Le livre de la Religion d'Al-Fârâbî
Publié le 14/01/2011
Extrait du document
I) L’auteur
Al-Fârâbî naquit à Wasij, dans le district de Farab, au Turkestan, en 872 dans une famille de nobles. Son père, d’origine persane, avait exercé un commandement militaire à la cour turque. A Bagdad, al-Fârâbî étudie la grammaire, la logique, la philosophie, la musique, les mathématiques et les sciences ; il y suit l’enseignement de Abu Bishr Matta Yunus, célèbre traducteur et commentateur des philosophes grecs ; à Harran, il fut disciple du nestorien Yuhanna Haylan. Il appartient donc à l’école philosophique d’Alexandrie qui s’était installée successivement à Harran, Antioche et Merv avant de se fixer à Bagdad. Au cours de ses années d’études, al-Fârâbî accumule une connaissance telle de la philosophie qu’elle lui vaudra le surnom de« Second Maître », par référence au « Premier Maître », Aristote. En 943, il s’installe à Alep où il devient membre du cercle littéraire de la courde Sayf al-Dawla Hamdani. Al-Fârâbî aime à s’isoler dans la nature pour méditer et écrire et c’est sans doute parce qu’il désespère de réformer sa société qu’il verse dans le soufisme. Ses voyages l’amènent en Égypte et c’est à Damas qu’il s’éteint en 950à l’âge de quatre-vingts ans. La grande passion d’al-Fârâbî est de comprendre l’univers, l’être humain et la place que celui-ci y occupe, en vue de parvenir à une représentation globale du monde et de la société. Il étudiera avec soin la philosophie de l’Antiquité, en particulier celle de Platon et d’Aristote, s’imprégnant d’éléments platoniciens et néoplatoniciens, qu’il intègre à la civilisation arabo-islamique dont la principale source est, on le sait, le Coran et les diverses sciences qui en dérivent.
Al-Fârâbî marque un tournant dans l’histoire de la pensée philosophique islamique car il est le véritable fondateur de la gnoséologie, qui repose sur la raison universelle et les démonstrations qu’elle administre. Le climat intellectuel, politique et social de son temps explique sans doute sa démarche car cette époque agitée voit en effet le califat islamique central se fragmenter en Etats et émirats indépendants à l’Est comme à l’Ouest ; les sectes et les écoles de pensée (madhahib) se multiplient, portant un coup sévère à l’unité intellectuelle et politique de la communauté (oumma). Aussi le souci d’al-Fârâbî est-il de redonner son unité à la pensée islamique en mettant l’accent sur la gnoséologie démonstrative. Fondateur de la logique dans la culture islamique, il reçoit pour cette raison même le surnom de « Second Maître » évoqué plus haut. Il se préoccupe aussi de restaurer l’unité en politique, faisant de la science politique un axe majeur de sa philosophie, en s’inspirant de l’ordre qui régit la nature mais aussi du Coran qui souligne la relation entre gnoséologie et valeurs (axiologie). Pour lui, la finalité première de la connaissance doit être la connaissance de Dieu et de ses attributs, une connaissance qui marque profondément le comportement moral de l’être humain et aide celui-ci à trouver la voie qui permet d’atteindre la fin ultime de son existence, tout en contribuant, indirectement, à éveiller l’intellect et à le conduire à la sagesse qui, pour al-Fârâbî, est le stade suprême de l’épanouissement intellectuel auquel l’homme puisse accéder ici-bas5. Ainsi, le sujet central de sa philosophie est l’unité de la société et celle de l’Etat, qui se réalisent par l’union de la pensée, de la sagesse et de la religion — elles-mêmes fondements du gouvernement de la communauté, qui doit être à l’image de l’unité et de l’ordre de l’univers. De fait, al-Fârâbî compare souvent l’ordre et l’unité de la cité à ceux de l’univers. Philosophie et religion sont donc chez lui deux expressions d’une seule et même vérité et ne diffèrent que dans le mode d’expression : la philosophie explique la religion et la démontre ; elle n’est pas en conflit ni en contradiction avec elle. C’est pour cette raison aussi que nous le voyons concilier la philosophie de Platon et celle d’Aristote afin d’établir l’unité de l’intellect : entre Platon et Aristote, il y a selon lui unité générale de pensée, les divergences n’étant que de détail. L’important, sur ce point, est qu’al-Fârâbî expose ce qui était tabou à l’époque hellénistique, à savoir la catégorie logique qu’est la « démonstration » dont il montre la fonction sociale et éducative dans la formation de l’esprit et de la conscience politique.
