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Le (portrait du) libertin Valmont est-il le même dans le roman de La clos et dans le film de Frears ?

Publié le 16/10/2010

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Dans le roman comme dans le film un contrat prend forme très tôt entre les deux maîtres es libertinage, Mt et Vt et il va structurer les trajectoires des ½uvres : le film met même en valeur le point de départ et d’arrivée du trajet de notre duo en situant dans un bel escalier la décision de pacte et l’épreuve que représente pour Vt le sacrifice de Tv. Dans cette composition avec duo, quelle est la représentation du libertin Vt, joué par l’acteur américain John Malkovich ? Irons-nous du "scélérat" à la "crapule sympathique", aux dires même de Frears ? 1°LA DIFFÉRENCE DE MEDIUM ARTISTIQUE (entre les moyens des deux arts) INFLUE ÉVIDEMMENT SUR NOTRE REPRÉSENTATION DU LIBERTIN. • dans le roman, l’abstraction domine et Laclos est avare en localisations précises, descriptions, portraits : nous ne savons presque rien de Vt au plan physique sinon qu’il a "belle figure" : ce qui est peu. Vt est raconté par d’autres, il est peu décrit, sinon dans sa situation spatiale. Au contraire, dans le film un corps s’impose celui de l’acteur Malko que nous devons admettre, même s’il nous semble plus vieux que ce que suggère le roman. Il a une certaine taille, une allure, une façon étonnante de marcher, il joue beaucoup de ses jambes et de sa bouche. Il est un libertin en action et non un libertin en train de raconter, réfléchir et séduire par lettres. Dans une apparence très soignée (les costumes sont remarquables de luxe même si Frears prétend avoir travaillé à l’économie)) que le livre ne laisse que supposer par un effet de contexte. •le film infléchit par nécessité et par choix la représentation du libertin : le cercle des libertins est plus vaste dans le roman que dans le film : Malko circule dans un espace plus réduit.Il doit bien sortir un soir avec Émilie : c’est seulement dit en passant. au milieu d’une grande politesse, d’un réel savoir-vivre (baise-main par exemple, façon de s’asseoir parfois ), Malko a des attitudes relâchées (il est presque "vautré" sur le divan de Mt dans l’équivalent de la lettre autobiographique), d’autres "grossières" (réelle vulgarité avec ses constants jeux de bouche avec tous mais surtout avec Vol et au petit déjeuner suivant la nuit avec Cc (à une messe on dirait qu’il tire sur un dentier.. ), et le film le montre sans perruque à des moments précis : Frears nous indique donc certains aspects inédits. Comme dans le roman les deux héros se rencontrent à peine et comme à l’écran ils sont souvent l’un avec l’autre on lui voit faire des gestes un peu étonnants qui supposent un autre regard sur lui ( par exemple son jeu avec la chaise chez Mt (il la rapproche du pied pour s’ "approprier" Mt puis, plus tard, il tapote cette même chaise comme si nous étions avec une femme très inférieure socialement…)) & une certaine brutalité : cf scène avec Pf dans la suite de la rencontre avec Émilie et dans ce n’est ma faute où il la jette sur un divan et la prend par les cheveux ; cf aussi le soufflet qu’il inflige à Mt/Close. Il manifeste sa colère à la fin (il hurle à Mt/Close) =>hypothèse qu’on peut ne pas suivre : le mot est prononcé dans le roman et les propos de Vol ne laissent pas de doute : Vt est un scélérat. Cependant on peut avancer que si sa scélératesse est connue de Vol et du petit cercle et qu’elle apparaît bien dans ses lettres, il n’est pas sûr que dans le roman son apparence mondaine, son comportement privé s’en ressente à ce point (pensons à la prouesse virtuose avec la vicomtesse : de la légèreté mais pas de vulgarité) : au contraire, sans être franchement noir le Vt du film ressemble parfois plutôt à un bad boy. qui étouffe vite dans ses contraintes mondaines ou qui sait s’en défaire avec facilité. L’effraction qu’il commet chez Close à son retour secret à