Lecture analytique de « Le bourreau m'accompagne » - Jean Genet
Publié le 15/09/2006
Extrait du document
Introduction Jean Genet, écrivain, poète et auteur dramatique français est connu pour ses personnages complexes, au prise avec la perversion, le mal et l'érotisme. Dans « Les bonnes «, tragédie moderne et violente de 1947 (probablement inspirée de l'affaire des sœurs Papin), il raconte comment deux femmes, atteintes d'une même folie, en viennent à mettre en scène et préparer l'assassinat de leur patronnes. Dans l'extrait que nous allons étudier, les bonnes ont échoué dans leur assassinat de Madame, et se retrouvent seules face à leur démence. Nous nous demanderons comment le paroxysme de la folie des bonnes mènera à la mort de l'une d'entre elles. (annonce du plan)
1.1 Une mise en scène fantasmée de la mort La quasi totalité du texte est constituée d'une tirade de Solange (l.1 à 28) qui imagine une cérémonie d'exécution pour le meurtre de Madame. Solange est elle-même au centre de la cérémonie, et tout le cortège l'accompagne vers une mort inévitable. : « Je vais mourir « (futur immédiat, l.18). L'idée de succession est renforcée par l'anaphore de « viennent « (l.12, 14, 15, 16 et 17). Chacun de ses métiers est tenu ici par des anonymes, mais reconnaissables (y compris entre eux) par leur tenue : « frac sans revers de soie « (l.13), « culottes courtes et bas blancs « (l.14-15), « nos couleurs « (l.16) enfin pour les autres bonnes. Rappel : dans cette pièce, l'habit est le premier indicateur du statut. 1.2 Une exécution d'amour Solange va donc être exécutée, comme en témoigne la présence d'un « bourreau « (avec répétition et modalité exclamative, l.7-8), « des pénitents noirs « (l.5) et de « la torche de neuf livres « (l.6) qu'elle doit porter. Codes liées à la mort. Solange est passive dans cette mise en scène et suit sans révolte ceux qui la dirigent : « Le bourreau m'accompagne « (l.8) et « J'obéis à la police « (l. 22), partageant avec ces derniers le statut de « réprouvé « (l.23) La relation qui unit Solange et le bourreau est intime : « Il lui chuchote des mots d'amour « (l.7), comme s'il était son amant. Polysémie du verbe « berce « (l. 18) : prendre dans ses bras ou basculer sur une guillotine. Cet amour se retrouve aussi dans sa relation aux spectateurs de la cérémonie, car contrairement aux véritables exécutions, la foule n'agonit ( = n'insulte) pas Solange, elle « l'acclame « (l.18) 1.3 Un magnifique enterrement L'exécution décrite se mêle pourtant à un autre type de cérémonie qui ne saurait être simultané : un enterrement. Tout un champ lexical emprunté à cette cérémonie le montre : « sa dernière demeure « (euphémisme, l.10), « Couronnes, fleurs, oriflammes, banderoles, glas… « (l.11) et plus simplement l'expression « l'enterrement déroule sa pompe « (l.11). La beauté de cette procession est mise plusieurs fois en avant : « Il est beau n'est-ce pas ? « (l.12) « Que de fleurs ! On lui a fait un bel enterrement n'est-ce pas ? « (l. 20). La cérémonie imaginée est grandiose.
*(transtion*)
2. La fusion des bonnes 2.1 Le changement de point de vue La scène que Solange imagine, n'est pas représentée sur le plateau : didascalie (l.1 à 3). Toute sa tirade est une hypotypose (= description réaliste, animée et frappante de la scène). Dans le début de la scène, Solange se décrit comme un témoin extérieur à la scène (focalisation externe). Elle utilise la 3e personne pour parler de la femme : « l' « (l.4), « la « (l.5), « elle « (l.6), « lui « (l.7). Puis, progressivement, elle passe à la 1e personne : « m' « (l. 7), « je « (l.17, 18), occupant ainsi la place de la condamnée (focalisation interne). C'est elle que l'on va exécuter. 2.2 Naissance de « la fameuse criminelle « Nous arrivons à un point crucial de la pièce : Solange, très fragile psychologiquement dans cette scène passe des rires « Elle rit « (l.8) aux larmes « Elle éclate en sanglots et s'effondre dans un fauteuil « (l.21). Elle qui prenait régulièrement l'identité de sa sœur dans « la cérémonie «, fusionne avec elle et, dans son fantasme, ne forme plus qu'un avec elle : « Maintenant nous sommes mademoiselle Solange Lemercier. « (l.26) C'est cette femme qui va être exécutée. Elle a déjà acquis une célébrité et la reconnaissance de la foule venue l'accompagner vers la mort : « La femme Lemercier. La Lemercier. La fameuse criminelle « (l.26-27) 2.3 Le sacrifice de Claire Claire, qui a assisté secrètement à la scène (didascalie l.24-25) souffre de l'état de sa sœur : « dolente « (l.29). Elle tente d'intervenir dans l'imaginaire de sa sœur en reprenant son rôle habituel dans la cérémonie, celui de Madame (didascalie l.29) et lui ordonne de cesser : modalité injonctive (jussive) « Fermez la fenêtre et tirez les rideaux «. La phrase minimale « Bien « montre qu'elle est obéie et Solange semble avoir retrouvé la raison quand elle propose « Il est tard. Tout le monde est couché. Ne continuons pas « (l.31). Créant un effet de surprise, c'est Claire qui décide de mourir quand, donnant un nouvel ordre : « Claire, vous verserez mon tilleul « (l.32-33), elle s'apprête à boire la tisane empoisonnée au Gardenal. Elle incarne Madame avec autorité : didascalie (l.32) et présent performatif « Je dis mon tilleul « (l. 35), ne laissant pas la possibilité à Solange de protester (l.34).
Conclusion
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