Le Mariage de Figaro, Acte III, scène 5, Beaumarchais
Publié le 28/01/2011
Extrait du document
Introduction
La scène 5 présente un affrontement mémorable entre le comte et Figaro, qui semblent se
livrer à un jeu de dupes. Le maître impose un interrogatoire méthodique qui permet au valet de
déployer un art de l’esquive. Beaumarchais accorde l’avantage au valet, qui brille par ses traits
d’esprit.
I/ Un jeu de dupes
Le maître et le valet rivalisent de fourberie. Le comte tente de masquer ses intentions, c’est-à-
dire s’assurer que Figaro ignore ses manœuvres, et le valet feint l’ingénuité afin de mieux désarçonner
son adversaire.
1°) La conduite de l’interrogatoire
Le comte soumet Figaro à un feu de questions, que celui-ci détourne et esquive
successivement, notamment il feint de croire que le comte l’interroge sur le danger qu’il courait : « On
dirait que je me suis engouffré tout vivant. «, ce qui suscite les mutations du comte : « Vous entendez
fort bien que ce n’est pas le danger qui m’inquiète, mais le motif. «. Le ton péremptoire
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du comte
indique qu’il ne se laisse pas duper et qu’il a compris qu’il s’agissait d’une fausse méprise. De plus,
Figaro renverse la situation en mettant en cause l’emportement du comte : « Sur un faux avis, vous
arrivez furieux, renversant tout, comme le torrent de la Morena ; vous cherchez un homme, il vous le
faut «. On remarque que le jeu de mot : « faux « ; « faut « qui dénonce l’artifice et l’arbitraire qui
anime la colère du comte. De plus, l’allitération en /f/ : « faux « ; « furieux « ; « fort « souligne cet
aspect. Enfin, le rythme saccadé introduit une mimétique du texte, le discours du comte est assimilé au
flux du torrent. Le discours de Figaro retourne l’accusation du comte contre lui sur le mode de la
suggestion : le valet n’est pas plus insidieux
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que le maître.
Surtout, la crainte factice de figaro lui permet de distraire l’attention du comte qui oublie la
question de la cause pour s’interroger sur le moyen utilisé : « Vous pouviez fuir par l’escalier «. Mais
encore une fois, la vivacité de Figaro lui permet de prévenir la menace : « Et vous me prendre au
corridor «. Figaro joue les proies sans défense, comme l’indique l’utilisation du verbe « prendre «.
L’allitération en /p/ qui relie les verbes pouvoir et prendre souligne les rapports de force. Face à la
promptitude de Figaro, le comte paraît bien maladroit. Il ne parvient pas à enchaîner habilement ses
propos : « Laissons cela. J’avais… oui j’avais quelque envie de t’amener à Londres. «. Les ruptures,
les interruptions et les reprises : « Ce n’est pas ce que je voulais dire « traduisent l’embarras du comte,
qui ne peut qu’alerter figaro. De même, le changement de ton instantané entre les deux répliques et
précisé par les didascalies : « en colère « ; « radouci «, que rien ne vient motiver ne peut être
qu’amputé à une stratégie, ce que Figaro devine aisément, de sorte qu’il parvient à inverser les rôles :
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Catégorique.
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Qui agit de façon trompeuse.c’est lui qui pose les questions : « Monseigneur a changé d’avis ? « ; « Combien me donnâtes-vous
pour la tirer des mains du docteur ? «. Figaro utilise des pirouettes : «… Autrefois tu me disais tout. /
Et maintenant je ne vous cache rien. «. Celui-ci trouve toujours une parade aux multiples provocations
du comte alors qu’il préserve son quant-à-soi
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.
2°) La technique de la parure
Beaumarchais structure le dialogue par le recours à l’aparté qui lui permet d’impliquer le
public dans le duel que se livrent les deux personnages.
A°) L’entrée en scène de Figaro
Elle se produit à l’insu du comte, de sorte que le spectateur devient spontanément le complice
de ce dernier : avec une grande virtuosité, Beaumarchais introduit un faux dialogue entre les
personnages, qui suscite le rire et expose d’emblée les enjeux de la scène : « S’il en sait un mot, je
m’en suis douté. «.