II) L’œuvre : Le livre de la Religion
L’œuvre d’Al Fârâbî est une courte œuvre, mais à la puissance et à la richesse philosophique incontestable. Le but de l’auteur est de construire une pensée qui emprunte à la philosophie antique et à la science politique tout en conservant les principes forts de la religion musulmane. Qu’est ce qui est le plus important pour Al Fârâbî dans son œuvre ? La félicité ultime, l’édification d’une cité vertueuse ou bien encore la religion comme principe moteur ? Son analyse se fera en trois temps. Il reviendra d’abord sur le terme de religion vertueuse et sur ses différents concepts Qu’est ce que la religion ? De qui dépend-elle avant tout? Quelles sont ses opinions ? Ses actions ? Le terme de religion apparaît alors dans une complexité évidente étant donné qu’il peut y avoir des conséquences différentes suivant le gouvernant et que de cela dépend les opinions et actions de la religion. Qu’est donc vraiment la religion ? Se suffit-elle à elle même ? Ne trouve-t-elle pas au contraire son application par l’aide d’autres domaines ? Quels sont ces domaines ? La religion et le droit (la jurisprudence) sont très liés. La jurisprudence tombe sous la philosophie à différents niveaux que ce soit mais également à la science politique. Qu’est ce donc que la science politique ? A-t-elle une quelconque importance dans la théorie de l’auteur? Al Fârâbî oriente alors sa pensée vers la science politique. Que permet-elle et comment parvenir à ses fins avec elle ? Où tout cela nous conduit-il ? Quel rapport entre félicité et religion ?
A) La Religion vertueuse
1) Définition de la religion- Religion vertueuse, Religion vicieuses
Qu’est ce que la religion ? De qui dépend avant tout la religion ? Quels sont alors les différentes conséquences suivant « l’état » de tel ou tel gouvernant ?
L’auteur dans ce passage donne, comme toute démarche philosophique l’exige, une définition du mot clef : ici le terme « religion ». Qu’est ce donc que la religion ? Ce sont « des opinions et des actions réglementées et rattachée à des clauses que prescrit le premier gouvernant d’un groupe de gens, en vue d’acquérir un objectif défini ». Cette première définition marque bien la volonté de l’auteur, de bien analyser ce qu’est véritablement ce concept. Cependant dans la suite du passage, al Fârâbî approfondit le concept en donnant plusieurs « états » possibles au gouvernant de la religion ce qui amène à des effets différents.
Il distingue ces différents états. Alors que le gouvernant vertueux permet l’acquisition de la « félicité ultime » par tous, un gouvernement vicieux et « falsificateur » induit une véritable quête de pouvoir de la part de ses « dirigeants » qui seuls profitent des bienfaits apportés et manipulent les autres. Nous remarquons dans l’analyse de l’auteur une dégradation. En effet il étudie d’abord le gouvernement religieux vertueux, puis l’ignorant et le fourvoyé et enfin le vicieux, le falsificateur. Les conséquences sont de plus en plus lourdes. L’auteur revient à la fin du passage au gouvernant religieux vertueux qui, selon lui, doit être le roi (ce qui rappelle d’ailleurs Platon) mais également inspiré par Dieu pour faire parvenir le gouvernement au bien.
2) Les opinions et les actions de la religion vertueuse
Que dire de plus sur la religion vertueuse. Quelles sont ses opinions ? Ses actions ?
Al Fârâbî distingue les deux types d’opinions de la religion vertueuse dans la suite du texte. « Il y a des opinions sur des choses liées à la théorie et des opinions sur des choses liées à la volonté ». Les opinions théoriques permettent de caractériser l’ensemble de Dieu et ses interactions avec le monde et les hommes (la spiritualité…) Les autres opinions sont celles liées aux exemples, bons comme mauvais et donc l’enseignement que nous pouvons tirer de leurs expériences passées. Selon l’auteur ces opinions (théoriques et empiriques) doivent être suggérées par le roi vertueux à l’ensemble des citoyens pour qu’ils prennent exemple. L’auteur ne parle pas cependant que des opinions. Pour lui, les actions ont également toute leur importance dans la religion vertueuse. Au premier plan de ces actions, les « actions qui exaltent Dieu » puis l’auteur effectue une hiérarchisation du parfait aux vicieux. Pour Al Fârâbî, il y a également comme autre action des règles à mettre en place dans les différents domaines de l’occupation d’un homme.
