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Le Theatre Et Ses Fonctions

Publié le 02/10/2010

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theatre

 

Le théâtre depuis ses origines antiques a toujours consisté à offrir un spectacle vivant, dont à l’origine la dimension était essentiellement festive puisque la représentation théâtrale avait lieu dans le cadre des fêtes en l’honneur du Dieu Dyonysos, fils de Zeus et de Sémélé, assimilé au Bacchus romain, dieu de l’ivresse et créateur de la comédie et de la tragédie, qui organisait des fêtes où l’on se déguisait, jouait la comédie, en buvant et en pratiquant la transe mystique. Nous essaierons de déterminer  ce qui fait dire à Bertold BRECHT en 1963 dans Petit organon pour le théâtre que « Depuis toujours, l’affaire du théâtre, comme d’ailleurs de tous les autres arts, est de divertir les gens «. Aller au théâtre, c’est, dit Bertold BRECHT, dans tous les cas « et depuis toujours «, s’offrir un divertissement. C’est se distraire de ses occupations par le spectacle. Il généralise l’affirmation ensuite à l’art, qui tout entier possède cette faculté de divertir, c’est-à-dire de dévier l’attention, de détourner la conscience de ses préoccupations. Ainsi donc, la peinture, la littérature, le théâtre, la musique, la danse, le cirque moderne ou la photographie, tous ces arts divertissent. Nous nous demanderons ce qu’entend BRECHT dans ce terme de « divertissement « puis nous nous demanderons si le théâtre, outre cette fonction, n’assume pas d’autres fonctions tout aussi importantes. 

 

« L’affaire du théâtre est de divertir les gens « : selon Brecht, le théâtre remplirait une fonction bien particulière : mais que peut-on entendre par « divertissement « ?  Le théâtre est une fête divertissante, un spectacle qui se déroule dans une salle décorée avec faste et traditionnellement ornée de fauteuils en velours rouge. Le spectateur lui-même s’habille pour sortir, les acteurs eux-mêmes déguisés avec soin viennent dérouler un spectacle vivant sous les yeux du public. Sur la scène, des costumes, des fards, des lumières, des décors et de la musique forment la mise en scène, autrement dit participent du divertissement. Du théâtre de foire au Moyen-Age au café-théâtre d’aujourd’hui en passant par tous les spectacles de rue au XVIIème, le théâtre est divertissant parce qu’il emmène son public dans un univers imaginaire pour le temps de la représentation. La comédie-ballet pratiquée par Molière dans Le Bourgeois Gentilhomme par exemple est un divertissement, une fête jouée par les personnages  avec beaucoup d’allégresse entre chaque acte ou encore à la fin de la pièce, lors de l’intronisation de M. Jourdain en « mamamouchi « qui se termine en « divertissement « (le mot est de Molière) pour le comte du faux grand Duc, altesse Turque.  Mais le divertissement, qui fait vivre des émotions diverses (se divertir, c’est rire, mais c’est aussi pleurer, être ému, ressentir de la crainte, de la pitié, de la joie, de la déception), est aussi par là un moyen d’échapper au quotidien. Tout spectacle crée une évasion, déconnecte, crée une illusion. Le théâtre est le monde de l'imaginaire, du factice, de la convention (double énonciation, a parte…). Le divertissement est donc une sortie du réel, un détournement dans le sens latin de « divertere «, se détourner de. Le spectateur se détourne de sa propre vie, cesse de penser et de réfléchir à sa vie, à sa condition durant le temps où il est diverti. Le sens pascalien du divertissement prend toute sa mesure au théâtre : le spectacle nous fait sortir de nous-mêmes et nous emmène vers d’autres préoccupations que nos misères humaines.

