« Le monde n'est pas une marchandise »
Publié le 18/03/2011
Extrait du document
« Le monde n’est pas une marchandise «[1]…
I - Introduction :
La rencontre de l’argent et de la culture sur le marché mondial n’est pas sans soulever maintes polémiques. Certains la voient comme inéluctable et allant dans le sens d’un progrès et d’un rapprochement des peuples, d’autres prédisent le risque d’uniformisation culturelle sous un modèle dominant (Etats Unis), l’exploitation financière d’un bien inaliénable et la perte des spécificités propres à chaque groupe social.
C’est de cette controverse que s’inspire cet ouvrage de Jean Pierre Warnier, professeur d’ethnologie et d’anthropologie à l’université Paris V.
Après avoir défini la notion de « culture « en commentant les différents concepts auxquels elle renvoie, il explique, historiquement et chronologiquement l’évolution de la circulation des cultures à travers le monde, en l’articulant aux avancées technologiques spécifiques à chaque époque. Puis il questionne les enjeux de la mondialisation sous plusieurs angles. Tout au long de l’ouvrage, il appuie son énoncé sur des références théoriques, mais également sur un certain nombre d’éléments statistiques étayant l’argumentation.
II – L’ouvrage – son contenu :
- Les différents aspects du concept de culture :
La culture peut être assimilé au concept de tradition. Elle se nourrit de la société qu’elle alimente en retour, intrinsèquement. Elle comprend toutes les habitudes (artistiques, vestimentaires, styles de vie, …) et capacités (langue…) d’une société donnée, que celle-ci soit circonspecte à une région géographique, localisée ou plus diffuse dans l’espace.
La langue, en particulier, associée à la culture, sont les vecteurs d’une identification des hommes au groupe social dans lequel ils évoluent.
Les connaissances ainsi incorporées, dès la naissance, permettent aux hommes de mettre en œuvre un répertoire d’action qui a du sens, qui est légitime aux yeux du groupe.
Mais cette culture, issue des traditions, n’est pas immuable, elle évolue au rythme de la société qui la porte. La mondialisation touche tous les secteurs des sociétés, la culture ne fait pas exception.
- Evolution chronologique du concept - de la fragmentation à la mondialisation :
D’une transmission séculaire des traditions et de la culture, nous sommes passés, dans les 50 dernières années à une ère de transmission industrielle de la culture.
J. P. Warnier remonte aux origines de l’Humanité pour énoncer les principes qui ont fondé le concept de culture et l’évolution de ses modes de transmission au fil des époques et des progrès techniques. Il remonte aux origines de l’Homme, où l’éloignement des populations sur d’immenses territoires empêche tout mélange des peuples, génère une fragmentation de la culture, puis évoque le regroupement de ceux-ci autour des villages, quand l’agriculture fait son apparition, puis des villes, pour glisser progressivement vers le concept du marché, avec l’apparition de la monnaie et le développement des moyens de transport. La culture fait déjà l’objet de polémique, certains la considérant comme un bien inaliénable, d’autres en faisant pour partie commerce. L’essor des moyens de communication (imprimerie…) amplifie ce phénomène.
Les différents univers socioculturels, jusqu’alors cantonnés dans un espace circoncis, sont mis en relation, pour atteindre des dimensions planétaires. Ces réseaux marchands s’enrichissent d’échanges culturels entre les continents. Les sociétés dites « traditionnelles « n’échappent pas à ce constat.
La division du travail et l’entrée dans l’ère industrielle marquent véritablement le début de l’ère de la mondialisation de la culture. L’intensification de l’imprimerie avec la presse qui se généralise, l’électricité, la radio, la télévision, le cinéma… tant d’innovations qui, si elles ne sont pas, dans un premier temps considérées comme proprement culturelles, sont un vecteur important de l’universalisation de la culture.
Les idéologies successives économiques jouent également un rôle prépondérant dans l’essor de l’industrie en général, auquel la culture n’échappe pas. Au cours du 20ème siècle, après les années keynésiennes et la construction de l’Etat Providence, l’idéologie néo-libérale prend le dessus, avec l’ouverture du marché, du marché financier, et la mise en concurrence des entreprises, culturelles y compris.
De ce fait, les industries de la culture ne sont pas en reste d’innovations, tant en terme de supports que de contenus. Des branches d’activités se multiplient, chacune recherchant une rentabilité maximum. Certaines tentent, à l’exemple de l’industrie cinématographique américaine, de s’étendre et de transmettre ses propres normes au reste du monde. D’autres cherchent seulement à subsister, continuer à transmettre des valeurs traditionnelles (patrimoine musical par exemple).
L’avènement des nouvelles technologies fait entrer l’industrie culturelle dans une nouvelle dimension, celle des firmes internationales développant des stratégies commerciales démesurées. C’est aussi l’ère où le consommateur est submergé d’offres culturelles, amplifiées par la diversité des média.
Cependant, J. P . Warnier fait le constat que la mondialisation se résume en fait à un échange marchand entre les pays les plus riches, les autres ayant d’autres besoins plus importants à couvrir en priorité.
