Le lyrisme dans Les Regrets de Du Bellay
Publié le 16/04/2012
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Le lyrisme dans Les Regrets de Du Bellay
- I. Historique
- Joachim Du Bellay et la Pléiade
- Les Regrets
- II. Recherche de la sincérité
- Rupture avec le pétrarquisme
- Spontanéité de l’écriture
- III. Eloge du poète
- L’aventure de l’écriture
- La poésie, exploratrice du quotidien du poète
- IV. Expression du Moi nostalgique
- Ecriture-miroir du Moi
- Expression de la souffrance de l’exil
Introduction :
Le lyrisme désigne en poésie l’expression personnelle des sentiments du poète, la recherche de musicalité et la visée de l’idéal. Il est apparu au Moyen-Age à travers des formes associant aux poèmes la musique et la danse. En 1553, Joachim Du Bellay accomplit un voyage en Italie mais, déçu dans ses ambitions, il publie en 1558 après son retour en France un recueil de poèmes, Les Regrets, qui peignent comme un « journal de voyage »les mœurs de la ville et de la cour pontificale, les frustrations et la nostalgie de l’exilé.
- I. Historique
- Joachim Du Bellay et La Pléiade
Du Bellay est né en 1522 en Anjou dans une famille aisée de diplomates et d’hommes de guerre. Devenu orphelin très jeune, il a une enfance solitaire. Il se destine tout d’abord vers une carrière militaire puis se tourne vers une carrière religieuse comptant sur l’influence de son cousin, le cardinal Jean Du Bellay (évêque de Paris et diplomate). C’est donc pour se préparer à servir celui-ci que Du Bellay va étudier le droit à Poitiers en 1545.
C’est justement à Poitiers que Du Bellay rédige ses premiers poèmes et qu’il rencontre en 1546 Jacques Peletier du Mans, traducteur d’Horace et ardent défenseur de la langue française. Ce dernier est un précurseur des idées de la Pléiade. C’est à Poitiers que Du Bellay rencontre Ronsard alors âgé de 23 ans, en 1547. Il suivit celui-ci, dans l’espoir de s’illustrer dans la poésie jusqu’au Collège de Cocqueret.
Le Collège de Cocqueret réunit sous la direction de Dorat, helléniste renommé, un petit groupe d’élèves parmi lesquels Ronsard et Du Bellay. Dorat les initiait à la culture gréco-latine. De plus, ils apprenaient l’italien, les jeunes gens souhaitaient donner le même lustre à la langue française. Leur ambition commune les réunit autour de Du Bellay, de Ronsard et de Baïf, pour former la « Brigade » qui deviendra la Pléiade quelques années plus tard sous l’influence de Ronsard : La Pléiade.
La Pléiade confia au soin de Du Bellay l’écriture de son manifeste poétique, écrit en 1549 : Défense et illustration de la langue française. Celui-ci a pour but d’exposer la doctrine de la pléiade qui est :
- Défendre la langue française contre ses rétracteurs
- Illustrer la langue française, c’est-à-dire en faire une grande littérature par l’imitation des Anciens (à l’instar des Italiens)
Ce manifeste invite donc les artistes à composer leurs œuvres en français.
On doit également à Du Bellay l’écriture de divers recueils tels que :
- « L’Olive » en 1549
- « Recueil de poésie » en 1549
- « Les Regrets » en 1558
- « Les Antiquités de Rome » en 1558
- Les Regrets
Les Regrets est un recueil publié en 1558, qui a connu un succès immédiat, par Du Bellay. Il est composé de 191 sonnets préfacés par une adresse à Monsieur D’Avanson dans laquelle il expose les clés de son œuvre. La plupart de ces sonnets a été réalisée à l’occasion du voyage du poète à Rome qui a lieu entre 1553 et 1557. Les 42 derniers vers ont été écrits durant et après son retour en France.
L’une des premières caractéristiques des Regrets est qu’il s’agit d’une œuvre autobiographique. En effet, l’inspiration de Du Bellay est à la fois personnelle et sincère. De plus, la poésie des Regrets est une poésie élégiaque. En effet, Du Bellay indique par son titre « Les Regrets » qu’il exprime dans ses poèmes le désenchantement qu’il a vécu à Rome de par les occupations ingrates et ennuyeuses qui lui étaient confiées. Outre la déception profonde qu’il exprime dans ce recueil, une grande part de celui-ci est consacrée à la satire de la vie romaine, qu’il juge futile et médiocre, mais également à celle des courtisans français.