B°) Le parallélisme des apartés
On remarque que ceux de Figaro suivent ceux du comte. En fait, les apartés du valet semblent
répondre à ceux du maître, comme s’il pouvait les entendre et les contrer. Sur ce point encore, la
supériorité du valet apparaît nettement. Le comte en est réduit à l’offensive et à la critique : « Je
m’emporte et nuit à ce que je veux savoir «. Alors que l’attention de figaro est tournée vers
l’adversaire : « voyons-le venir et jouons serré. «. Dans le second parallélisme, le comte est dans
l’erreur : « elle n’a pas parlée. «. Alors que Figaro savoure sa victoire : « Il croit que je ne sais rien. «.
Transition : Figaro maîtrise parfaitement la situation, au point de pouvoir passer à l’offensive :
« Travaillons-le un peu dans son genre. «. Il parvient à inverser complètement la situation de départ.
II/ Une grande efficacité comique
Beaumarchais associe l’infériorité sociale à la supériorité de l’esprit. L’impertinence de Figaro
fonde la dimension comique en proposant une réflexion idéologique.
1°) Le faux dialogue
D’emblée, la scène place la joute oratoire, qui oppose les deux personnages, sous l’égide
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du
comique en intercalant les deux apartés, qui viennent s’ajuster pour mieux dénoncer la mesquinerie du
comte : « S’il en sait par elle un seul mot… / Je m’en suis douté. / … Je lui fais épouser la vieille. «.
Beaumarchais oriente la complicité du public, en révélant la menace qui pèse sur Figaro et en opposant
la verve
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du valet à la bassesse du comte.
2°) La vulgarité du comte
Celle-ci transparaît dans toutes ses répliques.
A°) Il affiche son mépris pour ceux qui n’appartiennent pas à sa caste
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Domaine personnel.
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Protection, sauvegarde.
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Caprice, bizarrerie, fantaisie.En effet, « la vieille « ; « la jeune «, sont les termes qu’il utilise pour désigner les femmes qu’il
ne considère pas en tant que personne. De plus, il ne concède aucune occupation personnelle à ses
subalternes : « Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter monsieur, quand je le fais appeler ? «.
L’emploi de « Monsieur « est ironique. Il s’agit d’un rappel à l’ordre sarcastique.
B°) Il fait preuve d’indignité envers la comtesse en lui prêtant une compromission qui n’est pas la
sienne
« Combien la comtesse t’a-t-elle donné pour cette belle association ? «. Il a une piètre opinion
de sa femme et de ses valets : ce sont des gens dont on achète les services ou les faveurs.
C°) Il ne parvient pas à se maîtriser
Le comte manque de mesure, comme l’indiquent les didascalies « interrompant «, « en
colère «. Sa nature emportée est exploitée par Figaro pour se disculper : « ou vous allez briser les
portes, enfoncer les cloisons. «. On a une progression entre « briser « et « enfoncer «. On remarque à
cet égard que Beaumarchais confirme les propos de Figaro. En effet, la suggestion du valet : « Qui sait
dans votre emportement si « se trouve corroborée
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par les réflexions du comte : « Je m’emporte «. Le
comte se trouve discrédité dans la scène au profit du valet qui manifeste un esprit étincelant.
3°) Le brio de Figaro
Le comte tente de soutirer des informations à Figaro mais ce dernier parvient à déjouer ses
manœuvres par sa maîtrise du langage.
A°) Le sens de la repartie
Figaro n’est jamais pris en défaut dans les critiques du comte. Il transforme un reproche en
insolence : « Les domestiques ici… sont plus longs à s’habiller que les maîtres ! / C’est qu’ils n’ont
point de valets pour les y aider. «. Il utilise une critique personnelle pour remettre en cause un système
social. De plus, il manie le persiflage
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avec subtilité en feignant de répondre aux attentes du comte : «
… Autrefois tu me disais tout. / Et maintenant je ne vous cache rien. «. Il y a une antithèse « tout «
« rien « sur laquelle repose le badinage
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sur lequel repose le sarcasme car Figaro fait allusion à la
dissimulation du comte. Il n’hésite pas à emprunter les attitudes du maître en invoquant de fausses
excuses : « Je me changeait «.
