questions oratoire. La remarque 74 est d’emblée humoristique. Mais si Hermagoras fait preuve d’une certaine individulité (son goût maniaque pour l’antiquité n’étant pas celui de tous les pédants), il n’en reste pas moins l’objet d’une satire, et donc, soumis au regard du satiriste. L’humour n’est bien entendu pas accidentel, et s’il relève comme on l’a vu du caractère incongru du personnage, il reste principalement le fait du satiriste dont le regard concentre sur le personnage principalement ses défauts. La première phrase interpelle le lecteur du XVIIe siècle au fait de son époque par son innocence presque enfantine, qui contrevient à son image d’érudit. Elle est longuement développée, et se divise en deux mouvements, le premier portant sur le défaut (« Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie… tout lui est nouveau… «), le second sur sa connaissance de guerres antiques voire mythologique (« mais il est instruit de la guerre des géants… «). La ponctuation éclaire peu sur la relation que ces deux tendances entretiennent, et mettent donc sur un plan d’égalité le défaut de connaissance concrète, et l’érudition déplacée. La conjonction « mais « tenderait à racheter le manque de Protagoras. Or l’on comprend bien que cette quasi comparaison est ironique, et fait un intervenir le regard railleur du satiriste. Ce procédé d’équivalence structure dans un premier temps le texte. Le jugement de valeur est la plupart du temps implicite, et évident. Les verbes les plus subjectifs seraient il « confond «, il « néglige «, mais force est de constater que la majorité des verbes reste neutre, sans laisser d’ambiguité sur le jugement de l’auteur. Ce n’est en effet qu’à de rares moments que la personne du narrateur intervient, et celle-ci se fait toute insinuation : avec la prétérition « Dirai-je qu’il croit… ? « ou encore « aussi familier qu’à nous «. On remarque que contrairement à certaines remarques où La Bruyère se pose au-dessus de la masse, ce dernier s’inclut ici à un groupe plus ou moins abstrait, celui des gens disposant du sens commun, alors même qu’il expose Hermagoras à la critique de tous (La Bruyère s’adresse à « vous « à 4 reprises, et à deux reprises sur le mode impératif : « dispensez-le… ne lui parlez pas… «), et en donne le spectacle ridicule et divertissant. Quant aux spectateurs à qui il est donné de voir les travers d’Hermagoras, ils restent ceux d’une certaine époque : les nombreuses références aux faits historiques contemporains de La Bruyère (guerre de Flandres, Versailles, Valois et Bourbons, la santé du roi…) laissent penser qu’il s’agit de la société de son temps, et plus précisément la cour. Le personnage d’Hermagoras a beau ne pas en faire partie, sa culture exhaustive des détails historiques suggère qu’il appartient à une élite. Or, c’est sur l’élite que s’exerce la portée satirique des Caractères. On peut donc supposer que La Bruyère ne sépare clairement le « vous « de son Hermagoras qu’afin de ne pas heurter ses lecteurs, ceux-ci étant eux aussi susceptible de céder à la pédanterie. On comprend alors mieux l’usage du futur dans les phrases « Il vous dira… «, « Il vous révélera… «, avisant son lecteur de la nuisance que réprésente la conversation d’un tel homme. La question « Que ne sait-il point ? « en plus d’être ironique, est également oratoire, et fait partie intégrante de la rhétorique de la Bruyère. Son point de vue, dont on a vu qu’il s’exprimait implicitement dans le texte, s’efface quasiment dans les deux dernières phrases, qui semblent restituer fidèlement le style de Hermagoras. Il invite le lecteur à juger par lui-même du spectacle risible dans lequel s’enfonce Hermagoras, une fois lancé dans ses divagations. On assiste à la déconstruction de Hermagoras par ses propres paroles : l’absence de pointe finale souligne le monologue sans fin du pédant, auquel La Bruyère n’a pas jugé utile d’exprimer son point de vue évident. Dans sa démarche même, le satiriste se garde bien de céder aux travers de sa cible (autosatisfaction, verbiage) et semble par sa discrétion indiquer une marche à suivre. La conversation est tout un art au XVIIe siècle, et comme le titre du livre V le suggère, elle est liée à la vie sociale. La remarque 16 fait valoir qu’en matière de conversation, « le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui. « On comprend donc dans quelle mesure le portrait d’Hermagoras s’inscrit dans la continuité d’une esthétique morale perceptible dans tout le livre : une rigueur dans la pensée comme dans la parole, servie par un style lapidaire et précis, qui conformément à la règle classique, joint l’utile à l’agréable. Force est de constater le soucis qu’a La Bruyère de distraire son lecteur. Le texte s’illustre par un rythme vif : la parataxe, mais également des répétitions (« il ne sait… « est répété 3 fois, « voix «, « dit «, « il «) et les interventions de l’auteur (« Dirai-je.. «) donnent au style de la Bruyère un aspect oral, parlé ; à cela s’ajoute le fait que le portrait est encore un jeu de salon à l’époque de La Bruyère. Ce dernier déploie donc ici toutes les qualités qui font défaut à un Hermagoras. Mais à ce titre, les dernières phrases de la remarque sont ambiguës : le style de la Bruyère ne s’efface pas vraiment derrière les propos de Hermagoras. Ceux-ci, bien qu’ineptes et déplacés, sont retranscrits dans le style clair et lapidaire de La Bruyère. C’est pourquoi l’on peut se demander s’il n’y a pas une certaine complaisance du satiriste dans ce défaut qu’il décrie, et qui, s’il rend détestable le pédant, permet néanmoins à l’auteur de disposer d’éléments incongrus, surprenants, distrayants : les prénoms complexes et barbares confèrent une note exotique à la remarque. En outre, les situations absurdes développées par Hermagoras (« Il a presque vu la tour de Babel, il en compte les degrés «, « les bras lui tombaient jusqu’aux genous «) rendent d’autant plus légère la critique de La Bruyère. De fait, c’est là peut-être la limite de cette satire. Le personnage du pédant bénéficiant déjà d’une littérature abondante avant les Caractères (il est présent chez Montaigne), on observe que le portrait de la remarque 74 fait presque davantage office d’illustration – certes caricaturale – que de satire sociale : il est subtile de distinguer si la critique se trouve dans chaque phrase du texte, ou si elle n’est justement que suggérée, tant elle est évidente au vu du contexte intertextuel (Molière, La Fontaine, Scarron s’en sont pris à la figure du pédant) mais également intratextuel (les remarques 9, 16, et 76). En conclusion, le portrait brossé par la remarque 74 est à plusieurs niveaux ancré dans la situation d’énonciation de La Bruyère, non seulement par sa proximité avec une littérature en vogue (le portrait, le pédant), mais aussi par de multiples références à des réalités de son époque. Cependant, l’originalité de La Bruyère s’exprime par un style qui lui est caractéristique et qui s’oppose au caractère de Hermagoras. De fait, si le satiriste n’exprime pas directement sa pensée, son regard est sensible à travers les tournures ironique utilisées. Ce qu’on s’attendrait d’un portrait a textuellement bien lieu : la construction progressive d’un personnage, par l’accumulation d’information. Mais la vivacité du style, sa recherche du divertissement et d’une forme d’épure de l’écriture, participent d’un mouvement double : la déconstruction du personnage aux yeux du lecteurs, et la mise en valeur du talent de La Bruyère. Ce dernier ne cède pas à un défaut dans lequel sa qualité de satiriste et de moraliste pourrait le faire tomber, en effet, plutôt que de pédantiser sur ce qu’il faut ou non faire, il laisse à l’évidence le soin d’éclairer son lecteur, et ce tout en le divertissant. Sans le dire, il fait donc l’éloge (in abstencia) de la sagesse véritable : savoir parler, converser témoigne d’un caractère honnête, « bien fait « au sens de Montaigne. Au contraire, la tête bien pleine de Hermagoras, est l’objet d’une critique sans concession, mais non sans humour.

