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LECTURE ANALYTIQUE DE « PARFUM EXOTIQUE » de BAUDELAIRE

Publié le 04/08/2010

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Introduction : Comme le titre du recueil l’annonce, les Fleurs du Mal de Baudelaire développe une dualité thématique reprise explicitement dans le titre de la première section Spleen et Idéal. L’opposition entre le mal de vivre et le bonheur offre une tension poétique qui fait toute la richesse de son inspiration. Dans Parfum exotique, c’est la sensualité du corps de sa maîtresse, Jeanne Duval, qui crée le bonheur, qui fait surgir le voyage vers l’imaginaire. [LECTURE A VOIX HAUTE]. Pour répondre à votre question, je vais mettre en valeur dans un premier temps le double système de correspondances présent dans ce sonnet, puis nous examinerons les caractéristiques de l’idéal.    PREMIER AXE : UN DOUBLE SYSTEME DE CORRESPONDANCES    L’originalité du poème tient dans la mise en valeur des conditions du rêve. Les vers 1, 2 et 9 signalent la présence corporelle de Jeanne Duval, la maîtresse métisse de Baudelaire. On peut imaginer l’intimité du couple mais surtout on remarque le lien entre la présence de cette femme et la naissance d’une vision intérieure, celle du rêve. C’est la première correspondance du poème, une correspondance spatiale (ici / ailleurs). Les verbes au présent, symétriquement disposés « je respire «, « je vois « (vers 2 et 3) soulignent ce lien. La conjonction « quand « qui débute le sonnet met en valeur cette circonstance particulière. Le sens olfactif génère la vision et le lecteur remarque une réaffirmation de son importance entre le vers 2 et le vers 9 : « je respire « signifie que le poète est seulement passif, « guidé par ton odeur « montre que le parfum du corps est un guide, un élément créateur indispensable, source d’activité imaginaire. L’odeur de Jeanne a la capacité de transporter Charles vers un ailleurs salvateur. Le titre même du poème peut être divisé en deux : le mot « parfum « signale le déclenchement du rêve, le mot « exotique « signale une parfaite évasion. Jeanne est présente par une synecdoque intéressante qui va orienter notre lecture : son « sein « est synonyme d’espace protecteur, maternel, mais aussi gage de volupté. La volupté est signalée par la répétition sémantique « chaud «/ « chaleureux « des vers 1 et 2. Enfin le lecteur est frappé par l’attitude du poète, ce rêveur diurne qui a « les deux yeux fermés «. Non seulement ce détail renforce sa passivité car elle le transforme en aveugle « guidé «, mais il pourrait aussi nous faire croire à une anesthésie due à la chaleur. Or le texte nous offre une interprétation complètement opposée à l’anesthésie (ne plus rien sentir) puisque c’est d’une synesthésie (unir tous les sens) qu’il s’agit.  Nous entrons donc dans le deuxième système de correspondances : le lien entre les sensations et les formes. Nous remarquons d’abord que ce monde imaginaire est associé à des formes verticales (arbres / hommes / femmes / voiles / mats) qui créent une élévation. Le sens visuel est privilégié puisqu’il s’agit de composer une sorte de perfection paradisiaque. Le verbe voir (« je vois «) est repris au vers 10. Cette évocation est d’abord celle de la lumière (vers 4) : « les feux d’un soleil monotone « montre que le poète a besoin de cette lumière bienfaisante, toujours identique, toujours agréable (l’adjectif « monotone « est ici valorisant). La surprise des formes, marquée par la formule « des arbres singuliers «, est avant tout une expérience visuelle. Au contraire de L’Invitation au voyage où le couple était seul, la population de cette île (on note le pluriel de l’abondance : des hommes / des femmes / des mariniers) offre un tableau plaisant. La multitude est également soulignée au vers 10 par l’expression « un port rempli de «. La couleur verte des tamariniers souligne enfin cet aspect paradisiaque. Le sens gustatif est présent dans un seul adjectif « savoureux « qui renvoie à des fruits, peut-être les fruits des tamariniers évoqués plus loin, les tamarins ayant un goût acidulé. Le sens auditif est mis en valeur dans le deuxième tercet par le chant des mariniers. Ce chant participe de l’élévation de l’âme dont