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Le respect de la dignité en institution

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Diplôme Universitaire Cancer, maladie chronique et fin de vie - 2010

Université Lille III

 

 

 

 

 

 

 

Les dignités singulières

Réflexion sur le « Respect de la Dignité » en institution

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Walenne Solveig

 

 

SOMMAIRE                                                                                             Pages 

 

 

Introduction                                                                                                                     2

I. La dignité comme concept                                                                3 

       I.1. Les textes officiels                                                                                        3

                        - Déclaration des droits de l’Homme                                                                      3

                        - Charte de la personne âgée dépendante                                                  3

                        - Charte qualité et projet de vie des établissements                                   3

                        - Charte des droits et libertés de la personne accueillie                             4

            I.2. Tentative de définition                                                                               5

                        - Usage au quotidien                                                                                    5

                        - En ouvrant le dictionnaire                                                                         5

                        - Réflexions éthiques                                                                                    6

                        - Répercussions juridiques                                                                           7

                        - La dignité face au regard de l’autre                                                                     8

II. Le respect de la dignité à l’épreuve du terrain                              9

       II.1. Exemple d’opposition du concept avec

deux mouvements idéologiques actuels                                             9

                   - Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD)                    9

                   - Association Jusqu’A La Mort Accompagner La Vie (JALMALV)                 10

            II.2. Les acteurs de la maison de retraite                                                      11

                        - Les résidents                                                                                                          11

                        - Le personnel                                                                                               13

                        - Les familles et les proches des résidents                                                  15

                        - La direction de l’établissement                                                                 16

 

III. La suprématie des valeurs humaines

et le compromis des valeurs personnelles                                             17 

Conclusion                                                                                                                        19

 

Introduction

 

Le respect de la dignité est souvent avancé et proclamé à tout-va dans les discours sur les prises en charges des personnes en souffrance en général et de celles vivant en institutions en particulier. Or, ce concept de dignité revêt des sens, des conceptions diverses, qui finissent par se contredire et à aboutir à des actes de soins et d’accompagnement opposés. Dès lors, comment se situe le soignant dans sa pratique ? Que signifie pour lui le respect de la dignité de la personne dont il assure les soins ? Comment le met-il en actes ?

Notre propos concernera le respect de la dignité de personnes en mesure de s’exprimer et considérées autonomes du point de vue légal. Nous partirons des textes mentionnant le concept de dignité et des définitions qu’ils lui donnent, pour essayer d’en dégager un aspect qui pourrait avoir un sens concret dans les prises en charge. Nous irons ensuite interroger le terrain et ceux qui le constituent, pour identifier ce qui peut relever du respect de la dignité au quotidien. Enfin, nous tenterons de faire le lien entre l’éthique définie que constitue « Le respect de la dignité » et ce que nous pouvons observer des pratiques quotidiennes, afin d’en dégager un consensus, une valeur commune.

 

 

 

I. La dignité comme concept

 

            I.1. Les textes officiels

• La Déclaration des Droits de l’Homme

 

La notion de dignité est inscrite dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (article 1) : « La dignité est inhérente à la personne humaine et elle est inaliénable ».

 

Dans le domaine du soin, l’intérêt pour le patient en tant que personne singulière est encore un phénomène récent qui semble s’être imposé dans les deux dernières décennies, face à l’omnipotence médicale qui l’avait laissé de côté, l’infantilisant, lui enlevant un peu de sa dignité semble-t-il.

Ainsi, diverses chartes plus ou moins officielles ont vu le jour.

Ces chartes ont pour but de fixer un ensemble de valeurs et de principes éthiques, afférents aux modes de fonctionnement des établissements et aux modes d’intervention auprès des personnes.

• La Charte de la Personne Agée Dépendante

 

C’est la plus ancienne, datant de 1997. Dans le préambule à cette charte, nous pouvons lire : « Cette charte a pour objectif de reconnaitre la dignité de la personne âgée devenue dépendante et de préserver ses droits ». En sous-titre de la charte : « Lorsqu’il sera admis par tous que la personne âgée dépendante a droit au respect absolu de sa liberté d’adulte et de sa dignité d’être humain, cette charte sera appliquée dans son esprit ».

