Le fils du Pauvre
Publié le 23/09/2016
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L'image de la femme kabyle dans Le Fils du Pauvre de Mouloud Feraoun, article publié dans Cahiers de Sociologie, département de sociologie, université d'Alger 2, n° 8-2012, p. 51. Par Rachida SADOUNI (?) Nous avons relevé deux sortes d'images que représente la femme dans la société kabyle : l'image positive et l'image négative, par rapport aux bonnes et aux mauvaises qualités chez elle. Elle apparaît dans la trame narrative tantôt un ange, tantôt un démon avec les plus laids des plans dans le but de retenir un mari, se marier, ou seulement répondre à l'appel du mauvais esprit. Avant d'aller plus loin, il est essentiel de rappeler que Mouloud Feraoun vivait avec ses parents et ses s?urs, son oncle Lounis, sa femme Helima et leurs quatre filles dans une seule maison, en plus de la grand-mère Tassadit. C'est pourquoi, il connaissait parfaitement chaque membre de cette grande famille, ses habitudes, ses points positifs et négatifs à même de les décrire minutieusement beaucoup plus tard dans ce roman autobiographique. S'agissant des femmes, Feraoun, étant le seul garçon dans les deux familles, découvre très tôt le monde des femmes et en est inspiré par la suite. Dans ce qui suit, nous avons relevé des passages du Fils du Pauvre où Feraoun décrit la femme kabyle durant la colonisation française à laquelle il ne fait presque aucune allusion dans le roman. Nous avons fait accompagner chaque description d'analyses et de commentaires afin de démontrer que Mouloud Feraoun éprouvait un respect sans pareil pour la femme dans une société même où il était élevé dans la suprématie de l'homme. Cependant, il ne faut pas imaginer que la femme kabyle était cloîtrée. Elle travaillait dehors tout comme le mari ou le frère, elle puisait l'eau de la fontaine, allait aux champs et ramenait le bois. Feraoun nous permet, à travers la description de la femme, de découvrir le symbole qu'elle représente dans la société kabyle d'antan. 1.1. L'image positive : (?) Mouloud Feraoun nous raconte sa propre vie. C'est donc un roman autobiographique où il parle de sa famille, ses voisins, son quartier et les années passées à l'école de Tizi-Ouzou. Dans tout le roman, la présence de la femme est très remarquable. D'abord, quand il parle de sa famille, Feraoun nous décrit sa mère, ses s?urs et ses tantes. Il décrit également sa grand-mère qui vit avec eux, en plus de la femme de son oncle, Helima et de ses quatre cousines Djouher, Melkhir, Smina et Chabha. La mère Fatma Quand il évoque sa mère Fatma, M. Feraoun garde l'image d'une femme soumise mais que cela n'avait point empêché d'aimer ses enfants, surtout lui, l'unique garçon de la famille. Il dit à ce propos : Ma mère que les chagrins et les soucis n'avaient point ménagée depuis la mort de ma grand-mère, puis de mon grand père, était devenue une pauvre créature timorée, irrésolue, incapable de prendre parti ; une fois qu'elle avait émis timidement quelques objections que lui suggérait son bon sens ou son expérience de la vie, elle s'inclinait et ne contrariait jamais ceux qu'elles aimait. (P. 40) De cette description, on peut déduire que la mère de Fouroulou vivait à l'instar de ses compatriotes, en s'inclinant devant la volonté des hommes et ne pas toujours manger à sa faim. Feraoun vouait un grand amour pour sa mère- l'aînée de ses deux s?urs Khalti et Nana- qui était très courageuse malgré les malheurs qui s'en étaient suivis dans sa vie : Ma mère a vu mourir un frère, des s?urs, sa mère, puis son père. Elle est familiarisée avec la douleur et le silence. Elle ressemble aux chênes rabougris qui, poussant aux bords des chemins, s'obstinent à végéter malgré les intempéries...ma mère a l'habitude de réagir en serrant ses lèvres minces. Elle est stoïque sans effort ou insensible par usure. (P. 74) Ici, M. Feraoun compare sa mère aux arbres de chênes dont elle partageait l'obstination à demeurer malgré les dangers et les malheurs. C'est dire qu'elle s'accrochait à la vie difficilement mais sûrement. Il la décrit dans tout le roman comme étant une personne peureuse et soumise qui chérissait tant ses enfants et son mari et exprimait son amour