Le Lac de Lamartine
Publié le 04/03/2014
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Le Lac, Méditations poétiques (1820) Alphonse de Lamartine Le Lac est le dixième poème du recueil « Méditations poétiques «, composé de vingt-quatre poésies. Ecrit par Alphonse de Lamartine (1790-1869) et publié en 1820, il a été inspiré par la liaison amoureuse entre le poète et Julie Charles, une femme mariée et atteinte d'une maladie incurable qui était venue à Aix-les-Bains afin de suivre une cure thermale. Son mal l'emporta, ce qui affecta profondément Lamartine qui décida de lui dédier ce poème en immortalisant la nuit qu'ils passèrent ensemble au lac du Bourgeais. Lamartine s'est inspiré d'un roman épistolaire de Jean-Jacques Rousseau : la Nouvelle Héloïse (1761) qui racontait l'histoire d'un amour impossible entre une jeune fille noble (qui s'appelait également Julie...) et de son précepteur de vingt ans son aîné. Ce poème est guidé par l'idée du temps qui passe, et du poète voulant échapper à l'oubli et à l'ennui. Le lac a une place très importante dans ce texte : il s'agit du lieu du précieux souvenir. D'autre part, le temps revient comme une obsession à travers le texte, c'est son fil conducteur. Enfin, le poème est parsemé de figures de style que nous allons interpréter. Dans le poème, le poète est confronté à l'infini de la nature : la « nuit éternelle « (ver 2), le « lac « (ver 5), « sous les cieux « (ver 14), « l'astre au front d'argent « (ver 59). D'autre part, l'eau du lac est agitée et tempétueuse : « tu mugissais « (ver 9), « tu te brisais sur leurs flancs déchirés « (ver 10), « le vent jetait l'écume de tes ondes « (ver 11). Ces deux caractéristiques sont typiques du décor romantique : elles représentent l'immensité de la nature face à l'homme, et son déchaînement comparé aux sentiments du poète. Au ver 49, « forêt obscure « fait tout de suite penser aux forêts sombres de conifères, menaçantes et remplies de créatures étranges, qui renvoient à la littérature fantastique allemande. Donc ici, Lamartine nous représente la grandeur d'une nature résistante à l'homme : il fait ressortir sa beauté à travers des mots. Le lac est transformé en interlocuteur par le poète : celui-ci lui parle et le tutoie comme s'il allait lui répondre. Aux vers 5 et 49, il l'apostrophe : « Ô lac «, chose qu'il ne ferait pas à quelque chose d'inanimé. Alphonse de Lamartine humanise donc le lac en lui prêtant des propriétés humaines : ainsi, il est « attentif «, « harmonieux «, et est doté de plusieurs sens typiquement animaux : la vue (« Regarde ! « ver 7) et la mémoire (« t'en souvient-il ? « ver 13). L'environnement du lac est aussi personnifié : le zéphyr frémit, le vent gémit, le roseau soupire (vers 57 et 61). On s'attend donc à ce que le lac prenne la parole. Le poète espère que la nature pourra se souvenir des moments qu'il a passé avec Elvire afin de pouvoir les raconter aux générations futures pour que personne ne les oublient. Le temps est donc le thème principal du poème : il passe sans jamais s'arrêter. Il est ici représenté en eau insaisissable qui coule et file entre les doigts : « Le temps qui m'échappe et fuit « (ver 30), « Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? « (ver 3). Dans cette dernière citation, le poète exprime son désir d'arrêter le temps afin de mieux pouvoir profiter de la présence de sa bien-aimée. Le temps est également comparé aux oiseaux : « ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous « (ver 37-39), « Ô temps suspends ton vol ! « (ver 21). Au ver 31, nous pouvons voir un enjambement qui accélère le rythme de la phrase : « Je dis à cette nuit : « sois plus lente ; « et l'aurore Va dissiper la nuit. «. Là, Lamartine demande à la nuit de se prolonger afin de pouvoir passer plus de temps avec Elvire, mais le temps passant trop vite, le jour vient dissiper la nuit beaucoup plus tôt qu'il ne l'espère. Au ver 35, on peut observer un chiasme : « L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive, Il coule, et nous passons ! «. Le temps est ainsi infini tandis que nous, humains, sommes éphémères, mais nous sommes tous deux entraînés sans pouvoir nous arrêter et suspendre notre cours. Le poète est las et désespéré. Donc le temps entraîne la solitude de l'homme face à la mort. Aux vers 7 et 8 : « Regarde ! Je viens seul m'assoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! «, le poète exprime clairement sa solitude. En effet, le ver 7 est un alexandrin et on voit que le mot « seul « qui est un monosyllabe se trouve exactement au milieu du ver, soit à la sixième syllabe ce qui le met en valeur. De plus, le verbe « s'assoir « est répété deux fois (c'est une maladresse intentionnelle), et des