Le comique dans Bouvard et Pécuchet
Publié le 18/09/2010
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Introduction générale
Des productions littéraires de Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet est l’une des œuvres majeures. Publiée en 1881 à titre posthume, l’œuvre a bien étonné critiques et amateurs. L’auteur avait d’ailleurs prévu un tel accueil à travers une correspondance à l’un de ses amis, Auguste Sabatier en ces termes : « (…) je n’écris pas un roman populaire. Si trois cents personnes en Europe lisent mon œuvre et en entrevoient la portée, je me tiendrai pour satisfait. «[1]
Pourtant, à celui qui en approfondit la lecture, Bouvard et Pécuchet offre la possibilité de bâtir plusieurs axes de réflexion. Parmi ces axes de réflexion, figure la manière dont le comique se déploie dans l’œuvre ; car Bouvard et Pécuchet provoque le sourire et déclenche le rire.
Pour le présent exposé, il nous paraît important de nous intéresser aux personnages de l’œuvre, à la construction du récit, et aux procédés littéraires utilisés par l’auteur, pour essayer de mettre en évidence, la façon dont le comique traverse l’œuvre.
I. Les personnages :
Qui a lu Bouvard et Pécuchet se rend facilement compte que le comique se déploie autour des personnages de l’œuvre : les deux personnages principaux, et les autres personnages.
1. Les deux principaux personnages : Bouvard et Pécuchet
Bouvard et Pécuchet, font sourire et rire dans leur apparence, leurs idées et leurs actions. En effet, ils donnent l’image de deux farfelus dans leur apparence extérieure : « deux hommes parurent (…). Le plus grand vêtu de toile, marchait le chapeau en arrière, le gilet déboutonné et sa cravate à la main. Le plus petit, dont le corps disparaissait dans une redingote marron, baissait la tête sous une casquette à visière pointue «[2]. Telle est l’évocation des deux personnages dès le début du texte. Le comique de personnage est clairement exposé ici. De plus, le comique se dit à travers les idées des deux individus : ils ont toujours la mêmes pensées, les mêmes idées, et sont toujours d’accord entre eux, à quelques exceptions près. Le premier chapitre de l’œuvre souligne qu’ils ont eu la même idée d’inscrire leur nom dans leurs chapeaux ; à leur première rencontre, plusieurs fois ils ont essayé de se quitter et ses sont rassis à leur place ou ont fait le tour de l’endroit où ils étaient, pour finir par avoir la même idée d’aller manger[3]. La suite de l’œuvre confirme cela quand elle présente les deux bonshommes décidant subitement presqu’à tous les cous, d’abandonner un domaine de connaissance pour s’intéresser à un autre domaine de connaissance. Là encore, nous sommes dans le domaine du comique de personnage. Enfin, Bouvard et Pécuchet sont comiques à travers ce qu’ils font. La plupart de leurs actions ne sont que théâtralité. Ils essayent d’appliquer à la lettre ce qu’ils ont lu à travers des livres dans le domaine de la réalité. Ainsi, après avoir lu le Dictionnaire des sciences médicales et consulté des livres sur la physiologie, ils décidèrent de produire artificiellement des digestions. Alors, « ils tassèrent de la viande dans une fiole où était le suc gastrique d’un canard – et ils la portèrent sous leurs assailles durant quinze jours, sans autre résultat que d’infecter leurs personnes[4] «. A travers les actions de Bouvard et Pécuchet, se révèle le comique de geste, amplifié par le phénomène de la répétition. Ils sont bêtes, naïfs et ridicules dans ce qu’ils font. Cela donne à leurs actions, l’image de « deux escargots qui s’efforcent de grimper au sommet du mont Blanc «[5], qui chutent constamment, et qui recommencent leur montée. Abordons maintenant le cas des autres personnages de l’œuvre. Dans cette logique de ridicule dans l’action, il y a encore un fait à souligner : les deux bonshommes recommencent l’apprentissage de la vie alors qu’ils sont déjà vieux.