« associés à la simultanéité ( par ex : la subordonnée « pendant qu'il récite… » contredit la proposition qu'elle complète, et lecoordonnant « et » marque le décalage dans « on lui dit que le roi jouit d'une santé parfaite et il se souvient que… »).

Cettesuffisance explique le dédain du pédant pour la réalité à quoi il préfère l'antiquité, même quand elle est fictive (comme la « guerredes géants »), et explique donc son isolement involontaire.

L'obstination, voire l'aveuglement que souligne l'utilisation du futur(« personne ne lui apprendra… » « Il n'a jamais vu Versailles, il ne le verra point »…) donnent également une tonalité burlesque,caricaturale au pédant : malgré toutes ses lacunes pourtant basiques, les expressions ayant trait à sa culture (« il sait », « bienfondé», « récite » ) et à son discours docte (« il ajoute..

» « il vous révélera») sont dominantes dans le texte.

Cette abondancetourne en dérision le savoir certes abondant mais inutile de Hermagoras, mais surtout la fatuité dont il fait preuve.

On peut voirdans les questions « Que ne sait-il point ? Quelle chose lui est cachée de la vénérable antiquité ? » un discours indirect libre, etdonc une focalisation interne, mais également la présence du satiriste au travers de questions oratoire. La remarque 74 est d'emblée humoristique.

Mais si Hermagoras fait preuve d'une certaine individulité (son goût maniaque pourl'antiquité n'étant pas celui de tous les pédants), il n'en reste pas moins l'objet d'une satire, et donc, soumis au regard du satiriste. L'humour n'est bien entendu pas accidentel, et s'il relève comme on l'a vu du caractère incongru du personnage, il resteprincipalement le fait du satiriste dont le regard concentre sur le personnage principalement ses défauts.