pour les personnes démunies comme elle. Quand Feraoun fut admis à l'école de Tizi Ouzou, son départ avait chagriné toute la famille, spécialement sa mère qui « avait les larmes aux yeux. » P 108 C'est dire que la mère de Feraoun l'aimait beaucoup et supportait mal la séparation avec lui. Lors des déjeuners ou des dîners, la mère de Feraoun était plus triste. De même, elle se demandait s'il arrivait à s'en sortir tout seul, loin de son affection. L'auteur dit à ce propos : La mère aurait voulu lui envoyer toutes les bouchées de couscous qu'elle prenait. Elle s'inquiétait de la façon dont il ferait son lit ce soir-là?elle était triste de le savoir loin de ses soins et de sa tendresse. (P. 108) Les s?urs : Baya, Titi et Zazou Mouloud Feraoun avait trois s?urs : Baya, l'aînée, Titi et Zazou. Il les aimait toutes les trois comme un Kabyle ordinaire aimait ses s?urs. C'est-à-dire qu'il était gâté et elles ne l'étaient pas, chose normale à cette époque. La famille vivait dans la pauvreté, alors les repas se servaient à la mesure et aucun gaspillage n'était toléré. Voilà pourquoi, Feraoun, étant l'unique garçon, jouissait de certains avantages que les filles n'en avaient pas. Il explique cette ségrégation entre l'homme et la femme dans la société kabyle en disant : Tant pis pour elles si elles ne sont que des filles. (P. 88) Feraoun ne dit pas çà par haine envers ses s?urs ou envers la femme en général, mais comme tout Kabyle, il était élevé dans une famille qui, comme d'autres, privilégiait le mâle sur la femelle. Baya était une jeune fille sur qui sa mère pouvait compter car elle l'aidait dans les différentes tâches ménagères et aux champs de même que dans l'éducation de Fouroulou. Elle est décrite ainsi dans le roman : Baya aidait notre mère... Elle était intelligente, courageuse et obstinée. Elle s'imposa par sa force, réussit à se faire respecter et à se faire craindre. Baya était chargée spécialement de veiller sur moi et de me distraire. (P. 26) Toutes ces bonnes qualités que Feraoun attribue à sa s?ur, ne l'empêchaient cependant pas d'être plus audacieuse quand il s'agissait de répondre à Helima ou à l'une de ses filles qu'elle n'hésitait pas à corriger en cas de besoin. Dans la bagarre qui avait éclaté au village entre les Menrad et les Aït Amer, suite à la blessure accidentelle de Fouroulou, Baya a pris comme trophée la fouta d'Aïni, la femme de Boussad. (P. 33) Comparer la fouta d'une femme à un trophée n'est pas exagération. La fouta pour une femme kabyle, entourée sur sa taille, représente un bien très précieux car elle fait partie de sa tenue vestimentaire tout comme la robe ou le foulard. Alors, quand Baya réussit à arracher la fouta d'Aïni, elle ne pouvait que s'en réjouir tant c'était plus que souhaitable. Dans l'ensemble, Baya est présentée comme une bonne personne qui vivait comme les jeunes filles de son âge, sans toutefois sortir du chemin dressé par les traditions. Titi, l'aînée de Fouroulou, était docile et tolérait sans rancune les coups de Fouroulou. Feraoun la décrit comme suit : Elle n'était pas plus grande que moi et me ressemblait autant qu'une petite s?ur ressemble à son frère, c'est-à-dire qu'on pouvait la reconnaitre grâce à son foulard et à sa natte de cheveux longs. Elle avait un bon naturel qui lui permettait d'essuyer mes coups et d'accepter mes moqueries avec une mansuétude peu imaginable chez un enfant de son âge. (P. 25) Elle apprit très tôt que la femme devait s'incliner devant l'homme : On ne manqua pas de lui inculquer la croyance que sa docilité était un devoir et mon attitude un droit. (Ibid) Quand Feraoun eut une bourse pour l'école de Tizi Ouzou, les s?urs étaient chagrinées et regrettaient son départ. Il dit à ce propos : Les s?urs rappelaient leurs torts envers le futur grand homme, regrettaient de ne l'avoir pas supporté en maintes et maintes occasions, promettaient de le chérir tendrement. (P. 108) Cela montre l'affection et l'amour que portaient les trois s?urs pour l'unique garçon de la famille. Mouloud Feraoun ne parle de sa troisième s?ur zazou qu'à une occasion pour parler de la disparition de Khalti alors qu'elle se trouvait à la maison avec Titi et zazou. Feraoun dit : Titi qui avait passé la