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Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde

Publié le 12/01/2014

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Chapitre  Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du mondeLe mot « roman » est apparu au XIIe siècle. Il a alors deux significations : il peut désigner la langue parlée dans le nord de la France ou bien un récit en vers français (comme les romans de la Table ronde). Le roman ne renvoie à des textes en prose qu’à partir du XIVe siècle. Mais il a déjà son sens moderne, tel que le définit Le Petit Robert : « œuvre d’imagination en prose, assez longue, qui présente et fait vivre dans un milieu des personnages donnés comme réels, nous fait connaître leur psychologie, leur destin, leurs aventures. » 1  L’histoire des personnages à travers celle du romanA. Le XVIIe siècle : des personnages sous influences…1. les héros raffinés des romans précieux< Les romans héroïques précieux de Mlle de Scudéry (1607-1701) sont écrits dans un esprit épique : les personnages sont  marqués par le modèle des héros antiques d’Homère ou de Virgile, ou par des modèles italiens comme ceux de L’Arioste ou du Tasse. Clélie est un roman à clés qui transpose les mœurs antiques, et qui contient la fameuse « carte du tendre ». 2. Les héros joyeux des romans comiques.< A l’opposé des héros « parfaits » des romans précieux, on trouve les personnages réalistes des romans comiques, dont les aventures sont parfois sordides. C’est le cas dans L’histoire comique de Francion, (1623) de Charles Sorel. On peut y déceler l’influence du roman picaresque espagnol qui est en vogue au début du siècle. Le picaro est un personnage d’aventurier errant, un gueux généralement sans foi ni loi, dont l’histoire à rebondissements connaît de multiples péripéties : il est en quête d’un statut social. En marge de ce mouvement, le Don Quichotte de Cervantès, traduit en 1614,  a connu un énorme succès. 3. Les héros parfaits du roman classique. 4. Le personnage sensible du courant pré-romantique< Une nouvelle sensibilité apparaît dans la seconde moitié du siècle avec l’influence des romans réalistes anglais et La Nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1761). Ce roman épistolaire raconte l’amour impossible entre la jeune Julie et son précepteur Saint-Preux : leurs différences sociales empêchent leur union. La passion et la vertu des deux héros sont au cœur de l’intrigue. Les élans du cœur des personnages s’expriment avec un lyrisme spontané et une sensibilité exacerbée.B. Le XIXe siècle : le triomphe du roman et de ses personnages1. L’idéalisation du personnage romantique 3. Le personnage expérimental du roman naturaliste§ Zola veut analyser dans ses romans l’interaction entre l’individu et son milieu. Il s’agit pour lui de présenter à travers ses personnages certaines données généralisables, tout en empruntant directement à la réalité la matière de ses livres. Pour le chef de file des naturalistes, le roman est un véritable « document humain » scientifique. Zola s’est d’ailleurs beaucoup inspiré des doctrines de Claude Bernard en matière de médecine expérimentale. L’imagination qui était autrefois célébrée comme une qualité chez un romancier, est, selon Zola, devenue un défaut, le sens du réel devenant la qualité première des auteurs. Il fait l’éloge de la description parce qu’elle permet de dresser « un état du milieu qui détermine et complète l’homme ».« Montrer le milieu peuple et expliquer par ce milieu les mœurs peuple ; comme quoi à Paris, la soûlerie, la débandade de la famille, les coups, l’acceptation de toutes les hontes et de toutes les misères vient des conditions mêmes de l’existence ouvrière, des travaux durs, des laisser-aller, etc. » (Zola, préface de l’Assommoir)C. Le XXe siècle : la crise du personnage1. Le retour au personnage fort des années 1930On a pu constater un « éparpillement » du personnage dans les années 1920, avec des romanciers comme Marcel Proust, Virginia Woolf ou James Joyce qui mettent l’accent sur la multiplicité des sensations. Avec eux, le roman suit les tortueuses subtilités de la conscience fluide et complexe de l’individu.  Dans les années 1930, on observe un retour à un personnage fort, avec des auteurs comme Bernanos, Malraux, Hemingway. Leurs héros sont très impliqués dans le monde, engagés, et leur personnalité est très typée, clairement délimitée. Ils s’éloignent d’une littérature centrée sur l’analyse psychologique, pour s’intéresser au destin de personnages aux prises avec l’histoire, qui cherchent à donner un sens à leur vie. Dans La Condition humaine de Malraux, l’idéal de Kyo, le héros révolutionnaire, est clair : « Sa vie avait un sens : donner  à chacun de ces hommes que la famine faisait mourir comme une peste lente la possession de sa propre dignité ». 2. La remise en question du personnage dans le Nouveau Roman§ Les années 1950 proclament la mort du personnage : selon Robbe-Grillet dans Pour une théorie du roman, le personnage fait partie des « notions périmées ». Pour le même auteur, c’en est fini de la conception traditionnelle du roman, vu comme « l’analyse d’une passion ».C’est selon Nathalie Sarraute, parce que le roman est entré dans « l’ère du soupçon » ; le lecteur n’a plus confiance dans le romancier, et n’accepte plus les normes du « vraisemblable ». « Aussi voit-on le personnage de roman privé de ce double soutien, la foi en lui du romancier et du lecteur, qui le faisait tenir debout, solidement d’aplomb, portant sur ses larges épaules tout le poids de l’histoire, vaciller et se défaire ».  (Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, 1956) § Nathalie Sarraute cherche à rendre ses romans « grouillants de vie » ; elle nous fait plonger dans une conscience anonyme pour saisir le foisonnement des sensations. Elle mêle récit, dialogue et « drames minuscules » qui se jouent à la limite de la conscience.« Le personnage dépouillé de toutes ses prérogatives, de son caractère, réduit à n’être qu’un trompe l’œil, une survivance, un support de hasard. Ce personnage est souvent confondu dans un groupe que désignent de simples pronoms pluriels » (Nathalie Sarraute, Nouveau roman, hier, aujourd’hui, 1972) 2. Comment analyser le roman et ses personnages ?A. Le personnage et les points de vue : la focalisation Pour raconter une histoire, on doit choisir un point de vue : le romancier décide qui perçoit les événements rapportés. Le mot « focalisation » est issu du vocabulaire photographique : c’est le foyer à partir duquel une photo est prise.1. Le point de vue externe L’auteur s’efface ; on ignore les pensées des personnages, le compte rendu des actions est fait de façon impartiale, « du dehors ». Seul ce qui est visible de l’extérieur est raconté.«On faisait la soupe, les cheminées fumaient, une femme apparaissait de loin en  loin le long des façades, ouvrait une porte, disparaissait » (Emile ZOLA, Germinal)2. Le point de vue interneLes événements sont perçus à travers les sensations et les pensées d’un seul personnage. On identifie ce point de vue grâce à la présence de verbes de perception, au vocabulaire des sentiments.  On reste donc dans l’ignorance de ce que personnage lui-même ne connaît pas; s’il se pose des questions, on n’en a pas forcément les réponses. Ce point de vue subjectif favorise l’identification du lecteur au personnage.« K attendit encore un instant, regarda du fond de son oreiller la vieille femme qui habitait en face de chez lui et qui l’observait avec une curiosité surprenante, puis, affamé et étonné à la fois, il sonna la bonne. A ce moment on frappa à la porte et un homme entra qu’il n’avait jamais vu dans la maison » (Franz KAFKA, Le Procès)3. Le point de vue omniscient (ou focalisation zéro)On connaît le passé, le présent, les pensées et les sensations de l’ensemble des personnages. Le romancier prend un pouvoir plus apparent dans le récit. Ce point de vue est très fréquent dans le roman traditionnel (Hugo, Balzac, Verne…).