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le role de l'historien est il de juger ?

Publié le 23/03/2014

Extrait du document

Introduction Nous attendons d'un livre d'histoire qu'il nous donne une connaissance de son sujet. Si certains historiens sont aussi de bons écrivains, nous ne voulons pas, en les lisant, éprouver une satisfaction purement esthétique. Le romancier peut prendre des libertés avec son sujet et faire ainsi le bonheur de son lecteur. L'historien, pour sa part, livre le fruit d'un travail axé sur le souci de la vérité. Il est donc inévitable que l'objectivité soit pour lui une valeur essentielle et problématique. Elle constitue la preuve de la validité de sa recherche. Cela amène à penser que le rôle de l'historien est d'expliquer les faits en nous montrant leurs causes et en les reliant à leurs conséquences. C'est pourquoi il est permis de se demander si le jugement a sa place dans l'enquête historique. Juger semble impliquer une prise de parti incompatible avec l'exigence de scientificité. Toutefois, ce verbe a plusieurs sens, qu'il s'agit d'étudier. Empêche-t-il forcément de connaître avec rigueur ? 1. Une démarche méthodique A. L'exactitude Au sens courant du mot, objectivité est synonyme de neutralité complète. Il faudrait être capable d'énoncer ce qui est, ou de rappeler ce qui fut, en faisant abstraction de tout point de vue non seulement partisan, mais même particulier. L'idéal serait d'embrasser la totalité d'un sujet en n'étant soi-même situé nulle part. C'est en ce sens que Fénelon affirme qu'un bon historien « n'est d'aucun temps ni d'aucun lieu ». La capacité à se détacher totalement des conditionnements exercés par son milieu d'existence devient la condition de possibilité d'un discours objectif, c'est-à-dire fidèle à la réalité qu'il rapporte. La vérité du propos est donc, ici, pensée sur le modèle de l'exactitude d'un compte rendu. Elle réclame la suspension de tout parti pris, qu'il soit national, religieux ou politique. Cette ambition nous avertit de la puissance des préjugés. Descartes rappelle que « nous avons été enfants avant que d'être hommes » afin de nous sensibiliser au poids, souvent inaperçu, des idées acquises sans examen. L'historien doit en être particulièrement conscient puisqu'il prétend connaître des époques différentes de la sienne. B. Le positivisme Cet idéal d'objectivité se caractérise d'abord par l'attachement aux faits, par opposition aux reconstructions dues à la fantaisie ou aux idéologies partisanes. Auguste Comte, qui crée la philosophie positive au milieu du XIXe siècle, désigne par cet adjectif l'esprit soucieux de précision, d'exactitude et d'attachement au réel contre tous les fantasmes de l'imagination. Cela correspond bien à l'idée d'objectivité. En histoire, les manuels positivistes affirmaient que la connaissance n'était possible que sur la base de documents établis avec soin et reliés de façon incontestable. Cette théorie a donc apporté une attention toute particulière à la notion de critique. Une première série de démarches interroge le document sous son aspect externe. Il s'agit d'établir son authenticité et sa provenance. Est-ce un original, une copie, et comment nous est-il parvenu ? La dimension interne consiste à déterminer la crédibilité du témoignage. L'auteur a-t-il pu, voulu ou été contraint de nous tromper ? L'historien dégagera alors de ce travail une interprétation fondée sur des faits objectivement constatables. Il y a donc des règles de méthode à respecter. 2. Histoire et mémoire A. La vision morale de l'histoire Le positivisme n'exclut pas tout jugement. Il refuse le simple avis dû à une opinion partielle et mal documentée, mais il admet que l'historien doive hiérarchiser, évaluer les documents qu'il découvre. La connaissance qu'il obtient n'est pas le fruit d'une intuition, mais d'une lente élaboration. L'intérêt de cette position se comprend mieux à la lumière de certains ­phénomènes actuels. Nous assistons, en effet, à une montée des revendications liées à la mémoire d'événements brutaux et massifs comme le furent le colonialisme, et, plus encore, l'esclavage. Ces mémoires sont nourries d'expériences vécues ou transmises. Elles raniment des souffrances et justifient des revendications. Les descendants de ceux qui subirent l'injustice demandent réparation, ou au moins la reconnaissance par les anciens oppresseurs du caractère inadmissible des actes commis. Ainsi s'est développée une vision morale de l'histoire qui la conçoit comme un domaine divisé en deux camps. L'augmentation des lois dites mémorielles témoigne de la force de ce sentiment. Il semble donc possible de juger l'histoire au nom de la mémoire et de la notion de crime contre l'humanité. Cette dernière s'érige en tribunal et rend des verdicts. B. La critique de la mémoire Une telle attitude paraît irrécusable, mais elle comporte des dangers que des historiens ont relevés. Ainsi, Pierre Nora souligne que la morale propre à l'historien « consiste à chercher obstinément la vérité, à être intellectuellement honnête ». Il ne s'agit évidemment pas de nier les faits, mais de travailler à les connaître en les insérant dans des ensembles explicatifs cohérents. La condamnation ne doit pas se substituer à ce travail de la raison. L'historien, dit Nora, « n'est pas chez lui dans un monde où il n'y a que le Bien et le Mal ». La mémoire est une dimension importante mais elle est liée à trop de passions pour prétendre se substituer à l'histoire. Les Grecs l'indiquaient déjà. Clio, Muse des historiens, est fille de Mémoire. Il est clair que les hommes n'auraient pas une histoire dont ils seraient ­conscients s'ils n'étaient pas dotés de la capacité de se souvenir et de laisser des traces des événements. Mais la connaissance historique a son originalité, tout comme une fille n'est pas identique à sa mère. La mémoire est toujours celle d'un groupe, qui l'entretient d'autant plus qu'il y voit le socle de son identité. Elle est donc marquée par des attachements affectifs forts, et l'évolution des situations la soumet à des déformations, voire à des manipulations. Il faut donc refuser sa prétention à s'ériger en norme unique de tout jugement du passé. Transition Il reste à mieux définir la façon dont l'historien procède. Quel degré d'objectivité peut-il atteindre ? et quel type de jugement prononce-t-il ? 