Le Plaidoyer De Julien Sorel. Le Rouge Et Le Noir : Stendhal.
Publié le 29/09/2010
Extrait du document
Le Rouge et le Noir
•Mr Henri Beyle, figure incontournable du XIXème siècle, connu de tous sous le nom de Stendhal rédigea un roman tout aussi célèbre en 1830, intitulé « Le Rouge et le Noir «. Issu d’un fait divers poignant, ce roman retrace les quatre dernières années d’un jeune homme dont l’ambition sans limite, la séduction, le courage et l’intelligence rare lui permirent une ascension sociale remarquable.
Ici, nous assistons au procès de ce jeune homme, jugé pour avoir blessé une femme qui fut sa maîtresse d’une manière passionnée : Madame de Rênal. Julien Sorel propose alors un plaidoyer touchant, et s’empare de cette occasion pour exprimer des pensées plus profondes qu’une simple défense personnelle, sur la société au sein de laquelle il vécut.
•Mais, de quelle manière Stendhal dépeint-il, à travers un discours à l’argumentation frappante, un tableau sans égal de la société ?
•Tout d’abord, nous remarquerons les techniques argumentatives utilisées tout au long de l’extrait, avant de dévoiler la caractérisation du personnage qui en découle. Enfin, nous tenterons de mettre en relation la satire poignante proposée avec une réflexion sur notre monde actuel.
Julien Sorel, en jeune homme habile, use de nombreuses techniques argumentatives face à l’ultime chance qui s’offre à lui.
Dès ses premières paroles « Messieurs les Jurés «, Julien implique ses interlocuteurs et instaure un échange. Nous remarquons ainsi de nombreuses apostrophes : « Messieurs «L11, « Messieurs les jurés « L18, « Messieurs « L24. Dès lors, par un discours plus vivant, basé sur un principe de communication, le jeune homme, par ses apostrophes respectueuses fait apparemment participer son sévère auditoire.
A cela s’ajoute l’utilisation d’indices de personne importants, caractéristiques du dialogue. Nous retrouvons ainsi, plus de dix occurrences du pronom personnel « je «, et une répétition dès les premiers paragraphes du pronom « vous « L12, 14.
De plus, nous remarquons que Julien lie ces indices au sein de même phrases, accentuant encore la sensation de proximité et d’échange instaurée : « à votre classe, vous voyez en moi «L12. « Je ne vous demande « L14. Ainsi, nous pouvons relever le champ lexical de l’échange verbal : « me fait prendre la parole « L10, « demande « L14, « parla « L27, « il dit « L28, « discussion « L29.
Or, si cet échange par la lourde présence du pronom « je « semblait prouver sinon une supériorité du jeune homme, du moins l’égalité entre les interlocuteurs, nous observons chez Julien une tonalité flatteuse, marquant d’une manière irrémédiable son infériorité sociale : « Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe. « L12.
Peut-être est-ce que Julien tente alors de flatter l’orgueil des jurés et ainsi de conquérir leur sympathie…
Ensuite, le jeune Sorel met en place un plaidoyer concessif.
En effet, il met en évidence l’horreur de son délit : « mon crime est atroce « L17, « mérité la mort « L18. Grâce à ce raisonnement, le jeune homme veut se montrer objectif par rapport non seulement à lui-même mais encore vis-à-vis de la situation, afin d’inspirer confiance. Il emploi le champ lexical du jugement et se pose en juge dont la sévérité n’est plus à démontrer : « coupable «L20, « punir « L21, « mon crime « L24.
De plus, le jeune condamné montre qu’il ne veut pas se défendre, ni même se justifier, et s’accuse cruellement : « la mort m’attend et elle sera juste « L15, « Je ne vous demande aucune grâce « L14.
