Les Américains commémorent Pearl-Harbor
Publié le 22/02/2012
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Mémoire 1991 - " Le 7 décembre est une date importante pour nous. C'est la troisième fois que je viens ici, et, à chaque fois, j'éprouve le même sentiment ", explique Martha, une habitante d'Honolulu.
Avec une amie californienne, en vacances à Hawaii, elle emprunte la vedette pour aller se recueillir au mémorial jeté en travers de ce qui reste de l'épave du cuirassé USS Arizona, avec lequel il forme comme une croix.
Considéré comme l'un des fleurons de la flotte américaine, ce navire de plus de 30 000 tonnes avait été coulé en neuf minutes le 7 décembre 1941, lors du premier des deux raids de chasseurs bombardiers japonais Zeke (Zero). Sa perte entraînait la mort de 1 177 marins et officiers, tués dans les explosions ou par l'incendie. Volontairement laissées par trente mètres de fond, dans cette sépulture de ferraille, les victimes ont toutes leur nom gravé dans le marbre. Au pied de la stèle, une simple gerbe de fleurs a été déposée, accompagnée de ces mots : " Pour une paix éternelle. De la part du Japon. Plus de guerre. " Aujourd'hui que l'ex-ennemi nippon est devenu un allié fidèle et pacifique, mais aussi le premier partenaire commercial des Etats-Unis, Washington et Tokyo s'efforcent d'apaiser les tensions suscitées par une autre guerre - économique, cette fois - que se livrent industriels et financiers des deux côtés du Pacifique.
Mais beaucoup n'entendent pas enterrer si vite le passé.
Plusieurs semaines avant la célébration du cinquantième anniversaire, journaux et magazines américains ont consacré à l'événement d'abondants numéros spéciaux (où aucun annonceur publicitaire japonais n'a accepté de figurer). Naturellement, la presse hawaiienne est aux avant-postes. Le Honolulu Star Bulletin a, pour l'occasion, retiré sa " Une " du 7 décembre 1941 barrée d'un énorme titre ( " La guerre ! Oahu est bombardé par les avions japonais " ). Son concurrent, le Star Bulletin, fournit lui aussi, chaque jour, sa livraison de témoignages d'anciens combattants et de commentaires sur les velléités de remilitarisation du Japon, et sur le " Pearl-Harbor économique " qui menacerait maintenant les Etats-Unis.
Autant de sujets de débats, relayés par toutes les grandes chaînes de télévision japonaises venues filmer la préparation de cérémonies que l'on voudrait parfois voir closes au plus vite. " Il s'agit là de faits historiques, observe Kensagu Hogen, le nouveau consul général du Japon à Honolulu. L'attaque sur Pearl-Harbor, personne ne la conteste. Mais la persistance des relations harmonieuses nouées entre le Japon et les Etats-Unis depuis 1945 est un autre fait historique qu'il ne faut pas nier non plus. " Le diplomate affirme que " les pays du Pacifique, y compris le Japon, accueillent favorablement la présence américaine dans la région ".
Un tel discours ne peut, naturellement, que satisfaire l'administration Bush, laquelle n'hésite pas, en ce moment, à encenser " nos amis japonais ". Mais des deux côtés, la gêne et les arrière-pensées sont perceptibles. Soucieux de marquer l'événement vis-à-vis de l'opinion publique américaine, tout en ménageant un important partenaire économique, Washington doit aussi tenir compte de l'importante communauté japonaise vivant aux Etats-Unis, et plus nombreuse encore à Hawaii, où le quart de la population est d'origine nippone.
Pour sa part, Tokyo, qui compte douze mille ressortissants à Honolulu et d'énormes intérêts économiques sur l'ensemble du sol américain, doit parer aux bouffées de xénophobie que déclenchent parfois ses investissements. A titre préventif, le département d'Etat et la Maison Blanche ont " oublié " d'inviter le Japon (et, conséquemment, d'autres délégations étrangères) à participer à la commémoration. Dans le même esprit, les tours-operators nippons, qui envoient chaque année 1,3 million de leurs compatriotes à Hawaii, ont conseillé à leur clientèle de s'en tenir au bord de mer de Waikiki et d'éviter Pearl-Harbor en ce moment, pour éviter les provocations.
La question des excuses japonaises a également défrayé la chronique. " Des excuses, les Japonais en avaient déjà fourni, mais toujours à titre individuel, souligne Pat Masters, une spécialiste de l'histoire nippo-américaine à l'université de Hawaii. Plusieurs participants à l'attaque ont écrit pour expliquer combien ils regrettaient leurs geste. Mais ces lettres n'ont jamais été divulguées par l'association des vétérans, qui entretient un climat de tension avec le Japon. " Excuses ou pas, après la commémoration de Pearl-Harbor, une page d'histoire sera tournée. Et Hawaii, où stationne toujours une partie de la flotte américaine, restera cette porte avancée des Etats-Unis dans le Pacifique, où l'offensive japonaise est désormais touristique et immobilière.
SERGE MARTI
Le Monde du 9 décembre 1991
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