« Toutes avaient les unes pour les autres une indifférence mêlée de défiance qui résultait de leurs situations respectives. Elles se savaient impuissantes à soulager leurs peines. » (Honoré de Balzac, Le père Goriot) B. Le personnage et le temps : les modalités du récitLe temps romanesque n’est pas linéaire comme le temps réel : le récit peut accélérer ou ralentir l’action, revenir en arrière, s’arrêter brusquement. Les personnages ont dans le roman une vie plus ou moins complète, certains  ne font que des apparitions épisodiques, la façon dont ils s’inscrivent dans le temps peut donc être très intéressante à étudier.1. La scèneRécit Vie du personnage Dans le cas de la scène, la durée du récit est grosso modo calquée sur celle des événements. On remarque la succession des actions« Elle se laissa glisser sur ses genoux, joignit les mains, et regarda  Raphaël avec une dévotieuse ardeur » (Balzac, La Peau de Chagrin)2. La pauseDurée du récit Vie  Il n’y a plus adéquation entre la durée de la lecture et la durée de l’action racontée. La pause peut être descriptive, ou argumentative : le temps que prend le roman pour évoquer un événement se trouve dilaté par les interruptions du récit. On prend plus de temps pour lire le roman qu’il n’en faudrait à la vie réelle pour que se trouvent accomplis les événements évoqués. « La marquise, alors âgée de trente ans, était belle quoique frêle de formes et d’une excessive délicatesse. Son plus grand charme venait d’une physionomie dont le calme trahissait une étonnante profondeur dans l’âme. » ( Balzac, La femme de trente ans)3. Le sommaireDurée du récit Vie du personnage Le sommaire condense une durée de vie relativement longue dans un petit espace textuel. Il y a donc une accélération des événements.« Le reste de l’histoire ne peut se raconter que dans ses grandes lignes. D’autres coups ont suivi ce premier coup. Miss Amelia frappait dès qu’il était ivre et qu’il se trouvait à portée de sa main. Elle finit par le jeter dehors. Elle fut alors obligée de vivre sa souffrance aux yeux de la ville entière ». (Carson Mc Cullors, la Ballade du café triste) 3. L’analepseRécitVie du personnage L’analepse constitue un « flash-back » : le récit effectue un retour en arrière temporel. « Il s’était mis à écrire seize ans plus tôt, après le triple meurtre de Caroline et des jumeaux. » (Daniel Pennac, La petite marchande de prose)Récit4. La prolepse Vie du personnage La prolepse constitue une anticipation du futur : « N’oubliez donc pas ce Marvin Macy, car il jouera un rôle effrayant dans ce qui va suivre. » (Carson Mc Cullors, La Ballade du café triste) 5. L’ellipserécitVie du personnagerécit L’ellipse passe sous silence un temps plus ou moins long, qui peut aller de quelques minutes à plusieurs années. Ce que les personnages ont vécu pendant ce laps de temps reste donc sous-entendu, éludé. Cette période est implicitement considérée  comme moins intéressante pour l’histoire. L’ellipse est un outil essentiel dans la structure d’un roman. « Deux jours après la visite du fils Agosti, la mère reçut un mot de Joseph ». (Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique)6.  La modalité itérativeQuand un événement qui a lieu plusieurs fois n’est raconté qu’une seule fois, on parle de modalité itérative. L’imparfait à valeur de répétition est souvent utilisé. Cette modalité, comme le sommaire, permet d’accélérer le récit.« Chaque soir, le vieux Mouque recevait la visite de son ami, le père Bonnemort, qui, régulièrement, avant son dîner, faisait la même promenade. » (Emile ZOLA, Germinal, II, V)C. Les relations entre le personnage, l’auteur, le narrateur…1. Les modes de narration§ Le récit est un montage narratif de plusieurs niveaux: l’auteur écrit un roman et délègue au narrateur le soin de raconter une histoire mettant en scène des personnages.   On appelle mode de narration  la façon dont le récit est assuré par le narrateur.  AuteurNarrateurPersonnage § Il y a deux modes principaux de narration. Le narrateur extérieur au récit raconte l’histoire à la troisième personne : il semble absent du récit. Le narrateur-personnage est en revanche directement présent dans le récit : il le raconte à la première personne, en tant que héros ou personnage témoin.  2. Le statut ambigu de certains auteurs, narrateurs ou personnages § Le nouveau roman a beaucoup joué sur le statut de l’auteur et du narrateur. On y trouve des modes d’énonciation originaux : le narrateur peut s’adresser à lui-même, le « je » et le « il » désignent la même personne, plusieurs narrateurs racontent successivement le même événement, etc…§ La mode récente de l’autofiction brouille les distinctions traditionnelles entre auteur, narrateur et personnage : sans être des autobiographies, les intrigues sont fortement inspirées de la vie des auteurs. Certains romans de Marguerite Duras (Un barrage contre le Pacifique, l’Amant ), les œuvres de Serge Doubrovsky, Chritine Angot appartiennent à ce genre littéraire qui entretient une confusion entre personne et personnage. Serge Doubrovsky définit ainsi l’autofiction : « Autobiographie ? Non. Fiction, d'événements et de faits strictement réels. Si l'on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure d'un langage en liberté. »D. La caractérisation des personnages1. Une construction mentale progressive§ Le roman offre une somme de données dispersées sur le personnage, que le lecteur assemble. Philippe Hamon dans Poétique du récit définit le personnage comme une construction mentale que le lecteur opère à partir d’un ensemble de signes épars dans le texte. Le lecteur  fabrique le personnage au fil de sa lecture à partir d’informations explicites, clairement formulées par l’auteur, mais aussi grâce à des déductions à effectuer à partir du récit,  et au jugement de valeur que le texte sous-entend,. C’est « l’effet-personnage », qui est une illusion : au départ le personnage n’existe pas, et le texte romanesque lui donne progressivement une épaisseur.2. La caractérisation directe et indirecte§ La caractérisation directe du personnage est constituée par son état civil, ses portraits, sa biographie, un certain nombre de marques explicites qui dessinent progressivement son identité.  Certains auteurs, comme Zola ou Balzac, utilisent majoritairement la caractérisation directe.§ La caractérisation indirecte du personnage passe à travers ses réactions face aux événements, son comportement, ses rapports avec les autres, ses paroles : ces éléments dessinent progressivement la personnalité du héros. Flaubert ou Maupassant adoptent davantage la caractérisation indirecte.« Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile.  A travers le brouillard, il contemplait des clochers, des édifices dont il ne savait pas les noms ; puis il embrassa, dans un dernier coup d’œil, l’île Saint-Louis, la cité, Notre-Dame ; et bientôt, Paris disparaissant, il poussa un grand soupir. »(Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, 1869)Caractérisation directe : il s’agit ici d’une description classique, qui contient des renseignements sur l’identité du personnage. Même si l’on ignore son nom, on apprend son âge, et on a une idée de son apparence.Caractérisation indirecte : Dans le même paragraphe, on a des indications implicites sur la personnalité de Frédéric Moreau, qui transparaissent à travers son comportement : il ne connaît pas Paris, il semble mélancolique. Le passage de la description pure au récit est perceptible à travers le changement de temps (de l’imparfait au passé simple). 3. Le système des personnages§ On définit aussi les personnages les uns par rapport aux autres : il y a un système d’oppositions entre eux. L’un apparaît d’autant plus beau que d’autres sont laids, d’autant plus intelligent que d’autres le sont moins.  Les marques qui caractérisent un personnage ne sont donc pas isolables, elles fonctionnent comme un système. Celui-ci fait apparaître des couples, des trios, des groupes. Les rapports entre les personnages révèlent des rivalités, des alliances…§ On distingue traditionnellement le personnage principal des personnages secondaires ou des simples figurants. Seul le personnage principal évolue au cours du roman. Les rôles ne sont pas répartis équitablement : le personnage principal apparaît davantage. Il faut donc étudier sa fréquence, son mode d’apparition dans le roman (portrait, dialogue, action), le volume romanesque de sa présence: l’entend-on beaucoup parler ? le suit-on longuement ? 4. La construction du portrait. Le cadre du portrait, pour le romancier comme pour le peintre, lui permet de mettre en valeur le personnage, au milieu de son entourage. On peut remarquer que la composition d’un portrait est souvent progressive. Différents plans se distinguent ;  les indications vont du général au particulier, ou du physique au psychologique, du bas au haut, etc…C’est un véritable art de la composition qu’il s’agit d’étudier. E. L’analyse actantielle des personnagesHérosObjet magiqueEpreuve principaleOpposantsAdjuvants  Eléments du schéma actantiel Caractéristiques Exemple : La vie de Marianne de Marivaux   Héros C’est lui qui, au terme d’une quête, s’empare de l’objet Marianne est l’héroïne.   