Afin de prouver l’inexistence de tout espoir pour lui, le jeune garçon utilise le futur de l’indicatif, ne laissant pas de place aux doutes ou aux changements : « sera juste « L16, « sera puni « L24. L’utilisation permanente de l’indicatif, mode du réel, accentue la sensation de sincérité émanent de l’ambitieux personnage. En effet, il semble annoncer sa condamnation comme un fait irrémédiable, qu’il désigne simplement : « la mort m’attend «L15.
Cela nous dévoile les prémices d’une stratégie modalisatrice. Julien Sorel se présente comme sincère.
Puis, accumulant les concessions touchantes, le jeune homme si épris par le passé, offre un éloge de Mme de Rênal. Mélioratif et superlatif : « femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages «L 16 sont entremêlés par l’accusé pour caractériser la victime.
Ainsi, Louise de Rênal est comparée à l’image maternelle : « comme une mère « L15, faisant du crime de Julien une faute encore plus grave. Par son discours, ce dernier semble volontairement aggraver sa situation. .
Effectivement, l’accusé ajoute encore à sa culpabilité une démarche jugée atroce : la préméditation. Véritablement mis en évidence, Julien n’a de cesse de le rappeler : « et il fut prémédité « L18, « Avant de finir, Julien revint à la préméditation « L31.
La stratégie modalisatrice de vérité que nous avons évoquée précédemment est alors mise en place d’une manière on ne peut plus complète.
Dés lors, assurés de la sincérité et de l’objectivité de l’énonciateur, les auditeurs peuvent prêter une entière attention aux arguments énoncés.
Encore une fois, Julien fait preuve de tact et de talent. En effet, plusieurs arguments sont mis en place de manière subtile.
Tout d’abord, l’accusé dévoile un argument faisant d’avantage appel aux sentiments qu’à la raison : « ma jeunesse peut mériter de pitié « L20. Or, cet argument est nié par Julien, par des tournures négatives : « sans s’arrêter à ce que « L19. Cela est caractéristique d’une habile stratégie argumentative : Julien propose un argument poignant, en faisant mine de ne pas y adhérer, de ne pas le considérer.
Ensuite, nous sommes confrontés à un argument de poids cette fois largement défendu par l’énonciateur. Julien Sorel prend la position de symbole, d’exemple, et insinue donc le caractère injustement dur de sa condamnation : « voudront punir en moi « L20. Il veut laisser entendre que sa punition est un exemple, une tentative de dissuasion d’ascension sociale vis-à-vis des classes sociales inférieures : « décourager à jamais cette classe de gens « L21. De plus, l’utilisation du verbe « vouloir « très présent au sein du texte fortifie encore le caractère totalement arbitraire de la décision qui sera prise. Julien marque une grande importance à prouver l’éloignement social dont il est la victime depuis sa naissance : « vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune « L12. Ainsi, un nouvel argument est désigné aux jurés, aucun représentants de cette classe n’est présents et aucun de ces derniers ne peut alors le comprendre et le juger honnêtement : «je ne suis point jugé par mes pairs « L25, « bourgeois indignés «L27. Cet argument conforte le précédent, faisant de Julien, par sa condamnation, un véritable martyr de l’ordre social.
Ainsi, à travers cet extrait, nous avons une véritable caractérisation du personnage.
Par son discours, ce jeune homme, pourtant d’origine peu élevée s’impose en orateur hors pair, inspirant la confiance et le respect.
Nous avons, en effet, une véritable caractérisation indirecte de ce héros.
Julien Sorel s’impose comme un jeune homme instruit et intelligent, dont l’éducation contraste avec son origine sociale.
Ce jeune homme, fils de charpentier, apparaît comme un érudit : « un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune « L12, « une bonne éducation « L23.
Il devient ainsi le symbole de la réussite, de la possibilité d’une certaine ascension sociale : « l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appellent la société « L24.
Or ce symbole est présenté comme charismatique, inspirant passions aux femmes : « pleurerait-elle par hasard ? « L9. Julien Sorel prouve ainsi qu’il sait tirer avantage des situations les plus diverses. En effet, ayant totalement renoncé à se défendre, l’émotion apparente de Mme de Derville, lui inspira le discours étudié.
