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Le mythe de Don Juan, avant et après Molière

Publié le 11/05/2011

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    Le mythe de Don Juan est plus ancien que le Don Juan de Molière. En effet, le dramaturge reprit ce thème pour écrire sa pièce de théâtre en seulement quatre jours, suite à l’échec du Tartuffe. Au départ, ce mythe avait des origines espagnoles avec Tirso de Molina, italiennes et françaises. Après Molière, il est revu avec Mozart et Da Ponte au XVIIème siècle. On observe par la suite un Don Juan romantique, ou post romantique, avant sa résurgence au XXème siècle.  Don Juan, personnage de Tirso de Molina :  Tirso de Molina, un des grands auteurs de théâtre du Siècle d'or espagnol, a certainement rassemblé des traits puisés à différentes sources littéraires et folkloriques. Il est beaucoup moins sûr qu'il ait transposé, comme on l'a suggéré, le visage et les aventures de quelque libertin de son temps. El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra (Le Trompeur..., ou mieux Le – mauvais – farceur de Séville et l'Invité de pierre), l’histoire de Tirso, fut publié en 1630, dans un recueil de pièces divisées en trois « journées «.  Le trompeur, ici, c'est Juan Tenorio, jeune seigneur qui se divertit à abuser des femmes en leur faisant croire qu'il les épousera, ainsi qu'à berner leurs maris, leurs fiancés, leurs amis, qui sont parfois les siens car le cœur n'a pas la moindre part à ces entreprises qu'il mène. Il déguise son identité, secondé par Catalinón, son valet, craintif et parfois récalcitrant. Ses aventures le contraignent à fuir incessamment. La mobilité de Don Juan est fortement marquée dès l'origine de sa légende ; il est le chasseur pourchassé.  L'« invité de pierre «, c'est la statue funéraire du Commandeur, don Gonzalo de Ulloa, père d'Ana. Tué par le séducteur, le Commandeur poursuit sa vengeance par-delà la mort. Toujours par jeu, Don Juan a défié la statue de venir dîner avec lui ; mais celle-ci se rend à l'invitation, et, à son tour, l'invite à dîner dans sa demeure funèbre. Et quand Don Juan s'y présente, non sans courage, il apprend – trop tard – que sa dernière heure est venue : l'homme de pierre le saisit par la main et le précipite dans les feux de l'Enfer.  Ainsi, Don Juan Tenorio a la passion de jouer avec ce que les hommes tiennent communément pour sacré : l'amour, la mort, la religion. Il repose sur l'idée qu'avant de mourir, il lui sera laissé par Dieu le temps d'implorer son pardon. D'où son refrain, à ceux qui l'adjurent de régler ses comptes avec sa conscience : « J'ai bien le temps de m'acquitter ! « Or le téméraire qui remet toujours à plus tard la résipiscence finit par lasser la patience de Dieu. Telle est la morale de cette « comédie « dont le dénouement spectaculaire grave dans l'esprit du public l'idée du danger qu'on encoure à jouer imprudemment à de tels jeux. Le mythe est donc double : à la fois religieux à travers le libertinage de Don Juan, et à la fois social et psychologique à travers sa constante séduction.  Le Don Juan de Molière :  Grâce à divers auteurs, aux troupes italiennes, au théâtre forain, le mythe était déjà populaire en France quand Molière le reprit en 1665, dans une pièce en prose qui, si elle n'est pas la plus belle de toutes ses comédies, en est la plus audacieuse et la plus troublante.  Don Juan, odieux certes par sa cruauté envers les femmes, envers son père ou les petites gens, n'en apparaît pas moins comme un seigneur prestigieux. Il a de l'esprit, du panache, une vraie bravoure : il vole au secours d'un homme seul attaqué par plusieurs brigands ; jusqu'au dernier instant, il s'obstine dans son orgueilleux refus de la religion. Il séduit vraiment et – cas unique – bien que protagoniste d'une comédie fort comique, il ne l'est lui-même aucunement : s'il fait rire, c'est aux dépens des autres. D'où l'ambiguïté du message moral, malgré le dénouement punitif pieusement conservé. L'auteur – dont les propres amours furent malheureuses – se serait-il lui-même laissé prendre à la séduction de son personnage ? Il nous entraîne en tout cas bien loin de celui de Tirso et de la claire leçon du moine dramaturge !  La nouveauté capitale est Elvire, que Don Juan a enlevée du couvent pour l'épouser et l'abandonner aussitôt. Il la fuit, mais elle le rejoint ; une première fois en épouse haineuse, puis, une seconde fois, en pénitente, résignée à son propre malheur mais non pas à celui de don Juan qu'elle supplie en vain de s'amender. Personnage essentiel parce qu'il motive les fuites et les déguisements de don Juan, assurant l'unité de la pièce ; mais aussi parce qu'il fournit à don Juan l'occasion de manifester son athéisme de la façon la plus saisissante. Enfin la pathétique Elvire suggère une idée que le romantisme ne se lassera pas de magnifier : celle de la rédemption par l'amour vrai.  La pièce connut aussitôt une réussite éclatante. Pourtant après quinze séances fructueuses, Molière dut en suspendre les représentations. Pendant deux siècles, elle ne devait survivre en France que dans l'adaptation en vers, très édulcorée, de Thomas Corneille : Le Festin de pierre (1673). Elle n'en continua pas moins d'exercer, même en dehors de France, une action capitale. Son ambiguïté lui a conféré un pouvoir de suggestion qu'elle garde encore. Si don Juan est devenu l'un des plus grands mythes des temps modernes, c'est en premier lieu à Molière qu'il le doit.    