Lecture Analytique "Familiale" De Jacques Prévert
Publié le 01/08/2010
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Introduction:
Jacques Prévert est un poète français du XXe siècle. Issu d’un milieu bourgeois, il ne cessera de se moquer dans ses textes des faits établis et de la religion. Son poème « Familiale « est tiré de son recueil Paroles et est l’un des poèmes qui l’a révélé juste après la 2nde guerre mondiale, ce qui donne au poète une dimension de troubadour qui va chanter ses textes pour donner une certaine vision de l’homme. Ce poème est écrit en vers libre (mètre irrégulier et absence de rimes). Prévert évoque ici avec une monotonie constante une situation familiale particulière puisque en arrière plan est présenté la guerre qui va bien sur avoir un impact certain dans les relations familiales. La guerre est complètement intégrée à la vie familiale quotidienne. Il critique ici cette banalisation excessive de la guerre.
Nous étudierons ce poème de cette façon:
I/ Une scène familiale monotone 1.1 Une structure répétitive 1.2 Le temps des verbes II/ La guerre banalisée intégrée dans le quotidien 2.1 Les interventions du narrateur 2.2 La guerre naturelle 2.3 La mort « naturelle « III/ La dénonciation d’un tel comportement 3.1 Un titre ironique 3.2 Absence de sentiments 3.1 Une syntaxe et des sonorités significatives I/ Une scène familiale monotone 1.1 Une structure répétitive Tout le poème est construit par l’énumération d’actions, chacune étant exprimées par un vers de structure semblable (sujet verbe complément) avec la mère, le fils, le père, le couple père-mère ou la vie en sujet, puis le verbe faire, trouver ou continuer (des verbes communs, banaux). Enfin le complément est le tricot, la guerre ou les affaires. Cette structure énumérative répétitive crée une litanie qui devient lassante pour le lecteur. 1.2Le temps des verbes On constate une prédominance des temps du présent à valeur atemporelle (c'est-à-dire à valeur universelle) dans tout le poème. Ce présent est aussi un présent d’habitude qui montre que cette scène se répète inlassablement et ne se situe pas dans un contexte temporel précis. Aucune date ou aucun autre indice de temps ne sont donnés. Le plus terrible effet donner par ces procédés est le fait que ces actions n’aient pas de fin et doivent être accomplies indéfiniment par les différents membres de la famille. Cependant, par contradiction avec le reste du poème, le verbe lui-même disparait sur la fin, comme si l’évidence était telle que le lecteur n’avait plus besoin du verbe pour comprendre ce qui se passait. Le futur apparait cependant pour montrer l'avenir tout tracé du fils au vers 14 et 15, souligné par le seul connecteur logique du poème "quand", qui montre aussi qu'il n'y a pas d'évolution dans la scène. II/ La guerre banalisée intégrée dans le quotidien 2.1 Une syntaxe et des sonorités significatives On constate que les différents vers du poème sont constituées de 3 actions différentes ; 2 activités banales (le tricot et les affaires) et 1 plus surprenante (la guerre). Cependant, la guerre est syntaxiquement introduite de la même façon que les deux autres activités "La mère fait du tricot / Le fils fait la guerre", ce qui créé un parallélisme étrange. Elles sont toutes en effet introduites sous forme de complément, sans moyens d’emphase particulier pour aucun d’entre eux. De la même manière, lorsque l’on change de verbe, la syntaxe entre les différentes activités reste semblable puisque le tricot et les affaires et aussi la guerre sont tous placés de façon identique en sujet. Toutes ces activités continuent comme si personne ne pouvait arrêter ce cycle et que ces activités sont quelque chose de normal et s’inscrivent dans le cours naturel des choses. Il y a donc vraiment ici la volonté pour l’auteur de mélanger les sonorités entre la guerre, le père et la mère. La guerre s’intègre donc par un jeu d’assonances et d’allitérations à la fois au couple parentale mais aussi aux activités. Avec ce rapprochement de sonorités, le poète donne vraiment l’impression que la guerre appartient à la vie quotidienne de la famille. 