?Le roman de Laclos est souvent rattaché à la littérature libertine qui s'est développée au 18ème siècle. Les Liaisons dangereuses forment-elles une oeuvre libertine ?
Publié le 16/10/2010
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ANALYSE DU SUJET
Le sujet inscrit l'œuvre de Laclos dans son temps et propose une étiquette précise en suggérant que le roman est un roman libertin. Le 18ème siècle propose en effet toute une production littéraire dont le libertinage amoureux est le motif majeur : sont mis en scène des personnages, des nobles, dont l'unique préoccupation est de mener à bien leurs intrigues galantes. Ces personnages sont exclusivement à la recherche de plaisirs, ils cultivent celui des mots, et le libertinage d'être associé à un jeu cérébral, intellectuel et glorieux. Une certaine crudité règne alors dans les œuvres libertines qui frisent parfois la trivialité et ont pour but de générer le propre plaisir du lecteur. Bien que la catégorie ne soit plus exactement pertinente pour notre époque, elle recouvre toutefois une production artistique dans laquelle les rapports entre les sexes sont majeurs et la question peut très bien s'étendre au film de Frears.
PROBLÉMATIQUE
Il n'est pas rare de trouver dans les dictionnaires, le roman de Laclos à la rubrique libertinage, roman libertin. C'est cette classification que le sujet questionne et qu'il faut vérifier dans le devoir. Laclos a-t-il écrit une œuvre exclusivement libertine ? Quelle vision du libertinage donne-t-il ? S'agit-il d'une apologie ? Ou bien d'une représentation critique ? Quel traitement Stephen Frears propose-t-il de cet aspect incontournable de son œuvre source ? On fera apparaître les limites d'une telle classification en s'interrogeant sur les effets, la visée de la mise en scène du libertinage dans Les Liaisons dangereuses.
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction
mettant en scène des « libertins «, personnages aristocratiques, tout occupés à leur plaisir et aux moyens non seulement d'y parvenir mais aussi de le multiplier. Si, par son contenu, ses personnages mis en scène et le jeu qu'ils jouent, le roman de Laclos est un roman libertin, il faut aussi rappeler que par bien des aspects il n'adhère pas au libertinage et en propose une représentation très critique qui en montre les pièges. Frears, dans son film, respecte ce point de vue.
I - Un roman libertin
1. Une intrigue libertine
Ton donné dès les premières notes du roman comme du film : à la demande explicite faite à Valmont par Mme de Merteuil de « former « la jeune Cécile avant son mariage répond son projet de séduire Mme de Tourvel, modèle de vertu et de fidélité conjugale (let. 2 et 4/séq. 3). Le jeune Danceny qui « raffole « vite de la petite Volanges rentre dans le jeu. Nombreuses intrigues galantes parallèles des deux protagonistes principaux en contrepoint dans le roman (Prévan/Belleroche/Émilie/la Vicomtesse de *).
2. Des protagonistes libertins
Personnages propres au genre : jeunes innocents, femmes vertueuses, parmi lesquelles la prude inaccessible, et libertins avérés. Valmont a une « réputation « à tenir. Ils ont déjà à leur actif maintes « aventures « et passent de l'une à l'autre. C'est leur activité principale, redoublée dans le roman par le récit détaillé qu'ils se font de ces histoires « plaisantes « et dont ils se félicitent mutuellement.
3. La recherche du plaisir
« Unique mobile de la réunion des deux sexes «, selon la marquise (let. 131). Objectif principal. Le vocabulaire du plaisir domine les lettres des deux libertins et leur conversation dans le film. Toutefois, plaisir sexuel, peu évoqué pour lui-même ; valeur dramatique et non érotique des scènes d'étreinte, très discrètes dans le film. Plus important est le plaisir pris à mener la conquête — Valmont « goûte les lenteurs « de son entreprise auprès de Mme de Tourvel (let. 96) — et à la raconter. Un sommet est atteint dans les lettres 47/48 où Valmont joue sur la polysémie des mots « plaisir/transport/amour « et montre toute son ignominie.
Pas de complaisance de Laclos à l'égard du libertinage dont il montre les excès.
II - Critique du libertinage
1. Des libertins scélérats
Mise au point des « roueries « (let. 2) qui visent à débaucher, à détourner du droit chemin. Tous les coups sont permis : mensonge, vol, chantage, violence. Caractère effrayant des deux complices qui maîtrisent tout : cf duplicité de Mme de Merteuil à la fois confidente de la mère et de la fille, puis de l'amoureux et de l'amant. Imbrication des scènes (séq. 2) et juxtaposition des plans (séq. 15) dans le film soulignent la très grande habileté des libertins. Celle-ci fonctionne y compris entre eux : cf Mme de Merteuil contre Prévan.
2. Des victimes bien faibles
Femmes : proies faciles pour leurs prédateurs. Valmont dans le film traité comme un animal tourmentant sa proie (séq. 7 et 9). Isolement des victimes en raison des bienséances. Valeurs et fonctionnement de la bonne société, faibles remparts contre la raison froide et calculatrice des libertins qui agissent comme des stratèges. Combat inégal qui mène au désastre.
3. Un dénouement tragique
Ce qui devait être « la fable de Paris « (let. 2) et le grand exploit de Valmont devient un véritable drame dont l'issue est tragique : double mort, double exil, effroi des rescapés et bannissement. La perversité des libertins est terriblement destructrice.
III — Les pièges du libertinage
1. Une quête insatiable : alternance conquête/séparation à cause de l'ennui. L'ennui, « une loi de la nature «, parmi les arguments de la lettre de rupture (let. 141). Nécessité constante d'accomplir de nouveaux exploits et d'être « inventif « (let. 113). Or Valmont perd ses moyens (let. 110) face à Mme de Tourvel, si différente des autres (let. 6).
2. Le « libertin amoureux « (let. 57) : Oxymore et paradoxe. Charme « inconnu « et durable auprès de la Présidente (let. 125). Refus de l'état amoureux qui « l'attache « (let. 96). Il veut rester « libre « (let. 133) comme la marquise qui rejette son attitude « maritale « (let. 152— séq. 23).
3. Libertins pris au piège
— de leurs principes. Pris au piège de leur vanité. Mise à mort de ce qui faisait leur bonheur. Grande violence de la scène de rupture dans le film (séq. 27). Insistance de Frears sur l'amour de la marquise pour Valmont. Sont aussi piégés par les lettres où ils se sont confiés.
— de leur liaison dangereuse : les complices rivalisent de conquêtes. Humiliation mutuelle. Fil rouge très net du film posé dès le générique et présent dans chaque scène.
Conclusion
Les deux libertins finissent mal, en héros tragiques en quelque sorte. Valmont et Merteuil fascinent et effraient dans le même temps, et leur sort génère notre pitié. Ils incarnent le libertinage, ses principes, ses dangers, ses ravages. Les Liaisons dangereuses sont bel et bien une œuvre libertine mais lucide et critique.
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