Transition : Le terme de religion apparaît ici dans une complexité évidente étant donné qu’il peut y avoir des conséquences différentes suivant le gouvernant et que de cela dépend les opinions et actions de la religion. Qu’est donc vraiment la religion ? Se suffit-elle à elle même ? Ne trouve-t-elle pas au contraire son application par l’aide d’autres domaines ? Quels rôles peuvent jouer le législateur et le juriste?
B) La Religion dans différents domaines
1) Quelques points de dénomination (Rappel)
Quelle différence entre religion et foi ? Quelle précision pouvons-nous apporter sur les opinions et les actions vues dans la partie précédente ?
Cette partie constitue une petite mise au point de ce qui a été vue précédemment en apportant des éléments nouveaux. Pour l’auteur, la foi et la religion sont quasiment des synonymes au même titre que loi divine et coutume religieuse qui peuvent signifier des actions mais également des opinions. L’auteur réalise ici une petite démonstration pour finalement nous montrer que la « religion est l’unité des deux parties » à savoir « la définition d’opinion et la réglementation d’actions ». Il distingue également deux sortes d’opinions théoriques dont la vérité est le principal leitmotiv.
2) Religion et Philosophie
Qu’est ce que la vérité ? En quoi ce concept rapproche la religion à la philosophie ?
Dans cette partie, Al Fârâbî commence par une définition de la vérité, c’est ce dont l’homme acquiert une certitude et cela peut se faire par différents moyens. Si une religion ne permet par aucun moyen l’accès à la vérité, alors « c’est une religion fourvoyée ». L’auteur soutient ainsi qu’il y a un lien entre philosophie et religion vertueuse. Il explique ce rapprochement en deux niveaux (spéculatif et pratique). D’abord les lois divines (pratiques) tombent sous le sens des universaux de la philosophie pratique. Ensuite l’auteur soutient que la philosophie théorique démontre les opinions théoriques de la religion. Il apparaît ainsi que la philosophie englobe la religion, qui est vertueuse rappelons le, qui elle, tombe sous ses universaux. L’auteur en conclut donc que le gouvernant vertueux doit donc être également philosophe. Ceci est le rêve de Platon, à savoir la mise en place du philosophe roi.
3) Religion et dialectique, religion et rhétorique
Peut-il y avoir donc un rapprochement entre religion et la dialectique et la rhétorique, qualités essentielles de la philosophie ? Quel peut être leur utilité ?
La dialectique et la rhétorique, matières indispensables à celui qui doit transmettre et persuader, doivent ainsi être utilisées par le gouvernant vertueux pour ceux qui ne sont pas philosophes afin de bien implanter les opinions meilleure dans les âmes et de les défendre contre d’éventuels détracteurs, et cela en vue du Bien. La dialectique et la rhétorique sont ainsi nécessaires à l’établissement d’une religion vertueuse.
4) Compléments et rectifications à apporter (Religion et droit)
L’auteur revient ici sur des points importants de sa philosophie. Il va donner ici le rôle de deux « tâches » que doivent accomplir certaines personnes disposées dans des circonstances bien particulières.
a) Le législateur ultérieur
Le premier gouvernant, étant humain, donc étant capable potentiellement de se tromper, de mourir, peut laisser des choses non réglées ou mal réglées du moins (plus d’actualité). L’auteur dénombre ainsi tous les cas d’un dérèglement ou d’un non règlement. Le successeur du premier gouvernant se doit ainsi de reprendre le flambeau à la condition qu’il « soit semblable à tous égards ». Il peut également changer des règles obsolètes car si le premier gouvernant eut été à sa place, il en aurait fait autant. C’est cette optique pour l’auteur qui doit être absolument conservée à savoir toujours agir comme le premier gouvernant. Il faut respecter le passé et les gouvernants doivent rester semblables malgré les générations qui les séparent.
b) Le juriste (naissance et tâche)
Si le gouvernant meurt mais qu’aucun homme de sa trempe ne peut prendre la relève, l’homme qui lui succède doit ainsi ne rien changé à ce qu’il a fait et de continuer à suivre ce qui a été édicté malgré la mort du roi. Toute sa nouvelle réglementation doit se faire en fonction de ce qu’a fait, ce qu’a crée le prédécesseur. Celui qui surveille à la bonne marche et à la vertu des nouvelles lois est un juriste selon Al Fârâbî. Etant donné le fait que « la réglementation consiste en opinions et en actions, « l’art de la jurisprudence aura également deux parties stipule ainsi l’auteur. Le travail d’un juriste doit s’appuyer sur des connaissances historiques, juridiques, linguistiques afin d’éviter des erreurs d’interprétations des anciens dogmes que l’on doit pourtant continuer à respecter. Le juriste doit être rompu aux exercices de subtilités, de perspicacités et savoir déceler l’objectif même de l’ancien législateur pour en faire une loi absolue. Beaucoup de capacités sont nécessaires au juriste pour honorer la mémoire des lois passées et le moindre changement est analysé sous toutes les coutures. Le juriste doit de plus saisir la pensée de l’ancien roi, les opinions dissimulées, les volontés secrètes pour aller au mieux dans le sens de ce dernier.