 

            Prenons l’exemple du spectacle comique  qui propose un divertissement basé sur le plaisir de rire. Choisir d’assister à une comédie de Molière ou de Marivaux  (ou même à un « one man show « de DJamel DEBOUZE), c’est choisir de se divertir par le rire. Les procédés comiques utilisés peuvent aller du comique de geste, de répétition, de langage, (mise en scène) au comique de situation et de mœurs (rire moqueur) qui visent à distraire le spectateur en lui procurant du plaisir. Dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais par exemple, les personnages sont comiques lorsqu’ils se poursuivent les uns les autres ou se cachent (on peut penser au jeu de scène autour du fauteuil dans I, 7 avec Chérubin, Le Comte et Suzanne), le divertissement est assuré par la représentation sur scène d’une fête de mariage, et le plaisir se joue au détour de chaque chanson et de chaque scène de quiproquo jusqu’à l’apothéose finale où les personnages se retrouvent tous dans les petits pavillons extérieurs pour flirter ou s’espionner. Et le plaisir que procure la comédie ne se dément pas au fil des siècles. Depuis la farce, la comédie de Molière, puis celle de Marivaux ou Beaumarchais, le genre ne cesse de se renouveler avec succès. Le spectateur du XVII° siècle sait qu’en assistant aux Fourberies de Scapin il va rire. Le seul nom de MARIVAUX au XVIII° remplit les salles de théâtre.  

 

Il serait faux toutefois de considérer que le rire est le seul moyen de se divertir. Se divertir c’est souvent rire, mais aussi pleurer, vibrer. Et c’est pour cette raison que BRECHT généralise son propos à tout le théâtre, et même à tous les arts. Au XVII° siècle, à côté des comédies de Molière auxquelles on assiste pour rire, se jouent en effet celles de Racine, auxquelles on va aussi pour pleurer. C’est d’ailleurs une règle depuis Aristote, que la tragédie doive « susciter le plaisir «. Racine est très populaire, Phèdre et Britannicus sont parmi les pièces les plus appréciées du public. Ce qui plait et divertit chez RACINE, c’est précisément le fait d’assister à un spectacle effrayant voire pathétique, parce que si l’on en croit ARISTOTE : « Nous avons plaisir à regarder les images les plus soignées des choses dont la vue nous est pénible dans la réalité. « (Poétique). Au XX° siècle, la tragédie connaît de nouveau des heures de gloire, notamment pendant et après la seconde Guerre Mondiale, avec les pièces engagées de Jean ANOUILH, Antigone, de Jean GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, puis avec le théâtre de l’absurde de Samuel BECKETT, En attendant Godot, ou d’Eugène IONESCO, La Cantatrice chauve, Tueur sans gage qui obtiennent un vif succès. 

 

Ce pouvoir de divertir n’est pas non plus propre au théâtre. La lecture, par exemple, est un divertissement, au même titre que le spectacle de cirque, le cinéma ou la visite d’expositions de peintures. « On aime toujours un peu à sortir de soi, quand on lit « écrit Marcel PROUST, romancier du XX° siècle. La lecture offre une possibilité d’évasion, tout comme un tableau figuratif.

 

Mais ne doit-on pas cependant distinguer les autres fonctions du théâtre ? Le théâtre, comme d’ailleurs tous les arts, ne peut être réduit à sa dimension de plaisir ou de divertissement. Leur portée possiblement critique, didactique ou politique font des arts des acteurs sociaux, agissant sur les consciences et pouvant les modifier. 

 

Dans la comédie, le rire n'est pas toujours le but unique ou n'est qu'un moyen d'agir sur les spectateurs ; Il vise la critique sociale : plaire et toucher, toucher pour dénoncer, porter à la conscience. C’est le cas de Molière dont tout le théâtre propose une satire psychologique (L’Avare, Le Malade imaginaire) et surtout sociale (Le bourgeois gentilhomme, les faux dévots avec Tartuffe et Dom Juan), c’est le cas de la trilogie de Beaumarchais qui fait la critique de l’arbitraire des classes dominantes, de la censure, de l’absence de liberté, d’égalité sociale. De nos jours, beaucoup de pièces sont satiriques aussi : le théâtre de Yasmina Réza (Art qui critique les snobs amoureux aveugles d’un certain art contemporain) par exemple. Cette critique sociale peut parfois être une critique constructive, une critique visant non seulement à dénoncer mais encore à enseigner.

