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Le Dénouement De L'Adaptation Cinématographique Des Liaisons Dangereuses De Laclos Par Stephen Frears Est-Il Fidèle Au Roman Épistolaire ?

Publié le 28/09/2010

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liaisons dangereuses

 

Les Liaisons dangereuses est un roman épistolaire de Choderlos de Laclos, publié en 1782. Laclos avait pour ambition de « faire un ouvrage qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît encore sur la terre quand [il y aurait] passé «. Le succès (scandaleux) des Liaisons Dangereuses est immédiat, il défraie la chronique du fait de la description d’une société dite immorale. Ce roman entrecroise plusieurs intrigues dans lesquelles sont mis en œuvre tous les ressorts du libertinage dans le but de faire renverser les valeurs de personnages innocents. L’une des plus brillantes représentations cinématographique de ce chef d’œuvre fut créée par Christopher Hampton et Stephen Frears. Néanmoins, si nous voulons représenter cinématographiquement un livre, nous devons faire des choix, le film doit être un concentré de l’intrique. La contrainte va être de garder le plus important sans omettre le but, et les thèmes abordés dans le livre. On peut prendre l’exemple du dénouement des Liaisons Dangereuses. Le dénouement dans le film est-il fidèle au roman épistolaire ? Pour cela, nous entreprendrons une comparaison entre le dénouement du film et du roman. Enfin, nous essaierons de montrer que la représentation de Frears n’est pas fidèle au roman, ou du moins, qu’elle comporte des limites.

 

En premier lieu, essayons d’entreprendre une comparaison entre le film et le roman épistolaire. Tout d’abord, nous pouvons mettre en avant l’effet de symétrie entre les deux œuvres. Dans le livre, Cécile (interprété par Uma Thurman) retourne au couvent, la guerre entre les deux Libertins (la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont) est achevée par le décès de ce dernier (interprété par John Malkovitch), dans le duel contre Danceny. Madame de Volanges, à l’honneur de donner la morale à la fin du livre et explique par la même occasion le titre de l’œuvre « en songeant aux malheurs que peut causer une Liaison dangereuse «. Puis, la Marquise de Merteuil est huée et dévisagée à l’Opéra, à la fin du film, alors qu’au début, c’était elle qui regardait les spectateurs. De plus, on peut rajouter le fait que la Libertine porte la même robe lors de son humiliation et pendant la première scène à l’Opéra du film - peut-être est-ce un choix du réalisateur pour marquer la fin du règne de Merteuil ? - Enfin, au début, la scène du miroir est accompagnée d’une musique guillerette où la Marquise se sourit à elle-même. A la fin, la scène du miroir est reprise avec une musique manifestant une atmosphère dramatique, qui marque la chute de la dominatrice avec une larme de rage, un éclairage s’amoindrissant et un linge enlevant son maquillage (métaphore traduisant le thème du masque). Laclos et Frears n’ont pas utilisé les mêmes scènes pour montrer le devenir des personnages, mais le cinéaste, de la même manière que Laclos, a utilisé un caractère cyclique.

Ensuite, le sort des personnages est le même, mais avec quelques modifications du fait que Frears a dû concentrer l’intrigue et faire une sélection. En effet, en ce qui concerne l’intrigue entre Valmont et Tourvel, la situation est quelque peu modifiée. La représentation du duel entre Danceny et Valmont transforme le combat en suicide, et la tirade du Libertin repenti avant sa mort témoigne de l’amour sincère qu’il semblait éprouver pour la Présidente. L’emploi du thème musical d’amour lorsque Danceny rapporte les propos du Vicomte à Tourvel, le plan sur le visage de cette dernière concluent l’intrigue entre ces deux personnages. On peut mettre en évidence le caractère mélodramatique de la réconciliation des deux personnages par leur propre sacrifice. La lettre 161 de la Présidente qui montre sa démence et sa déchéance digne d’une pièce tragique n’est pas représenté. Le Roman maintient jusqu’au bout l’ambiguïté des sentiments de Valmont envers la Présidente.

De même, le devenir de la Marquise et un peu plus flou dans le film que dans le livre. Frears ajoute une scène (la scène du miroir finale) qui montre la fin du « despotisme « de la libertine avec une larme de rage, et le linge qui la démaquille qui laisse comprendre de manière imagée qu’elle n’a plus besoin (pour l’instant) de son masque hypocrite. Cette scène peut être reliée avec la déception qu’elle éprouve envers la mort de Valmont. La Marquise est vaincue par sa vanité puisqu’elle a voulu se venger  de Valmont. C’est ici que nous pouvons relever un décalage entre le film et le livre puisque chez Laclos, aucune lettre ne s’épanche sur une éventuelle réaction de Merteuil. La banqueroute et la petite vérole qui l’a défigurée (« la maladie l’avait retournée […] son âme était sur sa figure «) de cette dernière ne sont pas exprimées dans le film alors que la lettre 175 nous l’apprend. Par contre, la scène de l’Opéra marque l’idée de mort sociale et permet de montrer le vrai caractère de la Marquise aux yeux de ses congénères. Le devenir de la Marquise est donc décrit de façon succincte dans le film.