2. Les autres personnages
Tour à tour, nous intéresserons ici aux personnages de Mme Bordin, de M. Veaucorbeil, docteur, de M. Foureau Maire de Chavignolles, et de l’Abbé Jeufroy, prêtre à Chavignolles.
D’aobord Mme Bordin : c’est la femme sans mari dans l’œuvre. Elle est présentée dans son physique comme ayant des yeux noirs, petits et brillants et comme ayant même « un peu de moustache «[6]. Ce qui a pour conséquense d’intimider Pécuchet quand il la rencontre pour la première fois.
M. Veaucorbeil est présenté lui comme étant toujours aux trousses de Bouvard et de Pécuchet pour leur chercher querelle. Ce n’était pas la sympathie entre les deux bonshommes et le docteur. Dans l’oeuvre, lorsque Bouvard souffre de coliques, quand il arrive, il commence par « effrayer son malade «[7]. De plus, quand Pécuchet développe les symptômes de la syphilis, il se moque de lui en disant : « Ah ! ah !Fructus belli !
- Ce sont des syphilides, mon bonhomme ! soignez-vous ! diable ! Ne badinons pas avec l’amour «[8]. Sa présentation physique donne comme détail ceci : « c’était un homme sérieux à front convexe «.[9]
Le troisième personnage auquel nous pouvons nous intéresser dans cette partie de notre travail est M. Foureau, Maire de Chavignolles. L’œuvre ne parle pas de lui en des termes particulièrement élogieux. Bouvard et Pécuchet se moque bien de lui en disant après une réception chez eux, en ces termes : « Quel goujat que M. le Maire ! Quand on dîne dans une maison, que diable ! on respecte les curiosités ! «[10]. Son inintelligence transparaît aussi dans l’œuvre, et il finit par vouloir mettre Bouvard et Pécuchet en prison à la fin du roman, bien que ces derniers n’aient commis aucun acte condamnable par la loi.
Quant à l’abbé Jeufroy, c’était le défenseur zélé de la religion qui pourtant est souvent incapable de trouver des réponses aux critiques qu’on fait de sa religion. Il n’est pas si désintéressé que son statut pourrait le laisser penser ( comment s’y prendre pour avoir la foi : pratiquez d’abord !). Il accepte bien de l’argent de Pécuchet pour un vieux font baptismal que les deux bonshommes avaient déterré et qu’ils avait amené chez ( Cf. p 166). Il va même plus loin en ayant la volonté de se faire député.
Tous ces personnages auxquels nous venons de nous intéresser portent en eux, les marques du ridicule. C’est cela qui fait rire. Essayons maintenant de quitter le domaine des personnages pour nous intéresser à celui de la construction du .
II. La construction du récit
Dans Bouvard et Pécuchet, la construction du récit fait sourire. Le récit évolue sans évoluer vraiment. De plus, le mouvement du texte qui se noue constamment autour des limites des connaissances rationnelles pour les porter au grand jour porte la marque du comique.
1. Une évolution circulaire
Le texte de Bouvard et Pécuchet a la particularité de présenter une évolution circulaire. Cela se lit clairement à travers le mouvement d’ensemble du récit. Le début et la fin du roman se ressemblent étrangement. Les deux personnages principaux sont présentés dans la même situation au départ et à l’arrivée : copistes à l’ouverture de l’œuvre, ils se retrouveront encore en train de copier à la fin du roman. Cela est curieux et fait sourire.
De même, l’impression de circularité et de non évolution se retrouve à l’intérieur des chapitres. Chaque fois, Bouvard et Pécuchet ont l’idée d’un domaine à explorer. Ils se documentent, lisent et expérimentent ce qu’ils ont lu. A la fin de l’expérimentation, c’est toujours l’échec. Même quand ils semblent réussir une première fois, quand ils recommencent la même expérience une deuxième fois, c’est toujours l’échec. Après l’échec, ils passent encore à un autre domaine. Cette situation se répète à travers tout le roman.
