Le Genre Littéraire Des Pensées De Pascal.
Publié le 28/09/2010
Extrait du document
I. Une apologie
Une apologie est un texte argumentatif visant à défendre quelque un ou quelque chose. C’est un genre ancien datant de l’époque où les chrétiens devaient défendre leur foi contre le paganisme. Au temps de Pascal, elle prend une autre forme. Il s’agit de lutter contre une incroyance qui semble mettre en danger la foi et l’église. Les huit premières liasses ne constituent qu’une partie d’un projet plus ambitieux, dont Pascal présente le plan dans le fragment 4 de la liasse Ordre: « 1ère partie. Misère de l’homme sans Dieu. 2ème partie. Félicité de l’homme avec Dieu. «
Autrement. 1ère partie. Que la nature est corrompue, par la nature même. 2ème partie. Qu’il y a un réparateur, par l’écriture. Ce passage rattache clairement à l’apologie, cad un discours destiné à défendre la foi.
Dans ce cadre, les liasses que nous étudions constituent une partie de l’apologie de Pascal, plus précisément celle qui décrit les misères de l’homme. En effet, Pascal montre que l’homme est malheureux: par passion, il accomplit des actions vaines sous des prétextes futiles. Sa raison ne peut le conduire à la vérité. Il ne peut trouver de régime politique universellement valable, et la puissance est en général fondée sur la coutume. La plupart des hommes vivent donc dans l’illusion. Comme les hommes sont malheureux, ils fuient la conscience de leur misère dans le divertissement. Mais c’est précisément parce qu’il est conscient de sa misère que l’homme est grand.
Dieu étant partout, il faut l’accepter pour comprendre le monde et le choisir comme il a choisi l’homme.
Les destinataires de son apologies sont nombreux:
- Les chrétiens:
Si l’on s’en tient aux fragments à l’étude, on peut voir que l’auteur s’adresse aux chrétiens. Par exemple dans le fr.12, il parle des « vrais chrétiens « et explique les raisons qui les conduisent à suivre les coutumes non pas en fonction des hommes mais en fonction de Dieu. C’est que Pascal pensait que les chrétiens avaient perdu le sens de Dieu.
- les philosophes:
L’auteur jauge en particulier deux philosophies qui s’opposent : le pyrrhonisme d’un Montaigne et le dogmatisme d’un Descartes
- une société:
Les exemples sont fréquents qui s’attachent à un statut ou à une profession. Ainsi, tout le monde est à même de se reconnaître dans les situations que ce soit « le roi « dans la liasse « divertissement « fr.127, les gens de justice comme « les magistrats «, « les médecins «, les éducateurs dans le fragment 41 portant sur l’imagination ou encore le peuple dont il trouve les « opinions saines «
- le lecteur quel qu’il soit:
Le lecteur est souvent sollicité soit indirectement, soit directement. Tout d’abord, il se reconnaît dans le « on « employé à valeur universelle puisqu’il est homme (fr. 19, 31). D’autres expressions du type « Tout le monde « l’associent à la réflexion (fr.85)
- les libertins:
Avec une forme littéraire variée, Pascal attire les libertins.
II. Un dialogue
La possibilité d’un dialogue est évoquée par Pascal dans le second fragment de la liasse Ordre « ordre par dialogues «.
En effet, les Pensées font parfois songer à une conversation. Tantôt Pascal met en scène un dialogue comme dans la liasse Vanité (Fr47) « Pourquoi me tuez vous à votre avantage? Je n’ai point d’armes « Tantôt il apostrophe directement son lecteur comme s’il était présent (Fr122) « Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même. Humiliez vous, raisons impuissante!? « Tantôt il imagine et met en scène les objections de son interlocuteur comme sur le divertissement « Si l’homme était heureus il le serait d’autant plus qu’il serait moins diverti, comme les saints et Dieu.
- Oui, mais ce n’est-ce pas être heureux que de pouvoir être réjoui par le divertissement?
- Non, car il vient d’ailleurs et de dehors, et ainsi il est dépendant, et partout, sujet à être troublé par mille accidents qui font les afflictions inévitables «
Pascal qui s’adresse aux « honnêtes hommes « s’inspire de la conversation mondaine pour rédiger certaines de ses pensées.