 

Les inventions de scènes et les descriptions partielles des desseins des personnages font que Frears a peut-être manqué des épisodes importants. Par conséquent, la représentation cinématographique du dénouement est-elle réellement fidèle au roman ? Essayons d’en montrer les limites. Tout d’abord, le cinéaste a dû faire des impasses, il n’a pas tout repris du livre. En effet, si nous ne voyons que le film : que savons-nous de la réelle définition des Liaisons Dangereuses que Laclos a voulu nous inculquer ? Quelle morale a-t-il voulu nous enseigner ? Quel est le devenir de la Marquise de Merteuil et de tous les autres personnages ? En ce sens, le spectateur doit non seulement chercher la morale de l’intrigue, mais se pose la question si la Marquise est déchue (bien que sa mort sociale soit représentée). La morale l’emporte t’elle sur la malveillance libertine puisque la prude madame de Tourvel meurt ? Par contre, si le spectateur lit le dénouement du livre, il aurait non seulement plus d’informations sur le devenir des personnages, mais aurait peut-être la sensation d’une histoire plus « terminée «.

Ensuite, Frears ne montre pas le dénouement édifiant que propose Laclos. En effet, nous pourrions penser que le cinéaste a gardé la plus important des trois intrigues entrecroisées. Pourtant, le film entier et le dénouement est centré sur les deux Libertins. La défaite de la Marquise est représentée par l’image de la mort sociale à l’Opéra lorsqu’elle est huée et par le lent fondu noir devant son miroir qui montre les limites de sa domination. Chez Laclos, sa banqueroute, la perte de son œil, sa fuite en Hollande et son procès sont évoquées en plus. Ainsi, son dessein n’est pas totalement décrit. Par ailleurs, on entrevoit cependant un point de ralliement, bien que traité de manière différente dans le film et dans le livre, le bien ne l’emporte pas sur le mal. Ainsi dans la dernière lettre, Madame de Volanges dit : « je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leur malheureuses victimes «  Les victimes des Libertins sont affectées par leur malveillance : retour au couvent pour Cécile étant devenue une « professionnelle du sexe « comme le disait Valmont ; la mort de la Présidente de Tourvel. Avec Frears, on ne voit pas la dernière lettre de Volanges qui donne l’objectif pédagogique de l’œuvre, donne sa réelle signification et qui dépeint la déchéance virulente de la Marquise. Il ne faut pas oublier que Laclos a repris le ton des moralistes de son époque.

Enfin, la représentation cinématographique n’est pas totalement fidèle au roman dans la mesure où le rythme du dénouement est rapide. Frears créé une dynamique. Il est important de souligner qu’il est contraignant de retranscrire un long roman en film puisqu’il faut concentrer les actions principales sans perdre la réelle signification de l’œuvre, d’autant plus que le genre épistolaire doit être un genre bien plus difficile à mettre en scène. C’est non seulement par souci d’efficacité que le cinéaste a créé une telle dynamique, mais aussi pour accentuer le caractère tragique du dénouement. On peut prendre l’exemple du montage parallèle de la mort mélodramatique du Vicomte et de la Présidente, la voix-off de la Marquise lors du duel de Danceny et Valmont qui explique la cause du combat en même temps qu’il se déroule. Plusieurs ellipses sont présentes : Merteuil refuse de se donner à Valmont, puis vient aussitôt le duel, ce qui représente une dizaine de lettres.

Pour conclure, la représentation cinématographique de Frears s’avère être l’une voire la plus réussie des représentations des Liaisons Dangereuses. Cependant, on remarque que le dénouement ne reste pas totalement fidèle à celui de Laclos. En effet, c’est par souci de concentration et d’efficacité que le cinéaste à dû faire un choix personnel sans omettre le but du livre. On peut donc souligner que le dénouement ne cite pas complètement le devenir des personnages. On ne voit qu’une description partielle de la chute des Libertins et de leurs victimes. Toutefois, bien que Frears a modifié (ou n’a pas représenté) la morale de l’intrigue, les détails des desseins des personnages, il a su mettre en scène de manière explicite que le bien n’a pas vaincu le mal (et inversement) et en filigrane la définition d’une liaison dangereuse.

 

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