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Le Mythe D'Electre Selon Sophocle, Giraudoux Et Sartre

Publié le 29/09/2010

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sophocle

 

Dissertation

 

Sujet : La légende d’Electre et d’Oreste, les enfants d’Agamemnon et de Clytemnestre, a inspiré les tragédiens de l’Antiquité. Au XXème siècle, la reprise du mythe a permis d’en renouveler la signification. On pourra confronter ces différentes versions de la légende autour des axes suivants :

- les manifestations du tragique : la lamentation de la passion souffrante, le sentiment de culpabilité, la lutte des héros contre la fatalité ;

- les représentations du destin : la présence des dieux, les caractères du dénouement ;

- les différentes facettes d’Oreste et d’Electre : victimes du destin, vengeurs partagés entre mauvaise conscience et libre arbitre.

 

·  Le mythe d’Electre a inspiré de nombreux tragédiens de l’Antiquité. En effet, l’histoire tragique d’Electre, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, qui fit tuer sa mère et son amant par son frère Oreste pour venger la mort de leur père inspira, entre autres, Eschyle, Sophocle et Euripide. Au XXème siècle, la reprise du mythe a permis d’en renouveler la signification. A travers les exemples d’extraits d’ Electre du célèbre tragédien athénien Sophocle (497-405 av. J-C), d’ Electre de l’écrivain et diplomate français Jean Giraudoux (1882-1944) et de Les Mouches du philosophe et écrivain français Jean Paul Sartre (1905-1980), nous confronterons ces différentes versions de la légende d’Electre et Oreste autour de trois axes principaux.

En premier lieu, nous étudierons les manifestations du tragique à travers l’étude de la lamentation de la passion souffrante, du sentiment de culpabilité et de la lutte des héros contre la fatalité à l’aide des différents extraits proposés.

Dans une deuxième partie, nous démontrerons l’existence de représentations du destin grâce à la présence des dieux et de caractères du dénouement.

Enfin, nous établirons les différentes facettes d’Oreste et d’Electre à travers l’observation des vengeurs, partagés entre mauvaise conscience et libre arbitre et de leurs péripéties (victimes du destin). 

 

·  Le tragique se manifeste de trois façons différentes : la présence de lamentations de la passion souffrante, du sentiment de culpabilité et de la lutte des héros contre la fatalité. 

Dans l’extrait d’Electre de Sophocle, la lamentation de la passion souffrante se caractérise par l’emploi du champs lexical du malheur, du désespoir et de la mort : « Hélas « (l.1 et 34), « ô « (l.3), « mort « (l.5-35-45), « brisé ma vie « (l.7), « souffrance « (l.9), « les misères « (l.14), « l’excès de mon chagrin « (l.20 et 22), « tant que me retiendra la vie « (l.24),  « mes pauvres enfants « (l.25), « vaines consolatrices « (l.27), « deuils « (l.28), « mes plaintes « (l.30), « mes plaintes aigues « (l.41). Tout ce vocabulaire crée une atmosphère tragique et désespérée tout au long de cet extrait, cette atmosphère étant accentuée par la présence du sentiment de culpabilité dans le personnage d’Electre. En effet, Electre admet sa violence par une concession envers le chœur, en la justifiant par la répétition de « l’excès de mon chagrin « (l.20 et 22). Les vers « ne jamais me sentir en paix avec moi-même si, par égard pour eux ingrate envers mon père, je comprimais l’essor de mes plaintes aiguës ! « (l.39-40-41) appuient ce sentiment de culpabilité très présent dans cet extrait. De plus, Electre n’essaie pas de lutter contre la fatalité : les vers « C’est plus fort que moi […] je ne retiendrai pas ces transports qui me perdent tant que me retiendra la vie « (l.20-22-23) le prouvent. Elle n’attend que la mort. 

 

En opposition avec l’extrait d’Electre de Sophocle, l’extrait suivant de la pièce de Jean Giraudoux inclut moins de manifestations du tragique autour du personnage d’Electre, mais autour de deux personnages qui représentent le peuple, principalement la femme Narsès et le mendiant.