3. La subjectivité historienne A. Observation et analyse Il apparaît nécessaire d'ordonner le réel par la pensée, de le reconstruire afin de le connaître. Duby compare d'abord l'historien à Fabrice Del Dongo, le jeune héros de Stendhal qui, jeté au milieu de la bataille de Waterloo, ne comprend rien à ce qui s'y produit. Il est donc indispensable de théoriser pour obtenir un savoir. Marc Bloch a nommé observation et analyse les procédures théoriques du métier d'historien. La première élabore les matériaux du savoir. Le document est déjà le fruit d'une décision du chercheur, et l'histoire moderne a énormément étendu sa définition. Tout peut être document selon le problème que le chercheur élabore. C'est lui qui érige au rang de trace signifiante ce qui peut être jugé inintéressant par un autre. L'analyse, pour sa part, constitue des séries explicatives permettant de cerner un événement. La Révolution française, par exemple, est à étudier d'un point de vue politique mais aussi social, économique, religieux et philosophique afin de la rendre intelligible. La multiplication des approches aboutit à ­constituer de véritables savoirs. Identifier ces thèses sur le passé à de simples opinions témoigne de l'inculture de celui qui l'affirme. Le travail de recherche exige de grands efforts d'abstraction qui rapprochent l'historien du scientifique. Tous deux élaborent leur domaine, et Raymond Aron dit en ce sens que la « théorie précède l'histoire ». Cette affirmation ne signifie pas que les faits soient inventés, mais qu'ils n'ont de valeur pour la connaissance qu'insérés dans des analyses qui les mettent en relation. B. Le jugement historique Ce dernier point nous permet de clarifier définitivement la notion d'objectivité. Elle n'est pas synonyme de restitution du passé tel qu'il a été. Cette assimilation est la source de nombreuses confusions. L'étymologie nous apprend qu'objectiver signifie « placer devant soi ». C'est donc une opération de pensée. Il n'y a d'objet que pour un sujet qui le forme. La vérité n'est pas de l'ordre du constat, mais du jugement après enquête. Il reste à déterminer les difficultés particulières à cet exercice dans le cas de la connaissance du passé. Dans son Apologie pour l'histoire, Marc Bloch souligne les difficultés liées à l'interprétation du vocabulaire. Le chimiste a forgé sa propre langue. Les signes qu'il utilise sont univoques et ne valent qu'à l'intérieur de son domaine. L'historien n'a pas cette ressource. Il travaille avec les mots de la langue courante, et il les reçoit chargé d'une épaisseur sémantique qui en obscurcit la compréhension. « Pour donner des noms à leurs actes – note Bloch – à leurs croyances et aux divers aspects de leur vie de société, les hommes n'ont pas attendu de les voir devenir l'objet d'une recherche désintéressée. » L'historien hérite ainsi d'un « vocabulaire déjà fatigué et déformé par un long emploi ». Le risque est grand de se méprendre sur le sens que les hommes de l'époque donnaient aux mots que nous lisons dans leurs écrits. La « tyrannie » grecque est-elle synonyme de nos modernes dictatures ? « L'empire » a-t-il la même connotation au Moyen Âge qu'aujourd'hui ? Il ne suffit pas de compter les années pour prendre la mesure du passage des siècles. Il a creusé, entre le passé et nous, une différence qualitative. Un autre obstacle vient de l'usage de la notion de causalité. Le scientifique élabore des lois, c'est-à-dire des relations constantes et déterminées entre des paramètres, certaines conditions étant posées. L'historien essaye aussi de dégager des enchaînements rendant le réel intelligible, mais l'idée de cause est chez lui équivoque. S'agit-il de l'événement le plus proche de celui que l'on étudie, d'un ensemble de facteurs dessinant la caractéristique d'un moment ou d'une structure permanente ? Il y a toujours des causalités à étager sur différents plans. Ces difficultés justifient la différence entre expliquer et comprendre. Le scientifique étudie des phénomènes répétables, l'historien des réalités humaines particulières. La Seconde Guerre mondiale n'est pas la reproduction de la Première en dépit de la présence des mêmes belligérants. Les hommes ne sont pas poussés en aveugle par des causes physiques, ils agissent en suivant des mobiles et des motifs dictés par leurs projets, ce qui justifie la présence d'une sympathie contrôlée par l'observation et l'analyse. Cette tension entre l'effort méthodique d'objectivation et le jugement interprétatif est récapitulée par Marrou quand il écrit que « l'histoire est vraie dans la mesure où l'historien possède des raisons valables d'accorder sa confiance à ce qu'il a compris, de ce que les documents lui révèlent du passé ». Elle n'est pas une science au sens des mathématiques, mais « un acte de foi assorti de préambules rationnels ». Conclusion Au terme de ce parcours, il est possible de répondre au sujet. Le jugement fait partie du travail de l'historien. Il n'est pas un spectateur détaché qui saisirait d'un coup d'½il la totalité d'une situation qu'il se bornerait ensuite à nous exposer. Mais son implication est particulière. L'historien refuse les avis hâtifs de l'opinion, tout comme les condamnations morales appuyées sur la seule mémoire. Il travaille à connaître. Le jugement intervient après réflexion. C'est une recherche et une évaluation raisonnées.