Don Juan à travers Mozart et la musique :  Le thème avait évidemment inspiré d'autres musiciens avant Mozart : l'Allemand C. W. Glück, pour un ballet-pantomime (1761), et le Véronais G. Gazzaniga, pour un opéra donné à Vienne en 1787. Mais le « dramma giocoso « de Mozart, Don Giovanni, représenté à Prague la même année 1787, surpasse de loin toutes les compositions musicales auxquelles don Juan n’a jamais donné lieu, y compris le beau poème symphonique de R. Strauss, écrit exactement un siècle plus tard.  Le livret de Lorenzo Da Ponte rassemble habilement des éléments empruntés aux dramaturges antérieurs : Tirso, Cicognini et surtout Molière. On y retrouve le valet burlesque, les femmes successives, les rivaux, enfin le Commandeur, et sa statue vengeresse. L'intrigue, simplifiée selon les lois du genre, exploite, à l'exception du naufrage, la plupart des péripéties consacrées par la tradition : le meurtre du Commandeur, la double invitation à souper et le dénouement justicier, ainsi que les fuites de don Giovanni toujours poursuivi par ses victimes. Parmi celles-ci, Elvire conserve le trait le plus touchant de son homonyme chez Molière : la tendresse qui survit à l'offense et fait que l'héroïne redoute in petto les effets d'une vengeance qu'elle poursuit comme malgré soi. L’aspect religieux tend à disparaitre : on n’a plus la scène avec le pauvre. En d'autres occasions encore, la musique semble contredire les paroles des personnages, dont elle exprime les vrais sentiments. Au drame humain, le Commandeur ajoute enfin la dimension du surnaturel : sa basse profonde et l'orchestration religieuse qui l'accompagne représentent la part du mystère prophétique.  Quant à Don Giovanni, joyeux vivant que grise l'« odeur de la femme «, il est certes plus sensuel et plus raffiné que le héros de Tirso, mais d'une perversité moins consciente que celui de Molière. Parfois même, si tendrement mélodieux qu'on en vient à se demander s'il ne se prend pas lui-même à son jeu. Il n’est pas odieux, et est même capable de susciter quelque sympathie.    Un Don Juan romantique :  Le Don Juan du dix-neuvième siècle est l’héritier du Don Giovanni de Mozart. La musique semble avoir fait perdre à celui-ci le cynisme et la perversion du héros moliéresque. Le personnage a remanié profondément le romantisme conformiste de l’époque. Il se donne dès lors comme un héros romantique séducteur autant qu’il est séduit. Il est romantique car il attire l’amour sans mettre en œuvre les ressources d’une séduction calculée. Il porte de plus en lui une image d’un absolu féminin dont la recherche devient une quête démesurée et mélancolique. S’il quitte les femmes rencontrées et aimées, ce n’est donc pas en raison de la satisfaction de désirs purement sensuels mais soit en raison du destin, soit parce que l’idéal de la femme aimée, qu’il imagine comme unique ne peut jamais correspondre à la réalité.  Don Juan remplace l’absolu divin par l’absolu féminin et s’oppose de toutes ses forces à l’amour prosaïque et relativiste qu’impose la société bourgeoise. Don Juan est désormais l’incarnation de la rébellion de l’individu solitaire face à toute force coercitive, qu’elle soit sociale ou religieuse. Il se charge des aspirations romantiques qui agitent le siècle et perd en partie sa capacité à capacité à jouir réellement de ses conquêtes.  Les versions de ce Don Juan romantique se multiplient au sein de l’Europe du dix-neuvième. Pouchkine écrit Le convive de pierre en 1830 dans lequel Don Juan atteint une grandeur surhumaine et presque divine. Musset offre en 1832, dans Namouna, une conception d’un Don Juan comme assoiffé d’une beauté que seule peut lui offrir la femme. C’est un Don Juan poétique, éloigné de tout cynisme sordide, qui absolutise l’amour et y consacre son existence. La rédemption redevient possible, comme le montre les œuvres de Mérimée et de Dumas, les Âmes du Purgatoire, en 1834, et Don Juan de Maraña ou la chute d’un ange, en 1836. Ces deux œuvres réconcilient deux légendes, celle de Don Juan et celle de Don Miguel Mañara, qui vécut à Séville au dix-septième, eut une jeunesse débauchée mais fut ensuite d’une grande piété. La condamnation morale s'efface, au profit d'une fascination pour certains poètes comme Baudelaire par exemple. Le Don Juan ébauché au dix-neuvième siècle est donc un héros absolument romantique. Les auteurs qui s’attachent à ce sujet décident de mettre en valeur tel ou tel aspect particulier du mythe, créant ainsi un personnage aux multiples facettes mais qui reste cependant Don Juan.    Charles Baudelaire, «Don Juan aux Enfers«, Les Fleurs du Mal, 1857.  Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon, Un sombre mendiant, œil fier comme Antisthène, D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.   Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, Des femmes se tordaient sous le noir firmament, Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,  Derrière lui traînaient un long mugissement.   Sganarelle en riant lui réclamait ses gages, Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant  Montrait à tous les morts errant sur les rivages Le fils audacieux qui railla son front blanc.   Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire, Près de l'époux perfide et qui fut son amant, Semblait lui réclamer un suprême sourire Où brillât la douceur de son premier serment.  Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre  Se tenait à la barre et coupait le flot noir, Mais le calme héros, courbé sur sa rapière Regardait le sillage et ne daignait rien voir.   

