Le traité START 2
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
Sauf accroc de dernière minute, le président George Bush devrait achever son mandat sur un spectaculaire succès diplomatique : la signature avec la Russie d'un accord supprimant les engins nucléaires les plus dangereux, tout en laissant un singulier avantage stratégique aux Etats-Unis. A quelques semaines de son départ de la Maison Blanche, ce serait, assurément, une assez belle " sortie ". Cet accord est " l'enfant chéri " du président américain, qui a souvent claironné que la fin de la guerre froide devait d'abord signifier " la fin du cauchemar nucléaire ". Il en avait longuement débattu en juin dernier à Washington lors d'une visite de son homologue russe, M. Boris Eltsine.
A grand renfort de publicité, les deux hommes avaient alors annoncé la conclusion d'un document de principe devant permettre de signer ce fameux START 2 en septembre, une fois réglés, par les experts, quelques derniers " détails ". Ce ne fut pas aussi facile les pourparlers ont traîné et les militaires russes se sont montrés réticents.
Mais M. Bush voulait " son " accord, et le président élu, M. Bill Clinton, espérait bien hériter d'un dossier bouclé en arrivant à la Maison Blanche le 20 janvier. Les Etats-Unis étaient prêts à quelques concessions et elles furent faites lors des entretiens que le secrétaire d'Etat, M. Lawrence Eagleburger, vient d'avoir à Genève avec le ministre russe des affaires étrangères, M. Andreï Kozyrev. Si les deux présidents n'y trouvent rien à redire, un accord définitif devait être annoncé mercredi dans un communiqué commun publié à Moscou et à Washington. Il devrait être signé lors du sommet qui, selon la présidence russe, réunira MM. Bush et Eltsine les 2 et 3 janvier à Sotchi, sur la mer Noire.
START 2 est, comme son nom l'indique, dans la lignée de START 1 : il s'agit d'un accord qui ne se borne pas à fixer des " plafonds " au développement des arsenaux nucléaires mais qui supprime des catégories entières d'armes. Il va, cependant, beaucoup plus loin qu'aucun autre accord sur le désarmement en prévoyant le démantèlement de certaines des armes les plus terrifiantes.
START 1, signé en juillet 1991 à Moscou et ratifié en octobre dernier par le Sénat américain, était un bon début : il ramenait de 22 500 à quelque 15 000 le nombre de têtes nucléaires sur engins intercontinentaux (stratégiques) possédés par les deux Grands. En gros, chacun restait, avec 7 000 ogives environ, capable d'atteindre le territoire de l'autre.
Cependant, une catégorie entière d'armes, les missiles intercontinentaux basés au sol et équipés de plusieurs ogives (MIRV, multiple independently targeted re-entry vehicles), restait intacte (parmi d'autres). La Russie conservait ses SS-18 (dix têtes) et SS-19 (six têtes), les Etats-Unis leurs 50 MX Peacekeeper et 500 Minutemen III, engins jugés les plus déstabilisants de la panoplie des deux Grands. La puissance qu'ils représentent, leur précision et leur vulnérabilité (ils ne sont pas cachés ou à peine) en font des engins qui incitent à une " première frappe ", pour s'en servir ou pour les rayer de l'arsenal de l'autre... Ces monstres incarnent la " terreur nucléaire " : un SS-18 embarque dix ogives qui peuvent atteindre dix cibles différentes aux Etats-Unis et dont chacune recèle une capacité de destruction cinquante fois supérieure à la bombe d'Hiroshima.
START 2 prévoit non seulement de diminuer encore le nombre de têtes nucléaires en possession des Américains et des Russes (de 15 000, on passerait, cette fois, à 7 000 environ 3 500 ogives de chaque côté) mais encore d'éliminer entièrement la catégorie des MIRV basés au sol. Quantitativement et qualitativement, l'accord représenterait ainsi un pas de géant dans le désarmement nucléaire. En 2003, la Russie devra avoir démantelé ses 150 SS-18 et 170 SS-19 les Etats-Unis s'étant débarrassés de leur MX et ayant transformé leurs Minutemen en engins à une seule ogive. Au sol ne resteraient plus, de part et d'autre, que des missiles à une seule tête les engins " mirvés " ne subsisteront plus qu'à bord des sous-marins, moins déstabilisants parce que moins repérables et plus imprécis.