• La Charte qualité et le Projet de Vie de l’établissement

 

La loi du 2 janvier 2002 impose la mise en œuvre d’une démarche d’évaluation continue, dite « de qualité », au sein des établissements d’accueil. Dans la présentation de cette démarche, il est précisé qu’elle doit être axée sur « le respect et la dignité de la personne ». Elle inclue la rédaction d’un projet de vie de l’établissement qui, entre autre, se doit de préciser « les références éthiques et les (traduire) en programmes d’actions ».(1)

 

 

 

(1) Mettre en œuvre le projet de vie dans les établissements pour personnes âgées (J.J.) AMYOT, (A.) MOLLIER – Dunod 2002 - p 48

Le projet de vie est un document qui doit en théorie être rédigé en commun avec l’ensemble des équipes de soins et des équipes dites techniques (Personnel de ménage, de cuisine, d’hôtellerie).

 

Dans les faits, la difficulté de sensibiliser tout le personnel à cette démarche éthique, compte tenu de l’aspect inhabituel de cette réflexion dans leur pratique, conduit bien souvent la direction à le rédiger essentiellement entre cadres de la structure. Nous percevons ici que les personnes de terrain sont souvent loin des réflexions concernant la dignité des personnes dont elles s’occupent, tout au moins en ces termes.

 

AMYOT et MOLLIER (2) nous présentent un projet d’établissement dans lequel nous pouvons lire :

« Les valeurs suivantes (sont validées) :

- La dignité : (…) incluant le respect de la pudeur, il s’agit de prendre soin de ce qui pour chaque personne relève de sa dignité (…) » (souligné dans le texte).

Ici, la dignité semble donc être envisagée en fonction de chacun.

• La Charte des droits et libertés de la personne accueillie

 

Elle voit le jour en 2003. A l’article 12, il est question du « respect de la dignité et de l’intégrité de la personne ».

 

 

 

 

*  *  *

 

Mais les chartes n’avancent que le concept et ne précisent pas de quoi il s’agit, ce qui ne leur est pas demandé semble t-il. Or, une réflexion sur le contenu du concept s’avère indispensable pour ne pas se cantonner aux bonnes intentions.

Alors, de quoi parle-t-on ? Et quelle place les principes énoncés trouvent-ils dans la réalité des personnes qui vivent ou travaillent dans ces établissements ?

 

 

(2) Mettre en œuvre le projet de vie dans les établissements pour personnes âgées (J.J.) AMYOT, (A.) MOLLIER – Dunod 2002 – p.230

 

 

            I.2. Tentative de définition

 

• Voyons d’abord l’usage commun qu’il est fait de la notion de dignité.

Récemment, dans le cadre de la coupe du monde de football, certains évoquent le fait qu’une équipe accepte « dignement» une défaite. Il s’agit alors de ne pas se plaindre, de ne pas faire preuve de mauvaise foi, de ne pas rejeter la faute sur autrui. Il s’agit de « se montrer digne » en assumant ses responsabilités.

Manquer de dignité serait faire preuve de ce qui peut être considéré comme des défauts, comme la partie sombre de la nature humaine (être de mauvaise foi, se montrer mesquin et exigeant…).

Le manque de dignité est parfois évoqué en ce qui concerne des attitudes se rapprochant de l’enfant ou de l’animal : manquerait de dignité l’adulte mangeant avec les doigts ou se tachant, ou ne faisant que peu de cas de son apparence. Nous touchons ici les sphères du paraître et de la bienséance qui sont si changeantes en fonction des époques et des sociétés.

Ne serait pas digne celui qui pleure ou s’effondre dans la difficulté. Manquer de dignité serait parfois se montrer faible et qu’est ce qu’être faible ? Le champ de réflexion est immens et complexe quand on songe au domaine du soin et du handicap.

 

Il semblerait qu’il y ait la dignité du bien portant, puis celle de l’homme malade qui va considérer tout autrement cette « faiblesse » dont il peut faire preuve.

Dans l’usage commun, la dignité semble être le fait de la personne elle-même et notamment de son comportement. C’est à chacun d’assurer sa propre dignité.