journée dans la cour, avec la petite Zazou sur le dos, vit sortir sa tante. (P. 81) On déduit seulement que Zazou était plus jeune que Titi mais on ignore tout de la relation qu'entretenait l'auteur avec elle. De là, il peut être déduit que les s?urs de Feraoun étaient, comme les autres filles de cette époque, vouées à l'amour et au respect de l'homme, ainsi qu'aux travaux ménagers et autres. La cousine Chabha Nous avons choisi d'inclure le personnage de Chabha sous cet angle car de ces quatre cousines, Feraoun n'aimait que Chabha, la plus jeune, qui ne ressemblait en rien à sa mère Helima ou à ses autres s?urs. Il dit à propos d'elle : Chabha, la plus jeune de mes cousines, est cependant plus vieille que ma s?ur Titi. Cette pauvre petite a une figure exsangue...ses lèvres ridées sans couleur, ses yeux jaunes et ses grosses joues tombantes...elle est intelligente. (P. 61) Dans cette description, nous relevons une comparaison (plus vieille que Titi) mais nous sommes informés en même temps que Chabha était la benjamine de ses s?urs. Avant d'ajouter : C'est la seule que ma mère ne déteste pas parce que Chabha s'est attachée à moi. Son petit c?ur doux et résigné n'a jamais compris ni écouté la haine de sa mère pour Fouroulou. (P. 61) Chabha différait tellement de sa mère et de ses s?urs. Elle était la seule qui jouait avec Fouroulou et qui ne déversait pas sa jalousie sur lui. De cet amour fraternel, Feraoun nous dit : Elle est morte depuis longtemps, ma chère Chabha, mais son souvenir est resté vivace en moi. Elle a été ma première amie. (P. 61) Pour le travail aux champs, Chabha, tout comme ses s?urs, avait un travail dicté par sa mère. Feraoun nous décrit sa cousine lors du travail en disant : Ma cousine Chabha se lève chaque matin avec les autres. Elle a sa tâche à remplir. Il y a deux oliviers près du village?Tous les matins, il y a des olives sur ce chemin. C'est à elle d'y précéder les passants. Le soir, lorsqu'au retour des champs, Helima trouve des pulpes écrasées qui forme comme des tâches d'encre sur les cailloux, Chabha est sûre de la correction. (P. 63) Certes, Chabha était la fille de Helima mais elle était tendre et gentille ne savant dire ou faire que du bien. Nana et Khalti Feraoun avait deux tantes maternelles : Khalti et Nana. Il les aimait énormément et passait beaucoup de temps chez elles car elles habitaient le même quartier que lui. Quant à leurs prénoms, il dit : Dans la famille, nous avions des mots plus doux qui n'appartenaient qu'à nous. Pour moi, mes tantes s'appelaient Khalti et Nana. (P. 39), Et également : J'avais donné à l'autre le doux nom de Nana. (P. 40) De là, on déduit que Feraoun avait lui-même attribué ces prénoms à ses deux tantes. Mais il nous informe aussi que Nana s'appelait effectivement « Yamina » ou « notre Yamina » comme aimaient l'appeler les voisines qui l'appréciaient beaucoup. Feraoun dit dans ce sens : Elle était aimée de toutes les femmes du quartier qui l'appelaient notre Yamina. (P. 40) Feraoun était très attaché à ses deux tantes surtout à Nana dont il dit : Elle me paraissait très grande. Plus grande que ma mère à laquelle elle ressemblait. Elle avait un visage allongé et osseux avec des pommettes bien rouges, un profil de chèvre capricieuse embelli par de grands yeux noirs et une impressionnante chevelure qu'elle n'arrivait pas à discipliner sous son foulard et qui s'échappait souvent en tresses désordonnées sur ses épaules. Elle était aussi sauvage et fière d'allure que ma mère était humble et soumise. » (PP. 39-40). Comparer sa tante aimée Nana à une chèvre n'est pas une chose négative car à l'époque, la chèvre avait une place semblable à celle qu'occupaient les membres d'une même famille. Parfois, dans les petites maisons, la chèvre partageait la même pièce que le reste de la famille. Nous relevons dans la même description, une métaphore «une impressionnante chevelure qu'elle n'arrivait pas à discipliner sous son foulard » ; Nana avait beau cacher ses cheveux sous son foulard, ils réapparaissaient. Si comme s'ils étaient indisciplinés tant ils commettaient la même erreur, celle de réapparaître. Nana était l'aînée de son neveu Feraoun, de quatorze ans. Il informe le lecteur de ce détail lorsqu'il