LES CADRES EN FRANCE
Publié le 17/01/2011
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« Le cadre est l'Homme passe partout de nos sociétés industrielles, l'être recherché de toute annonce d'emploi, à la fois le plus visible et le moins insaisissable «. Dans cette définition du sociologue Luc Boltanski, parue dans son ouvrage Les Cadres, la formation d'une groupe social en 1982, se détache toute la complexité du concept de « cadre «. Ce mot a pour origine le terme « encadrement «. En général, on entend par cadre toute personne qui assure des fonctions d'encadrement. La notion de cadre est une notion complexe, parfois floue, qui recouvre des significations multiples en termes de statut et de représentations sociales tout en s'appuyant sur des fonctions et des rôles identifiés dans l'entreprise. Comment définir un cadre aujourd'hui ? Qu'est-ce qui fait leur unité ? Existe-t-il une culture des cadres ? Quelles sont leurs revendications ? I - Comment définir un cadre ? A. Un statut, une notion sociétale * Approche culturelle : on peut être cadre sans avoir à encadrer une équipe - Statut - Représentation sociale spécifique - Comportement particulier * Notion liée à des représentations sociales qui font que le "cadre" occupe un rang, une place au sein de la société. Cette place lui confère un rôle qui n'est pas sans effet sur le comportement ou du cadre et qui n'est pas, non plus, sans effet sur la perception, les exigences que possède l'environnement quant à ce rôle. * Pays anglo-saxons : séparation entre la fonction et le rôle social est plus marquée - Responsabilités sont moins rattachées au statut qu'à la fonction - La désignation des fonctions est plus précise : « manager, chief operator, ... « > > Processus d'adaptation des grands groupes français à ces désignations en cours * Le statut de cadre est indiqué dans les classifications professionnelles et s'acquiert : - Par le biais de la formation (accès direct ou semi direct) soit - Par le biais de l'expérience : compétences acquises ancienneté (accès indirect). B. Un rôle et des fonctions * Le cadre a aussi un rôle identifié au sein des organisations comprenant trois volets distincts : - L'encadrant : celui qui dirige, organise et structure une équipe, fixe les objectives et les règles - Le manager : celui qui anime une équipe. Il peut être dans l'application de décisions prises en amont et gérer des individus, ou encore, il peut déterminer lui-même les orientations de certains acteurs sans liens hiérarchiques. - Le spécialiste : celui qui sait. Il a la connaissance ou l'expérience. Ce dernier critère contribue à rendre floue la notion du cadre dans la mesure où il englobe toute sorte d'activités non identifiables et indépendantes des notions d'encadrement et de management. C. La définition internationale du BIT * Le "recueil de principes et de bonnes pratiques concernant les conditions d'emploi et de travail des travailleurs intellectuels" adopté en 1978 par le Conseil d'Administration du BIT conduit à une définition du travailleur intellectuel (ou cadre) par deux conditions : - Avoir achevé un enseignement et une formation professionnelle de niveau supérieur ou qui possède une expérience reconnue équivalente dans un domaine scientifique, technique ou administratif - Exercer, en qualité de salarié, des fonctions à caractère intellectuel prédominant, comportant l'application à un haut degré des facultés de jugement et d'initiative et impliquant un niveau relativement élevé de responsabilité. D. Le statut des cadres en France * On distingue aujourd'hui trois catégories de cadre en France : - Les cadres dirigeants : cadres auxquels sont confiés des responsabilités dont l'importance implique une indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps , qui sont habilités à prendre des décisions de façon autonome et qui perçoivent une rémunération élevée - Les cadres intégrés : occupés selon l'horaire collectif de travail et "pour lesquels la durée de leur temps de travail peut-être prédéterminée". - Les cadres autonomes : ni occupés selon un horaire collectif de travail, ni dirigeants II - La Culture des Cadres On parle souvent d'une culture des cadres qui est mal établie et dont les contours flous empêchent la bonne appréciation, pourtant il existe bien une culture des cadres. Cette culture se caractérise par des institutions, des symboles mais aussi une éthique commune. A. Les institutions * Depuis le début des années 60, le groupe se reconnaît dans ses institutions : - centres de formation - séminaires - caisses de retraites spécifiques - associations pour l'emploi - fédération nationale d'achat B. Les symboles * Ensuite parce que des symboles particuliers sont attachés au cadre : - tenue vestimentaire stricte - matériel de bureau (ordinateurs, téléphones portables) - privilèges convoités, tels que les frais de mission et horaires non contrôlés - nomenclature codée (et, en soi, dépourvue de signification) chef de projet, chef de produit, directeur de marketing, cadre technico-commercial - langage propre : Il ne s'agit plus que de “ gérer les conflits ”, “ communiquer ”, “ faire passer