 

• En consultant le dictionnaire, nous apprenons que le sens premier de la dignité dans notre langue fait référence à une fonction, un titre, à un rang social. Le mot tire son origine du latin « dignitas », un titre honorifique qu’on attribuait à certaines personnalités et qui imposait le respect. Sans ce titre, le respect ne s’imposait pas et souvent même le mépris s’y substituait.

Sous l’influence du christianisme, Dieu accordant la dignitas à tout être humain, toute personne humaine a donc droit au respect. La dignité est alors « ce qui est dû à l’être humain du simple fait qu’il soit humain ». Cette dignité là est inaliénable. C’est celle que l’on retrouve dans la Déclaration des droits de l’Homme.

 

 

 

 

 

 

• Dans le domaine éthique, la philosophie kantienne se trouve à la source de nombreuses réflexions sur le sujet. Elle donnerait à la dignité une dimension objective « qui amène à faire prévaloir l’universel sur les préférences singulières ». (2) (3)

Ici, il ne s’agit pas tant d’une dignité propre à chacun qu’une dignité commune et qui relèverait du respect porté à soi-même en tant qu’être humain. Il est notamment fait référence à des comportements « sains ».

Tout à la fois, nous trouvons l’idée que « sur (la personne) s’érigent des obligations particulières à commencer par le respect qui suppose que nous ne la réduisons pas à l’instrumentalité. ». La dignité relève donc également de ce qu’autrui ne me considère pas comme un objet.

Enfin, Kant affirme que « la dignité de l’homme repose sur son autonomie qu’il définit comme étant « la propriété qu’a la volonté d’être à elle-même sa loi ».(4)

Il y aurait donc chez Kant une dimension autant objective, universelle que subjective, selon l’autonomie de chacun.

 

HENNETTE – VACHEZ, approfondissant les conceptions de la dignité pouvant découler de la pensée de Kant, distingue :

- La dignité comme « un certain nombre de droits ou de règles juridiques opposable à un tiers » (5). Chacun définit ce qui fonde sa dignité et ce qui est à même de lui nuire. Nous retrouvons ici l’esprit du projet d’établissement présenté plus haut, qui précise : « (…) sa dignité, c'est-à-dire être entendu, avoir des vêtements ou une coiffure soignée, arriver encore à manger seul… » (6).

- La dignité comme droit opposable à la personne et « recouvrant une série d’obligation incombant à tout individu en tant qu’il appartient au genre humain » (7). Ce ne serait pas à chaque individu de définir ce qui fait sa propre dignité et qu’il serait en droit de faire respecter. C’est ce même individu qui, en tant qu’humain, serait surtout soumis à des devoirs. Ici, la dignité est associée ici à l’idée de devoirs et de responsabilités, comme accepter de recevoir des soins, avoir des conduites responsables et sécuritaires, etc..

Dans cette optique, le refus de soins est considéré comme un comportement indigne de l’être humain et qui ne peut donc être pris en considération.

 

(3) Nous passons sous silence la controverse que suscite cette interprétation de la philosophie kantienne mais sachons qu’elle existe.

(2) (4) Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant est cité in Soigner, un choix d’humanité (L.) MARMILLOUD Collection Espace Ethique Edition Vuilvert 2007 page 83

(5) (7) Kant contre Jéhovah ? Refus des soins et dignité de la personne humaine (S.) HENNETTE – VAUCHEZ in Chroniques Doctrine ; N°44 – 2004

(6) op.cit. p.230

 

• Ce flou va avoir une répercussion sur les pratiques et la justice va devoir trancher. Ce qu’elle aura elle-même du mal à faire, produisant des textes de loi et de jurisprudence qui vont permettent de préciser ponctuellement tout en entretenant le flou.

 

Dans les grandes lignes et de façon non-exhaustive (8):

En 1994, le législateur consacre l’exigence de consentement (article 16.3 du code civil) qui implique le droit au refus des soins comme garant de la dignité de la personne.

En 2001, la Jurisprudence Senanayake – Feuillatey tempère ce droit : « (celui-ci) trouve sa limite dans l’obligation qu’a également le médecin (...) de protéger la santé (…) » et que par là même, il peut passer outre ce refus des soins « dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique » (9).