B°) Le don de la fantaisie
La virtuosité de Figaro s’exerce au dépend du comte qu’il veut étourdir par des pirouettes mais
produit aussi un divertissement comique destiné à emporter l’adhésion du public. On remarque que
Figaro ménage ses effets, puisqu’il utilise une expression elliptique dénuée de sens : « Je sais Goddam. «. Figaro se borne à reprendre le discours du comte pour souligner son objection. L’expression
est déroutante. Il utilise une expression elliptique sur laquelle il renchérit. Sa tirade est éblouissante car
elle s’articule sur l’emploi d’un seul mot et s’appuie sur une gestuelle cocasse, comme l’indiquent les
didascalies : « Il tourne la broche. « ; « Il débouche une bouteille. «. De plus, la démonstration
s’établit en contradiction avec le principe de base : « Il en faut peu pour aller loin «, puisque le propos
donne lieu à une série de méprises : « Voulez-vous tâter d’un bon poulet gras ? Entrez dans une
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Renforcer.
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Action de parler avec ironie, de se moquer.
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Amusement.taverne, et faites seulement ce geste au garçon. God-dam ! On vous apporte un pied de bœuf salé, sans
pain. « ; « Aimez-vous à boire un coup d’excellent bourgogne ou de clairet ? Rien que celui-ci. Goddam ! On vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. «. La déception est accusée. La
privation est considérable. D’autre part, le terme « excellent « s’oppose à la bière qui est présentée
comme une boisson ordinaire. Les exclamations : « C’est admirable « ; « Quelle satisfaction. «, sont
des antiphrases. Les jeux de scènes, Figaro imitant la démocratie des jolies personnes trottant menues,
constitue un morceau d’anthologie destiné à distraire le comte de ses soupçons.
C°) La réflexion morale
Cependant, le propos de Figaro atteint très vite une portée morale, dans les sentences qui
prêtent à réflexion. En effet, il donne une double leçon au comte : en premier lieu devant l’offense
faite à la comtesse : « Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? «. Figaro
préfère rappeler au comte sa conduite antérieure, plutôt que de protester de la probité
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de sa maîtresse.
En effet, il suggère que le comte juge la comtesse à la lumière de ses propres défauts, en dénonçant sa
mauvaise foi : « Sait-on grès du superflu à qui nous prive du nécessaire ? «. Il lui donne une véritable
leçon : « Tenez, Monseigneur, n’humilions pas l’homme qui nous sert bien, crainte d’en faire un
mauvais valet. «.
Figaro oppose l’être à la fonction en utilisant les termes distincts : « L’homme « ; « Le valet «.
De plus, sa compétence est soulignée pour l’antithèse « bien « « mal «. De plus, on remarque l’emploi
de l’impératif : « N’humilions pas «, l’emploi de l’expression « tenez « constitue une familiarité et
donc une marque d’insolence. Figaro se montre incisif
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en donnant une leçon de morale au comte et
l’on remarque que sa contestation devient idéologique : « Une réputation détestable «, il rétorque : « Et
si je vaux mieux qu’elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? «. La réplique
oppose l’être au paraître et allie la réflexion philosophique à la critique sociale.
Conclusion
Dans cette scène, Beaumarchais inverse les rôles traditionnels du maître et du valet car
ordinairement, le serviteur est réduit à singer lourdement son maître. Au contraire, Beaumarchais
accorde la prééminence au valet qui revendique la reconnaissance du mérite individuel et impose une
morale et une philosophie. De plus, il dénonce l’ingratitude comte qui récompense bien mal les
services rendus et il brandit une menace sourde derrière la badinerie plaisante. Cette scène se révèle
extrêmement importante, parce qu’elle mobilise toutes les ressources de l’art théâtral, c’est-à-dire la
maîtrise du langage et du corps, mais aussi parce qu’elle annonce la victoire des valets et son lien avec
l’ingéniosité de Figaro qui se livre à une prestation éblouissante, celui-ci devient dans cette pièce le
porte-parole de Beaumarchais et de la philosophie des Lumières.
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Amabilité, Bonté.
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Qui frappe par une énergie saisissante
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