En effet, Du Bellay qui est un grand admirateur de la culture latine vie une véritable désillusion en découvrant les distractions de la vie romaine mais surtout l’hypocrisie et l’ambition qui règne notamment parmi les signataires religieux romains. Cette satire est notamment présente dans les sonnets suivants :
- Sonnet 86 : « Marcher d’un pas grave » (critique du courtisan romain)
- Sonnet 118 : « Quand je vois ces messieurs » (dénonciation des intrigues pontificales)
La poésie des Regrets est donc à la fois élégiaque et satirique, mais reste l’expression d’amères déceptions par le sentiment d’exil du poète et sa satire de la vie romaine.
- II. Recherche de la sincérité
- Rupture avec le pétrarquisme
Il faut savoir que même s’ils appartenaient tous deux à la Pléiade, la manière d’écrire de Du Bellay et celle de Ronsard comportent quelques différences. En effet, l’expression littéraire que l’on nomme le pétrarquisme associe une expression amoureuse exacerbée par l’absence et le refus de la dame, l’éloge de ses qualités quasi-divines et la joie-souffrance du poète par l’utilisation d’un grand nombre de figures de style, de lieux communs… ect… Du Bellay quant à lui voudra complètement rompre avec l’inspiration philosophique propre à Ronsard1, à l’imitation des Grecs, d’Horace ou de Pétrarque. En effet, il revendique dans Les Regrets une poésie beaucoup plus naturelle et personnelle donc il refuse cette poésie qu’il trouve un peu trop artificielle. Floyd Gray, auteur d’une anthologie de la poésie française du XVIème siècle, écrit que Du Bellay refuse « une écriture métaphorisante qui désigne et transforme plutôt qu’elle ne nomme directement ». De fait, il refuse également toute forme de pédantisme2. Cette écriture simplifiée fait plus de place à la subjectivité de l’auteur.
La poésie inspirée ne trouve dès lors plus source dans un élément extérieur tel que la femme aimée ou les lieux propres à l’amour mais elle trouve source à l’intérieur du poète même. L’écriture du soi devient son motif littéraire et la sincérité devient le nouveau motif de la poésie (sujet à travailler, à cerner). En effet, Du Bellay ne s’exige pas spécifiquement la sincérité mais il l’exige à ses vers. Ceux-ci lui servent de confidents, de « papiers journaux » (sonnet 1). Dans l’adresse à d’Avanson il écrit « d’un vers fait son art » et dans le sonnet 1 : « Aussi ne veux-je tant les pigner et friser ; Et de plus braves noms les déguiser ».
1 Sonnet 1 :
« Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers »
Sonnet 3 :
« Et c’est pourquoi ayant perdu la trace
Que suit votre Ronsard par les voit de la grâce »
2Sonnet 68
« Je hais moi-même encore mon imperfection,
Mais je hais par sur tout un savoir pédantesque »
- Spontanéité de l’écriture
La conception néo-platonicienne nourrissait la poésie du temps. Du Bellay s’est d’ailleurs également inspiré de cette conception lorsqu’il écrit l’Olive en 1549. Mais dans Les Regrets, Du Bellay veut mettre en place une écriture plus immédiate, simple et naturelle1. Ainsi, le poète n’écrit plus sur un sujet auquel il a longtemps réfléchit auparavant mais au contraire, sur ce qui le concerne à l’instant où il écrit. De plus, selon Du Bellay, la poésie doit progresser au hasard, au fil des évènements qui pourraient influer la vie, les impressions ou les sentiments du poète. Il le dit lui-même2 aux sonnets 30 et 40 et au sonnet 98, il fait une critique satirique des démons de l’inspiration. On peut donc parler de spontanéité de l’écriture dans la mesure où l’écriture inspirée n’est plus telle que la voyait Ronsard ou Baïf par exemple mais qu’elle prend source dans l’expérience personnelle du moment. A l’époque où Du Bellay écrit ce recueil de poésie, il est en exil à Rome, cette nouvelle conception de la construction poétique peut donc être expliquée par le contexte de la vie de l’auteur en 1553.
1Sonnet 2 :
« Aussi veux-je que ce que je compose
Soit une prose en rime ou une rime en prose »
2Sonnet 40 :
« Pallas sa guide était, je vais à l’aventure »
Sonnet 1 :
« Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure. »
- III. Eloge du poète
- L’aventure de l’écriture
A travers Les Regrets, l’écriture poétique devient une aventure périlleuse à l’image du périple d’Ulysse dans l’Odyssée. En effet, outre l’importance du thème du voyage d’Ulysse pour les poètes de la Renaissance, celui-ci revêt chez Du Bellay une signification plus profonde.