Objet Ce n’est pas forcément une chose : c’est le but que se fixe le héros. L’Objet : l’accès à un rang social dont elle se juge digne.   Adjuvants Ils aident le héros dans sa quête (personnages, objets, événements…) -Le curé qui l’a élevée et sa sœur-Sa protectrice, madame de Miran, et son amie madame Dorsin.-Sa distinction naturelle, son intelligence, sa sensibilité.   Opposants Ils sont en conflit avec le héros, tentent de le mettre en échec. -Son statut d’orpheline, et la société qui favorise les gens de condition-Son premier protecteur, monsieur de Climal  qui tente d’abuser d’elle-Son fiancé Valville, qui tombe amoureux d’une autre.   § Ce schéma actantiel peut parfois s’appliquer parfaitement à l’intrigue d’un roman, et pour certaines œuvres il ne coïncidera que partiellement avec l’action. Dans d’autres cas, il peut s’avérer moins pertinent. Ce n’est qu’un des multiples outils à notre disposition. F. Quelles sont les fonctions des personnages dans un roman ?  Fonctions du personnage Caractéristiques Exemple   Représentation Le portrait  des personnages donne au lecteur l’image d’une réalité. « La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’avait jamais vu qu’à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage, et sa personne étaient pleins de grâce et de charme ». (Madame de la Fayette, La Princesse de Clèves)   Symbole Le personnage symbolise souvent toute une catégorie de personnes, il dépasse les perspectives individuelles. La Princesse de Clèves symbolise la magnificence de la Cour de l’époque, célébrée par Madame de la Fayette.   Interprétation C’est à travers le personnage que se construit le sens du récit. Nous comprenons à travers la description de ses perfections qu’il s’agit de l’héroïne du roman.   Identification Les comportements d’un personnage peuvent influencer le lecteur qui a tendance à s’identifier à lui.   L’idéalisation de ce personnage favorise l’identification, car sa beauté est attractive. Elle séduit le lecteur.   Esthétique Il existe un art de la composition du personnage, et de le créer au fil du récit. L’utilisation des hyperboles, le rythme harmonieux de la période, dont la fluidité est accentuée par les mots de liaison, mettent en valeur la beauté du personnage.    Information Le personnage transmet des indices, des valeurs au lecteur. On est informé sur les critères de la beauté physique au XVIIe siècle. Pâleur du teint, blondeur, régularité des traits semblent valorisants.   L’essentiel à retenir < A chaque siècle ses personnages :  Siècle Type de personnage Caractéristiques Exemples   XVIIe Le héros précieux Le personnage des romans comiques Le personnage  classique Raffiné, marqué par les modèles antiques, idéalisé Joyeux, réaliste, proche du picaro, sans foi ni loi Parfait, sobre, vraisemblable Mle de Scudéry, Clélie   Charles Sorel, L’Histoire comique de Francion  Mme de La Fayette,  La princesse de Clèves   XVIIIe Le personnage de la tendance réaliste Le libertin Le personnage des Lumières Le personnage préromantique Entreprenant, faisant sa place dans la société Hédoniste, libre penseur, indépendant Philosophe, satirique Sensible, lyrique, passionné Marivaux, La Vie de Marianne Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses  Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître Jean-Jacques Rousseau, La nouvelle Héloïse   XIXe Le personnage romantique Le personnage réaliste Le personnage naturaliste Symbolique, épique, idéalisé Reflet de la réalité, « type humain » Expérimental, influencé par son milieu, représentant une réalité générale Victor Hugo, Les Misérables Honoré de Balzac, La Comédie humaine Emile Zola, Les Rougon-Macquart   XXe Le personnage des romans psychologiquesLe personnage engagé Le personnage du nouveau roman Complexe, subtil, « éparpillé » Fort, aux prises avec l’histoire, en quête de sens Remis en question, « notion périmée » : on parle de la mort du personnage Marcel Proust, A la recherche du temps perduMalraux, La condition humaine Nathalie Sarraute, Tropismes   < La focalisation, les points de vuesLe point de vue externe = perception « du dehors », sans connaître les pensées des personnages.Le point de vue interne = perception d’un seul personnage, dont on suit les pensées, les sensations.Le point de vue omniscient (ou focalisation zéro)= perception de l’ensemble des sentiments et des sensations de tous les personnages. < Les modalités du récit concernent les relations du récit avec le temps.  La scène : durée du récit= vie du personnage.La pause : durée du récit>vie du personnageLe sommaire : durée du récit< vie du personnageAnalepse : flash-backProlepse : anticipation du futurEllipse : élision d’une période plus ou moins longueModalité itérative : action répétée racontée une seule fois < La caractérisation du personnage : elle est directe pour les descriptions, les renseignements explicites sur l’identité du personnage, indirecte quand il s’agit de déduire les traits de la personnalité du héros de son comportement ou de ses paroles. < « L’effet-personnage », c’est une illusion de réalité que donne le roman, le lecteur assemblant mentalement au fil du récit des éléments dispersés qui construisent peu à peu le personnage. Pourtant, celui-ci n’est rien au départ. < Le schéma actantiel :  Chargé d’une mission par un destinateur, le Héros  est en quête d’un objet (abstrait ou concret) pour un destinataire: c’est l’épreuve principale. Il est aidé par des adjuvants, et entre en conflit avec des opposants. Actant » signifie « force agissante ».AUTEURS CLÉS Stendhal (1783-1842)De son vrai nom Henri Beyle, Stendhal, après avoir préparé polytechnique, participe à l’épopée napoléonienne. Il fait la campagne d’Italie, puis poursuit sa carrière dans l’administration. Obligé de fuir en Italie après la chute de Napoléon, il y commence son oeuvre littéraire. C’est en France qu’il écrit ses deux chefs d’œuvres romanesques : le Rouge et le Noir (1830) et La Chartreuse de Parme (1839). « Chronique de 1830 » est le sous-titre du roman Le Rouge et le Noir car le destin tragique de Julien Sorel, son ascension et sa chute, sont solidaires de  la réalité politique et sociale de l’époque.« Depuis bien des années, Julien ne passait peut-être pas une heure de sa vie sans se dire que Bonaparte, lieutenant obscur et sans fortune, s’était fait le maître du monde avec son épée. » (Le Rouge et le Noir) Honoré de Balzac(1799-1850)Se consacrant à l’écriture malgré l’avis de ses parents qui le rêvaient notaire, Balzac a toujours espéré faire fortune, dans diverses entreprises, qui firent malheureusement toutes faillite. L’ensemble de son œuvre romanesque, monumentale, est regroupée sous la forme d’une immense fresque: la Comédie humaine. Elle est composée de quatre-vingt quinze ouvrages et peint la société de la première moitié du XIXe siècle. Pour en souligner l’unité, Balzac relie les romans les uns aux autres par des personnages présentés sous des jours différents ou des détails qui « préparent l’histoire de cette Société fictive qui sera comme un monde complet ».« Les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses se résumaient sur sa face froide, comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux.» (Portrait de l’antiquaire dans La peau de Chagrin) Gustave Flaubert (1821-1580)Après des études de droit, Flaubert consacre sa vie exclusivement à l’écriture. L’évocation incisive de la bêtise humaine est un thème essentiel de ses romans. Mme Bovary peut être lu comme un roman de la médiocrité, et Bouvard et Pécuchet présente deux héros à la fois grotesques et pathétiques. D’autres œuvres comme Salammbô (roman inspiré par un voyage en Orient) ou la Tentation de Saint Antoine sont au contraire des œuvres sensuelles, hautes en couleurs, peuplées de fantasmes.  « Madame Bovary, c’est moi !»  