Enfin, la lecture de Bouvard et Pécuchet donne l’impression d’un perpétuel recommencement et d’une constante improvisation. Quand Bouvard et Pécuchet échouent, au lieu de tirer les conséquences de leur échec, ils recommencent autre chose, sans se décourager. Plus exactement, ils improvisent autre chose, étalant tout au long du texte, leur amateurisme. Maintenant, essayons de nous pencher sur les limites des connaissance rationnelles.
2. Les limites des connaissances rationnelles portées au grand jour
Le comique dans Bouvard et Pécuchet réside aussi dans le fait que les connaissances rationnelles sont exposées et leurs limites étalées sur la place publique. Le 19ème siècle consacrant le triomphe du positivisme, on ne s’attendrait pas à voir quelqu’un ramer à contre courant de l’environnement du moment. Pourtant, c’est ce que Flaubert a fait. Les limites des connaissances expérimentales sont d’abord exposées : elles échouent soit parce que Bouvard et Pécuchet les appliquent mal, soit parce que des causes non maîtrisables interviennent. L’expérience de l’arboriculture est éloquente[11].
Ensuite les connaissances non expérimentales : elles contiennent des contradictions. Les exemples les plus frappant dans l’œuvre sont les discussions des deux bonshommes sur la philosophie, puis sur la grammaire et leur discussion avec le curé sur la religion ( pages 281-303 pour ce qui concerne la philo, avec des idées métaphysiques). A tous les coups, les connaissances rationnelles sont démontées. Le lecteur finit toujours par secouer la tête, par sourire et par se dire : « en fin de compte, les connaissances rationnelles ne peuvent pas constituer des repères stables pour l’homme«.
Après nous être intéressés à la construction du récit, essayons d’aborder le domaine des procédés narratifs mis en œuvre par Flaubert pour souligner davantage comment Bouvard et Pécuchet est une œuvre comique.
III. Les procédés narratifs
Nous nous limiterons simplement à trois figures de style pour les besoins de la cause : la raillerie, la comparaison et l’anecdote comique.
1. La raillerie
La raillerie se développe comme support de rédaction dans Bouvard et Pécuchet. Elle se déploie d’abord sous-fourme d’ironie. Chapitre après chapitre, les connaissances rationnelles sont théâtralisées dans les actions des deux personnages principaux. La théâtralisation mène toujours à l’échec comme pour dire que la réalité se moque des lois scientifiques et que l’homme ne doit pas se laisser prendre dans le vertige des connaissances rationnelles. Ainsi, pour l’éducation de Victor et de Victorine. Bouvard et Pécuchet lisant théories sur l’éducation veulent les appliquer sur les deux gamins. Ils en font des vauriens.
Dans le texte, la raillerie se présente aussi sous-forme de dérision. L’auteur tourne en dérision la société entière à travers la bêtise des deux personnages principaux. Le positivisme du 19ème siècle voulait consacrer le progrès de l’esprit humain par le développement des sciences. Flaubert constate et dénonce la bêtise d’une telle pensée. Il y a un autre support que Flaubert utilise pour tourner en ridicule la société du 19ème siècle : ce sont les habitants de Chavignolles, en montrant leur curiosité frisant souvent le ridicule (« Les bourgeois voulant connaître Bouvard et Pécuchet « venaient les voir par la claire-voie «. Ceux-ci « en bouchèrent les ouvertures avec des planches. La population fut contrariée « [12]) ; en montrant aussitout le monde voulant se faire député : Gorgu, employé de Bouvard et Péchchet ; Bouvard et Pécuchet eux-mêmes ; l’instituteur ; le maire, le docteur ; le curé dont l’œuvre dit qu’ « il se surprenait les yeux au ciel en train de dire : - « Mon Dieu ! faites que je sois député «[13].
2. La comparaison
Le procédé de la comparaison est bien utilisé dans Bouvard et Pécuchet. Plusieurs éléments mis en rapport entre eux font rire. Ainsi, le saint Pierre que les deux bonshommes avaient amené chez eux est qualifié de « franchement lamentable avec sa physionomie d’ivrogne « (page ). Pour pratiquer l’hydrothérapie, « les deux bonshommes, nus comme des sauvages se lançaient de grands seaux d’eau « (page 254) ; et à la gymnastique, ils sont plus haletants que des chiens (page 257). Un dernier exemple : « Marcel qui priait avec ferveur, la tête renversée avait l’air d’un fakir en extase «(page 345). Après la comparaison, abordons, le domaine de l’anecdote comique.