Nous voyons donc ici la preuve que la religion et le droit (la jurisprudence) sont également très liés. La jurisprudence tombe sous la philosophie à différents niveaux que ce soit mais également à la science politique. Qu’en est –il donc de la science politique ? A-t-elle une quelconque importance ?
C) L’importance de la science politique
1) Sa fin : la félicité
Quelle est la fin de la science politique ? Que signifie le concept de félicité ?
Quand l’on pratique la science politique dans un gouvernement vertueux, l’objectif visé est justement cette félicité, ce bonheur suprême. Cependant Al Fârâbî marque une distinction dans ce concept. Il y a pour lui deux sortes. La première est une félicité fictive, utopique, trompeuse car nous pensons la connaître alors qu’il n’en est rien. Ce n’est rien de plus qu’un bien. L’autre félicité est la félicité suprême, but ultime de chacun qui se suffit à lui même (besoin de rien d’autre). Elle est cependant inatteignable dans cette vie. L’auteur montre ainsi que le but (même si nous ne pouvons l’atteindre) de l’utilisation et de l’investigation de la science politique est de permettre la félicité de tous au sein d’un même corps social.
2) Ses moyens :
a) La nécessité d’un corps social
Comment parvenir à un tel état de félicité? Qu’est ce qui est nécessaire ?
La science politique est une véritable recherche qui analyse tout. Elle montre également qu’un homme seul ne peut rien face au monde. Nous avons besoin des autres pour construire ce que nous désirons. Nous agissons séparément dans l’acte qui nous a été délégué mais cette action n’est possible que grâce à l’union. L’auteur explique ainsi, au travers d’exemples (comme celui de l’agriculteur qui ne peut planter ses semences sans l’aide du bouvier, du menuisier et du forgeron), que pour mener chacun l’acte à terme, l’aide des autres est essentielle. La réunion au sein d’un groupe, d’un corps social est nécessaire pour tenter d’arriver à l’objectif que nous nous sommes fixés, à savoir la perfection de la félicité. Seul, je ne peux y parvenir.
b) Le gouvernement
Comment doit-on dès lors agir celui qui commande pour faire atteindre la félicité au groupe tout entier ?
Pour l’auteur, plusieurs actions sont nécessaires de la part du gouvernant. Le gouvernement vertueux doit énoncer ce qui est susceptible d’acquérir la félicité et doit condamner et discrimine ce qui n’encourage pas à la recherche de cette félicité. Seul le gouvernement a un tel pouvoir. Il a donc un pouvoir de persuasion et de réglementation qui permet aux citoyens de se tenir à distance des mauvais « biens ». C’est son rôle. Il est l’un des moyens d’atteindre la félicité mais cela nécessite le fait que qu’il doit se donner la tâche d’implanter solidement les genres de vies vertueux et de les préserver. Cela ne peut être fait que par le chef du gouvernement, celui qui a pour métier le fait d’être roi. Une bonne connaissance préalable de toutes les actions différentes est nécessaire avant l’accomplissement d’un tel métier. Un tel chef supporté par un tel gouvernement ne peut-être que vertueux et ainsi tout les parties de ce corps social deviennent vertueuses (cité, nation, homme) entièrement tournées vers la quête de la félicité « ultime ». Al Fârâbî montre bien ici dans cette partie, sa vision d’une nation religieuse magnifique, ordonnée et claire. Il expose ensuite le cas des gouvernements ignorants (qui croient que la félicité se résume à des biens terrestres). Cependant il ne dit pas pour autant que tout dans cette nation est forcément ignorant. Il peut exister un homme « qui soit une partie de la cité vertueuse dans une cité ignorante » et inversement. L’auteur donne ainsi comme exemple le cas d’un animal qui aurait des parties du corps appartenant à d’autres animaux. Remarquons néanmoins que l’homme vertueux a juste la patte empruntée à l’ignorance tandis que l’homme ignorant a le corps du vertueux (mais pas la tête). Tous les vertueux doivent de plus se rejoindre dans la cité vertueuse et ne pas rester dans des cités ignorantes.