 

Chez Electre de Jean Giraudoux, la lamentation de la passion souffrante se définit par l’emploi chez la femme Narsès de la question rhétorique « Où en sommes-nous, ma pauvre Electre, où en sommes-nous ? « (l.22-23). La répétition de « Où en sommes-nous « et l’utilisation de l’adjectif « pauvre « renforcent l’impression de tragique augmentée encore par  « […] que tout est gâché, que tout est saccagé , et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entretuent, mais que les coupables agonisent… « (l.27-28-29). Le désespoir et l’horreur contenus dans cette phrase appuient le sentiment de tragique renforcé par l’absence de toute culpabilité chez Electre. En effet, celle-ci, par la répétition de « J’ai ma conscience, j’ai Oreste, j’ai la justice, j’ai tout. « (l.11-15-20) et malgré le fait que les Euménides lui démontrent qu’elle ne possède plus sa conscience ou Oreste, Electre reste bornée et ne ressent aucun sentiment de culpabilité envers les habitants de la ville, innocents, qui meurent « Me voilà satisfaite […] je sais qu’elle renaîtra. « (l.5) et « S’ils sont innocents, ils renaîtront « (l.8). Ce que peuvent dire les Euménides ne l’atteint pas. Elle n’essaie pas de lutter contre la fatalité : la mort du peuple, de la ville, de son frère mais imagine à travers la femme Narsès et le mendiant la renaissance, l’aurore.

 

Dans les deux précédents extraits, le personnage d’Oreste n’était que cité tandis que dans l’extrait suivant de Les Mouches de Jean Paul Sartre, le personnage apparaît clairement.

 

Dans l’extrait de la pièce de Jean Paul Sartre, la lamentation de la passion souffrante est représentée principalement par une longue tirade d’Oreste : « Ecoute : une horreur sans nom s’est posée sur toi et nous sépare. Pourtant qu’as- tu donc vécu que je n’aie vécu ? Les gémissements de ma mère, crois-tu que mes oreilles cesseront jamais de les entendre ? Et ses yeux immenses - deux océans démontés - dans son visage de craie, crois-tu que mes yeux cesseront jamais de les voir ? Et l’angoisse qui te dévore, crois-tu qu’elle cessera jamais de me ronger ? « (l. 22 à 27) La répétition de « crois-tu « intensifie l’impact tragique de ses mots déjà mis en évidence par la didascalie « se cachant la figure de ses mains - Ha ! « (l.2) et le refus d’Electre de voir la vérité en face « Non ce n’est pas vrai… Attends… Si ! Ah ! Je ne sais plus. « (l.9).

La culpabilité d’Oreste et d’Electre dans le meurtre de leur mère est parfaitement assumé par Oreste « Electre, nous avons décidé de ce meurtre ensemble, et nous devons en supporter les suites ensemble « (l.5-6) tandis qu’Electre ne l’assume pas entièrement, influencée par les Erinnyes « Non, ce n’est pas vrai… Attends… Si ! Ah ! Je ne sais plus. J’ai rêvé ce crime. Mais toi, tu l’as commis, bourreau de ta propre mère. « (l.9-10). De ce fait, Oreste est le seul à lutter contre la fatalité, essayant d’influencer sa sœur et de la libérer de l’emprise des Erinnyes « Nous sortirons bientôt, nous irons sur les routes ensoleillées, et ces filles de la nuit perdront leur puissance « (l.14-15) et « Donne moi ta main : je ne t’abandonnerai pas « (l.29-30).

 

Nous avons donc pu remarquer que l’extrait d’Electre de Sophocle est l’extrait qui comprend le plus de tragédie en elle-même au niveau du personnage d’Electre tandis que les extraits de Jean Giraudoux et Jean Paul Sartre laissent entrevoir à la fois l’espoir et le malheur qui s’abattent sur Electre et Oreste. Nous allons voir si les représentations du destin telles que la présence des dieux ou les caractères du dénouement sont présents dans les différents extraits.

 

· Les représentations du destin se distinguent de deux manières : la présence des dieux et les caractères du dénouement, c’est-à-dire la manière dont se termine  une action.

Dans l’extrait de l’œuvre de Sophocle, les dieux sont représentés par Zeus dans un vers prononcé par Electre « Puisse le grand Olympien « (l.8), roi de l’Olympe. Tandis que dans Electre de Giraudoux et Les Mouches de Sartre, ils sont représentés par les Euménides (ou Erinnyes), trois déesses au rôle moral et social de punir les criminels. Dans la pièce de Giraudoux, elles essaient de donner mauvaise conscience à Electre, tentent de la déstabiliser « Oreste ! Plus jamais tu ne reverras Oreste. Nous te quittons pour le cerner. Nous prenons ton âge et ta forme pour le poursuivre. Adieu. Nous ne le lâcheront plus, jusqu’à ce qu’il délire et se tue, maudissant sa sœur. « (l.16 à 19). Le but qu’elles poursuivent est de rendre Electre coupable du meurtre de son frère. Dans l’œuvre de Sartre, elles apparaissent plus malsaines encore que dans celle Giraudoux « riant et criant - Bourreau ! Bourreau ! Boucher ! « (l.11) et « Tu ne reverras jamais le soleil, Electre. Nous nous masserons autour de lui et toi comme une nuée de sauterelles et tu emporteras partout la nuit sur ta tête. « (l.17-18-19).