2.2 La guerre naturelle Au vers 3 mais aussi à plusieurs autres reprises (« trouve ça naturel «), un jugement est porté sur la guerre. Ce jugement est de plus formulé de façon familière avec la présence de « ça « et la reprise du sujet. Ce discours volontairement oralisé et familier donne l’impression que ce jugement vis-à-vis de la guerre est très commun et est intégré dans la vie de cette famille. 2.3 La mort « naturelle « La mort naturelle est mise en scène au vers 18 : ‘Le fils est tué, il ne continue plus’. La seule différence avec ce qui a précédé est la négation (la seule de tout le poème). Il y a ensuite une activité qui se rajoute au tricot et aux affaires : le cimetière. Il y a aussi un euphémisme de la mort du fils au vers 21 (« la vie continue la vie «) qui donne l’impression que la vie des parents n’a pas vraiment été modifiée. Aucune émotion n’est retranscrite, toute cette mort est évoquée sans émotions. Le poète dénonce ainsi un comportement anormal face à la mort. III/ La dénonciation d’un tel comportement
Ici, Prévert utilise une stratégie du détour qui suppose que le lecteur s’interroge sur cette vie de famille qui accepte la guerre, la mort avec autant d’indifférence. 3.1 Un titre ironique L’adjectif ‘familiale’ avec un –e est déjà surprenant pour le lecteur et sous-entend un nom qui se rapporte à l’adjectif et amène ainsi le lecteur à réfléchir (‘vie familiale’, ‘scène familiale’). Ce à quoi s’attend le lecteur sont plutôt des liens familiaux et une atmosphère chaleureuse. Au lieu de ça, l’on a une structure énumérative. Chaque propositions du poème est juxtaposée et non pas coordonnées, ce qui suppose que chacun est enfermé dans son univers sans interférence quelconque et sans rapprochement. Le titre repose donc sur une antiphrase puisque la scène que nous donne à voir le poète n’est pas une scène familiale. 3.2 Absence de sentiments L’attente d’affectivité annoncée dans le titre est absente. Au contraire, on trouve un jugement exprimé entre chaque membre de la famille grâce au verbe « trouver «. Au vers 12, cependant, l’on constate que le fils est incapable d’émettre un jugement. C’est une incapacité singulière qui fait de ce fils un personnage vide et inconsistant, incapable de réagir face à un évènement aussi dramatique que la guerre. Tous ces personnages manquent donc de sensibilité. 3.3 Les interventions du narrateur A première vue, le narrateur n’intervient. On constate cependant que ces interventions sont marquées aux vers 4 et 11 par la présence des questions. On remarque de plus une formulation insistante de ces questions dans le but de stigmatiser le comportement de chacun des personnages. Ceci traduit l’indignation, l’agacement ainsi que l’impatience du lecteur face à la passivité des membres de cette famille. C’est une façon de souligner qu’il faut qu’il faut rompre avec ce comportement moutonnier qui nous fait banaliser l’inacceptable. Les 4 derniers vers sont particuliers car on constate une accumulation de termes qui permettent de décrire la vie très conformiste et banale des membres de cette famille. C’est une vie d’où sont complètement bans les sentiments, d’autant plus que le poème se termine avec le cimetière, ce qui est aussi le lieu ou se termine la vie. Le narrateur s’éternise sur les affaires pour montrer que cette famille se fiche de la guerre et de la mort qui leur a enlevé prématurément leur fils (aucune trace d’indignation vis-à-vis de cet événement). Conclusion
Ainsi, grâce à la simplicité des mots, des structures et des rythmes, Prévert dénonce le conformisme d’une vie familiale qui banalise la guerre avec indifférence. La guerre n’est pas présente ici sous sa forme violente, mais elle n’en est pas moins dénoncée avec l’évocation de la complicité coupable de ceux qui la considère comme normale. L'utilisation des répétitions est très fréquente et on les retrouve dans de nombreux poèmes de Paroles comme "Inventaire" par exemple.
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