Paris avec Dy est peu vraisemblable chez Laclos. Frears modestement et sans aller au brechtisme introduit des nuances qui indiquent un souci de distance par rapport au mythe du 18ème siècle et dans une volonté de modernisme : il demande à Malko d’être un corps et non une idée, il lui demande de manifester ce que le libertin était mais que les romans ne montraient pas. •en revanche le transfert d’un art à un autre a des effets heureux : à certains moments le film met en lumière ce qui n’est que suggéré très épisodiquement dans le livre : dans les deux cas la vanité est présente (Close le dit nettement dans une grande scène de règlement de compte qui mène à WAR) mais un côté matamore un peu infantile apparaît ici et là à l’écran : Malko incarne aussi un joueur, ce qui explique bien en retour quelques aspects de Vt. Son infériorité face à Mt en ressort mieux : elle est parfaitement claire au cinéma. Examinons maintenant plus précisément le Valmont de papier et celui sur pellicule : 2°UNE DIMENSION DE COMÉDIE SOULIGNÉE dans le film : certes il y a du théâtre dans le roman, du théâtre théorisé comme fait social (théâtre du monde), des leçons de comédie, des personnages comédiens et metteurs en scène ( cf mon cours) mais par le choix d’un spectacle Frears a été tenu de montrer le théâtre à l’½uvre ( dès le générique et jusqu’au démaquillage de la fin-à vous) et non théorisé ou raconté de l’intérieur par Mt comme avec Prévan. La virtuosité écrite des libertins est passée dans la virtuosité des acteurs : première déclaration d’amour, d’idolâtrie à PF dans le salon de Rosemonde. Malko dilettante, ludique, tournant autour de PF dans les allées du parc ; Malko à l’aise dans la comédie de la remise de la lettre et de la clé à Cc - à vous (autre cours) ; grande scène de mensonge à Tv dans l’épisode Émilie correspondant aux embouteillages de l’opéra ; la dernière scène entre Close et Malko (war) le sommet : ce n’est pas ma faute ( double rôle cf cours ). VT comédien dans le film : entendons bien jouant la comédie et pris dans des scènes assez drôle ( chez Mt, caché pendant que Vol discute et dans la scène de la clé). 3° UN LIBERTINAGE ATTÉNUÉ : certes Vt est calculateur dans le film (ainsi quand il couche avec Tv/Pf, il lui demande de lui écrire pour obtenir la preuve que voulait Mt ( ce qui n’est pas dans le livre), il a un plan énoncé très tôt mais la dimension militaire de tacticien et de stratège est moins soulignée [1] ; en outre il ne met pas vraiment en avant ses propres observations sur les êtres alors qu’il est un bel analyste des autres dans ses lettres où sa science de l’homme et de la femme apparaît bien mieux. À l’écran il ne peut s’appesantir complaisamment sur ses déductions & inductions. Il est moins un cerveau que dans le roman. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne pense pas dans le film : il a de brefs moments de silence, de réflexion, d’immobilisme qui sont souvent inquiétants. dans le livre il est évidemment amateur de femmes et grand conquérant : on a l’évocation d’anciennes maîtresses en nombre assez élevé, le récit d’une visite agréable chez la vicomtesse ; chez Frears il doit se contenter d’Émilie et de Cc…avant Tv. moins prononcé que chez Mt son cynisme éclate dans le roman comme chez Frears :il est capable de tout (mise en scène de la charité, espionnage d’Azolan, mensonges éhontés, scène de lettre sur le corps d’un(e) autre que le film redouble avec Cc), son amoralité se retrouve dans l’épisode Cc et surtout celui de la paternité et de la fausse couche dans le film mais sa légendaire méchanceté rapportée par Vol est tout de même plus réduite chez Malko parce que l’écrit permet des développements acerbes que le dialogue ne peut conserver sur une longue durée qu’avec quelques piques. Il demeure au cinéma l’homme spirituel, le faiseur de bons mots (parfois plus grossiers que dans le livre), le beau parleur mais c’est en moins grand nombre et le rhéteur cède de beaucoup la place