Donc, tout et son contraire sont obligatoires, compte-tenu du fait qu’en 1994 (en reprenant la distinction d’HENNETTE-VAUCHEZ), c’est la dignité comme opposable à un tiers qui prime et qu’en 2001, c’est au tour de la dignité comme opposable à l’homme.

En mars 2002 sont réaffirmés les Droits des malades et notamment celui qui rend impossible au médecin d’aller à l’encontre de la volonté du patient, « même si cette décision met sa vie en danger ».

Enfin, en avril 2005, le législateur affirme à nouveau le droit du patient au refus de traitement. La loi mentionne que « la volonté du patient est au cœur de la décision de limitation ou d’arrêt des soins ». Mais il s’agit surtout d’une position morale. Car il est également précisé que « la seule obligation du médecin est la recherche de la volonté du patient pas nécessairement le respect de celle-ci » (10). Retour au point de départ, notamment en ce qui concerne les directives anticipées.

Notons qu’aucun texte juridique ne définit clairement le concept de dignité.

 

 

 

 

(8) D’après Fin de vie, quand le législateur réaffirme les principes d’autonomie et de dignité de la personne humaine in Ethique et Santé 2006

(9) (S.) HENNETTE – VAUCHEZ op.cit.

(10) Fin de vie, quand le législateur réaffirme les principes d’autonomie et de dignité de la personne humaine in Ethique et Santé 2006

 

• La dignité affirmée par le regard de l’autre.

Dans un article très éclairant (11), Michel CAVEY, docteur en médecine et spécialisé en gériatrie, met l’accent sur le fait que la dignité est assujettie au regard, au jugement de l’autre. C’est autrui qui est garant de ma dignité pour autant qu’il porte sur moi un regard respectueux, quelle que soit ma situation. Ce n’est donc pas à moi que revient le fait d’être digne mais à autrui dont je ne peux régenter le regard.

Ici, nous retrouvons donc cette dignité de la personne âgée qui semblait être mise à mal puisque nécessitant d’être réaffirmée. Dans les chartes, il est fait appel, non pas à la personne elle-même, mais à l’autre (les soignants essentiellement) comme garant de cette dignité.

Ce serait la dignité du malade, de la personne en souffrance essentiellement.

 

 

*  *  *

 

Nous relevons d’une part, un principe qui devrait aller de soi dans les rapports humains, qui devrait « couler de source », quelque soit la définition que nous lui donnons et avant même celle-ci.

D’autre part, nous notons qu’il a sans cesse besoin d’être rappelé et donc qu’il ne va pas de soi, même s’il le « devrait ». C’est dire que la dignité de la personne dépendante/âgée/malade avait dû être mise à mal pour que l’on ait tant besoin d’y revenir.

La notion de dignité relèverait autant d’une dimension universelle (le respect dû à l’être humain) que d’une dimension subjective (ce sur quoi porterait le respect). La première serait avant tout à l’œuvre dans le rapport de l’individu à lui-même (un devoir en tant qu’être humain) et la seconde dans le rapport d’un individu à autrui (le devoir de respecter son autonomie).

Ce va et vient entre droits et devoirs de la personne va se retrouver dans les prises en charges institutionnelles.

 

 

 

(11) Ethique et dignité : deux mots difficiles. (M.) CAVEY - www.michel.cavey-lemoine.net.

 

II. Le respect de la dignité à l’épreuve du terrain

 

            II.1. Exemple d’opposition du concept dans deux mouvements idéologiques  actuels

 

L’Association pour le Droit A Mourir dans la Dignité (ADMD), créée en 1980, a pour principal objectif de promouvoir « une mort consentie, sereine et digne, la dignité étant la convenance envers soi dont chacun est seul juge ».(12)

Dans les textes de référence de l’ADMD, nous lisons : « Nous croyons en la valeur et la dignité de l’individu. Cela demande qu’il soit traité avec respect et par conséquence que lui soit laissé la liberté de décider raisonnablement de son propre sort. » (13)

Ces termes sont tout en accord avec l’essentiel de la loi actuelle et se situent dans la conception de la dignité comme opposable à un tiers, qui serait donc fonction de valeurs personnelles et donc définie différemment selon chacun.