Emile Zola(1840-1902)Après son échec au baccalauréat, qui rend difficiles ses débuts dans la vie, Emile Zola fait carrière à la librairie Hachette. Collaborant à plusieurs journaux, il s’engage dans la lutte contre la corruption du second Empire. Il conçoit, parallèlement au journalisme, une grande fresque romanesque en vingt volumes : les Rougon-Macquart. Il veut faire une « histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire ». Parmi ses personnages, les plus humbles ont une grande place : ouvriers alcooliques dans l’Assommoir (1877), courtisane dans Nana (1880), mineurs dans Germinal (1885)…Le thème de l’hérédité, l’influence du milieu sur les êtres sont au centre de cette œuvre très riche. On connaît également Zola pour son engagement dans « l’affaire Dreyfus » et son célèbre « J’accuse »« J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière dans le milieu empesté de nos faubourgs. » (Préface des Rougon-Macquart) Louis-Ferdinand Céline (1894-1961)Louis-Ferdinand Destouches (son pseudonyme Céline est le nom de sa grand-mère) a fait de sa propre vie le matériau que ses romans déforment. Né dans un milieu de petits commerçants, il veut y échapper en s’engageant dans l’armée en 1914... Blessé, il part ensuite à Londres, puis au Cameroun, et à son retour entreprend des études tardives : il devient médecin. Son premier roman, Voyage au bout de la nuit (1932), d’inspiration autobiographique, fait scandale : il remet en question la morale, les codes sociaux, et l’usage traditionnel de la langue française. A partir de 1937, l’engagement politique de Céline se caractérise par un antisémitisme virulent, qui transparaît dans ses œuvres. « Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler» (Incipit du Voyage au bout de la nuit) Marcel Proust (1871-1922)Né dans un milieu privilégié, Marcel Proust mène d’abord une vie de chroniqueur mondain. Il fréquente aristocrates et artistes. Affaibli par l’asthme, il se retire ensuite dans sa chambre, pour se consacrer exclusivement à son œuvre littéraire majeure: A la recherche du temps perdu. C’est un immense roman en sept volumes. L’ample flexibilité de ses phrases épouse le rythme des sensations et des sentiments, ce qui confère à son style volontairement touffu une grande originalité. Son œuvre suit le narrateur depuis son enfance jusqu’à l’affirmation de sa vocation littéraire.« Longtemps, je me suis couché de bonne heure» (Incipit d’A la Recherche du temps perdu)Sujet de bac 1 Objet d’étudeLe roman et ses personnages  CorpusTexte A Emile ZOLA, L’Assommoir, (1877), chapitre V.Texte B Emile ZOLA, L’Assommoir, (1877), chapitre XIII.Texte C Emile ZOLA, « Germinie Lacerteux» Mes haines, chroniques littéraires et artistiques, (1866)   Question Décrivez l’évolution du personnage de Gervaise à partir des deux extraits de L’Assommoir (textes A et B). En quoi ces deux passages se font-ils écho ? Travail d’écriture  Commentaire Vous commenterez l’extrait du chapitre V de l’Assommoir, (texte A),  jusqu’à « …tout lui prospérait » (ligne ) Dissertation Un roman est-il intéressant quand il raconte le déclin d’un personnage? Vous construirez votre réflexion en utilisant des exemples précis, tirés du corpus, des textes étudiés en classe, mais aussi de vos lectures personnelles. Invention Imaginez le dialogue qui opposerait Zola à un adversaire du naturalisme. Cette conversation reprendra certains arguments du texte C. Texte A.  Emile ZOLA, L’Assommoir, (1877), chapitre V. Texte B. Emile ZOLA, L’Assommoir, (1877), chapitre XIII  .Texte C Emile ZOLA, « Germinie Lacerteux» Mes haines, chroniques littéraires et artistiques, (1866)Sujet de bac 2 Objet d’étude Le roman et ses personnages  CorpusTexte A Jean GIONO, Que ma joie demeure, (1935), éditions GrassetTexte B Julien GRACQ, Le Rivage des Syrtes, ( 1951), éditions CortiTexte C Sylvie GERMAIN, Tobie des marais, (1998), éditions Gallimard   Question Quels éléments rapprochent ces textes du registre merveilleux ? Travail d’écriture  Commentaire Vous commenterez le texte de Jean Giono extrait de Que ma joie demeure (texte A), jusqu’à « au fond des hauteurs ». Dissertation Comment comprenez-vous cette phrase de Sylvie Germain, extraite de son essai intitulé les Personnages : « Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées, eux-mêmes pétris dans le limon des mythes et des fables, dans l’épaisse rumeur du temps qui brasse les clameurs de l’Histoire et une myriade de voix singulières, plus ou moins confuses » ? Pour illustrer votre réflexion, vous vous appuierez sur des exemples précis, tirés du corpus, des textes étudiés en classe, mais aussi de vos lectures personnelles. Invention Imaginez la suite du texte C, en continuant le dialogue entre les personnages, dans lequel vous insérerez un portrait des deux héros. Raphaël fait une proposition à Tobie, qui va changer radicalement le cours de sa vie : comment celui-ci réagit-il ? Texte A Jean GIONO, Que ma joie demeure, (1935), éditions Grasset Texte B Julien GRACQ, Le Rivage des Syrtes, ( 1951), éditions Corti Texte C Sylvie GERMAIN, Tobie des marais, (1998), éditions Gallimard  CorrigésSujet de bac 1 Question Analyser le sujet· On ne vous demande pas d’avoir lu le roman en entier : la simple lecture des deux extraits vous permet de surplomber le destin du personnage, puisque l’un est placé au début du roman et l’autre à la fin.Attention à la deuxième partie de la question : remarquez les parallélismes entre les deux textes. Les deux extraits nous offrent une image tout à fait opposée de Gervaise. Le chapitre V nous la présente à un point culminant de sa vie, heureux et prospère, tandis que le chapitre XIII raconte la mort de l’héroïne dans des conditions sordides. On remarque des parallélismes entre les deux extraits. D’une part, dans les deux textes, le point de vue des habitants du quartier est prépondérant (« Le quartier la trouvait bien gentille », texte A). Ce point de vue transparaît dans les deux extraits à travers la récurrence du pronom indéfini « on », et aussi par les discours rapportés. Mais le quartier a un comportement opposé vis-à-vis de l’héroïne : autant Gervaise est admirée et bien considérée dans le premier extrait, autant elle est méprisée avant sa mort, qui survient dans l’indifférence générale. (« On ne sut jamais au juste de quoi elle était morte », texte B) Elle est passée d’une grande popularité à l’exclusion. D’autre part, on remarque l’importance du thème de la nourriture dans les deux textes. Gervaise est trop grasse dans le texte A, cela est perçu comme un signe social de réussite (« quand on gagne de quoi se payer de fins morceaux », texte A) C’est la faim du personnage qui est soulignée dans le texte B : elle « mourait un peu de faim tous les jours », et elle va même jusqu’à manger « quelque chose de dégoûtant », pour amuser les gens du quartier. Ensuite, le thème de la mort de Gervaise est déjà envisagé dans le premier extrait : « Quant à mourir dans son lit, (…) elle y comptait mais le plus tard possible, bien entendu ». On peut constater que ce souhait n’est pas exaucé : loin de mourir dans son lit, elle meurt dans une niche sous l’escalier, sur de la paille. Enfin, on peut dire que les faiblesses de Gervaise sont déjà perceptibles dans le premier texte, même si elles ne sont pas décrites comme des défauts explicitement : l’héroïne semble déjà indolente (« elle s’oubliait parfois sur le bord d’une chaise ») alors que dans le deuxième texte, on affirme qu’elle « creva d’avachissement ».  Le parallélisme de ces thèmes ne fait que souligner l’opposition des deux passages. En définitive, les deux extraits symbolisent bien le déclin du personnage. Commentaire Analyser le sujet· Il s’agit d’un portrait : comment est caractérisé le personnage ? Etudiez les éléments de caractérisation directe et indirecte.· Le point de vue fait l’originalité du passage : relevez les indices qui vous permettent d’identifier la focalisation. Comment Zola insère t-il des discours rapportés dans ce portrait ? Attention : les titres en couleur sont là pour vous guider dans la lecture des corrigés : en aucun cas, on ne doit les trouver dans une copie. IntroductionL’Assommoir est le premier vrai grand succès littéraire populaire d’Emile Zola, en 1877. Il fit scandale car il présentait de façon très crue la déchéance de ses personnages due à l’alcoolisme. Mais dans ce texte, l’auteur fait un portrait élogieux de Gervaise, alors que tout lui réussit : elle vient d’ouvrir sa boutique de blanchisserie, elle est populaire et heureuse. Elle est à l’apogée de sa vie. Comment Zola décrit-il Gervaise en adoptant le point de vue collectif de tout un quartier ? Pour répondre à cette question, nous étudierons dans un premier temps le rôle de la focalisation dans cet extrait, avant d’envisager la caractérisation du personnage. Développement I. Une focalisation interne originale Zola utilise un point de vue interne pour faire le portrait de Gervaise, mais il n’est pas commun : au lieu de transcrire les pensées d’un seul personnage, c’est l’opinion de tout un quartier qu’il exprime. 