dit : Elle avait vingt ans lorsque j'en avais six. Elle était du même âge que ma cousine Djouher et aussi de la même taille. (P. 40) Ici, l'auteur compare Nana et Djouher et constate qu'elles ont le même âge et la même taille. De Nana, la plus jeune de ses tantes, Feraoun garde l'image d'une femme douce et sage, qui savait calmer les esprits révoltés « Sa voix avait le don de calmer les voisins. » P 40. Il la décrit souvent une description morale car ses qualités étaient très remarquables. Sans doute, Feraoun en était attiré et jugeait plus nécessaire de la décrire ainsi : Ses s?urs s'accordaient à la déclarer plus belle (?) Elle était aimée de toutes les femmes du quartier (?) Elle avait pris l'habitude de se faire obéir (?) Fatma, mère de famille, recevait ses instructions ; Khalti ne discutait jamais ses ordres (?). (P. 40) Nana excellait dans la poterie et sa renommée était connue dans tout le voisinage. Feraoun n'omet pas de nous décrire avec exactitude le produit réalisé par Nana quand il dit : (?) De l'avis de tous, les cruches qui sortent des mains de Nana ont un cachet spécial. Elles sont toujours proportionnées, leurs lignes harmonieuses, leur col élancé, leur légèreté et la finesse de leurs ornements les font préférer par toutes les élégantes du village. (P. 43) De cette confirmation, Feraoun ne nie pas que Khalti, aussi, sache travailler l'argile mais on déduit que Nana la dépassait puisque son produit était très distingué. Cela n'empêchait guère Khalti d'être fière de sa s?ur et de partager son succès. Feraoun dit : Khalti n'est pas jalouse. Elle est la première à admirer sa s?ur. (P. 43) Nana se donnait à fond dans la poterie et se concentrait pour obtenir des résultats satisfaisants. Feraoun la décrit lors du travail en disant : ?Nana ne se trouble jamais. (P. 43) Nana et Khalti travaillaient également la laine pour passer le temps et Feraoun dit : Mes tantes y passent en quelque sorte leurs moments perdus. (P 45) Nana en travaillant la laine est décrite par Feraoun comme suit : Nana est très adroite. Ses fils de chaîne sont durs et aussi fins que ses cheveux. (P. 45) Cela démontre qu'elle maîtrisait la laine aussi bien que la poterie. Comparer les fils aux cheveux dans leur finesse, cela démontre que, plus les fils sont fins, plus le travail est bon et maîtrisé. Mais le destin a vite fait de s'en mêler et de priver Feraoun de l'amour et de l'affection de sa tante Nana, ravie aux siens suite à un accouchement difficile emportant son bébé avec elle, ou comme dit Feraoun : Elle enfanta une pauvre chose froide qui l'accompagna au cimetière. Qui l'y entraîna plutôt (P. 72) « Une pauvre chose froide » est une métaphore qui fait référence au nouveau né qui mourut au moment de l'accouchement. Feraoun raconte ce départ inopiné avec beaucoup d'amertume et de regret. Il en était très ému et décrit le départ de Nana vers l'Au delà : Je revois Nana allongée sur son tapis de noce et couverte d'un linge blanc ; un foulard de soie jaune soutient le menton et entoure son petit visage. Les yeux sont fermés, les narines pincées, la figure est jaune comme le foulard... elle semble dormir...le visage de Nana est inexpressif, il n ya ni trace de sourire ou de révolte ni idée de souffrance ou de repos. (P. 73) De la comparaison « la figure est jaune comme le foulard », nous déduisons que Nana était en mauvais état de santé (utilisation du mot jaune) et qu'elle montrait des signes de quelqu'un qui avait souffert puisque son visage ressemblait à la couleur du foulard. Lorsque quelqu'un se porte bien, on utilise la couleur « rouge » et on dit : « ses joues sont rouges ». Quant à Khalti, elle aimait différemment Fouroulou. Feraoun avoue que lui aussi partageait cet amour mais préférait Nana à Khalti : J'aimais tendrement Nana qui n'avait que des caresses pour moi. Elle me cajolait, m'embrassait sans cesse, me gavait et m'obéissait. Khalti entendait autrement nos relations. J'étais pour elle un personnage comme un autre. (P. 41) De ses qualités morales, Feraoun décrit Khalti comme étant « impulsive » et « sortait souvent du sens commun » et qu'elle « était une enfant. »(P 41). De ce fait, « elle était incapable de se maîtriser. » P 40. Si ce n'était