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« qu'on encoure à jouer imprudemment à de tels jeux.

Le mythe est donc double : à la fois religieux à travers lelibertinage de Don Juan, et à la fois social et psychologique à travers sa constante séduction. Le Don Juan de Molière : Grâce à divers auteurs, aux troupes italiennes, au théâtre forain, le mythe était déjà populaire en France quandMolière le reprit en 1665, dans une pièce en prose qui, si elle n'est pas la plus belle de toutes ses comédies, en estla plus audacieuse et la plus troublante. Don Juan, odieux certes par sa cruauté envers les femmes, envers son père ou les petites gens, n'en apparaît pasmoins comme un seigneur prestigieux.

Il a de l'esprit, du panache, une vraie bravoure : il vole au secours d'unhomme seul attaqué par plusieurs brigands ; jusqu'au dernier instant, il s'obstine dans son orgueilleux refus de lareligion.

Il séduit vraiment et – cas unique – bien que protagoniste d'une comédie fort comique, il ne l'est lui-mêmeaucunement : s'il fait rire, c'est aux dépens des autres.

D'où l'ambiguïté du message moral, malgré le dénouementpunitif pieusement conservé.

L'auteur – dont les propres amours furent malheureuses – se serait-il lui-même laisséprendre à la séduction de son personnage ? Il nous entraîne en tout cas bien loin de celui de Tirso et de la claireleçon du moine dramaturge ! La nouveauté capitale est Elvire, que Don Juan a enlevée du couvent pour l'épouser et l'abandonner aussitôt.