3. L’anecdote comique
Sous la rubrique anecdotes comiques, nous voulons exposer simplement quelques faits du roman dans lesquels des personnages sont mis dans des situations qui entraînent le rire. Premier fait : c’était après l’expérience sur le développement de la chaleur animale. L’œuvre mentionne ceci : « un chien entra, moitié dogue, moitié braque, le poil jaune, galeux, la langue pendante. Que faire ? Pas de sonnette ! Et leur domestique était sourde. Ils grelottaient mais n’osaient bouger, dans la peur d’être mordus. Pécuchet crut habile de lancer des menaces, en roulant des yeux. Alors, le chien aboya ; -et il sautait autour de la balance, où Pécuchet se cramponnant aux cordes, et pliant les genoux tâchait de s’élever le plus haut possible.
- Tu t’y prends mal, dit Bouvard ; il se mit à faire des risette au chien en proférant des douceurs. Le chien sans doute les comprit. – Il s’efforçait de le caresser, lui collait ses pattes sur les épaules, les ériflait avec ses ongles.
- - Allons ! maintenant ! voilà qu’il a emporté ma culotte ! «[14]
Une autre anecdote : voulant faire une expérience sur le phénomène de l’extase, Bouvard et Pécuchet entrent dans une ferme et « avec du Blanc d’Espagne, ils tracèrent une ligne au milieu du pressoir et lièrent les pattes d’un dindon, puis l’étendirent à plat ventre, le bec posé sur la raie. La bête ferma les yeux, et bientôt trembla morte. Il en fut de même pour les autres (…). Les gens de la ferme témoignèrent des inquiétudes. La maîtresse cria (…) le fermier empoigna sa fourche :
« Filez, mon Dieu ! ou je vous crève la paillasse ! Ils détalèrent «[15] . De telles exemples sont nombreux dans Bouvard et Pécuchet.
Conclusion générale
Etape après étape, nous avons essayé de montré que Bouvard et Pécuchet est une œuvre qui peut être qualifiée de comique. Gustave Flaubert y a accompli sa promesse : faire un roman « qui aura la prétention d’être comique «[16]. Pourtant, un fait mérite d’être souligné : le comique de Flaubert ne s’oppose pas au sérieux. Flaubert aurait lu entre 1872 et 1874 livres dans divers domaine pour la rédaction de l’oeuvre. Ce n’était certainement pas pour écrire de la pacotille. En fait, il a utilisé un genre littéraire dont le propre est de pouvoir dire les vérités essentielles de l’existence, sans risquer de heurter les consciences. Son message après tout, dépasse le cadre de la comédie, puisqu’il a voulu dénoncer l’immense bêtise humaine des temps modernes. Et son œuvre rejoint et rappelle l’œuvre de l’un de ses devanciers : La comédie humaine d’Honoré de Balzac.
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[1] Citation du Journal de Genève in Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, avec des fragments du « second volume «, dont le Dictionnaire des idées reçues, Flammarion, Paris, 1999, page 442
[2] Ibid, page 47
[3] Ibid, pages 48-50
[4] Ibid, page 112
[5] Ibid, page 21. Les mots sont de Taine et rapportés par Stéphanie Dord-Couslé dans la présentation de l’édition de 1999.
[6] Cf. ibid, page 70
[7] Cf. ibid, page 83
[8] Ibid, page 278
[9] Ibid, page 83
[10] Ibid, page100
[11] Cf. ibid, pages 86-87
[12] Cf. Ibid, page 69
[13] Ibid, page 217
[14] Ibid, page 114-115
[15] Ibid, page 279
[16] Cf. Présentation de Stéphanie Dord Crouslé in édition de 1999, page 20
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