le message ”, “ tester ”, “ lever les inhibitions ”, “ neutraliser les défenses ”, on parle “ affects ”, “ phantasmes ”, “ désirs ”, “ pulsions ”, “ insight ”, “ feed back ”, “ blocking away ”, “ tutoring ”, etc. langage qui témoigne d'un certain type d'insertion professionnelle : “ motivé, entreprenant, dynamique, fort potentiel, tourné vers l'avenir, carrière évolutive ” C. Une éthique commune * Les cadres semblent véhiculer un certain nombre de valeurs : - goût du pouvoir, (le sentiment de figurer parmi l'élite) - autonomie - solitude * Ceux qui deviennent cadres ne sont pas pour autant des solitaires, des individualistes. C'est un métier de contact, pas nécessairement de coopération, entre égaux. La construction d'une culture commune passe en effet par un contrat social, une forme d'aliénation, certes limitée et négociable, de sa liberté personnelle : - des qualités acquises dans une famille d'origine sociale élevée telles que “ distinction, bonnes manières, finesse, bon goût ” peuvent elle aussi faire partie de la culture de cadre. - fascination du modèle américain (impression d'appartenir à une « élite sans frontières «) III - Peut-on parler d'un malaise des cadres face au travail aujourd'hui ? Le cadre a longtemps bénéficié d'un statut de salarié à part, qui pouvait être amené à s'intéresser aux conditions de travail de ses subordonnés, mais pour qui ces questions n'étaient pas pertinentes. A. Le développement de l'idéologie individualiste et des incertitudes des stratégies d'entreprise * Nouvelle norme de jugement : l'«internalité« (Jean-Léon BEAUVOIS, 1994) = Logique par laquelle on s'impute à soi-même les succès et les échecs > > L'idéologie libérale fait de plus en plus reposer sur l'individu le succès ou l'échec de ses entreprises * Nouveau type de carrière plus individualiste : carrière « nomade « (Loïc CADIN, 1998) face : - à la perte de repères objectifs - à la déconstruction de filières d'avancement - à l'abandon de toute promesse d'évolution au sein de l'entreprise > > Prise en charge de la mobilité et de l'apprentissage par l'individu et non par l'organisation. * Incertitude économique : absence de repères - politiques commerciales fluctuantes - mouvements financiers rapides et secrets > > Les cadres sont seuls pour interpréter les informations qui leur parviennent > > Ils ont par conséquent de plus en plus de mal à s'adapter aux stratégies d'entreprise qu'ils sont pourtant chargés d'appliquer B. Des contraintes organisationnelles croissantes * Principe de la lean organisation (organisation mince) : = Réduction des effectifs dans les services fonctionnels et d'assistance > > Le cadre doit s'encombrer de tâches qui auraient pu être effectuées par d'autres (analyse de tableaux chiffrés, prises de rendez-vous, saisie de textes) * Entreprise postmoderne : client de plus en plus présent (flux tendus, NTIC) > > Pression ressentie en constante augmentation, même si les contacts directs avec les clients n'augmentent pas : 64% des cadres disent souffrir du stress (Opinion Way, 2009) > > 1998 : 59% des cadres ont le sentiment de devoir répondre à « une demande immédiate « (contre 35% en 1984 : Enquête MES-DARES) C. Un accroissement de la charge de travail * Sondage CFE-CGC, 2009 : Surcharge de travail - 77% des cadres estiment qu'ils ont une charge de travail plus lourde qu'avant - 90% des cadres considèrent qu'ils doivent travailler dans des délais trop rapides * Sondages CSA, liaisons sociales, avril 2001 : - 68% des cadres emportent du travail chez eux - 55% y reçoivent des appels téléphoniques > > Phénomène de débordement des tâches professionnelles au domicile personnel > > Favorisé par les NTIC : 80% des cadres estiment que cela entraine une surcharge de travail * L'auto considération des cadres eux-mêmes comme des individus responsables est exploitée par l'entreprise pour qu'ils assument les imprévus et soient disponibles, il leur est donc difficile d'y échapper D. Un mode de management extrême * Remplacement de l'autorité inflexible traditionnelle du patron par des données réelles instrumentalisées par les équipes managériales (concurrence intense, objectifs) > > Implication subjective de plus en plus exigée : plus encore que les autres salariés, le cadre doit adhérer aux valeurs de l'entreprise, s'engager dans ses objectifs, voire s'y identifier * Management par les objectifs : il définit ce que l'entreprise attend du salarié et fixe ainsi es critères sur lesquels le travail sera évalué : - Le cadre doit mettre en ½uvre ses propres moyens pour parvenir à ses objectifs flous - Il ne bénéficie pas d'appui réel sur ses projets, mais avance au rythme des objections de sorte qu'il est le seul responsable des risques qu'il prend - Il pâti d'un manque de mise en valeur et de reconnaissance de son travail (BOLTANSKY) > > Autonomie en même temps avantage et désavantage Bien que les cadres représentent un groupe social complexe aux frontières floues, ils partagent néanmoins une culture commune autour de valeurs et de normes, qui développent depuis quelques années une tendance à la dénonciation de leurs conditions de travail pourtant