Outre son intelligence, prouvée par son maniement des mots, et sa rapidité de réaction, l’habilité du jeune provincial à utiliser le discours de la haute société est à noter.
Dès lors, par ce tact hors du commun mêlé à son charisme naturel, Stendhal nous indique que Julien sait emporter le cœur des dames, manipulant la sensibilité : « toutes les femmes fondaient en larmes « L30, « son mouchoir sur ses yeux « L31, « Mme Derville jeta un cri et s’évanouit « L33.
Cela dit, malgré toute son audace et son génie, il apparait clairement que Stendhal met en scène un jeune homme en situation désespérée.
Ainsi, nous retrouvons le champ lexical de la mort : « au moment de la mort « L10, « la mort m’attend « L15, « mérité la mort « L18.
De plus, nous pouvons relever un vocabulaire du jugement et de la sévérité, associé au champ lexical de la punition : « aucune grâce « L13, « coupable « L19, « voudront punir « L20 « sera puni avec d’autant plus de sévérité « L24. Il apparait alors tout à fait que la situation de notre héros est on ne peut plus délicate.
Dès lors, sa position tant sociale qu’actuelle, contribue à le faire apparaître en véritable symbole du prolétariat. Nous retrouvons donc un champ lexical propre aux classes sociales, si importante en ce XIX ème siècle : « je ne suis qu’un paysan « L12, « classe de jeunes gens « L20-21, « gens riches « L22, « mes pairs « L23.
De ce fait, par la condamnation d’un symbole, la haute société érige Julien Sorel en martyr de son siècle « sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe sociale « L20.
Ce charismatique orateur inspire alors autant l’apitoiement des lecteurs, que leur respect, voir même leur fascination face au courage et la lucidité dont il fait preuve face à ce destin cruel : « la mort m’attend « L15.
Ainsi, peut-être pouvons-nous considérer ce personnage touchant comme un véritable héros tragique. La lucidité face à une mort certaine qu’il ne craint pas de braver, inspirant, par sa conduite la fascination et le respect du lecteur, fait apercevoir, à travers cet homme symbolique, les traits héroïques des personnages de tragédies célèbres.
Julien Sorel, semble accomplir un devoir, reflétant à la perfection, par son discours, l’organisation sociale dans laquelle il évolue. Si les bourgeois ont précédemment réussit à conquérir la société, il apparaît clairement qu’ils ne veulent pas que la même chose se passe pour les paysans : « des bourgeois indignés « L26.
D’une manière générale, Julien Sorel montre que les personnes aisées, tant de la noblesse que de la bourgeoisie, veulent, afin de conserver leurs privilèges et leur fortune, décourager les paysans qui pourraient rivaliser et donc obtenir quelques richesses ou considérations : « l’avocat général, qui aspirait aux faveurs de l’aristocratie, bondissait sur son siège « L28.
Stendhal nous offre alors, un exemple poignant du rôle du roman. Faisant de son protagoniste un héros de roman d’apprentissage : « se procurer une bonne éducation « L24, « opprimés par la pauvreté « L21, il dévoile une vision sincère, honnête et de ce fait, véritablement satirique, sur sa société contemporaine. Par la mise en scène du procès d’un jeune homme, largement similaire à celui du jeune Berthet, l’auteur prend la parole et propose une réflexion, non seulement sur ce triste fait, mais sûrement encore sur l’organisation générale de son monde.
Défini comme un avant-gardiste hors norme, peut-être l’auteur s’interroge t-il sur le bien-fondé de la peine de mort également ?
En effet, Stendhal, fut très marqué par le procès du jeune Antoine Berthet, fils d’artisans appauvris. Considéré comme un homme à l’intelligence vive, son parcours inspira lourdement la mise en scène du jeune Sorel. Ce caractère réel, accentue encore la sincérité et l’intensité des sentiments inspirés par l’œuvre.