1. Un quartier unanime. Plusieurs indices montrent que Zola adopte ce point de vue collectif. Le mot « quartier » apparaît explicitement. L’expression « le quartier trouvait » tend à le personnifier puisqu’il est sujet d’un verbe d’opinion. Le pronom indéfini « on » est récurrent : on le trouve quatre fois. Il montre l’anonymat de ce point de vue diffus. D’autres expressions insistent sur l’unanimité de l’opinion : « il n’y avait qu’une voix », « tout le monde ». Nous pouvons remarquer que jamais Zola n’utilise le pluriel pour caractériser l’opinion de la rue, ce qui tend à en faire un personnage à part entière, qui joue un rôle dans le destin du personnage au succès duquel il participe. Les verbes d’énonciation ou d’opinion sont nombreux : « trouvait », « clabaudait », « reconnaître », « disait »(x2).  2. Le discours indirect libre .L’insertion du discours rapporté est discrète puisque Zola utilise le discours indirect libre qui intègre à la description des paroles. Le rythme et les structures de phrases « naturelles » semblent sortir d’une conversation : « n’est-ce pas ? », «Enfin, c’était une jolie blonde », « Elle devenait gourmande ; ça, tout le monde le disait ». (On imagine presque le hochement de tête de la commère anonyme qui prononce cette phrase, au moment où elle dit « ça ») Ce sont surtout les tournures familières, parfois pittoresques, qui apparentent la description à un discours : « clabaudait », « une bouche pas plus longue que ça », « elle avait la veine », « elle travaillait toujours dur, se mettant en quatre ». Le portrait, grâce à ce vocabulaire populaire, semble plus réaliste, et y gagne en originalité. 3. La fonction du point de vue L’utilisation d’un tel point de vue a aussi un sens romanesque. L’importance de l’opinion du quartier est ainsi mise en valeur et souligne la popularité de Gervaise à cette période de sa vie. Cette focalisation collective fait de Gervaise un personnage public d’importance : c’est une commerçante qui a une place de choix dans la vie sociale du quartier. Mais ce point de vue souligne aussi le rôle de juge qu’a le quartier. On constate par exemple l’indulgence du peuple à l’égard de certains défauts de Gervaise : la gourmandise et l’embonpoint du personnage sont perçus comme un signe de réussite sociale. Ce jugement deviendra plus sévère au fil du roman, puisque cette icône populaire finira exclue. TransitionLe point de vue de l’opinion publique consacre donc Gervaise à cette période de sa vie en l’élevant au rang d’héroïne du quartier. Il permet aussi à Zola d’établir un portrait original de son personnage. II. Le portrait de GervaiseGervaise est décrite à la fois de façon directe et de manière indirecte, à travers ses gestes et ses attitudes. On peut se demander en quoi les traits de Gervaise tels qu’ils sont évoqués annoncent l’évolution ultérieure du personnage. 1. La caractérisation directe du personnage Zola utilise un vocabulaire mélioratif qui met directement en valeur Gervaise aussi bien sur un plan moral (elle est « gentille » et courageuse) que sur un plan physique, qui est plus développé : avec ses « grands yeux », sa « bouche pas plus grande que ça », ses « dents très blanches ». Le procédé d’accumulation renforce la valorisation du personnage. Elle n’est pas loin des héroïnes de roman les plus conventionnelles, car c’est une « jolie blonde » et même « parmi les plus belles », ce superlatif confinant à l’hyperbole. Mais le réalisme de Zola est perceptible car l’éloge admet une concession : « sans le malheur de sa jambe ». D’ailleurs, il y a une progression dans la description, car le portrait s’attarde ensuite sur les faiblesses de Gervaise. Les expressions mélioratives s’allient à des mots péjoratifs : « ses traits fins (+) s’empâtaient (-)» « une lenteur (-) heureuse (+) ». Ces alliances de mots nuancent le tableau trop idéal. La description se fait ensuite indirectement. 2. La caractérisation indirecte  Zola caractérise en effet son personnage à travers des gestes et des habitudes. Il présente une sorte de cliché figé de son héroïne dans une posture rêveuse : « Maintenant, elle s’oubliait parfois sur le bord d’une chaise, le temps d’attendre son fer » La caractérisation indirecte est moins élogieuse car, ambiguë, elle peut être interprétée comme exprimant une sorte de mollesse. On retrouve le procédé des alliances de mots : dans « sourire vague », l’adjectif annule la bonne impression du sourire, de même « face noyée » a une connotation morbide alors que l’expression « joie gourmande » est très positive.  Son courage est enfin évoqué avec insistance à travers ses pratiques professionnelles: « elle travaillait toujours dur », jusqu’à passer « elle-même les nuits, les volets fermés ». On remarquera la modalité itérative de ce récit, qui met en valeur la récurrence de ses activités nocturnes. 3. La préfiguration de l’évolution du personnage.  Ce qui apparaît au quartier comme un signe de réussite sociale, l’embonpoint de Gervaise, peut sembler a posteriori annonciateur  de sa déchéance ultérieure : on perçoit déjà une dégradation de la beauté de Gervaise (« ses traits fins s’empâtaient »), et sa passivité béate semble menaçante, parce qu’elle est présentée comme quelque chose de nouveau ; c’est une évolution du personnage : « maintenant, elle s’oubliait parfois ». Cette mollesse latente s’oppose à son hyperactivité nocturne. Derrière le point de vue du quartier, très indulgent envers Gervaise, se profile celui du romancier, qui a plus de recul : il surplombe l’histoire de son héroïne, et il introduit dans son portrait, alors même qu’elle est à son apogée, les germes de la dégradation à venir. BilanLa caractérisation du personnage, à la fois directe et indirecte, est donc nuancée : derrière l’éloge on perçoit les failles de l’héroïne. ConclusionAprès avoir étudié la focalisation originale de cet extrait, qui adopte le point de vue collectif de tout un quartier, nous avons relevé l’ambiguïté du portrait de Gervaise : il est certes globalement élogieux, mais il révèle aussi des faiblesses qui peuvent préfigurer la chute ultérieure du personnage. En effet, le dénouement montre que Gervaise  meurt alcoolique, marginalisée. La société qui fait son éloge au moment de son petit succès commercial est la même qui va l’exclure impitoyablement. Dissertation Analyser le sujet· On peut répondre à la question posée par oui ou par non : le plan attendu dans cette dissertation est donc de type dialectique (« thèse-antithèse »et éventuellement « synthèse »). Commencez par développer le point de vue avec lequel vous êtes le moins d’accord.· Faites une liste de livres qui racontent le déclin d’un personnage ; quel est leur intérêt ? Faites une liste de romans qui racontent au contraire la réussite d’un personnage et demandez-vous la même chose. Enfin, dressez une troisième liste qui regroupe des œuvres pour lesquelles il est plus difficile d’identifier la trajectoire du personnage, entre échecs et réussite… Pensez à varier vos exemples : le sujet porte sur toutes les sortes de romans : pensez aux policiers, à la science fiction, autant qu’au naturalisme ou aux romans picaresques… IntroductionLes héros des romans picaresques sont des aventuriers qui cherchent à réussir. Au XIXe siècle, dans les romans de Balzac, Rastignac se lance à la conquête de Paris,  tout comme Bel Ami, de Maupassant. L’envie de réussir est aussi leur moteur. A l’opposé, dans l’Assommoir, Gervaise meurt d’alcoolisme dans le plus grand dénuement. Le déclin des personnages représente-t-il un intérêt romanesque aussi vif que leur réussite, liée à la notion même d’héroïsme ? L’échec peut-il être un moteur de l’intrigue aussi captivant que le succès ?  Tout d’abord, il peut paraître naturel de tenir à ce que les héros de roman tournent bien. Mais nous verrons aussi pourquoi les oeuvres décrivant le déclin d’un personnage sont souvent passionnantes. Enfin, nous nous demanderons si la question de la réussite ou de l’échec du personnage n’est pas à relativiser. I. L’intérêt de voir les héros réussir Le lecteur a souvent comme premier réflexe d’espérer le succès des héros de roman. Pourquoi les héros de roman qui réussissent sont-ils intéressants ? 1. Une identification du lecteur favorisée Tout d’abord, un personnage qui réussit encourage le lecteur à s’identifier à lui…On peut penser qu’a priori il suscite plus d’enthousiasme. Les romans picaresques semblent animés d’une énergie positive qui suscite le plaisir de la lecture. Ainsi, Gil Blas de Santillane présente un héros dynamique, à la recherche de sa bonne fortune, et ses aventures ont un côté jubilatoire. Le lecteur espère naturellement la réussite des héros qu’il accompagne, et le succès que le personnage rencontre dans ses entreprises est souvent proportionnel à l’élan que le lecteur peut ressentir dans sa lecture. C’est d’ailleurs un des principes du roman policier où l’on attend que l’enquêteur résolve l’énigme. 