Le critère du juridique
Publié le 09/10/2011
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Dissertation « Le critère du juridique »
Le terme juridique vise tout ce qui se trouve lié à la notion de droit, qui désigne l'ensemble de règles destinées à organiser la vie en société. On applique alors l'expression de Droit objectif, constitué par l'ensemble de ces règles juridiques. L'idée de droit ne peut être dissocié de celle de règle. Mais cette relation entre la règle et le droit ne peut être que le point de départ de la réflexion. Il existe, en effet, bien d'autres ensembles de règles qui ne sont pas juridiques ou ne sont pas considérées comme telles, les principales étant les règles religieuses et morales ou encore les règles de bienséance. « La constatation que, du moins dans nos sociétés modernes, coexistent deux ordres de règles, les règles juridiques et toutes les règles sociales qui ne sont pas juridiques, nous impose de chercher un critère par lequel différencier les deux catégories, et puisque c’est le juridique qui fait figure de phénomène particulier, il faut se mettre en campagne pour découvrir ce que peut être le critère du juridique, la juridicité » Jean Carbonnier. Qu'est-ce qui différencie la règle de droit des autres règles sociales ? Il convient d'envisager quels sont les caractères spécifiques de la règle de droit (I) sans omettre de préciser les rapports qu'elle entretient avec les autres règles (II)
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I./ Les caractères de la règle de droit
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Il est utile de distinguer ce qui dans une société relève du droit ou d'une autre forme de régulation. Pour cela, il faut se concentrer sur les critères de cette règle de droit qui est d'abord générale et obligatoire (I.A) et les caractères plus spécifiques : la règle est coercitive et sanctionnée (I.B).
A.La règle de droit est considérée comme générale car elle est appliquée sur tout le territoire national et pour tous les faits qui s’y produisent. On la qualifie d'impersonnelle car elle vaut pour toutes les personnes qui se trouvent ou se trouveront dans une décision objectivement déterminée : Article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » et l'article 8 du Code Civil « Tout français.. » ce qui signifie que la loi est prédestinée à tout le monde. C'est une règle objective, qui ne trouve pas à s'appliquer a des individus nommément désignés, elle ne désigne donc personne en particulier.
Cependant, le législateur prévoit des textes à s'appliquer à certaines catégories de personnes par exemple les commerçants. Même si la règle s'applique à un catégorie dans laquelle il y a seulement une personne il conserve son caractère générale parce qu'elle s'applique indépendamment à la personne qui a le rôle spécifié. La généralité de la règle de droit est une garantie contre la discrimination personnelle et l'arbitraire, mais ce n'est pas suffisante à garantir l'égalité.La souplesse du caractère général de la règle de droit ne conduit pas pour autant à sa remise en cause. L'impersonnalité des règles de droit est une garantie contre l'arbitraire du pouvoir, aucune règle n'est donc adopté en faveur ou au détriment d'un individu en particulier.
La règle juridique doit être respectée, elle est un commandement nécessaire à l'organisation de la société. Le citoyen est tantôt obligé d'agir d'une certaine façon, tantôt on lui prescrit d'adopter un certain comportement. C'est un ordre adressé à tous les citoyens et l'obligation de respecter cet ordre se justifie à travers la finalité de la règle. Il existe aussi des tempéraments qui sont des règles supplétives de volonté ( des règles facultatives qui ne trouvent à s'appliquer que si les citoyens n'ont pas choisi une autre option ) et des règles impératives qui s'imposent en toute circonstance et dont on ne peut écarter l'application par le jeu de convention contraire.
B.Selon les juristes, la véritable spécificité de la règle de droit c’est d’une part, son caractère obligatoire, c’est-à-dire que son non-respect est nécessairement sanctionné, et que cette sanction est étatique, autrement dit le droit est lié à l’État. La caractéristique décisive de la règle de droit consiste en ce qu'elle est une règle à la fois obligatoire et sanctionnée par l'État » dit J.L. Aubert. Tout comme Henri Mazeaud rajoute « il y a là un caractère spécifique de la règle de droit. Une règle qui ne serait pas obligatoire, ne serait pas une règle de droit. » Le caractère coercitif de la norme juridique va toujours de pair avec la sanction que l'État lui inflige. La particularité de la règle de droit est le caractère étatique de la sanction en cas de violation. Si l'individu transgresse une règle de conduite qui lui est propre ( religieuse, morale (II) ), la sanction sera interne, il éprouvera des remords, des regrets. Si seule la règle de droit est sanctionné par l'autorité publique, seule l'autorité publique peut sanctionner une règle de droit. Ces différentes sanctions de la règle de droit poursuivent différents objectifs. Tout d'abord, l'exécution d'une obligation d'un contrat, la sanction prend alors la forme d'une exécution forcée (saisie des biens d'une personne qui n'entend pas payer ), ensuite la sanction peut poursuivre un objectif punitif. Par exemple, la peine pénale qui a pour but de réprimer, de punir, d'intimider ou permettre la réinsertion d'un individu dans la société. Enfin, le troisième objectif est la réparation, il s'agit de réparer un comportement dommageable, cette réparation se matérialise par le versement de dommages et intérêts, on parle aussi d'indemnisation pécuniaire.
Il existe des règles de droit sanctionnées par des organes non étatiques. L'intervention dans cette sanction n'est alors qu'indirecte. Le pouvoir de ces organisations corporatistes est tout de même contrôlé par l'Etat. Par exemple, la pratique de l'arbitrage, l'état accepte que l'individu confie a une tiers personne, un arbitre qui se voit reconnaître les droits d'un juge, c'est une justice contractuelle. Pour des juristes tel que Marty Raynaud, le caractère étatique de la sanction est un critère pertinent de la règle de droit : « Une règle n'est pas juridique parce qu'elle est sanctionnée, elle est sanctionnée parce qu'elle est juridique ».