Ici, la définition de ce qui est digne est subjective. Les membres de l’association revendiquent le droit de dire ce qui est indigne à leurs yeux : la déchéance, la perte d’autonomie, la souffrance. Une vie faite de ces composantes serait indigne d’être vécue.

Est-ce à dire qu’une telle situation n’appellerait plus le respect ?

C’est ce qu’avance Michel CAVEY en affirmant que « les militants de l’ADMD disent que s’ils étaient spectateurs de leur situation, ce qu’ils verraient ne les conduirait pas à poser sur eux un regard de respect. » (14).

Or, en considérant la dignité comme inaliénable, il n’existerait aucune situation dans laquelle le sujet n’appellerait pas un regard de respect. Et c’est bien là où le bât blesse. C’est un souhait humaniste que l’on peut faire mais l’homme craint les situations de dépendance et de déchéance et la peur l’amène à cet ultime acte de contrôle qu’est de décider du moment de sa mort. Car les membres de l‘ADMD revendiquent avant tout le doit à mourir.

Et tout est remis en question dès lors qu’il s’agit de mettre fin à sa vie. Ici, la dimension subjective n’est plus compatible avec la dimension universelle : en respectant l’autonomie d’un individu, c’est le respect inhérent à son statut d’humain qui ne serait plus à l’œuvre.

 

 

(12) Site de L’ADMD www.admd.net

(13) Qu’est-ce donc que la dignité ? R.HIGGINS in Bulletin de la Fédération JALMALV Dignité de la personne en fin de vie 2ème partie : analyse et débat N°32 – Mars 1993

 (14) M. CAVEY op cit.

• Reposant sur le même principe de dignité, l’association Jusqu'à La Mort Accompagner La Vie (JALMALV), née à la même époque que la précédente, revendique quant à elle le fait d’accompagner les personnes en fin de vie ou en situation de dépendance importante, quelles que soient leurs conditions de vie, jusqu’au bout de celle-ci. Elle se donne également pour objectif de faire évoluer les représentations de notre société sur la mort et les mourants.

Sur le site officiel (15), nous lisons « (…) la société contemporaine jette souvent sur la personne en fin de vie, malade ou atteinte par le grand âge, un regard qui la dévalorise, l'isole, qui aggrave sa souffrance, fait naître en elle un sentiment d'indignité. Cette attitude, ce regard, le discours qui les accompagne, conduisent au désespoir et à l'exclusion quand ils ne conduisent pas à provoquer délibérément la mort du malade.»

Ici, l’indignité est le fait du regard de l’autre (« sentiment » d’indignité précise le texte, puisque celle-ci est irréductible). Autrui ne me considérant plus comme ayant de la valeur, j’ai moi-même du mal à m’en attribuer.

Pour les membres de JALMALV, un autre regard est possible : « (…) reconnaitre à travers celui ou celle qu’atteignent la maladie mortelle ou la grande vieillesse, un être humain à part entière. (Ce regard) ne voit aucune valeur propre à la souffrance, mais il reconnait pleinement la vie humaine et sa dignité dans la traversée de la souffrance ainsi que dans les solidarités qu’elle suscite pour la soulager ».

Enfin, dans la présentation des valeurs de la fédération : « Les conditions de vie et de soin qui lui sont alors proposées, le regard de l’autre, sont essentiels pour respecter sa dignité, pour la confirmer. »

Selon elle, la dignité se situe dans le fait que chaque vie vaut la peine d’être vécue, est digne d’être vécue, du simple fait qu’il s’agisse d’une vie humaine. Ici, la dignité n’est pas fonction de valeurs individuelles. Même si celles-ci sont évidemment prises en considération, elles ne relèvent pas de la dignité, celle-ci transcendant l’individu.

Nous retrouvons ici la notion de dignité irréductible, garantie par le regard d’autrui et opposable à l’individu. La dimension universelle prévaut sur l’autonomie de l’individu.

Dans la demande d’aide ou du droit à mourir, l’autonomie du sujet semble mise en doute. Pour les membres de JALMALV, l’appel à la mort ne serait pas à prendre en tant que tel. Il serait un appel à la vie, il serait une manière de dire « Je veux une autre vie ! » et que l’écoute et l’accompagnement peuvent aider à apprécier la vie, quelle qu’elle soit.

