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LECTURE COMPARATIVE DE L'INCIPIT & DE L'EXCIPIT DE L'ETRANGER D'ALBERT CAMUS

Publié le 02/10/2010

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L’Etranger est le premier roman de Camus, mais il fait suite à une première tentative, La Mort heureuse, roman à la publication duquel l’auteur avait renoncé, le jugeant inabouti. C’est en un mois et demi (avril-mars 1940), que Camus rédige le premier jet de L’Etranger. Le roman est publié en 1942 et fait partie du Cycle de l’absurde, une trilogie décrivant les principes et fondements de l’absurde et composé d’un roman, d’un essai et d’une pièce de théâtre. Pour résumer brièvement c’est l’histoire d’un homme qui accepte de mourir pour la vérité, le narrateur sans visage, Meursault, est un modeste employé de bureau à Alger. Le récit s’ouvre sur la mort de sa mère. Il assiste, comme apathique et absent, au rituel de l’enterrement. Un deuxième élément vient alors rythmer le cœur du roman, l’assassinat d’un arabe par Meursault lui-même. Il sera jugé puis condamné à mort. A travers une lecture comparée de l’incipit et de l’excipit je vais donc vous montrer en quoi le personnage de Meursault évolue vers une paix salvatrice faisant de lui le représentant des idées de Camus sur la condition de l’homme et du monde. Tout d’abord par le biais de Meursault lui-même, un héros déconcertant et surprenant, puis par son évolution à travers l’ouverture et la fermeture de L’Etranger et enfin nous verrons en quoi ce roman est un véritable parcours initiatique qui lui apportera une plus grande maturité.

On lui attribut le statut de héros car il est le personnage et le narrateur et que le roman n’est constitué que de son point de vue. Le lecteur ne sait que ce que le narrateur veut bien lui dire. C’est une focalisation interne. Le récit se présente sous la forme d’un monologue ou d’un journal des faits et gestes de la vie quotidienne de Meursault. L’incipit commence in medias res, c’est-à-dire qu’on prend le récit en plein milieu des pensées du personnage sans savoir qui il est. Il est nettement constitué de deux parties, une première sur sa réaction à la réception du télégramme puis une seconde sur son départ pour la cérémonie funèbre. A l’annonce de la mort de sa mère il marque un détachement peu commun ce qui en fait un personnage atypique. Apparemment insensible à la nouvelle, Meursault paraît dénué d’émotions et semble les dissimuler derrière l’application formelle des conditions auxquelles l’obligent l’évènement. Il cherche à se débarrasser de cette tache pour revenir à une vie cyclique. Il est étranger aux émotions communes et refuse la communication, comme lorsqu’une personne lui adresse la parole dans le train, il abrège pour « n’avoir plus à parler «. Meursault ne s’intéresse qu’à l’aspect administratif & social de la mort (choix des vêtements de deuil, préparatifs pour l’enterrement...), ce qui est contraire aux attentes du lecteur & de la société. Il ne répond pas aux attentes classiques d’un personnage littéraire, on ne sait quasiment rien sur son identité, son statut social, ses conditions de vie ou ses sentiments. 

Dans l’excipit en revanche le narrateur s’y livre davantage, on accède à ses sensations «des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes.«, «la merveilleuse paix« et «tendre indifférence«. C’est alors que Meursault, étranger à la société dans laquelle il vit semble heureux bien qu’il soit condamné à mort, il se sent libre alors qu’il est en prison, il vient en quelque sorte de se réconcilier avec le monde. C’est seulement au moment de mourir que, dans un sursaut de révolte, sa conscience s’éveille à la vie. Le moment de l’exécution devient alors comme une affirmation de soi. Tout comme sa mère il trouve le bonheur et la libération à la fin de sa vie. 

L’Etranger est rigoureusement construit, grâce à un parallèle entre la première et seconde partie du roman, tout comme il y en a un entre l’incipit et l’excipit qui se répondent. Meursault évolue à travers eux sous plusieurs angles. Son regard aux autres s’est modifié. Au début il est soucieux des apparences et des normes alors que dans l’excipit il s’affirme, c’est un personnage provocateur assumant ses actes et le regard des autres. Autre fait marquant, la relation à la mort. Dans l’incipit il la considère comme un événement ponctuel, banal après lequel on passe à autre chose, on en fait une « affaire classée «. C’est une toute autre valeur qu’elle prend à la fin du roman, c’est devenu le terme inévitable de la vie qui lui donne une valeur. Tous les hommes sont des condamnés à mort ce qui devrait amener une prise de conscience sur la finalité de la vie et de la condition humaine. Son discours autour de la figure de la mère change également. Dans l’incipit il y consacre peu d’intérêt, ne paraît pas attristé par son décès. La mère est une étrangère pour son fils et donc le cadet de ses soucis. Il utilise pour la désigner un terme affectif mais banal « maman «. Mais dans l’excipit on observe un certain intérêt de Meursault pour celle-ci. Il se questionne sur la fin de sa vie « pour la première fois je pensais à maman «, « je la comprenais «, il montre une volonté d’entrer dans son univers auquel autrefois il était si indifférent.

Autre élément de comparaison, l’appellation de ce roman tel un parcours initiatique dans lequel le personnage acquiert, grâce à cette évolution qui s’opère, une profondeur dont il était auparavant dépourvu. Tout d’abord son rapport avec le monde change, dans l’incipit il en faisait partie presque malgré lui alors qu’à la fin du roman il y a comme une communion entre les deux, aucune distance ne subsiste, il prête plus attention aux sensations, les bruits, les odeurs sont désormais des choses auxquelles il est attentif. Encore une fois son appréhension à la mort évolue elle aussi, elle n’avait peu même pas d’effet sur lui, ce qui d’ailleurs interpelle le lecteur dès le début du roman. Alors qu’elle s’apparente ensuite à une renaissance, la mort suppose une découverte à travers plusieurs expressions « pour la première fois «, « recommencer «, « revivre « et une libération « libérer «, « purger «, « s’ouvrir «. Et enfin le style, il s’affirme entre l’ouverture et la fermeture du roman. L’écriture, particulièrement neutre et blanche (à l’image du télégramme « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. «) ajoute donc à la solitude de ce personnage face au monde et à lui-même. Mais l’excipit donne au narrateur une dimension lyrique supérieure en accédant à la réflexion philosophique sur le destin de l’homme parmi les hommes grâce entre autres à des procédés de répétitions « là-bas, là-bas aussi « ou  « personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle «.

En conclusion, au début du roman le personnage de Meursault apparaît comme un étranger aux lecteurs par rapport à sa façon de penser et d’agir, d’autant plus que le lecteur ne peut s’identifier au personnage car on ne sait rien sur lui. En revanche par la suite le il évolue et devient le représentant des idées de Camus. La prise de conscience de l’absurdité de la vie dont la seule certitude est la mort nous conduit à l’idée que l’homme condamné « sans appel « doit, malgré tout, trouver son bonheur par l’acceptation de sa condition ou par la révolte : c’est l’idée principale de L’étranger.

 

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