 

La définition du théâtre classique qui avoue ses objectifs « plaire et instruire « (Boileau) pourrait s’appliquer à nombre d’autres œuvres et projets dramatiques. La fonction didactique (enseigner, instruire) est indissociable du divertissement. Même le tragique Racine parle en termes d’enseignement lorsqu’il évoque le but de la Tragédie depuis l’Antiquité : être une « école de la vertu « (Préface de Phèdre). Assister à la représentation du mécanisme tragique dans la destinée d’un personnage comme Phèdre, c’est apprendre à ne pas produire les mêmes erreurs. La tragédie s’appuie sur des thèmes et des héros nobles avec un but moral, comme dans les conflits cornéliens : celui entre l’amour et le devoir dans Le Cid par exemple montre la volonté de Corneille d’enseigner une certaine morale politique. Cinna est l’exemple type de la tragédie visant à délivrer un message, celui de la nécessaire clémence du souverain, puisque toute l’intrigue repose sur la capacité qu’auront les personnages – et en premier lieu Cinna- à pardonner la trahison et à faire preuve de mansuétude. Au XVII° siècle, on trouve à côté de MOLIERE et RACINE le poète LA FONTAINE, très à la mode aussi, dont les Fables traduisent elles aussi la volonté de porter un enseignement. Aujourd’hui, certaines photographies d’art portent un enseignement. 

 

Cette fonction didactique s’accompagne souvent dans l’art d’une véritable volonté politique. La littérature engagée du mouvement de Lumières jusqu’à la littérature du XX° siècle, en passant par la littérature de Victor HUGO, dépasse la dimension divertissante de l’art. Quand Jean ANOUIHL présente Antigone en pleine occupation allemande, c’est un véritable appel à la résistance qu’il lance au public. Même Charlie Chaplin mettait en garde les spectateurs, dans son film : Le Dictateur, contre la montée d’Adolf HITLER. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes comiques sont engagés et produisent des spectacles en relation directe avec l’actualité. Ils poursuivent le travail de MOLIERE dénonçant des caractères plus que des personnes.  

 

Si le théâtre satirique reste avant tout comique, si le théâtre didactique est divertissant car fondé sur les émotions (rire, pleurer), il n’en est pas de même pour le théâtre politique qui, quoique divertissant dans le sens où les émotions permettent au spectateur de passer une soirée agréable (qui dirait qu’une représentation d’Antigone est désagréable ou non divertissante ?), ne détourne plus le spectateur de son quotidien. 

 

Nous nous demanderons alors si, malgré le divertissement (gratuit ou non) indéniable du théâtre, celui-ci ne peut pas avoir parfois la fonction contraire au divertissement : celui de ramener l’homme à lui-même.

 