La première phraseinterpelle le lecteur du XVIIe siècle au fait de son époque par son innocence presque enfantine, qui contrevient à son imaged'érudit.

Elle est longuement développée, et se divise en deux mouvements, le premier portant sur le défaut (« Hermagoras ne saitpas qui est roi de Hongrie… tout lui est nouveau… »), le second sur sa connaissance de guerres antiques voire mythologique(« mais il est instruit de la guerre des géants… »).

La ponctuation éclaire peu sur la relation que ces deux tendances entretiennent,et mettent donc sur un plan d'égalité le défaut de connaissance concrète, et l'érudition déplacée.

La conjonction « mais » tenderaità racheter le manque de Protagoras.

Or l'on comprend bien que cette quasi comparaison est ironique, et fait un intervenir leregard railleur du satiriste.

Ce procédé d'équivalence structure dans un premier temps le texte.

Le jugement de valeur est laplupart du temps implicite, et évident.

Les verbes les plus subjectifs seraient il « confond », il « néglige », mais force est deconstater que la majorité des verbes reste neutre, sans laisser d'ambiguité sur le jugement de l'auteur.Ce n'est en effet qu'à de rares moments que la personne du narrateur intervient, et celle-ci se fait toute insinuation : avec laprétérition « Dirai-je qu'il croit… ? » ou encore « aussi familier qu'à nous ».

On remarque que contrairement à certainesremarques où La Bruyère se pose au-dessus de la masse, ce dernier s'inclut ici à un groupe plus ou moins abstrait, celui des gensdisposant du sens commun, alors même qu'il expose Hermagoras à la critique de tous (La Bruyère s'adresse à « vous » à 4reprises, et à deux reprises sur le mode impératif : « dispensez-le… ne lui parlez pas… »), et en donne le spectacle ridicule etdivertissant.

Quant aux spectateurs à qui il est donné de voir les travers d'Hermagoras, ils restent ceux d'une certaine époque : lesnombreuses références aux faits historiques contemporains de La Bruyère (guerre de Flandres, Versailles, Valois et Bourbons, lasanté du roi…) laissent penser qu'il s'agit de la société de son temps, et plus précisément la cour.

Le personnage d'Hermagoras abeau ne pas en faire partie, sa culture exhaustive des détails historiques suggère qu'il appartient à une élite.

Or, c'est sur l'élite ques'exerce la portée satirique des Caractères.

On peut donc supposer que La Bruyère ne sépare clairement le « vous » de sonHermagoras qu'afin de ne pas heurter ses lecteurs, ceux-ci étant eux aussi susceptible de céder à la pédanterie.On comprend alors mieux l'usage du futur dans les phrases « Il vous dira… », « Il vous révélera… », avisant son lecteur de lanuisance que réprésente la conversation d'un tel homme.

La question « Que ne sait-il point ? » en plus d'être ironique, estégalement oratoire, et fait partie intégrante de la rhétorique de la Bruyère.

Son point de vue, dont on a vu qu'il s'exprimaitimplicitement dans le texte, s'efface quasiment dans les deux dernières phrases, qui semblent restituer fidèlement le style deHermagoras.

Il invite le lecteur à juger par lui-même du spectacle risible dans lequel s'enfonce Hermagoras, une fois lancé dansses divagations.

On assiste à la déconstruction de Hermagoras par ses propres paroles : l'absence de pointe finale souligne lemonologue sans fin du pédant, auquel La Bruyère n'a pas jugé utile d'exprimer son point de vue évident. Dans sa démarche même, le satiriste se garde bien de céder aux travers de sa cible (autosatisfaction, verbiage) et semble par sadiscrétion indiquer une marche à suivre. La conversation est tout un art au XVIIe siècle, et comme le titre du livre V le suggère, elle est liée à la vie sociale.

La remarque16 fait valoir qu'en matière de conversation, « le plaisir le plus délicat est de faire celui d'autrui.

» On comprend donc dans quellemesure le portrait d'Hermagoras s'inscrit dans la continuité d'une esthétique morale perceptible dans tout le livre : une rigueur dansla pensée comme dans la parole, servie par un style lapidaire et précis, qui conformément à la règle classique, joint l'utile àl'agréable.

Force est de constater le soucis qu'a La Bruyère de distraire son lecteur.

Le texte s'illustre par un rythme vif : laparataxe, mais également des répétitions (« il ne sait… » est répété 3 fois, « voix », « dit », « il ») et les interventions de l'auteur(« Dirai-je..

») donnent au style de la Bruyère un aspect oral, parlé ; à cela s'ajoute le fait que le portrait est encore un jeu desalon à l'époque de La Bruyère.. »

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