« des idées acquises sans examen.

L'historien doit en être particulièrement conscient puisqu'il prétend connaître des époques différentes de la sienne. B.

Le positivisme Cet idéal d'objectivité se caractérise d'abord par l'attachement aux faits, par opposition aux reconstructions dues à la fantaisie ou aux idéologies partisanes.

Auguste Comte, qui crée la philosophie positive au milieu du XIXe siècle, désigne par cet adjectif l'esprit soucieux de précision, d'exactitude et d'attachement au réel contre tous les fantasmes de l'imagination.

Cela correspond bien à l'idée d'objectivité.

En histoire, les manuels positivistes affirmaient que la connaissance n'était possible que sur la base de documents établis avec soin et reliés de façon incontestable.

Cette théorie a donc apporté une attention toute particulière à la notion de critique.

Une première série de démarches interroge le document sous son aspect externe.

Il s'agit d'établir son authenticité et sa provenance.

Est-ce un original, une copie, et comment nous est-il parvenu ? La dimension interne consiste à déterminer la crédibilité du témoignage.

L'auteur a-t-il pu, voulu ou été contraint de nous tromper ? L'historien dégagera alors de ce travail une interprétation fondée sur des faits objectivement constatables.

Il y a donc des règles de méthode à respecter. 2.

Histoire et mémoire A.

La vision morale de l'histoire Le positivisme n'exclut pas tout jugement.

Il refuse le simple avis dû à une opinion partielle et mal documentée, mais il admet que l'historien doive hiérarchiser, évaluer les documents qu'il découvre.

La connaissance qu'il obtient n'est pas le fruit d'une intuition, mais d'une lente élaboration.

L'intérêt de cette position se comprend mieux à la lumière de certains ­phénomènes actuels.

Nous assistons, en effet, à une montée des revendications liées à la mémoire d'événements brutaux et massifs comme le furent le colonialisme, et, plus encore, l'esclavage.

Ces mémoires sont nourries d'expériences vécues ou transmises.

Elles raniment des souffrances et justifient des revendications.

Les descendants de ceux qui subirent l'injustice demandent réparation, ou au moins la reconnaissance par les anciens oppresseurs du caractère inadmissible des actes commis.

Ainsi s'est développée une vision morale de l'histoire qui la conçoit comme un domaine divisé en deux camps. L'augmentation des lois dites mémorielles témoigne de la force de ce sentiment.

Il semble donc possible de. »

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