l'intervention de Nana, à plusieurs reprises, des bagarres auraient éclaté dans le voisinage. Khalti, plus d'une fois, faillit faire perdre aux filles d'Ahmed l'estime des cousins. (P. 40) Nana défendait sa s?ur et disait aux voisins : Mais laissez-la déraisonner, elle s'en repentira dans une minute ! (P. 40) Effectivement, Khalti regrettait souvent ses gestes irréfléchis et l'auteur dit : Khalti regrettait toujours sa précipitation. Alors, elle se mortifiait, elle pleurait et essayait de réparer. (PP. 40-41) Feraoun ajoute qu'Elle laissait déborder sa joie ou sa rancune, son affection ou sa haine. Puis, tout rentrait dans l'ordre. (P. 41) Le travail de la poterie demande concentration et patience mais « Khalti est souvent de mauvaise humeur.» P 43. Feraoun qui assistait souvent avec sa s?ur Baya à ce travail, raconte la nervosité de Khalti : Parfois, sous nos rires moqueurs, Khalti, impatientée et menaçante, écrase avec dépit une ébauche disgracieuse qui s'aplatit lamentablement sur la planche en un paquet informe. (P 44) Même en travaillant la laine, Khalti se laissait aller dans son trouble et Feraoun dit : Khalti est encore plus nerveuse devant la laine que devant l'argile.(PP 45-46) Nous devons préciser que malgré certains adjectifs négatifs employés par Feraoun pour décrire Khalti, nous avons choisi de l'inclure sous le sous-titre « image positive », et ce, à cause de son caractère gentil en dépit de certaines mauvaises qualités. Et puis, Feraoun lui-même semble l'aimer et l'apprécier, et que ces défauts étaient petits et humains et peuvent être bénéfiques dans certains cas (elle aidait sa s?ur dans l'argile et la laine, elle aimait ses neveux...). Après tout, partant du principe que « personne n'est parfait », nous avons jugé que le personnage de Khalti recouvrait des défauts qu'une personne ordinaire peut bien avoir et qui ne font pas de mal à autrui. La grand-mère Tassadit Dans Le Fils du Pauvre, Mouloud Feraoun nous parle peu de sa grand-mère parce qu'elle devait mourir l'année où il entre à l'école. Elle aimait Feraoun et le gâtait du mieux qu'elle pouvait. Il dit dans ce cadre : Ma grand-mère, qui était la sage femme du village, me gavait de toutes les bonnes choses qu'on lui donnait, au grand dépit de Helima. (P 25) Certes, Helima qui n'avait que des filles, n'appréciait pas que Fouroulou fusse gâté, surtout par sa grand-mère. La mort précoce de la grand-mère n'empêche pas Feraoun de garder de bons souvenirs d'elle et de la décrire comme étant une femme stricte dans le bon sens, et qui savait gérer la maison comme un soldat. A sa mort, Feraoun dit : Elle fut médiocrement pleurée par ses deux belles-filles qui pensaient ainsi être plus libres. (P. 53) En effet, l'une et l'autre voulait avoir une maison pour elle et sa petite famille et obtenir l'autonomie. Feraoun ne nie pas ici que sa mère aussi, tout comme Helima, était contente, dans son for intérieur, de s'être débarrassé de sa belle-mère. 1.2. L'image négative : D'aucuns qui ont lu Le Fils du Pauvre, s'accordent à dire que Helima, la femme de l'oncle Lounis, prend la part du lion dans ce volet (l'image négative). En effet, Feraoun n'utilise que les adjectifs les plus laids pour la décrire. Sa haine pour lui remonte au jour où il est né car elle n'avait que des filles. Il faut noter ici que la société kabyle de l'époque favorisait la naissance du garçon et, chanceuse était celle qui le mettait au monde. Nedjima PLANTADE nous parle de cette réalité en empruntant la langue à Louisa AZZIZEN en disant : Lorsque mon fils naquit, on alla avertir les hommes occupés à cueillir la caroube. Ils avaient déjà entendu les youyous des femmes ; aussitôt Mohand tira en l'air, puisque les cris signifient la naissance d'un garçon (en cas de naissance d'une fille il n y a aucune manifestation de joie). ( 26) C'est dire que ce n'est pas seulement Mouloud Feraoun qui fait ce constat mais c'est une croyance qui existe, même de nos jours dans certaines régions de la Kabylie. ______________________________ 26. Voir Nedjima PLANTADE, éditions Balland, 1993. Helima Pour montrer à Fouroulou qu'il n'était pas le bienvenu parmi eux, Helima disait à ses filles : « Ce n'est pas votre frère, vous n'avez pas de