Dans tous les cas, Henri Beyle, dit Stendhal, présente une vision du XIXème siècle rare et touchante, à la satire cuisante, et peint l’homme du peuple, ambitieux, à l’esprit considéré comme « supérieur « à travers les jeunes traits de Julien Sorel.
Or, si ce texte apparaît comme un véritable témoin de l’homme et du monde du XIXème siècle, nous pouvons à juste titre nous interroger sur son actualité.
En effet, l’art de Stendhal semble avoir traversé les générations afin d’offrir une réflexion poignante sur notre monde.
L’égalité des chances n’est-elle pas actuellement un sujet sensible au sein de notre société ?
Effectivement, encore, aujourd’hui, notre société tente de gommer les inégalités sociales et de combattre le sectarisme, toujours présent et choyé par certaines personnes à la situation élevée.
De même, si la peine de mort n’est depuis 1981, plus pratiquée en France, elle reste un sujet sensible au sein du monde. De nombreux pays, sont encore soulevés par des vagues de protestation, révoltées par le droit de « tuer « que certains Etats s’accordent au nom de la Justice. Si le discours émeut le lecteur, à l’image des femmes présentes, il semble nécessaire de s’interroger sur le nombre d’hommes, de femmes, de condamnés dont les crimes, aussi atroces soient-ils, trouvent, par leur histoire, leur signification, leur passion parfois, une connotation tout autre, et offrant dès lors, sinon le droit au pardon, du moins, le droit de vivre. De cette manière, en homme sensible largement imprégné du Romantisme qui guida le XIXème siècle, Stendhal dévoile une nouvelle vision des jugements, et de l’importance que l’on peut y porter. En effet, est-il le seul à avoir été sensiblement ému par le cas de ce jeune Antoine criminel par vengeance amoureuse ?
L’auteur nous permet de nous interroger sur la vie de chacun, et l’importance que l’on accorde à notre prochain. Combien ont regardé un fait divers de la sorte et ne s’en souviennent plus à présent ? L’homme parait alors bien égoïste, sinon égocentrique …
Mais, que serait la vie sans cette propension à fixer notre attention sur les seules choses et personnes qui nous sont proches ?
Ainsi, nous nous apercevons d’une partie de la portée philosophique de ce roman qui marqua les siècles par son caractère aussi touchant qu’intemporel…
Stendhal, aussi réaliste que romantique, aussi observateur qu’artiste, s’acquitte, par cet extrait d’une mission digne des plus grands auteurs de tous les temps.
Si Jean Prévost suggère une transposition de Stendhal en Julien, nous pouvons voir à travers le jeune héros le symbole du prolétariat, véritable image de l’ambition, de l’intelligence, du charisme et du courage. Orateur hors pair, Julien Sorel, alors devenu Julien Sorel de La Vernaye, par sa redoutable ascension sociale, prouve à travers son discours, que l’amour reste la chose la plus forte en ce monde. Qui eut prédit que la passion ferait oublier à ce personnage pourtant si ambitieux son destin aux contours devenus lumineux ?
Ainsi, par une caractérisation indirecte, Stendhal présente un jeune homme du peuple, dans une situation désespérée, s’imposant comme le symbole d’une classe sociale oppressée et offre de cette manière une lourde réflexion à la satire aussi cuisante pour le XIXème siècle au sein duquel le roman fut publié, que pour le XXIème, où il continue vivre… « Le Rouge et le Noir « apparaît comme un roman mêlant tous les genres, pouvant être aussi bien considéré comme d’apprentissage, philosophique, ou encore sentimental.
Ainsi, le combat pour lequel Julien Sorel laissera sa vie comme l’engagement de Stendhal dévoilé par son œuvre, poursuit son cours à travers le temps …
N’est-ce donc pas le rêve de tout romantique d’obtenir pareille postérité ?
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