La composition des arsenaux nucléaires serait ainsi modifiée : on s'orienterait vers des systèmes privilégiant les engins nucléaires de représailles (missiles à bord des sous-marins et des bombardiers) aux dépens des armes incitant à " une première frappe " (fusées " mirvées " basées au sol). Autant, sinon plus, que la réduction du nombre d'ogives, c'est cette restructuration des arsenaux qui devrait " stabiliser " le jeu de la dissuasion et éloigner, comme dit M. Bush, le spectre du " cauchemar nucléaire ".
Seulement, c'est un marché qui paraît davantage demander aux Russes qu'aux Américains. Les premiers ont toujours privilégié les engins au sol leurs batteries de SS-18 et SS-19 représentent le " coeur " de leur arsenal nucléaire. Ces gros missiles dans leurs silos faisaient la fierté des généraux soviétiques. Les Etats-Unis, eux, ont, depuis longtemps, donné la préférence à leurs missiles Trident embarqués à bord des sous-marins. START 2 s'en prend donc à l'essentiel du dispositif nucléaire de Moscou et, apparemment, cela n'a pas été facilement accepté par les militaires russes.
Ils ont fait valoir que START 2 leur imposait, pour rester au niveau des Américains, de développer entièrement un nouveau type de missile à tête unique avec son silo, opération extrêmement coûteuse, sauf à pouvoir obtenir certains aménagements de l'accord. C'est ce dont ils ont discuté à Genève. START 2 prévoyait la destruction des silos des SS-18 les Russes voulaient pouvoir conserver ces silos et les aménager pour y placer leurs missiles SS-25 (à une ogive).
START 2 stipulait encore que les SS-19 seraient démantelés les Russes entendaient pouvoir les modifier, les faire passer de six têtes nucléaires à une seule. Dans un cas comme dans l'autre, les Etats-Unis craignaient que les Russes ne puissent très vite reconstituer un arsenal de fusées à têtes multiples.
Aucune précision n'a filtré sur les compromis conclus à Genève. Mais à en croire une déclaration du ministre russe de la défense, M. Pavel Gratchev, rapportée par l'agence Interfax, Moscou a obtenu quelques satisfactions. La Russie pourra conserver " des " sites de lancement, aménagés, de SS-18 et y mettre des SS-25. Les Russes pourront également transformer certains de leurs SS-19. Un autre litige aurait été réglé : les Russes contestaient la marge laissée aux Américains pour convertir l'armement conventionnel de leurs bombardiers stratégiques B-1 et B-52 en armement nucléaire.
Il reste que la mise en oeuvre de START 2 paraît encore problématique et pourrait laisser intouchés des pans entiers de l'arsenal nucléaire de l'ex-URSS. Le précédent de START 1 incite, ici, à la plus grande méfiance. D'une part, les Russes ont déjà du mal à tenir le rythme prévu de démantèlement des armes que leur impose START 1. Cela tient essentiellement au coût de l'opération : la Russie n'a pas plus les moyens de la course au désarmement que de la course aux armements. Bref, s'ils veulent voir les Russes tenir les engagements autrement plus contraignants de START 2, les Etats-Unis pourraient bien être obligés d'augmenter l'aide de 400 millions de dollars qu'ils ont déjà accordée à Moscou au titre du désarmement.
D'autre part, les Russes n'ont plus le monopole des armes nucléaires de l'ex-URSS celles-ci, et notamment certains des fameux SS-18, sont aussi aux mains de trois autres Républiques, Ukraine, Kazakhstan et Biélorussie. Or, bien qu'ayant signé un protocole les engageant à respecter la part qui leur revient dans l'application de Start 1 et à se défaire de tous leurs engins nucléaires d'ici à l'an 2000, aucune des trois autres Républiques " nucléaires " ne paraît, aujourd'hui, disposée à se séparer facilement de ses missiles. Elles entendent en " marchander " plus cher le démantèlement, contre davantage d'aide occidentale et contre des garanties de sécurité face à la Russie. En somme, START 1, déjà mal ou à peine appliqué, augure très mal de la mise en oeuvre d'un START 2 autrement plus ambitieux.
ALAIN FRACHON - Le Monde du 31 décembre 1992
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