frère. ». Feraoun encore petit, s'en souvient : Le ton dont elle disait cela signifiait sans erreur possible que j'étais un ennemi. J'entends encore la voix de Helima, je vois son regard méchant. Je compris très tôt sa haine. (P. 26) Avec la naissance de Dadar, le frère de Fouroulou, Helima en devint plus jalouse et Feraoun décrit sa déception : Fouroulou eut un frère qu'on appela Dadar, et dont la venue réveilla la rage impuissante de Helima. (P. 88) Contrairement à l'oncle Lounis qui voyait en homme qu'il était, l'honneur de la famille se perpétuer par Fouroulou, Helima n'éprouvait pas le plus petit amour pour lui, l'unique garçon dans la grande famille. Même avec son entourage, elle adoptait une attitude des moins correctes car C'était une femme d'action. Les scrupules ne l'arrêtaient pas. (P. 61) Et la description de Feraoun ne s'arrête pas là. Il ajoute que Helima : C'est une grande femme sèche et droite avec deux yeux étincelants, une grosse voix, la main leste et l'allure féline... Mon oncle prit l'habitude de la battre sans jamais parvenir à se faire craindre. (PP 19-20) Personne n'était épargné par sa haine et sa méchanceté. De son côté, Feraoun semble avoir le même sentiment envers elle quand il dit : Helima, la femme de mon oncle qu'il m'est impossible même à présent d'appeler ma tante, ne pouvait me souffrir. (P 25) C'est là une preuve qui montre que le pauvre Fouroulou est resté marqué par l'attitude méchante de Helima envers lui, qui n'avait fait de tort que d'être né garçon. Très petit, Feraoun se souvient encore de la rage de Helima lorsque la grand-mère lui donnait les choses qu'elle recevait : Ma grand-mère, qui était la sage femme du village, me gavait de toutes les bonnes choses qu'on lui donnait, au grand dépit de Helima. (P 25) A la mort de la grand-mère Tassadit, la direction de la maison fut confiée à Helima malgré son ingratitude : Ce beau geste fit plaisir à mon oncle, mais ne toucha point sa femme Helima. (P 54) Helima ne tarda pas à être prise en flagrant délit de vol de nourriture, et ce fut un prétexte pour le partage de la maison entre les deux frères. Ensuite, Helima ne faisait que perpétuer la mauvaise image d'elle car Elle se mit à voler son mari. Elle prélevait régulièrement une partie de tout ce qui rentrait...et la vendait à petit prix. (P 65) Ceci pour acheter des tenues ou des bijoux pour ses filles. Suite à la bataille qui avait opposé les Menrad aux Aït Amer, Helima ne faisait qu'accentuer sa haine envers l'innocent Fouroulou : Dans la famille, on semblait oublier que j'étais la cause initiale de ce malheur. Ma tante Helima et ses filles étaient là pour me le rappeler sans pitié. Helima boudait. Elle avait été la moins ardente dans la bataille. Elle détournait obstinément les yeux de son mari et me lançait de temps en temps des regards pleins de colère. (P 34) On peut déduire de tous ces extraits, que ce n'est pas Mouloud Feraoun qui fait la narration mais c'est un petit enfant de moins de sept ans qui ne comprend pas pourquoi les grandes personnes sont méchantes. L'équation Helima/Fouroulou n'était pas égale car se mesurer ainsi à un enfant, c'était lui donner une mauvaise image de vous qui resterait gravée en lui à jamais. Au lieu de l'aimer comme son propre fils, Helima s'acharnait contre Fouroulou et qui sait, peut-être que dans son for intérieur, elle avait souhaité sa mort bien que l'auteur lui-même n'en fait aucune allusion. On peut déduire également que la femme kabyle qui vivait en général sous un même toit avec ses beaux frères et belles s?urs, marié(e)s ou célibataires, n'éprouvait que haine et jalousie cachées surtout s'ils ont ce qu'elle n'a pas (richesse et progéniture). Cependant, il est nécessaire d'ajouter que malgré la mauvaise image de Helima, la femme kabyle, en général, qui ne met au monde que des filles, risque de voir l'héritage de son mari passer aux oncles et aux cousins. C'est pourquoi, nous pensons que la haine de Helima vient de là. Si son mari Lounis venait à mourir, ce serait Fouroulou et son père qui l'hériteraient. Ce qui l'obligerait, elle et ses filles, de vivre sous leur aile jusqu'à la mort. De là, il est à déduire que l'homme dans la société kabyle représente non seulement