Al Fârâbî ajoute enfin une distinction entre deux gouvernements vertueux. Il distingue ainsi le premier gouvernement, celui qui a implanté la vertu dans la cité par la connaissance et l’action, a crée cette âme du groupe et convertit les ignorants avec le gouvernement qui succède, qui lui est dépositaire d’un objectif, d’une âme. Il se doit d’être le gardien vigilant, « le gouvernement légal » (nous retrouvons cette idée de droit, de loi) et veiller à la préservation de l’héritage donné.
3) Connaissance et expérience
Comment se fait cette surveillance du « patrimoine » vertueux ?
Pour surveiller, il faut d’abord connaître. L’auteur compare ainsi le rôle du roi vertueux avec celui d’un médecin car celui ci connaît les moyens de protéger et d’endiguer les maladies. Cependant cette connaissance ne se limite pas juste au remède. Le médecin cherche à savoir les causes qui font que le remède agit (quantité, épaisseur, ébullition, dilution, moment de la journée, état du malade). Pour comprendre les causes, la connaissance ne suffit plus à elle seule. Une dimension empirique est nécessaire. C’est par ses propres observations, ses études, ses erreurs, la diversité de chaque malade (chaque cas est unique dit-on) qu’il peut devenir un très bon médecin. Son art nécessite donc une connaissance parfaite théorique et absolue appuyée par une pratique, un investissement d’actions, une expérience durement acquise. Al Fârâbî soutient ainsi « qu’il en va donc de même du métier royal ». Assimiler la connaissance des choses universelles ne suffit pas pour l’exercice de ce métier. Une force morale forgée par l’expérience et la pratique du métier est également nécessaire pour réglementer, implanter des décrets et des actions vertueuses, donner l’objectif d’atteindre la félicité et ce quelque soit l’importance du groupe de personnes réunies (homme, tribus, cité, nation). L’observation des caractéristiques individuelles de chaque groupe a ainsi toute son importance. L’auteur nomme cette faculté « la prudence » car par cette capacité, le roi peut prendre les meilleures décisions en ce qui concerne les gens dont il a la responsabilité. L’auteur va revenir ensuite sur la philosophie politique.
4) Les tâches de la philosophie politique
Quel rapport entretient-elle avec la philosophie politique ? Que doit permettre la science politique ? Quels sont ses différents rôles ?
Al Fârâbî va répertorier ici ce qui a été dit précédemment sur la science politique en y ajoutant des éléments nouveaux. L’auteur revient au début de ce passage sur la science politique en rappelant qu’elle n’est qu’une partie de la philosophie et qu’elle est avant tout une description. Il marque deux parties différentes dans cette science, « l’une qui embrasse l’enseignement de la félicité et fait le départ entre le vertueux et le non vertueux » et l’autre qui embrasse l’enseignement des actions. De plus la science politique doit montrer aux yeux des gens que les actions, genre de vie et habitus non vertueux sont de véritables fléaux. Elle a ici un rôle de rapport qui donne les conséquences de ne pas être vertueux. Elle doit également répertorier les différentes corruptions possibles d’une cité vertueuse afin de s’en prémunir (et joue donc ici un rôle de vaccin) ou de revenir à la vertu (sérum). La science politique doit servir à démontrer le fait qu’une connaissance des universaux ainsi qu’une juste maîtrise de la prudence (obtenue par l’expérience et l’observation) sont des qualités nécessaires à celle du premier gouvernant vertueux d’une nation. Pour le descendant du premier roi, l’usage de la philosophie politique n’est plus obligatoire car il doit se contenter de respecter et de conserver ce qui lui a été légué. La science politique n’est plus alors rien de plus qu’un rappel en cela qu’elle permet de savoir quelles qualités sont attendues chez le successeur légal et comment il doit les acquérir. Enfin, l’auteur stipule qu’elle démontre le fait que même un gouvernant ignorant peut atteindre les objectifs qu’il se fixe à l’aide de la science politique empirique car il peut se servir de ce qu’il observe pour asseoir son pouvoir.
5) Philosophie, politique et ordre du monde
Quels sont enfin les autres rôles de la science politique ? Comment administre et hiérarchise-t-elle le monde ? Comment doit se comporter le premier gouvernant ? Qu’est ce qui est nécessaire enfin à l’édification d’une cité vertueuse ?