III. Le moraliste
Trois critères essentiels définissent le moraliste selon Louis Van Delft: celui du fond (le moraliste parle de l’homme et entend cartographier le cœur humain), celui de la forme (le moraliste de formes brèves et fragmentaires, celui de l’attitude (le moraliste parle à hauteurs d’homme, cad que le moraliste n’est ni un théologien, ni un métaphysicien). IL n’est pas théologien car il parlerait alors du Dieu Créateur et non plus de la créature qu’est l’homme et il n’est pas métaphysicien car il parlerait alors de ce qui dépasse l’homme.
C’est seulement en 1690, dans le Dictionnaire de Furetière, que le terme de moraliste entre dans la langue française. Il le définit comme un auteur qui écrit et qui traite de la morale.
Pascal ne cesse de proclamer l’importance, plus encore la nécessité, d’un désir de se connaître. En effet, le moraliste parle de l’homme, cherche à en cerner la psychologie et à cartographier son âme. En ce sens, il est curieux du cœur de l’homme, dont il fait l’anatomie. La question « qu’Est-ce que le moi? « lancé par Pascal dans le Fr82 est donc emblématique de la réflexion moraliste. Dans les fragments au programme, on note cet intérêt permanent pour l’étude du cœur humain: ainsi au Fr125, Pascal entend définir le moi humain, de même au Fr21, il déplore le désintérêt de l’homme pour la science des mœurs au profit de des sciences extérieures.
La vision de l’intérieur de l’homme qu’offre Pascal est noire. La condition humaine est misérable. . Comme les hommes sont malheureux, ils fuient la conscience de leur misère dans le divertissement. Mais c’est précisément parce qu’il est conscient de sa misère que l’homme est grand.
Ce pessimiste pascalien est hérité de la pensée de St Augustin qui a été déterminante dans la construction du discours anthropologique des Pensées. Ainsi, l’homme pascalien, à l’image de l’homme augustinien, n’est qu’un puit de concupiscences, vain et creux.
IV. La force rhétorique
Convaincu de l’inefficacité des preuves rationnelles, Pascal soutient que c’est le cœur qui doit et peut prouver Dieu. Par conséquent, c’est davantage l’art de persuader qui primera dans la stratégie d’écriture des Pensées. Ainsi on s’interrogera plus particulièrement sur l’usage de la violence comme arme rhétorique.
Hyperboles:
- Privilégier la figure de l’exagération à Fr82 « admirable «, Fr97 « si intensif «
- Usage des dyades et des triades à Fr22 « inconstance, ennui, inquiétude « , Fr115 « crédule, incrédule «, « timide, téméraire «.
L’abondance de termes construit la force du propos.
Répétitions:
- Lexicales: Pléonasme à Fr100 « ambiguïté ambiguë «
Dérivation (Répétition de mots d’une même famille) à Fr100 « douteuse, doute «
Autant de figures de répétitions qui assènent lourdement donc clairement la vérité à l’incroyant.
Pascal utilise des images violentes. Fr129 « que le bonheur de l’homme est creux et plein d’ordure! «
Fr 122, Pascal cite en latin les écritures. Dans ces citations bibliques, l’hommes est comparé « aux bêtes sans entendement « ou sont dits « semblables aux bêtes «.
La paroles pascalienne, si souvent qualifiée de classique, est donc bien loin en réalité de l’élégance.
Les Pensées doivent éveiller la foi chrétienne. Pour cela, seule une esthétique de la violence s’avère efficace: la parole doit frapper.
V. La forme brève
La forme brève est très en vogue au 17ème siècle. De Pascal à La Bruyère en passant par La Rochefoucauld, les moralistes usent de l’écriture lapidaire pour livrer au lecteur leur vision de la condition humaine. Certes les Pensées sont une œuvre inachevée, donc on ne peut pas juger de l’aspect définitif qu’aurait pris le texte, mais il n’en demeure pas moins que Pascal a recours à l’écriture discontinue, fragmentaire.
Variété des formes brèves:
- Le dialogue (Fr 47, 75, 129)
- La maxime (Fr 66, 72)
- La question oratoire (Fr 106)
Effets sonores:
- Assonance e dans la maxime du Fr 72
- Allitération en Ke au Fr 14
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