points d'exclamation sont employés ce qui accentuent la plainte de Lamartine : celui-ci insiste sur l'injustice du fait qu'il s'asseye sur la même pierre où, un an plus tôt, Elvire s'était assise. Ceci et l'emploi de deux temps de conjugaison différents (le présent et le passé simple qui évoque les temps révolus) produisent un contraste avant/après : la pierre, le minéral est toujours là et est insensible au temps, alors que son amour n'est plus. Aux vers 9, 10 et 11, le mot « ainsi « est répété trois fois pour bien exprimer l'indifférence de la nature face au temps, qui se répète et renaît, contrairement à l'homme, mortel. Des strophes 6 à 9, le poète fait parler Elvire. À travers cette prosopopée, Lamartine exprime son angoisse face au temps. Il emploie majoritairement les phrases exclamatives : on peut relever sept points d'exclamation qui peuvent se traduire par de l'indignation face à l'injustice du fait que le temps passe bien trop vite dans les moments les plus heureux, là où on ne demande rien d'autre que le prolongement de ces instants, tandis que pour certains malheureux le temps leur parait bien trop long. Il incite à profiter des moments heureux : c'est de l'épicurisme (« Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! « vers 33-34). Le temps est donc un des vastes problèmes présents dans le lyrisme. Le poème est très structuré : il fait apparaitre la musicalité poétique du lac à travers plusieurs effets sonores. Le ver 15 est un tétramètre : « Que le bruit / des rameurs / qui frappaient / en cadence «, il est donc bien rythmé tout comme les rames frappant l'eau en rythme. Le ver 58 est également un tétramètre : « Dans les bruits / de tes bords / par tes bords / répétés « et contient des occlusives en plus de la répétition du mot « bords « qui donne un effet d'écho. De même qu'au ver 61 : « Que le vent / qui gémit, / le roseau / qui soupire « qui contient quant à lui des fricatives qui accentuent l'effet sonore du souffle du vent. Le ver 57 contient également des fricatives : « Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe «, qui ont pour effet le même qu'au ver 61 (le zéphyr étant un vent de l'ouest). Au ver 59, le poète utilise une périphrase afin de désigner la lune : « Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface «. On voit ici également la présence de fricatives. En bref, la poésie poétise et musicalise le lac en lui faisant produire des sons harmonieux. C'est le point commun entre ce dernier et le poète. Le lac est également humanisé, comme dit précédemment. Cela veut alors dire qu'il a une mémoire et peut garder des souvenirs. À partir des vers 49 à 52, le poète implore donc à la nature de garder en mémoire cette nuit afin que personne ne l'oublie jamais : il la supplie, elle qui est immortelle contrairement à lui qui, un jour, disparaitra en emportant son souvenir : « Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir ! «. Aux vers 41 et 43, les rimes des fins de vers sont deux mots opposés : « trace « et « efface «. Cette antithèse marque la volonté du poète à vouloir laisser la trace de ce moment passé. Du ver 39 à 48, on peut relever le champ lexical de la perte : « s'envole « (ver 39), « perdu « (ver 42), « efface « (ver 43), « néant « et « sombres abîmes « (ver 45), « engloutissez « (ver 46), « ravissez « (ver 48). Ceci fait également allusion au souvenir qu'il ne veut pas perdre. Au ver 30 (« Le temps m'échappe et fuit «), on a encore l'idée de l'eau insaisissable : celle-ci ne laisse jamais de trace. Donc le poète supplie la nature, seule spectatrice de cette nuit inoubliable, de garder le souvenir. Mais la faune est complètement insensible, ne peut laisser de traces et n'a en réalité pas de mémoire. Tout au long du poème, on s'attend à ce que le lac se mette à parler. Et au dernier ver, la nature dit alors : « Ils ont aimé ! «. Cela crée un rebondissement puisqu'elle est censée être insensible. Cette phrase est au passé composé, sans pronom réfléchi et sous la forme impersonnelle. Lamartine veut donc ici nous dire que l'amour est un sentiment universel, complètement déshumanisé. Le poème est tout de suite devenu célèbre et est maintenant rattaché au lac du Bourgeais : chaque visiteur est informé de l'histoire entre Alphonse de Lamartine et Elvire. Le voeu du poète a donc été exaucé : il a réussi à laisser le souvenir de cette nuit à travers ce poème qui lui survit encore aujourd'hui, bien après sa mort en 1869. Ce poème porte une grande attention à la nature, raconte l'histoire d'un amour malheureux et exprime l'angoisse et l'inquiétude de l'homme face à la mort et au temps. Bref, il illustre parfaitement le courant du romantisme.
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