Al Fârâbî donne un autre rôle de la science politique. Selon lui « elle fait connaître la hiérarchie des êtres ». Il est donné ensuite un certain ordre du monde où nous pouvons voir une hiérarchie dans laquelle la science politique s’élève peu à peu car à chaque fois, elle rencontre un gouvernement qui administrent ses facultés, elle peut donc encore évoluer (et s’élever encore) « passant des choses de rang bas aux choses de rang élevé ». Elle réalise exactement la même chose avec les êtres. Plus l’être est parfait, moins ils sont nombreux. Elle finit ainsi par atteindre « l’étage » du chef, ou seul et unique, il administre et décide de tout ce qui lui est inférieur. Selon la science politique, cet être est potentiellement parfait, étant un philosophe roi et dont la déficience est quasiment nulle. Et plus, la science politique revient vers les étages inférieurs, plus le nombre d’êtres par étage augmente et plus leur déficience augmente. Une fois arrivée tout en bas, « chez le dernier des êtres », elle est chez celui qui n’a que des actions ancillaires (servir) et aucune gouvernante alors que ceux juste en dessous du roi ont néanmoins des pouvoirs. Selon Al Fârâbî, cette hiérarchisation du monde se produit également cite-il « à propos des facultés psychiques, des membres du corps humain et de la cité vertueuse ». L’élévation se produit. Après avoir vu le rang des habitants et les rangs de ceux qui aident le gouvernant, elle atteint le rang du roi de la cité mais elle n’ pas fini son voyage. Au dessus du gouvernant, il y a les esprits sains et ce sont eux qui inspirent le premier roi vertueux. Si nous continuons cette ascension, nous arrivons enfin au rang de la divinité. Nous remarquons alors que tout descend fortement de Dieu d’une manière ou d’une autre. Pour Al Fârâbî, dieu est l’administrateur de la cité vertueuse mais également du monde. La différence est d’ailleurs moins forte que l’on pourra croire. De l’agencement existe dans ces deux concepts. L’auteur soutient ainsi que à l’instar de Dieu, qui a crée des aspects naturels dans les parties du monde et cela en vue de leur agencement et de leur liaison et tournées vers « un but unique », le premier gouvernant agit de même pour favoriser la coopération dans les actions et la liaison et créer ainsi une entité unique à l’action et à la fin unique. L’auteur soutient également que la même observation peut être faire sur les membres du corps humain. Chacun favorise l’agencement et la liaison de l’autre pour créer le corps qui a pour but de survivre.
L’administrateur de la cité vertueuse doit prendre exemple sur Dieu, l’administrateur du monde pour créer la plus juste et la plus vertueuse cité et pour tenter d’atteindre enfin la félicité ultime. Ce premier gouvernant est donc forcément à la base un philosophe car il doit avoir le recul nécessaire et l’esprit ouvert pour comprendre la beauté et la profondeur du monde administré par Dieu et une connaissance de la philosophie est nécessaire à cette vision. Enfin l’auteur revient sur la religion. Ce passage est l’un des plus importants de tout le livre. Selon Al Fârâbî, la mise en place et l’édification d’une cité vertueuse tournée entièrement vers l’objectif de la félicité nécessite l’existence « d’une religion partagée » par tous car elle unit les opinions, les actions, les croyances, qui fait en sorte que les actions coopèrent afin d’atteindre la félicité ultime.
III) Les enjeux
Ce texte d’une grande profondeur autant par les concepts qu’il aborde que par son message toujours d’actualité donne les caractéristiques essentielles d’une nation, d’une cité « vertueuse » et dont le but n’est autre que la félicité ultime. Ce discours, alors d’une grande ouverture d’esprit a une démarche complètement en avance sur son temps. Reprenant les thèses fortes des philosophes antiques, Al Fârâbî nous donne ici le plan de construction d’une cité vertueuse dont la félicité suprême serait le but ultime de tous, poussé en cela par l’amour de la religion qui agirait ainsi comme un véritable vecteur d’union. L’argumentation de l’auteur dans ce texte est purement de type philosophique. Il commence ainsi par revenir sur les concepts même, avant de démontrer sa thèse. Il montre ainsi que l’union de l’amour d’une religion unique partagé par tous couplé avec la maitrise d’une philosophie politique et théorique (de la part du chef du gouvernement) permet la construction, l’édification et le maintien d’une cité vertueuse où il fait bon vivre et ou les nobles aspirations de chaque individu se rejoignent dans la même sphère, dans la même quête à savoir atteindre cette félicité ultime.
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