Des critères existent pour définir la règle de droit, du plus général au plus spécifique tel que le caractère coercitif de la règle de droit.
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Après avoir montré les caractères de la règle de droit, il est important de voir si cela suffit pour la distinguer des autres règles sociales, ou si les barrières entre ces règles sont floues. Il est donc essentiel de s'intéresser aux rapports que la règle de droit entretient avec la règle religieuse (II.A.) et morale (II.B).
A. Fondée sur un rapport transcendant, la religion présente ses commandements comme venant de Dieu. La règle religieuse veille au salut de l'être humain. La règle de droit n'en présente pas moins certains liens avec la règle religieuse. Ces deux règles ont toutes deux un caractère général et impersonnel, une origine extérieure aux individus qui la respectent. Il n'en est pas ainsi de toutes les règles juridiques. Il existe, en effet, des règles de droit dont on imagine mal les relations avec des commandements religieux. Il en est ainsi des dispositions du Code de la route. Il en est d'autres, au contraire, dont on perçoit aisément les possibles rapports avec la religion, par exemple celle qui gouvernent le mariage ou le divorce (ou exemples de règles du droit pénal). Dans certaines civilisations, fortement imprégnées par la religion, la distinction des règles de droit et des règles religieuses est souvent difficile et artificielle. Ce fut le cas en France, sous l’ancien régime : l’Eglise régissait certaines matières du droit privé (en particulier l’état des personnes et le droit de la famille).
Néanmoins, sur le plan méthodologique, on peut observer que Droit et Religion s'opposent sur un certain nombre de points. Il est, par exemple, des contradiction évidente entre le contenu de certaines règles de droit et l'enseignement de la religion, notamment judéo-chrétienne. Ainsi, il y a une contradiction évidente entre la légitime défense et le comportement qui consiste à tendre l'autre joue ou encore le recours possible à l'avortement ou au divorce. De plus, même lorsque le contenu de la règle juridique est directement inspiré par la loi religieuse (ne pas tuer, ne pas voler, ...), l'on peut être conduit à considérer que les préceptes religieux concernent, au niveau de la sanction, des relations de l'homme avec la divinité, tandis que les règles de droit entraînent une sanction du groupe social. Elles n’ont pas la même finalité. La règle de droit a une finalité sociale, la règle religieuse a une finalité spirituelle et religieuse. La règle de droit est sanctionnée par l’État, la règle religieuse est sanctionnée par Dieu. Cette distinction fut affirmée par la Constitution de 1958 où la France est affirmée État laïque, et dans la loi de 1905 qui a séparé l’Église et l’État. Mais même dans les États laïques et modernes la règle de droit n’est pas totalement imperméable au fait religieux. L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 reconnaît à chaque individu la liberté d’opinion et de droit d’avoir une religion. Pareillement, l’article 9 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme de 1950 pose le principe selon lequel la règle de droit doit respecter le fait religieux.
Sur certains points, la règle de droit et la règle religieuse sont très proches mais la distinction se voit surtout au niveau de la finalité et de la sanction de la règle de droit. Il faut maintenant s'intéresser aux rapports entre la morale et le droit.
B.Un courant de pensées doctrinales estime que le droit est totalement absorbé par la morale. C’est à dire que l’ensemble des règles de droits sont des règles morales. Par opposition, d’autres auteurs considèrent que le droit et la morale ont des domaines, des sujets, radicalement différents. Ces deux positions sont excessives. C’est un juste équilibre qui doit primer. Le droit et la morale entretiennent des rapports étroits mais aussi qu’un certain nombre de divergences profondes permettent de les distinguer avec clarté. Ils se rejoignent parfois tant dans leur objet que dans leur contenu. Il y a un certain nombre de cas où il y a une véritable confusion entre ces deux types de règles. Quand des règles de droit sont la traduction juridique de normes morales (interdiction de tuer, de voler). Le droit et la morale ont tendance à s’auto-influencer. Le droit trouve dans la morale une source d’inspiration. Les règles édictées par le législateur suivent les évolutions de la morale. Par exemple, le droit à refuser la légalité des contrats de mère porteuse (art 16 -7 du code civil). Si la morale fait évoluer le droit, le droit contribue également à faire évoluer la morale (peine de mort, instauration du divorce). Des réformes qui initialement étaient contraires aux concepts moraux mais qui sont rentrées dans les mœurs.
La morale poursuit une finalité individuel (perfectionnement individuel) alors que le droit a une finalité sociale (le maintient de l’ordre social, la cohésion, harmonie de la société). Le droit a une finalité qui est donc plus modeste il vise donc à éviter l’anarchie. Le contenu de la morale est constitué uniquement de devoirs qui visent à l’élévation de l’individu. Le droit en revanche est constitué de droits et de devoirs. La sanction est différente puisque pour la règle juridique cela va être la sanction étatique alors qu'après la violation d'une règle morale, la sanction sera propre à l'individu (remords, regrets, mauvaise conscience). Le droit est parfois parfaitement indifférent à la morale notamment quand il s’intéresse à des domaines très techniques (droit fiscal, comptabilité). Parfois aussi le droit s’affranchi même volontairement de la moral.
Ainsi, même en ayant des sanctions et des finalités différentes, ces deux règles restent tout de même très liées.
Si les principes de distinction de la règle de droit et des règles morales et religieuseS peuvent sembler sans ambiguité, leurs limites prouvent que ce discernement peut être beaucoup plus subtil, et que les règles sociales tendent à se confondre et à s'influencer avec la règle de droit.
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