une perpétuité pour le nom et l'honneur de la famille, mais également un gardien incontournable de son héritage. Les cousines Djouher, Melkhir et Smina Après Helima, l'image négative de la femme dans le roman Le Fils du Pauvre, est représentée par les cousines de Feraoun : Djouher, Melkhir et Smina. Seule sa cousine Chabha, d'après l'aveu de l'auteur, était amie avec lui et l'aimait. Il les décrit dans l'extrait suivant : Djouher, l'aînée a vingt ans...Fluette, nerveuse, des yeux pétillants de malice, une petite chatte qui griffe et qui mord, elle peut mener toute seule le ménage. Elle est la bête noire de ma mère qu'elle espionne et qu'elle calomnie. Melkhir un peu plus jeune est grosse et têtue. Elle a un peu les traits de mon père et beaucoup le caractère de sa mère... Elle attire sur la famille toutes sortes de quolibets et des querelles quotidiennes. Smina est du même âge que ma s?ur Baya, notre aînée...Smina appartient à cette catégorie de gens qui n'ont que leur langue pour convaincre de leur courage. Elle a deux gros yeux, une bouche très large qui semble faite pour parler abondamment, elle nasille un peu d'une grosse voix de garçon. (P 61) De ces trois descriptions, nous pouvons dire que Feraoun trouvait à ses cousines une graine de méchanceté semée par leur mère Helima. La description physique jointe à la description morale montre que les cousines - à l'exception de Chabha- confirment bel et bien le proverbe « Telle mère, telle fille. » Comparer Djouher à une chatte implique un danger caché qu'elle n'hésite pas à employer en temps voulu. Dire de la voix de Smina qu'elle ressemble à celle d'un garçon, cela démontre qu'elle n'était pas très féminine. Lorsque l'oncle Lounis fut blessé dans la bataille citée plus haut, la cousine Djouher, effrontée tout comme sa mère, extériorisa sa haine, et Feraoun décrit la scène dans l'extrait suivant : Ma cousine Djouher passa près de moi et me pinça brutalement. - Regarde ton oncle, il est joli ! C'est toi la cause de tout çà. Elle m'a fait bien mal mais je ne dis rien. J'étouffe un sanglot dans ma gorge. Je regarde ma mère avec désespoir. Elle a tout vu. Elle baisse les yeux, impuissante. Elle m'abandonne. (P 34) Ayant été le bras droit de sa mère, Djouher l'accompagne aux champs pour la cueillette des olives et y restent pour toute la journée. Melkhir et Smina étaient moins méchantes que leur mère et Djouher, et Feraoun décrit leurs caractères et le travail aux champs plutôt que sa relation avec elles : La mère, tel un capitaine en campagne, distribue les tâches sans hésitation : Djouher ira avec elle?Melkhir et Smina travaillent ensemble. Elles se rendent dans l'autre olivette avec les mêmes consignes. (PP 62 -63) Quand Helima vendait en cachette les produits que rapportait son mari pour acheter un trousseau à ses filles, Feraoun en fait un constat du résultat de cette action, qui se répercutait sur ses cousines : « Et pourtant rien n'y faisait. Mes cousines grandissaient, enlaidissaient et ne se mariaient pas. » P 65 Outre ces images, on peut trouver dans Le Fils du Pauvre une description de certaines femmes du village, telles la mère d'Omar, le mari de Nana. Feraoun se souvient de cette femme qui venait rendre visite à ses tantes et promettait à Nana de faire revenir son fils de France. Il la décrit comme suit : Je me mis à rencontrer chez mes tantes une vieille inconnue qui était tout sourires et à laquelle il fallait parler avec des marques de respect. Je revois encore les yeux de cette femme ; ils étaient grands et noirs...elle avait un visage de cire, aux traits rectilignes, un nez bien droit, des rides verticales, une bouche très large aux lèvres minces. (P 68) 2. Le symbole de la femme kabyle dans Le Fils du Pauvre De toutes les images que nous avons traitées plus haut, nous pouvons déduire les différents symboles que représente la femme dans Le Fils du Pauvre. La dualité image positive/image négative, nous permet de prendre connaissance des symboles attribués à la femme kabyle selon ses bonnes ou ses mauvaises qualités, ainsi que les symboles eux-mêmes et leurs contraires. 