2. Les personnages qui déçoiventA contrario, on peut être déçu par un personnage qui se révèle médiocre. C’est le cas de l’héroïne d’Une vie de Maupassant, sa naïveté, l’échec de son mariage avec un imposteur peuvent décevoir le lecteur. Emma Bovary est aussi un personnage déceptif ; sa mort à la fin du roman est un passage particulièrement pathétique, suivie par celle de Charles, et ironiquement par le triomphe du pharmacien Homais. Le romancier joue alors avec les attentes du lecteur : il met en scène des anti-héros. Ceux-ci ne peuvent provoquer les mêmes réactions conventionnelles que n’importe quel ouvrage sentimental basique : à la lecture d’un roman dit « à l’eau de rose », le plaisir de voir une jeune femme d’origine modeste, de préférence infirmière ou institutrice,  épouser un homme riche et puissant est programmé.  3. Les valeurs héroïquesOn peut estimer enfin  que la réussite d’un personnage peut correspondre à un système de valeurs héroïques qu’il serait dangereux de remettre en cause : heureusement, ce n’est pas John Silver qui triomphe dans L’Ile au trésor de Stevenson, mais le jeune Jim et ses amis. Dans les romans de Victor Hugo les bons l’emportent aussi sur les méchants : dans Les Misérables, Jean Valjean est un homme qui réussit à devenir un riche industriel, maire de sa ville, alors qu’il n’était qu’un bagnard. Certes,  il doit renoncer à sa situation ensuite mais il fait la preuve de sa bonté fondamentale en protégeant Cosette, et sa vie reste un modèle, sur tous les plans. Victor Hugo, à travers la réussite de ce héros, défend une certaine conception de la vie, idéaliste. La réussite d’un personnage peut être celle d’un système de valeurs.TransitionNous avons constaté que la réussite du héros de roman peut favoriser la dynamique de lecture, ou soutenir des valeurs positives, mais faut-il pour autant en conclure que toutes les œuvres qui racontent le déclin d’un personnage soient dépourvues d’intérêt ? II . L’intérêt des personnages en échecMépriser toutes les œuvres qui se terminent mal pour le héros reviendrait alors à condamner bon nombre des monuments de la littérature… Car il faut bien le constater : raconter le bonheur constant d’un héros n’offre pas autant de matière littéraire que faire le récit de ses malheurs, pour plusieurs raisons.1. Leur aspect pathétique Un personnage qui ne réussit pas peut susciter l’émotion, la pitié.  Dans Une maison pour Mr Biswas, de V.S Naipaul, le héros est très médiocre : il est même méprisé par sa propre famille. Pourtant, il en devient touchant. Poil de carotte de Jules Renard joue également sur le registre pathétique, ou bien Les malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur ou pire encore Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos : ces romans racontent les malheurs de jeunes enfants, et jouent donc sur la corde sensible du lecteur.2. Leur valeur didactique De plus, les malheurs des personnages sont souvent instructifs. Leurs cas parfois tragiques peuvent marquer et servir de leçon. Dans son roman Une saison blanche et sèche, André Brink dénonce l’apartheid en Afrique du Sud, à travers l’histoire d’un professeur blanc qui se trouve rejeté par tous, persécuté, parce qu’il a décidé d’enquêter sur la disparition du fils d’un domestique noir. Dans 1984, de Georges Orwell, la lutte clandestine du héros contre un système totalitaire  échoue: ce roman d’anticipation nous fait prendre conscience des dangers du totalitarisme. Ces exemples montrent que le malheur où sombrent les personnages peut avoir une fonction dénonciatrice, et servir une cause, en provoquant un sentiment de révolte chez le lecteur.3. Leur valeur expérimentale et réaliste D’autre part, pour les romanciers naturalistes, il s’agit avant tout de montrer la vérité telle qu’elle est. Zola affirme que « l’artiste a le droit de fouiller du cadavre humain, de s’intéresser à nos plus petites particularités (…) dans nos joies et dans nos douleurs » (Mes haines, causeries littéraires et artistiques, texte C) Pour lui, cet aspect expérimental permet d’exposer sans détour la réalité humaine, afin d’essayer de mieux la comprendre. Le destin de Gervaise dans l’Assommoir illustre les ravages de l’alcoolisme, en suivant les différentes étapes de cette chute. Transition  Nous avons pu constater que le déclin des personnages était intéressant pour trois raisons au moins : il pouvait susciter la compassion, servir de leçon, ou refléter la réalité humaine avec réalisme. Mais la réussite ou l’échec des personnages d’un roman peuvent-ils vraiment être un critère pour juger la valeur d’une oeuvre ? III. La difficulté de juger une œuvre en fonction de la réussite ou du malheur de ses personnages Il peut tout d’abord s’avérer très difficile d’évaluer réellement la réussite d’un personnage, et d’autre part, d’autres critères peuvent sembler plus déterminants pour juger la qualité d’un roman. 1. Quelle réussite ? Certains personnages connaissent une ascension sociale fulgurante, mais le succès de leur carrière a parfois des causes peu avouables : le lecteur n’idéalise pas Bel Ami, qui parvient à ses fins grâce à ses succès féminins. Le cynisme du héros de Maupassant pousse le lecteur à relativiser sa réussite, qui n’est pas éclatante pour sa moralité. C’est la même chose pour le Paysan parvenu de Marivaux, qui est un personnage moins cynique, mais qui se sert aussi de ses succès féminins pour s’élever dans la société. Dans Les Choses de Pérec, l’ascension sociale du couple de héros repose sur leur esprit matérialiste, qui n’a d’égal que leur médiocrité. On ne peut donc pas dire que les victoires sociales remportées par les personnages soient une « réussite »  sur tous les plans : elles cachent parfois l’échec d’un système de valeurs.2. Quel déclin ? De même, il est parfois difficile d’évaluer la défaite des personnages. Dans Germinal, la famille Maheu paye un lourd tribu : plusieurs de ses membres sont morts tragiquement, dont le chef de famille, et le mouvement social lancé par Lantier a échoué ; leur misère est donc pire qu’avant. Pourtant Zola finit son roman sur une note d’espoir (qui justifie le titre) : cette histoire illustre le début d’un mouvement social important, les ouvriers ont commencé à se révolter contre leur exploitation, à se montrer solidaires, et cet échec n’est qu’un premier pas qui porte les « germes » d’une révolution. Comment évaluer également l’échec de Julien Sorel ? Le héros du Rouge et le Noir finit mal, après sa tentative de meurtre contre madame de Rênal, mais n’a-t-il pas malgré tout plutôt connu une vie romanesque, lui qui n’était que le fils d’un meunier ? Les échecs des personnages sont donc très difficiles à évaluer.4. Les véritables critères de l’intérêt d’un romanCe n’est donc pas la trajectoire du personnage qui fait la valeur d’un roman en soi. C’est un ensemble de qualités qui le rendent intéressant : style, structure, originalité, sensibilité... On peut constater que Marivaux n’a pas voulu finir ses romans, laissant inachevés La vie de Marianne et Le paysan parvenu : leur vie finit-elle bien ? En tout cas, elle continue, à nous de l’imaginer…  ConclusionNous avons constaté que les romans pouvaient être intéressants aussi bien quand ils racontaient la réussite d’un personnage que quand ils retraçaient son déclin. Ce n’est finalement pas un critère opérant pour déterminer la valeur d’une œuvre, bien d’autres éléments font l’intérêt d’un roman. Il faut parfois relativiser les succès d’un personnage odieux, ou les échecs d’un autre plus sympathique, qui faute de réussir dans sa vie romanesque, parviendra à nous plaire et à nous toucher… Nous devrions sans doute réfléchir avant tout à  ce que signifie «  réussir sa vie »… Invention Analyser le sujet· Le texte de Zola contient déjà les prémisses d’un dialogue puisqu’il imagine dans le deuxième paragraphe ce que pourraient dire ses adversaires. Vous pouvez vous en inspirer pour commencer la conversation.Ne vous limitez pas cependant aux idées contenues dans l’article de Zola : faites preuve d’imagination personnelle, notamment en vous appuyant sur des exemples précis d’œuvres naturalistes.Attention au relâchement du style, souvent favorisé par le dialogue. Vous devez faire parler ensemble deux hommes de lettres, et les familiarités n’ont pas leur place dans la conversation ! Par hasard, Emile Zola rencontre dans le salon de son éditeur un célèbre critique littéraire, connu pour ses prises de position contre les écrivains naturalistes.Emile Zola prend l’initiative d’entamer la conversation, après une première salutation, plutôt froide, accompagnée d’un regard défiant: « Cher monsieur, j’ai déjà lu plusieurs de vos articles qui condamnent sévèrement le réalisme d’un certain nombre de nos romans contemporains. Me voilà face à vous pour en débattre.