Il lafuit, mais elle le rejoint ; une première fois en épouse haineuse, puis, une seconde fois, en pénitente, résignée à sonpropre malheur mais non pas à celui de don Juan qu'elle supplie en vain de s'amender.

Personnage essentiel parcequ'il motive les fuites et les déguisements de don Juan, assurant l'unité de la pièce ; mais aussi parce qu'il fournit àdon Juan l'occasion de manifester son athéisme de la façon la plus saisissante.

Enfin la pathétique Elvire suggèreune idée que le romantisme ne se lassera pas de magnifier : celle de la rédemption par l'amour vrai. La pièce connut aussitôt une réussite éclatante.

Pourtant après quinze séances fructueuses, Molière dut ensuspendre les représentations.

Pendant deux siècles, elle ne devait survivre en France que dans l'adaptation envers, très édulcorée, de Thomas Corneille : Le Festin de pierre (1673).

Elle n'en continua pas moins d'exercer, mêmeen dehors de France, une action capitale.

Son ambiguïté lui a conféré un pouvoir de suggestion qu'elle gardeencore.

Si don Juan est devenu l'un des plus grands mythes des temps modernes, c'est en premier lieu à Molière qu'ille doit. Don Juan à travers Mozart et la musique : Le thème avait évidemment inspiré d'autres musiciens avant Mozart : l'Allemand C.

W.

Glück, pour un ballet-pantomime (1761), et le Véronais G.

Gazzaniga, pour un opéra donné à Vienne en 1787.

Mais le « dramma giocoso »de Mozart, Don Giovanni, représenté à Prague la même année 1787, surpasse de loin toutes les compositionsmusicales auxquelles don Juan n'a jamais donné lieu, y compris le beau poème symphonique de R.

Strauss, écritexactement un siècle plus tard. Le livret de Lorenzo Da Ponte rassemble habilement des éléments empruntés aux dramaturges antérieurs : Tirso,Cicognini et surtout Molière.

On y retrouve le valet burlesque, les femmes successives, les rivaux, enfin leCommandeur, et sa statue vengeresse.

L'intrigue, simplifiée selon les lois du genre, exploite, à l'exception dunaufrage, la plupart des péripéties consacrées par la tradition : le meurtre du Commandeur, la double invitation àsouper et le dénouement justicier, ainsi que les fuites de don Giovanni toujours poursuivi par ses victimes.

Parmicelles-ci, Elvire conserve le trait le plus touchant de son homonyme chez Molière : la tendresse qui survit à l'offenseet fait que l'héroïne redoute in petto les effets d'une vengeance qu'elle poursuit comme malgré soi.

L'aspect religieuxtend à disparaitre : on n'a plus la scène avec le pauvre.

En d'autres occasions encore, la musique semble contredireles paroles des personnages, dont elle exprime les vrais sentiments.

Au drame humain, le Commandeur ajoute enfinla dimension du surnaturel : sa basse profonde et l'orchestration religieuse qui l'accompagne représentent la part dumystère prophétique. Quant à Don Giovanni, joyeux vivant que grise l'« odeur de la femme », il est certes plus sensuel et plus raffiné quele héros de Tirso, mais d'une perversité moins consciente que celui de Molière.

Parfois même, si tendrementmélodieux qu'on en vient à se demander s'il ne se prend pas lui-même à son jeu.

Il n'est pas odieux, et est mêmecapable de susciter quelque sympathie. Un Don Juan romantique : Le Don Juan du dix-neuvième siècle est l'héritier du Don Giovanni de Mozart.

La musique semble avoir fait perdre àcelui-ci le cynisme et la perversion du héros moliéresque.

Le personnage a remanié profondément le romantismeconformiste de l'époque.

Il se donne dès lors comme un héros romantique séducteur autant qu'il est séduit.

Il estromantique car il attire l'amour sans mettre en œuvre les ressources d'une séduction calculée.

Il porte de plus en luiune image d'un absolu féminin dont la recherche devient une quête démesurée et mélancolique.

S'il quitte lesfemmes rencontrées et aimées, ce n'est donc pas en raison de la satisfaction de désirs purement sensuels mais soit. »

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