Liée au départ au rituel dionysiaque, (Dionysos, puis Bacchus, dans la culture latine : dieux du vin, célébrés par de grandes fêtes orgiaques); la tragédie grecque a pour but de susciter la terreur et la pitié chez le spectateur : en montrant les conséquences catastrophiques des passions, la tragédie purge l’âme de ces mêmes passions, c’est la « catharsis «. Pour parvenir à toucher, il s’agit au théâtre de jouer de la loi qui veut que le spectateur s’identifie. Grâce à cette identification, le théâtre permet de produire sur le spectateur  l’effet de la catharsis, c’est-à-dire que la représentation des défauts et erreurs commises par les autres permet au spectateur non seulement de les identifier mais de les reconnaître en lui, voire de les corriger.  Dans le cas de la comédie, la catharsis permet de « Corriger les mœurs par le rire « (HORACE : « castigat ridendo mores «), dans celui de la tragédie, elle permet de les corriger par la crainte et par la pitié. Dans les deux cas, l’objectif est le même : produire un effet curateur, thérapeutique sur le spectateur, mais en tous les cas le ramener à lui-même et à ses vices. MOLIERE, dans la Préface de Tartuffe, affirme que la comédie a pour ambition de corriger. LA comédie est, dit-il, « un poème ingénieux qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes. « Et en effet, la leçon de morale contenue dans les pièces de MOLIERE est indissociable de la part comique qui plaît au spectateur. MARIVAUX choisit, comme HORACE et MOLIERE, de corriger son époque par le rire, et il se sert de la mise en abyme pour cela, dans la scène 6 de L’île des esclaves par exemple, où les esclaves jouent la comédie des relations mondaines pour mieux en révéler le caractère superficiel. Il devait espérer qu’au spectacle humiliant de cette comédie sociale, le spectateur de l’époque corrigerait sa tendance aux mondanités et à la coquetterie, dont MOLIERE dans Les Précieuses ridicules se moquait déjà. Toute la pièce de MARIVAUX est construite autour de cette notion de catharsis puisque la situation carnavalesque d’inversion des rôles imposée dès le départ permet aux maîtres de se voir dans les traits de leurs esclaves, et vice-versa. 

 

Le théâtre dit « de l’absurde « utilise le divertissement comique pour mieux revenir à la réflexion sur soi : le divertissement n’est plus alors une sortie de soi mais au contraire une manière de sortir de soi pour mieux y entrer à nouveau. La nouveauté des « farces tragiques « de Ionesco ou de Beckett réside dans une interpénétration si étroite des registres comique et tragique qu'il devient impossible de les distinguer. Comme l’écrit Ionesco dans Notes et contre notes : « Le comique étant l'intuition de l'absurde, il me semble plus désespérant que le tragique. [...] Le comique est tragique et le tragique de l’homme, dérisoire «. Ainsi, les personnages d’En attendant Godot (1953), de Beckett, sont des clowns qui se lèvent et s'assoient mécaniquement, en échangeant des plaisanteries parfois grossières. Mais ces procédés, dignes de la farce, accompagnent ou expriment des réflexions inquiétantes sur la déchéance physique, la vie, la mort. De même, La Cantatrice chauve (1950), de Ionesco, multiplie les incohérences verbales. Mais ces incohérences traduisent une « tragédie du langage «, celle qui consiste à user du langage, même de manière grammaticalement correcte, pour ne rien dire, pour s'éviter de penser. Quant au Roi se meurt, pantin grotesque, pitre tragique aux gesticulations dérisoires, il exprime toute l’angoisse de l’homme devant l’inéluctabilité de sa mort. La pièce exprime ainsi le grand problème de l’incommunicabilité et ne détourne plus le spectateur de lui-même que pour l’y replonger aussitôt.

 

Ainsi, la fonction divertissante du théâtre prônée par Brecht est-elle indéniable. On continue, certes, à aller au théâtre pour échapper à la réalité, rire, pleurer, s’émouvoir dans un décor inhabituel, parfois fastueux en tout cas, conventionnel, comme l’est toute la relation du spectateur au spectacle dramatique. Toutefois, la sollicitation des émotions est rarement gratuite. Souvent, le dramaturge poursuit un autre but : informer, dénoncer, interroger, réveiller, inquiéter. Cela étant, de nos jours, le théâtre est concurrencé par de multiples formes de divertissement. Ce n’est pas un spectacle si facile à appréhender, ni aussi populaire qu’il le fut. Beaucoup de gens, d’élèves, avouent s’y ennuyer. Mais, il reste un spectacle prisé par un public important, comme le témoignent le succès permanent du festival d’Avignon et la prolifération d’autres manifestations culturelles

 

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