- La dimension politique de la culture :
C’est donc une question politique qui émerge, en terme de droits, de libertés, d’égalité d’accès …. cette culture industrielle étant très inégalement répartie autour du globe, dans les populations. Des enjeux importants apparaissent, aussi bien liés à l’hégémonie de l’offre culturelle qu’à l’emprise du secteur privé. Une lutte pour conserver la culture propre à chaque pays s’engage, au moyen de politiques publiques indispensables.
La politique culturelle fait partie intégrante des politiques publiques économiques, ceci pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, force est de constater que la culture est une branche importante de l’économie, elle créée des emplois, des richesses, au-delà de la question identitaire.
De plus, les médias sont l’objet d’enjeux politiques importants, à travers la transmission de l’information, sa censure, la liberté de la presse. C’est par ce vecteur que se transmettent la plupart des idéologies politiques, le contrôle de l’information est un élément de pouvoir.
Enfin, la question de l’appartenance sociale au groupe est toujours, malgré les évolutions technologiques, transmise par la voie des traditions, d’où l’importance de promouvoir le patrimoine national, dans une démarche d’éducation.
Ce dernier point est particulièrement relayé au niveau local, où un certain engouement pour la préservation du patrimoine, une culture de « l’ancien «, une recherche des racines se développe.
Les politiques éducatives sont également un vecteur important de propagation de la culture, à travers la science qui véhicule des valeurs occidentales à travers le monde. Elles tendent également à inculquer des valeurs nationales aux enfants. De ce fait, il existe une tension entre celles-ci et le particularisme local, régional, à préserver, ainsi que la lutte contre la menace d’une culture industrielle uniformisée. J. P. Warnier cite en exemple l’interdiction de parler Breton à l’école, sous la 3ème République. Ce particularisme régional n’est réintroduit dans l’éducation (par le biais des écoles Diwan ou Calendretas pour notre région), que dès lors qu’il ne représente plus une menace mais une « relique inoffensive du passé «. Il est ici question de la liberté d’expression au regard des politiques engagées. (p. 67)
(Un rapport de l’UNESCO évalue à 20 / 30 le nombre de langues qui disparaissent chaque année).
La culture, dans sa globalité, est donc une affaire d’Etat. « L’exception française « en est un exemple concret. Au niveau international, les plus hautes instances s’emparent également des affaires culturelles. L’UNESCO, à travers son implication, défend un certain nombre de valeurs culturelles. Mais des organisations telles que le GATT ou l’OMC sont aussi partie prenante des décisions concernant le domaine culturel, celui-ci faisant partie du paysage du Marché.
- L’approche ethnologique :
Les ethnologues font un double constat. D’un côté ils « témoignent d’une érosion rapide et irréversible des cultures singulières à l’échelle planétaire «, dans tous les aspects des pratiques culturelles, religieuses, vestimentaires, architecturales… mais que celle-ci est « limitée par des éléments solides des cultures traditions « (p.76).
Ainsi, la prédominance culturelle des pays industrialisés n’empêche pas l’existence d’une production culturelle riche. Les sociétés traditionnelles maintiennent dans leurs pratiques des activités qui n’ont pas de valeur d’usage, mais une grande valeur sociale.
Cependant, la colonisation a été en partie responsable des disparitions de certaines valeurs, au nom du progrès industriel et social. Son coût se mesure aujourd’hui à travers la perte de repère et d’identité d’individus en grande souffrance, parce qu’écartelés entre plusieurs mondes, parce qu’au centre de conflits historiques, politiques, économiques.
Les minorités constituent des enjeux de lutte au niveau mondial. Si des textes de l’ONU protègent théoriquement leurs droits, aucun Etat n’est contraint de les respecter. Des associations interviennent alors, pour donner du poids aux 4 % de la population faisant partie des ethnies minoritaires et défendre le pluralisme culturel.
III - Conclusion :
Le débat sur la mondialisation, engagé tout au long de l’ouvrage, trouve un certain nombre de limites.
La majorité des arguments avancés jusqu’alors sont positionnés à partir de l’uniformisation de l’offre culturelle, pas à partir de sa réception. Peu d’enquêtes de terrain alimentent les débats ; peu de réflexion, également, sur les conflits qui animent les changements et la dynamique des sociétés, et au sein desquels les individus développent des stratégies de différenciation (dont la différentiation culturelle). Les groupes sont imaginatifs et instrumentalisent la consommation de masse pour produire leur propre identité.
L’augmentation du niveau de vie, de l’espérance de vie, des sociétés industrialisées fait apparaître de nouveaux comportements, une demande d’individualisation des offres de biens et de services. Les aménagements successifs des temps de travail permettent aux individus de s’adonner à des pratiques artistiques choisies parmi un large éventail.
Le terme de « mondialisation « mis à l’écart, on peut tout au plus parler d’une « globalisation « de certains marchés de biens culturels bien ciblés. Les industries de la culture ne sont pas la culture !