En effet, les poèmes consacrés à Ulysse sont nombreux :
- Sonnet 31 (« Heureux qui comme Ulysse »)
- Sonnet 40 (« Un peu de mer tenait… »)
Cette récurrence entraîne la présence d’une symbolique du voyage très riche où :
- La mer est l’image de la vie humaine
- Les récifs et les sirènes représentent les tentations
- Le naufrage devient le risque de mort spirituelle
- L’arrivée à bon port est l’image du salut
Chez Du Bellay, cette lecture spirituelle du mythe de l’Odyssée entraîne une dimension intérieure du voyage. L’exploration maritime devient le reflet de son propre trajet intérieur et spirituel
De plus, l’écriture des Regrets revêt une dimension métaphorique où :
- Le voyage et l’exil sont des métaphores des difficultés de l’écriture
- L’écriture est une aventure périlleuse dans laquelle se lance Du Bellay
- Les rivages inconnus représentent la modernité de l’écriture que revendique Du Bellay
- La poésie exploratrice du quotidien du poète
Les Regrets doivent être lus tels un journal de voyage où Du Bellay confie les détails des sa vie quotidienne. En effet, dès le premier sonnet du recueil il qualifie ses vers de « papiers journaux ».
L’inspiration autobiographique de Du Bellay le pousse à l’exaltation :
- Du passé par rapport au présent (d’où la structure antithétique de certains sonnets)
- De la France par rapport à Rome
- De l’être sur le paraître
De plus, Du Bellay dessine à travers Les Regrets une figure nouvelle du poète par l’intermédiaire de métaphores telles que :
- La métaphore du pèlerin
- La métaphore de l’aventurier
- La métaphore du prisonnier
Ainsi, par l’intermédiaire de sa poésie, Du Bellay explore son quotidien. Celui-ci influe sur les sentiments du poète qui les exprime dans son écriture (voir sonnet 15)
- IV. Expression du Moi nostalgique
- Ecriture-miroir du Moi
Attention, lorsque l’on parle ici « d’écriture-miroir du Moi », il ne s’agit tout de même pas du Moi des Romantiques car on n’a pas encore à l’époque de Du Bellay de réelle introspection. Mais néanmoins, le poète place le Moi en son centre. La poétique de Du Bellay dans Les Regrets se concentre essentiellement sur son intériorité, son ressenti et ses sentiments. De plus, Du Bellay, afin d’en tirer une leçon générale, a tendance à universaliser ses sentiments. Le « je » qu’il utilise dans ses poèmes ne désigne plus seulement lui mais il devient un « je » ouvert. De plus, la description de ses sentiments propres et de sa déception face à une Rome qu’il ne s’imaginait pas telle qu’il la découvre amène Du Bellay à se moquer de lui-même1.
1Sonnet 25 : (conseil : lisez tout le sonnet)
« Quand sur le seuil de l’huis, d’un sinistre présage,
Je me blessai le pied sortant de ma maison ? »
- La souffrance de l’exil
Comme nous l’avons vu auparavant, Du Bellay lors de son exil en Italie, souffre énormément de l’éloignement de son pays (le titre du recueil indique son désenchantement). Tout son recueil suit en fait un fil conducteur : l’expression de la mélancolie du poète exilé. Ainsi, le déracinement est également le motif de l’écriture. Pour Du Bellay, la poésie est capable de soulager et de transfigurer la souffrance de l’exil1. Ses vers le consolent dans ses « ennuis »2. La souffrance devient alors la passion qui nourrit l’œuvre Des Regrets. Dans ses poèmes, la détresse est continue et poignante, de plus, elle n’appartient qu’à lui3. De fait, dans cette expression d’amertume teintée d’attendrissement, d’autodérision et de douleur, il oppose la naïveté de ses rêves à la dure réalité.
1Sonnet 1 :
« Je me pleins à mes vers si j’ai quelques regrets »
2Sonnet 12 :
« Je ne chante, je pleure mes ennuis
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante. »
Sonnet 13 :
« Les vers seront l’appui de ma vieillesse »
3Sonnet 6 : Lire « Las, où est ce mépris de Fortune ? »
Sonnet 9 : Lire « France mère des arts, des armes et des lois »
Conclusion :
Les Regrets sont donc le journal d’une âme douloureuse et sincère, qui est tour à tour élégiaque et satirique. La sincérité dont fait preuve Du Bellay dans ses confidences font de lui l’un des poètes le plus original de la Pléiade. Le succès immédiat du recueil et sa renommée durable en sont la preuve.
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