 

Les dieux sont donc très présents dans les extraits de Giraudoux et de Sartre mais beaucoup moins dans celui de Sophocle. Nous allons désormais étudier les caractères du dénouement dans ces différents extraits.

 

Chez Electre de Sophocle, le dénouement se caractérise par la vengeance d’Electre, en effet « ne jamais me sentir en paix avec moi-même […] et que les autres, en retour, n’auront pas payé mort pour mort « (l.39 à 45) et « le mien n’aura repos ni cesse [ses deuils] ; innombrables seront mes plaintes à jamais. « (l.29-30), Electre vivrait dans le malheur, le remord si elle ne vengeait pas la mort de son père avec le meurtre de ceux qui l’ont fait assassiner « les autres « (l.44), c’est-à-dire Clytemnestre et son amant Egisthe.

Tandis que Sophocle inspire dans son extrait la vengeance, Electre de Jean Giraudoux crée un esprit de paix intérieure, d’apaisement grâce à l’emploi du champs lexical du renouveau, de la renaissance : « lueur « (l.2), « renaîtra « (l.5), renaîtront (l.6-8), « jour se lève « (l.26), « jour qui se lève « (l.29) et enfin « l’aurore « (l.32) qui clos cet extrait. Le fait que ce que disent les Euménides n’atteigne pas Electre confirme ce sentiment de paix intérieur présent tout au long de l’extrait.

Dans Les Mouches de Jean Paul Sartre, le dénouement est symbolisé par la peur d’Electre envers les Erinnyes « Laissez-moi ! Cessez de me torturer ! « (l.20), « C’est ta faiblesse qui fait leur force. « (l.21) et la force et le courage d’Oreste « Vois : elles n’osent rien me dire « (l.21-22), « Par-delà l’angoisse et les souvenirs « (l.28). Il protège sa sœur, l’entraine à oublier le passé et le malheur et à dépasser ses craintes.

 

 

Après avoir démontré la présence et l’importance des dieux dans les extraits proposés ainsi que les caractères particuliers du dénouement, nous allons établir les différentes facettes d’Oreste et d’Electre.

 

· Les différentes facettes d’Oreste et d’Electre se caractérisent par les épreuves traversées par ces deux personnages, des vengeurs partagés entre mauvaise conscience et libre arbitre, soit la capacité de juger librement.

Chez tous les auteurs, Electre et Oreste sont considérés comme victimes du destin puisque le malheur s’abat sur eux. En effet, le fait que leur père soit assassiné par leur mère et son amant et qu’ils doivent à leur tour devenir des meurtriers fait d’eux des victimes du destin, tout particulièrement dans l’extrait de Jean Paul Sartre où Oreste décrit avec précision le meurtre de sa mère et les images qui resteront à jamais gravées en lui « Ecoute : une horreur sans nom s’est posée sur toi et nous sépare. Pourtant qu’as- tu donc vécu que je n’aie vécu ? Les gémissements de ma mère, crois-tu que mes oreilles cesseront jamais de les entendre ? Et ses yeux immenses - deux océans démontés - dans son visage de craie, crois-tu que mes yeux cesseront jamais de les voir ? Et l’angoisse qui te dévore, crois-tu qu’elle cessera jamais de me ronger ? « (l. 22 à 27).

Dans l’extrait de Sophocle, le pessimisme et le désespoir d’Electre l’empêchent de penser normalement. En effet, elle se lamente constamment « l’excès de mon chagrin « (l.22), « le mien n’aura de repos ni cesse [le deuil] « (l.29) et ne pense qu’à sa future vengeance, alors que dans l’œuvre de Jean Giraudoux, Electre n’éprouve aucune mauvaise conscience. Elle n’essaiera pas de démentir les accusations les Euménides, grâce à la répétition de « J’ai tout « (l.11-15-20) . Electre apparait dans cet extrait très déterminée contrairement à la pièce de Sartre où elle semble fragile, telle une enfant protégée par son père.

 

· Ainsi, la légende d’Electre et d’Oreste, reprise par de nombreux auteurs, garde le même fil directeur : de nombreuses manifestations du tragique et représentations du destin ; bases de toute pièce tragique. Malgré le nombre de siècles séparant l’écriture des différentes pièces, le temps n’a pas réussi à changer significativement les facettes d’Electre et d’Oreste.

 

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