-Je ne suis pas fâché de vous rencontrer. Je me désole en effet de cette mode du réalisme, que vous appelez aussi naturalisme, et qui gagne de plus en plus de nos romanciers. (Soupir) Vous-même n’avez pas manqué d’y succomber…- Moi, j’aurais succombé à une mode ? Une nouvelle page de la littérature est en train de se tourner, et j’y participe. Je ne subis pas un nouvel engouement collectif. Je crée, monsieur, une nouvelle façon d’écrire des romans. Ils contiennent des pages d’une vérité effrayante, et c’est sans doute leur franchise brutale qui blesse votre délicatesse. (Sourire ironique).- Il faut bien mettre un peu de vérité dans les romans, mais pourquoi descendre si bas ? Il y a chez vous un parti pris de provocation : la mort de Gervaise, dans l’Assommoir, cette insistance à étaler sa déchéance… C’est indigne !-Mais c’est l’alcoolisme, qui est indigne ! (Levant les yeux au ciel). Je veux ouvrir les yeux de tous sur les conditions de vie des plus humbles. Mon roman peut en aider plus d’un à comprendre la mécanique implacable de l’exclusion. Ce qui est arrivé à Gervaise peut arriver à n’importe quelle autre jolie commerçante à la mode dans son quartier…-Je ne crois pas qu’il faille aller jusque là : comment expliquez-vous la scène de violence collective indécente, qui conduit les femmes de Germinal à assassiner leur épicier en le mutilant sauvagement ? N’êtes-vous pas en plein excès délirant ? N’est-ce pas le goût du scandale qui vous fait écrire de pareilles pages ?-Et la violence faite à ces femmes par la misère, qu’en pensez-vous ? N’est-elle pas encore plus barbare ? Ce déchaînement collectif est à la mesure  de ce qu’elles subissent dans la vie. Il est tout à fait justifié dans mon roman, et peu importe le scandale… Le plus scandaleux n’est pas toujours là où l’on croit…-Je vous reproche aussi de ne plus vous préoccuper de l’art, du beau. Vos livres ne s’occupent que de la réalité, quand bien même celle-ci est laide. Nous l’avons tous les jours devant les yeux, la réalité, avec tous ses malheurs quotidiens, sa grisaille… La littérature a pour fonction de nous faire rêver, de nous distraire de nos problèmes, et pas de nous y plonger…-Je vois bien que nous n’avons pas du tout la même conception du beau et de la littérature…Pour moi, la réalité, même noire, même compliquée, même moderne, peut être belle : une mine, un grand magasin comme « Au Bonheur des dames », une locomotive à vapeur, les halles… Avez-vous jamais lu une seule de mes descriptions ? N’y avez-vous pas décelé aussi une part de grandiose, d’épique ? Je me flatte d’utiliser les métaphores et les personnifications avec un certain art, ne vous en déplaise…-Mais vous n’êtes pas Victor Hugo, monsieur Zola… Lui savait nous exalter grâce à des héros exemplaires comme Jean Valjean. Lui poursuivait un idéal, contrairement à vous…-Je vous conseille de me relire, et vous pourrez constater que je poursuis également un idéal, mais pas de la même façon. Victor Hugo était un romantique, ce qui déformait sa façon de présenter la réalité. Moi, je préfère la montrer telle qu’elle est.-Cela vous conduit à confondre la science et la littérature : vos théories sur l’hérédité qui sous-tendent toute votre œuvre, qu’apportent-elles vraiment au roman ?-Mais pourquoi diable faudrait-il opposer science et littérature ? Il ne faut pas s’opposer à tout prix au progrès, à la modernité. Vous vous enfermez dans un conservatisme littéraire des plus vains, en refusant de voir le monde évoluer.- C’est vous qui vous fourvoyez en avilissant le genre romanesque.-L’histoire rendra compte de votre erreur, monsieur. Laissez les artistes créer, vous n’en faites pas partie. Retournez tranquillement à votre journal, où je vous conseille de vous occuper désormais d’une autre rubrique : la critique littéraire n’est pas faite pour vous…-Je ne vous salue pas, monsieur. »Sur ces mots, le célèbre critique remet son chapeau d’un geste brusque, prend sa canne, et sort mécontent de la pièce. Zola a un petit sourire, puis il entre d’un pas mesuré dans le bureau de son éditeur. CorrigésSujet de bac 2 Question Analyser le sujet· La question suggère que les textes n’appartiennent pas vraiment au registre merveilleux, mais qu’ils y confinent.Cherchez des points communs entre les textes pour éviter de les traiter séparément dans votre réponse.  Les trois textes se rapprochent du registre merveilleux, pour différentes raisons. Tout d’abord, il semblent hors du temps : il n’y a pas de trace du contexte moderne. Tobie remarque que Raphaël n’a pas de montre au poignet dans le texte de Sylvie Germain. Le narrateur du Rivage des Syrtes affirme : « le sentiment du temps s’envolait pour moi ». Les personnages ont d’ailleurs un rapport fusionnel avec la nature : Jourdan est un paysan à ce point touché par le clair de lune, qu’il veut labourer en pleine nuit, le couple du Rivage des Syrtes est fasciné par un volcan, et Raphaël a des rapports familiers avec les animaux. De plus, les textes utilisent le vocabulaire du merveilleux et de l’exceptionnel. Dans Que ma joie demeure, le premier adjectif est « extraordinaire ». Dans Le Rivage des Syrtes, on trouve les adjectifs « énigmatique », « mystérieuses », « parfaite », et l’adverbe « irréellement ». Dans Tobie des marais, le mot « merveille » est sujet à quiproquo : il s’agit en fait d’une pâtisserie, mais ce mot déstabilise le narrateur. Les trois épisodes constituent donc une sorte de révélation pour les personnages : Jourdan « n’avait jamais vu ça » ; Julien Gracq utilise des phrases courtes pour exprimer la révélation que constitue le spectacle du volcan aux yeux du narrateur : « Il était là », et « Tout à coup je vis ». Il emploie  le verbe voir sans complément, comme pour un miracle. Quant à Tobie, il semble fasciné par Raphaël, qu’il trouve insolite, il est « éberlué ». Enfin, ces textes ont un lien plus ou moins direct avec des mythes bibliques. La nuit étoilée de Jourdan et le Tängri font penser à l’avent et à l’étoile du berger. Le volcan est en effet assimilé à un astre, qui « rayonnait », et fascine les personnages. Jourdan sort labourer comme s’il était attiré par les étoiles. Raphaël fait penser à un ange, à cause de son prénom, mais aussi parce qu’il semble asexué (« Est-ce un jeune homme ou une jeune femme »), et qu’il ne donne pas d’explication rationnelle à sa provenance (« Mon lieu d’origine est à la fois très loin et très proche ») A la fois atemporels et proches de la nature, ces textes qui constituent tous une révélation ont un arrière fond mythique qui les rapproche du merveilleux.  Commentaire Analyser le sujet· N’hésitez pas à utiliser les éléments de réflexion déjà esquissés dans votre réponse à la question précédente : elle vous donne déjà une direction pour faire votre commentaire. Développez-les à travers une analyse plus précise du style.· Observez la façon dont sont construites les images : quelles relations établissent-elles entre les éléments naturels ?Le corrigé vous est proposé sous forme de plan détaillé. I. L’alliance extraordinaire des éléments naturels1. Une nature agissante– les éléments naturels sont sujets de verbes d’action. D’une part, les étoiles « soulevaient », « avaient éclaté » ; d’autre part, le ciel « tremblait », « descendait » jusqu’à « toucher », « râcler », « frapper », « faire sonner » : on remarquera le procédé d’accumulation, qui accroît cette impression d’activité céleste, d’autant plus qu’il est amplifié par un procédé de gradation sonore entre les verbes à l’infinitif, qui vont crescendo. 