L’humanité, en construction permanente de son histoire, est faite de clivages, raccrochant les individus à leurs groupes sociétaux, leur patrimoine inaliénable, leurs valeurs morales. La globalisation entraîne en fait en réaction une fragmentation des identités, des groupes, des cultures, pas une mondialisation.
C’est peut-être cet éclatement qui est le plus à craindre, car il met en péril la cohésion des états et le principe de démocratie.
IV – Ce que j’ai retiré de l’ouvrage :
"Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent." [2]
La queston de la mondialisation de la culture est pour moi une ouverture des contenus économiques de la formation Master vers un domaine pour lequel je n’avais pas, systématiquement, ce type d’approche, de conception de marché.
Le choix de cet ouvrage est donc lié à une volonté de conforter mes connaissances économiques, d’une part, mais également des les confronter à des valeurs qui vont, pour moi, au-delà de valeurs marchandes, dans une approche plus sociologique de la notion de culture.
C’est donc plus spécifiquement dans la seconde partie du livre dédiée à la singularité des cultures, en opposition avec la globalisation que mon intérêt pour l’ouvrage s’est accru.
J. P. Warnier relativise, dans sa conclusion, le risque majeur de mondialisation de la culture, émettant l’hypothèse que l’éclatement culturel est un risque bien plus important pour l’équilibre des démocraties.
Est-ce que l’existence de cultures minoritaires, qui disparaissent quotidiennement, peut-être qualifié de risque d’éclatement culturel ? Pour exemple, dans son émission du 1er Mai dernier, le magazine Thalassa abordait la situation du peuple Tchouktches, société traditionnelle habitant sur les côtes russes du détroit de Béring. Ce reportage témoigne de la fin d’un peuple, construit à partir de rencontres régulières avec ces hommes et femmes depuis 1996 jusqu’à 2008. Sous des prétextes géopolitiques, économiques, les russes ont peu à peu anéanti la culture de ce peuple, basée sur la sagesse de ses relations avec la nature et ses croyances religieuses. Ils l’ont condamné à être assimilé, abruti par l’arrivée brutale d’une société de consommation dont il n’avait que faire, alcoolisé pour être plus docile. L’histoire des indiens d’Amérique n’a pas servie de leçon…
Pour autant, n’avons-nous pas à apprendre de ces peuples, à l’heure où notre planète connaît des enjeux sociaux, écologiques, économiques importants ?
Les politiques publiques, mettent en avant les moyens qu’elles engagent pour le développement culturel régional. Elles permettent aux territoires de bénéficier d’une visibilité accrue. On peut alors s’interroger sur les véritables enjeux de ces politiques culturelles qui pourraient servir d’autres politiques, économiques par exemple, en développant le potentiel touristique d’un territoire. (Rénovation du patrimoine, subvention de festivals locaux ou de musées régionaux…)
Se définir d’une culture, qu’elle soit liée à un territoire géographique ou à une appartenance sociale, s’est se définir, se différencier, c’est une manière d’exister dans le monde et la société. L’individualisation croissante de la société ne pousse-t-elle pas les individus à chercher à exister au sein d’une communauté, pour (re)trouver une identité perdue par ailleurs ?
Les problématiques liées à l’exclusion du monde du travail, par exemple, ne permettent plus à l’homme de se procurer une identité sociale, ni de s’inscrire dans un collectif et des réseaux sociaux. La revendication d’appartenance au groupe culturel peut venir contre balancer cette absence de reconnaissance professionnelle.
D’autre part, derrière le terme de fragmentation culturelle, se dessine la crainte du communautarisme, qui serait un danger pour l’unité nationale. Ce terme utilisé depuis les années 80, revêt un caractère extrêmement péjoratif à l’encontre du droit des minorités inscrit dans les textes de l’ONU. La question du « droit « se transforme en « revendication «, qui est sous-jacent d’une nature illégitime, de l’idée d’un homme non plus libre, mais asservi. Dans un Etat sécuritaire, le politique met en avant le danger. Mais cette notion ne s’est-elle pas construite sur le socle des discriminations ?
La question de la diversité culturelle n’est donc peut-être qu’un faire valoir pour les politiques :
- Enjeux de pouvoir d’un peuple dominant qui anéantit des valeurs et pratiques minoritaires,
- Enjeux économiques qui rentabilisent la culture et la tradition, lui donnent un prix,
- Enjeux politiques qui, sous couvert de « risque « pour l’unité du pays ou la démocratie, stigmatisent les cultures différentes,…
Il me semble que l’Humanité aurait tout à gagner à préserver voire développer l’interculturalité. Celle-ci permettrait peut-être de dépasser les clivages, les différences, pour ouvrir un nouvel espace, non pas dominé par une culture supérieure, qui serait, bien sûr, celle des pays dominants économiquement, mais un espace d’enrichissement mutuel, de collaboration et de respect.
Dans le contexte néolibéral actuel, cela semble malheureusement être de l’utopie….
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