longtemps acceptés. On peut cependant relativiser le malaise des cadres. En effet, ils constituent une catégorie socioprofessionnelle relativement épargnée par le chômage. De plus, le statut de cadre, particulièrement en France, demeure un statut privilégié. Enfin, les cadres disposent par définition d'une capacité d'adaptabilité pour améliorer leurs propres conditions de travail. SOURCES : * Ouvrages : Les cadres : la formation d'un groupe social, Luc Boltansky, 1982 L'open space m'a tuer, Alexandre des Isnards, Thomas Zubern, 2009 * Articles de presse : « Conditions de travail : une aspiration nouvelle pour les cadres «, Problèmes économiques n°2768 « La carrière classique existe encore «, Problèmes économiques n°2740 « Entre contrainte et plaisir : le travail des cadres «, Sciences Humaines n°210 * Sites Internet : http://prudhommesisere.free.fr/tempstravail/fichecadres.htm (Définition générale des cadres) http://www.feccia.org/cadres/cadres_europe.htm#_Toc536687176 (BIT : définition des cadres) http://www.netpme.fr/metiers/825-notion-cadre.html (France : définition des types de cadres) http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_08.html (La culture des cadres) http://www.conseil-entreprise.org/cadres-nouvelles-technologies-aggravent-stress-n34603.html (Sondage Opinion Way, Cadres: stress et nouvelles technologies) http://www.lopenspacematuer.com/ (Conditions et culture des cadres au travail) http://www.zurbains.com/cadres-face-stress-professionnel_679A50833572B3.html (Sondage CFE-CGC, le stress au travail)
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II - La Culture des Cadres
On parle souvent d'une culture des cadres qui est mal établie et dont les contours flous empêchent la bonneappréciation, pourtant il existe bien une culture des cadres.
Cette culture se caractérise par des institutions, dessymboles mais aussi une éthique commune.
A.
Les institutions
* Depuis le début des années 60, le groupe se reconnaît dans ses institutions :- centres de formation- séminaires- caisses de retraites spécifiques- associations pour l'emploi- fédération nationale d'achat
B.
Les symboles
* Ensuite parce que des symboles particuliers sont attachés au cadre :- tenue vestimentaire stricte- matériel de bureau (ordinateurs, téléphones portables)- privilèges convoités, tels que les frais de mission et horaires non contrôlés- nomenclature codée (et, en soi, dépourvue de signification) chef de projet, chef de produit, directeur demarketing, cadre technico-commercial- langage propre : Il ne s'agit plus que de “ gérer les conflits ”, “ communiquer ”,“ faire passer le message ”, “ tester ”, “ lever les inhibitions ”,“ neutraliser les défenses ”, on parle “ affects ”, “ phantasmes ”,“ désirs ”, “ pulsions ”, “ insight ”, “ feed back ”,“ blocking away ”, “ tutoring ”, etc.
langage qui témoigne d'un certain type d'insertionprofessionnelle : “ motivé, entreprenant, dynamique, fort potentiel, tourné vers l'avenir, carrière évolutive”
C.
Une éthique commune
* Les cadres semblent véhiculer un certain nombre de valeurs :- goût du pouvoir, (le sentiment de figurer parmi l'élite)- autonomie- solitude* Ceux qui deviennent cadres ne sont pas pour autant des solitaires, des individualistes.
C'est un métier decontact, pas nécessairement de coopération, entre égaux.
La construction d'une culture commune passe en effetpar un contrat social, une forme d'aliénation, certes limitée et négociable, de sa liberté personnelle :- des qualités acquises dans une famille d'origine sociale élevée telles que “ distinction, bonnes manières,finesse, bon goût ” peuvent elle aussi faire partie de la culture de cadre.- fascination du modèle américain (impression d'appartenir à une « élite sans frontières »)
III - Peut-on parler d'un malaise des cadres face au travail aujourd'hui ?
Le cadre a longtemps bénéficié d'un statut de salarié à part, qui pouvait être amené à s'intéresser aux conditions detravail de ses subordonnés, mais pour qui ces questions n'étaient pas pertinentes.
A.
Le développement de l'idéologie individualiste et des incertitudes des stratégies d'entreprise
* Nouvelle norme de jugement : l'«internalité» (Jean-Léon BEAUVOIS, 1994)= Logique par laquelle on s'impute à soi-même les succès et les échecs> > L'idéologie libérale fait de plus en plus reposer sur l'individu le succès ou l'échec de ses entreprises* Nouveau type de carrière plus individualiste : carrière « nomade » (Loïc CADIN, 1998) face :- à la perte de repères objectifs- à la déconstruction de filières d'avancement- à l'abandon de toute promesse d'évolution au sein de l'entreprise> > Prise en charge de la mobilité et de l'apprentissage par l'individu et non par l'organisation.* Incertitude économique : absence de repères- politiques commerciales fluctuantes- mouvements financiers rapides et secrets> > Les cadres sont seuls pour interpréter les informations qui leur parviennent> > Ils ont par conséquent de plus en plus de mal à s'adapter aux stratégies d'entreprise qu'ils sont pourtantchargés d'appliquerB.
Des contraintes organisationnelles croissantes.
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