2. L’alliance entre le ciel et la terre– les étoiles sont dès le premier paragraphe l’objet d’une métaphore filée végétale, qui commence par une comparaison avec de l’« herbe ». Ensuite, on trouve les mots « touffe », « racines », et « mottes ». Il y a une progression dans les termes de cette métaphore filée : ils vont du végétal (« herbe ») à la terre (« mottes »), en passant par les racines. -Le ciel est ensuite associé à une série d’éléments terrestres : « la terre », « les plaines », « les montagnes », « les forêts », à la rencontre desquels il semble aller. Cela donne l’impression d’une inversion du ciel et de la terre, qui est confirmée par la confusion des notions de haut et de bas à la fin de l’extrait : « il remontait du fond des hauteurs ». Il est en effet paradoxal de parler de « fond » pour une « hauteur », et on descend plutôt des hauteurs : l’expression donne le vertige. -L’aspect surnaturel de cette nuit transparaît aussi dans l’expression « des mottes luisantes de nuit » qui peut être considérée comme un oxymore, qui rend la nuit paradoxalement lumineuse. Les sonorités dentales de l’expression et sa position en fin de phrase la mettent en valeur. On trouve aussi plus loin une comparaison métallique, qui donne une matérialité au ciel, également surnaturelle.TransitionIl y a bien dans ce texte une fusion extraordinaire des éléments, avec un rapprochement du ciel et de la terre. Cela contribue à donner une résonance mythique à ce texte. II. L’aspect mythique du texte 1. Le mélange de simplicité et de grandeur-Le vocabulaire n’est pas compliqué, tout comme le personnage principal, qui est un humble paysan. Il a une pensée simple et contemplative : « Il fait un clair de toute beauté ». Il y a un contraste entre lui, le petit paysan qui essaie de dormir, et l’immensité du paysage évoquée, qui est grandiose : les pluriels de la fin du texte : « les plaines », « les montagnes », « les plaines », « les corridors des forêts » accroissent cette impression. D’ailleurs, la construction des phrases en expansion est à la mesure de l’ampleur du spectacle (ligne  à , et ligne à ).  -Le contexte peut ressembler à celui d’un conte : on n’a aucun repère d’époque. La première phrase « c’était une nuit extraordinaire » joue le rôle d’« il était une fois », et elle fait basculer d’emblée le texte dans le registre du merveilleux. 2. l’aspect biblique du texte– La nature a un aspect surnaturel inexplicable : « Il n’avait jamais vu ça », « on ne savait pas de quoi ». L’atmosphère peut faire penser à celle de « Booz endormi » de Victor Hugo, où l’alliance entre le ciel et la terre symbolise celle entre Dieu et les hommes. Le thème des étoiles qui semblent faire signe à un pauvre homme peut évoquer les bergers guidés par une étoile jusqu’à la crèche. D’ailleurs, le prénom original du  personnage « Jourdan » évoque le « Jourdain », qui est le fleuve du baptême du Christ.   DissertationAnalyse du sujet · Pas de panique ! Le sujet est long, la phrase à analyser est complexe, mais son avantage est d’être riche : elle se prête à plusieurs approches. Prenez le temps de la recopier entièrement au brouillon afin d’y réfléchir.· Décomposez la phrase pour en tirer différents thèmes : cherchez ensuite des exemples de romans qui illustrent particulièrement les éléments de la citation que vous voulez mettre en valeur.Le sujet traite du problème de l’origine des personnages : rêves et pensées. Tous sont soumis à des influences indirectes : mythes et fables, Histoire, expériences singulières. (=inconscient collectif ?)Le corrigé vous est proposé sous forme de plan détaillé. I. L’origine directe des personnages 1. La métaphore des « dormeurs clandestins »– Poétique, elle prête une vie propre aux personnages, prêts à se réveiller : les personnages seraient des personnes à part entière. Ils sont clandestins car sans existence officielle, sans papiers en quelque sorte. (On peut penser au titre de la pièce de Luigi Pirandello : Six personnages en quête d’auteur)– ils ont un aspect latent. Ils sont cachés mais restent susceptibles de se manifester. Cela veut-il dire qu’ils préexistent à l’écriture ? Les auteurs ne feraient que les tirer du sommeil où ils étaient plongés avant. Ou alors, cela signifie-t-il qu’à chaque fois qu’on lit leur histoire, on les tire de leur sommeil ? Quand dans L’Histoire sans fin, de Michaël Ende, le personnage de Bastien Balthazar Bux entre dans le livre qu’il est en train de lire, on retrouve cette impression de confusion entre les personnes réelles et les personnages de roman.  2. L’origine onirique des personnages– Certains personnages sont « nourris de nos rêves ». L’onirisme se manifeste à travers des romans particulièrement poétiques comme Le rivage des Syrtes de Julien Gracq : le paysage d’eaux mortes et des sables mouvants semble irréel, le volcan nommé Tängri est présenté comme une apparition miraculeuse, lors d’une promenade idyllique. Les personnages ne cessent d’attendre une guerre qui ne se déclare jamais, dans une sorte de torpeur.- il est vrai aussi que les personnages peuvent être idéalisés, leur vie est parfois trop belle pour être vraie. Quand, au début de la Vie de Marianne, de Marivaux, l’héroïne, à la fois jolie et intelligente, se fait justement renverser par le carrosse du jeune homme séduisant qu’elle venait de remarquer à la messe, le hasard fait bien les choses ! Le beau Valville devra secourir la charmante Marianne: ce type d’événement est typiquement romanesque. Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre est un roman qui décrit un monde idéalisé, avec des personnages plein de perfections : « Ainsi croissaient ces deux enfants de la nature. Aucun souci n'avait ridé leur front, aucune intempérance n'avait corrompu leur sang, aucune passion malheureuse n'avait dépravé leur cœur : l'amour, l'innocence, la piété, développaient chaque jour la beauté de leur âme en grâces ineffables, dans leurs traits, leurs attitudes et leurs mouvements ".3. Les personnages pensés– Selon S. Germain, les personnages sont aussi issus « de nos pensées » : certains semblent en effet avoir davantage été réfléchis que rêvés. Les anti-héros des romans réalistes ou naturalistes ont été créés pour refléter la réalité d’une certaine époque, ils répondent à une volonté expérimentale : la famille Maheu dans Germinal de Zola illustre le sort des mineurs au XIXe , Maupassant reprend la critique balzacienne de la presse dans Bel Ami, son personnage est un exemple d’arriviste cynique et veule.  II. L’origine indirecte des personnages : un inconscient collectif ? 1. L’influence des mythes et des fables.–Dans Tobie des marais, Sylvie Germain reprend librement le Livre de Tobie, issu de l’ancien Testament, qu’elle romance. Dans Que ma joie demeure, de Jean Giono, le paysan Jourdan attend un mystérieux personnage en labourant son champ en pleine nuit, appelé par les étoiles : cette attente fait penser à Noël et le personnage qui arrive ensuite change la vie de tous les habitants, comme un messie. Nombreux sont les romans marqués par les mythes. Parmi eux, on compte même des romans policiers. Daniel Pennac a créé son héros récurrent Benjamin Malaussène, en s’inspirant de la figure du « Bouc émissaire », qui marque notre inconscient collectif. De même, le genre fantastique est influencé par les mythes : Frankenstein de Mary Shelley a pour sous-titre Le Prométhée moderne. 2. L’influence de l’Histoire Sylvie Germain elle-même dans l’un de ses derniers romans intitulé Magnus a créé un personnage traumatisé par l’histoire : son père était un Nazi. On peut remarquer l’importance de la figure napoléonienne dans l’œuvre de Stendhal : dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel prend Bonaparte pour modèle ; dans La Chartreuse de Parme, Fabrice del Dongo assiste à Waterloo. On trouve aussi une évocation de Waterloo dans Les Misérables, de Victor Hugo, roman parcouru lui aussi par les frissons de l’histoire, puisque ses scènes de barricades dans Paris sont restées célèbres avec le personnage de Gavroche. 3. L’influence des « voix singulières »– Quand elle parle de « voix singulières, plus ou moins confuses », Sylvie Germain veut parler de destins individuels, qui marquent plus ou moins directement les romanciers. On peut penser au personnage réel de la mère de Marguerite Duras dont celle-ci romance la vie dans Un barrage contre le Pacifique : veuve, cette femme a fait preuve d’un courage héroïque pour protéger de la mer ses rizières régulièrement détruites par les inondations, en vain.– Parfois, les influences sont moins explicites, les réminiscences de paroles, les anecdotes, les traits de personnes réelles surgissent dans les romans, plus ou moins volontairement, de façon fragmentaire. Il n’est pas toujours possible de les déceler… Invention Analyser le sujet· Les suites de texte doivent s’adapter au style de l’auteur, et au registre, ici proche du merveilleux. Continuer le dialogue peut sembler dans un premier temps le plus logique.. ·  Soyez cohérent dans le développement de l’intrigue. Ici, cette scène de première rencontre semble sceller un épisode déterminant dans la vie du narrateur. Que peut lui proposer Raphaël, connaissant son mode de vie ? La suite réelle du texte

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