2.1. Pauvreté : La pauvreté est sans aucun doute le symbole commun de toutes les femmes dans Le Fils du Pauvre. En effet, ces dernières élevées dans la misère totale (la mère de Feraoun, ses s?urs, sa tante Helima et ses filles, sa grand-mère), connurent toute sorte de privation dans une société qui les classait au deuxième rang après les hommes. La description de Feraoun des membres femelles de sa famille mène le lecteur à imaginer aisément la femme, en tant qu'être très pauvre, travaillant d'arrache pied pour pouvoir joindre les deux bouts : se nourrir et nourrir les autres. Ce qui n'était pas évident vu le travail provisoire et saisonnier, d'un côté, et la direction stricte de la nourriture, d'un autre côté, confiée à la grand-mère de Feraoun, pour que chacun puisse avoir équitablement sa part, ne serait-ce que minime. 2.2. Bonté : La bonté est très présente dans ce roman autobiographique. La mère de Feraoun, ses s?urs, ses tantes maternelles et sa grand-mère, incarnent ce symbole selon la description faite de chacune d'elles. Malgré certains traits négatifs, Feraoun nous apprend que ces personnes qui comptaient beaucoup pour lui, étaient bonnes et gentilles, parfois même généreuses. 2.3. Méchanceté : Helima et ses trois filles Djouher, Melkhir et Smina représentent le symbole de la méchanceté. Ayant été privée de la présence d'un garçon, Helima détestait Fouroulou au lieu de l'aimer comme un fils. Elle transmit ce sentiment à ses filles qui savaient le montrer quand nécessaire. 2.4. Hypocrisie : Lorsque la grand-mère de Fouroulou meurt, ses belles filles la pleurent mais hypocritement car toutes les deux avaient hâte de partager la maison et de vivre leur indépendance. A travers le roman, l'hypocrisie est même présente chez les enfants comme l'incarnent les personnages des cousines, surtout Djouher. 2.5. Douceur : Nana représente la douceur dans son sens le plus large. Orpheline, puis abandonnée par son mari parti en France, cela ne l'a pas empêchée de se soumettre à la volonté de Dieu et d'être un soutien et une source de conseil pour ses s?urs Fatma et Khalti. 2.6. Innocence : L'innocence est représentée par Chabha, la cousine de Feraoun et Titi, sa s?ur. Ce symbole ne peut s'attribuer aux autres filles de la famille qui imitaient les grandes personnes dans leur méchanceté et leur hypocrisie. En plus de ces symboles, d'autres symboles peuvent y être mentionnés tels l'avarice, la jalousie, l'égoïsme et la perfidie. Le symbole de la femme dans Le Fils du Pauvre, est dégagé à partir d'images la louant, la critiquant ou simplement la définissant. Les qualités décrites de la femme, ont contribué à la faire aimer ou détester au lecteur, tout comme la faire apprécier ou avoir pitié d'elle, selon les circonstances. Les symboles traités dans cette recherche, peuvent être communs chez une même femme. Cette dernière peut représenter un seul symbole à la fois comme c'est le cas de Helima dont Mouloud Feraoun ne cite aucun symbole « positif » (qui représente les bonnes qualités) mais il donne l'image d'une mégère qui ne fait que du tort à autrui, les enviant et les haïssant, surtout lui, tout enfant, qui ne pouvait faire de mal à une mouche et continuait de recevoir toute la haine et toute la jalousie de Helima. Dans Le Fils du Pauvre, Mouloud Feraoun nous a permis, le temps d'un roman, de vivre avec la femme kabyle et de la côtoyer, de partager ses joies et ses peines, de ressentir le sentiment d'infériorité qui plaçait les hommes en dessus d'elle. Il nous a également permis de comprendre l'attitude de la femme kabyle face à son entourage, et son ambition continue pour s'imposer dans la société. Les images analysées dans cette recherche, dévoilent la personnalité de la femme kabyle du 20ème siècle et nous renseigne sur les lois tribales qui gouvernent son comportement. Les symboles déduits à partir de ces images, démontrent que la femme kabyle, comme toute autre femme de par le monde, reste un être fragile certes mais prêt à se défendre pour avoir sa place dans une société gouvernée par les hommes. La description de Mouloud Feraoun de la femme kabyle est détaillée au point où le lecteur s'en trouve côte à côte comme s'il vit dans son époque, et assiste tout joyeux aux mystères de son âme meurtrie mais forte.
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