au comédien comme nous avons vu. On devine à peine sa culture qui est assez grande chez Laclos. L’art du mensonge dans le film est bien résumé par la première scène avec Pf , dans le salon, de nuit , après qu’elle a relu la lettre de Vol : il n’oublie pas comme dans le roman de regarder par la serrure : la musique donne à sa démarche une allure guillerette qui traduit bien le leitmotiv de la comédie. -malgré son jeune âge le Vt du livre paraît blasé, heureux de découvrir du bizarre, las de devoir recommencer des conquêtes faciles ; Malko est plus dynamique, il fait moins mécanique de précision. Malko semble plus s’amuser que son personnage de papier qui, il est vrai, déclare pourtant toujours préférer une situation gaie. =>on peut tout aussi bien inverser le jugement : il y a plus de comédie légère chez Malko mais alors , dans sa dissimulation, nous ce masque il est loisible de le trouver encore plus inquiétant dans son art de rôder, de cerner la victime de façon détachée enfin la dimension irréligieuse et surtout gratuitement blasphématoire dans sa séduction et dans ses commentaires à Mt est moins frappante chez Frears, sans doute pour des raisons de contextes très différents. toutefois un point commun demeure dans les deux ½uvres : la volonté de Vt de revenir à Mt , ce qui est en complète rupture avec la notion de libertinage : il est pressant dans le livre et violent dans le film, vers la fin, dans les deux cas. Une différence de poids. Au cinéma Mt est clairement jalouse, ce qui est plus ambigu dans le roman. 4°UN LIBERTIN AMOUREUX ? le roman maintient avec art une certaine ambiguïté chez Vt : naturellement Mt le devine très tôt amoureux et ne cessera de lui dire dans des analyses de lettres d’une grande finesse. Lui-même le reconnaît : il a "besoin d’avoir cette femme pour [se] sauver du ridicule d’en être amoureux"(L.4). Sa lenteur en outre ressemble bien à un attachement qui ne dit pas son nom. Évidemment ces lettres sont riches de méchancetés, de confiance en lui-même mais ses sentiments transparaissent et plus on avance plus on a de dénégations (autres cours). Il reste que le manipulateur, le comédien est toujours présent et on a déjà commenté sa lettre tardive (proche du dénouement) à Dy où il évoque son amour pour Tv, façon d’instrumentaliser un amour pour faire fléchir le jeune homme. Il reste aussi que Laclos n’a pas publié la lettre à Vol où il était plus explicite. Le libertin chez Laclos connaît un long combat entre son système et son amour : même son aveu sur le charme inconnu rencontré auprès de Tv peut être lu comme une preuve ( ce que comprend Mt) ou comme une expérience inédite donnée par cette conquête qui alors ne changerait rien à son attitude permanente (ce qu’il écrit à Mt).Il y a chez le Vt de Laclos du mensonge à soi, de l’autosuggestion. le film ne prend pas autant de précautions : si le Vt de la première partie peut sembler cynique, il devient vite évident que dès l’épisode de la première tentative sur un lit , lorsqu’il refuse de prendre un avantage aisé, il avoue, sans mot, qu’il est sinon transformé, du moins touché. Quitte à vouloir se venger quand Tv fuit. Le récital ne laisse pas non plus de doutes même s’il poursuit l’éducation libertine de Cc dans la même soirée. Et même s’il apporte la lettre demandée par Mt -ce qui n’a pas lieu dans le roman. La suite n’est plus qu’un chant d’amour qu’on comprend même dans CE N’EST PAS MA FAUTE (scène du plus grand aveu sous la plus grande haine affichée- si on avait des doutes l’attitude de Malko après avoir franchi la porte de Tv est édifiante) et qui culmine (si on peut dire) dans l’insistante scène de duel (voir cours). cl : des différences apparaissent donc : dues aux arts et aux choix des créateurs ou recréateurs. Le Vt de Laclos est plus difficile à cerner tandis que celui de Malko semble toujours un peu étonné d’être ce qu’il est, ce qui n’est pas toujours rassurant..

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