 

 

 

(15) Site de JALMALV www.jalmalv.fr

II.2. Les acteurs de la maison de retraite

Notre champ d’investigation est celui d’une maison de retraite et des quatre grandes catégories d’acteurs qui y sont en interaction constante : les résidents, leurs familles, les soignants et la direction de l’établissement. Quelques questions ont été posées à certains d’entre eux.

Les résidents

Que nous disent les résidents de leur propre dignité ?

Que signifie pour vous le respect de la dignité ?

- « Ben ! Le respect ! »

- « La dignité, c’est une personne bien »

- « Oh ben c’est important, c’est le respect de l’individu »

- « C’est laisser le libre arbitre et être soi-même en toutes circonstances »

 

Avez-vous le sentiment que votre dignité est respectée ? Si oui ou non, comment cela se manifeste-il ?

 

            - « Oui »

            - « On nous parle gentiment »

            - « On prend acte de ce qu’on dit »

            - « On n’est pas contrarié »

            - « Le personnel est agréable »

            - « La médicalisation est respectée »

            - « De temps en temps, elles ont des sautes d’humeur… mais dans l’ensemble, la maison est très bien tenue ».

            - « Une fois on m’a laissé nu dans la salle de bain, alors que j’avais besoin d’aide ».

 

Une dame illustre en un exemple, cette difficulté qu’il peut y avoir à situer la dignité : est-ce le fait de respecter le souhait d’une personne incontinente ne voulant pas être réveillée la nuit au risque de se souiller et de souiller les draps ? Ou le fait de la réveiller pour qu’elle puisse être changée et ne pas être dans un lit souillé le matin ?

La dame en question demande à ne pas être réveillée, quitte à être souillée.

Elle remarque malgré tout que « Laisser quelqu’un souillé, c’est pas respecter non plus… mais puisqu’on le demande ! »

 

Notons que dans cet exemple, un biais est apporté par le fait que souiller les draps va avoir une répercussion sur l’organisation du travail. Les enjeux sont contradictoires et néanmoins impliqués.

Les résidents évoquent les conflits qui peuvent avoir lieu entre eux. Ils estiment qu’il n’y a pas toujours de respect les uns envers les autres (et c’est bien souvent l’autre qui ne me respecte pas, bien entendu).

            - « Y’a des résidents qui nous cassent les pieds.»

            - « Ils font du bruit (radio, télévision, quelqu’un qui crie…).»

            - « Ils ne le font pas exprès… »

 

La question est complexe quand il s’agit de la cohabitation entre résidents « autonomes » et résidents « non-autonomes ». Les premiers ne veulent pas ressembler aux seconds, ils les dénigrent, ils cherchent à les exclure (posons comme préalable convenu que la peur de leur propre déchéance et de la mort les fait agir ainsi).

C’est la vie que je ne voudrais pas vivre… et pourtant une fois qu’elle est la mienne, j’attends le respect que je n’étais pas prêt à donner. Nous retrouvons cette distinction entre la dignité du bien portant et celle de l’homme dépendant.

Comment respecter la peur des uns (le temps qu’elle se travaille) tout en respectant les autres ? Car s’ajoutent au respect de la dignité d’une personne, la complexité de la vie en collectivité et l’angoisse inhérente au domaine de l’étrange, de l’étranger, de l’inconnu, du différent. Ici, nous retrouvons les éléments de réflexions de Michel CAVEY qui souligne combien le sentiment de dignité est lié au regard de l’autre. C’est le regard du résident autonome qui rend/fait perdre de sa dignité au résident dépendant. Un cheminement vers l’acceptation est nécessaire. Oui mais en attendant ?

 

*  *  *

 

Pour les résidents, il s’agit avant tout d’être entendu et reconnu. Ils attendent de la gentillesse, le respect de leurs choix et de leurs valeurs, le respect de leur intimité, de leur tranquillité mais aussi de leurs peurs en n’étant pas confrontés à des images anxiogènes.

 

 

 

En équipe

 

Que nous disent les membres du personnel de cette notion d

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