peut avoir besoin le poète : le substantif « âme « étant utilisé au vers 14. Enfin, et c’est bien normal puisque c’est la sensation mère du poème, le sens olfactif est privilégié : l’air marin est implicitement évoqué dans la 3e strophe, le « parfum des verts tamariniers « coure sur plusieurs vers et semble associé à une drogue qui touche l’esprit. La synecdoque de la narine montre une volonté de respirer toutes les odeurs bienfaisantes de ce pays. Enfin s’il y a synesthésie c’est qu’il y a mélange : tous les sens se répondent, comme dans le poème des Fleurs du mal, Correspondances : or le lecteur remarque un grand nombre de mots qui évoquent le lien subtil de ces sensations : « donne «, « rempli «, « fatigués « mais surtout deux verbes qui débutent les deux derniers vers du sonnet et qui proclament l’expérience synesthésique : « circule « et « se mêle «. Ils donnent du mouvement à ce lien des sens. La locution « pendant que « (vers 12) est également un indice de cette correspondance.    DEUXIEME AXE : LES CARACTERISTIQUES DE L’IDEAL    Baudelaire rêve, et son rêve dessine un paysage connu de lui (sans doute une évocation de l’île Bourbon). Le bien être est d’abord évoqué par les sonorités (une allitération en s parcoure la première strophe). Mais quelles sont les caractéristiques de ce paysage ? Nous en voyons quatre.  1. La nature nourricière de cette île semble renforcer l’idéal. Nous avons dit que le sein de Jeanne participe de cette image maternelle. Le paysage est à son image : au vers 5, l’affirmation « la nature donne « renforcé par l’enjambement des vers 5 – 6 accentue cet aspect. On note le passage d’ « arbres « à « fruits « dans les deux hémistiches du vers 6 pour signaler qu’il ne s’agit pas d’ornementer mais de nourrir. Dans le même ordre d’idée, la rime riche tamariniers / mariniers renforce l’inscription des hommes dans la nature.  2. Une civilisation saine et morale semble régner sur ce territoire : comme une sorte de tableau exotique, Baudelaire montre que la population est en adéquation avec la nature. Les deux exemples qu’il prend n’ont pourtant pas la même valeur. Le premier au vers 7 montre des hommes sains, signalés par leur corps « mince et vigoureux «. La virilité est associée à la santé, à l’emploi naturel de leurs muscles. Le second au vers 8 inverse la croyance baudelairienne en la traîtrise des femmes. La synecdoque de l’œil qui « par sa franchise étonne « fonde cet idéal (Rappelons que Baudelaire, depuis la trahison maternelle, a du mal à concevoir que la femme puisse être bienveillante !).  3. Une terre où le bonheur est possible, telle est l’image qui frappe le lecteur. Deux hypallages marquent cette caractéristique : au vers 3, les « rivages heureux « et au vers 5, « une île paresseuse «. Ces hypallages indiquent avec subtilité et pudeur que le bonheur du rêveur se trouve à portée de rêve. C’est un bonheur sans activité, un bonheur de la contemplation artistique. Notons que les mariniers sont évoqués sans référence à leur travail mais par le plaisir de la musique, le plaisir de chanter. La magie de ce lieu est manifeste par l’emploi d’un adjectif très fort « charmants climats « au vers 9, charmants voulant dire que ce lieu développe une puissance ensorcelante liée à tous ses attraits. Le bonheur d’ailleurs dépasse le monde humain et l’élévation, comme souvent chez Baudelaire, se fait vers un monde spirituel, comme on le voit par l’emploi du mot « âme « au vers 14. Le rythme croissant de l’alexandrin (2+4+6) révèle l'extase.  4. Un enivrement est enfin sensible dans ce poème. Il passe par la circulation des sensations, mais aussi par les allitérations en l et en m des derniers vers. Deux verbes pronominaux « se dérouler « au vers 3 et « m’enfle « au vers 13 montrent à la fois l’abandon de la volonté et une griserie bienfaisante. « Guidé « au vers 9, avait, comme on l’a déjà dit, la même signification.    Conclusion : Par l’intermédiaire d'un sonnet classique, Baudelaire compose un monde utopique. On retrouve ici les caractéristiques de sa recherche de l’idéal et de son expérience poétique liée au symbolisme : passage du sensuel au spirituel, correspondance entre les sensations.

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