Les Anciens avaient déjà de leur temps défini le bonheur : pour Platon il s’agissait de l’assouvissement des désirs présents en nous par le biais d’une vie de raison et de tempérance ; cela nous apporterait une sensation de satisfaction, de plénitude totale. De manière générale on estime qu’il y a « bonheur » quand tous les désirs (passion) de l’individu sont comblés, et cela de manière continue dans le temps. C’est ainsi que l’on distingue « être heureux », qui n’est que furtif, du « bonheur » qui sous entend une continuité dans le temps. Ainsi, doit on considérer que le bonheur appartient au domaine du sensible ? C’est-à-dire à la sensation, la sensibilité rendant alors le bonheur d’un individu pas nécessairement valable pour un autre ? Il y a indéniablement quelque chose de personnel dans le bonheur : il s’agit presque de « vie privée » tant il touche à notre Moi profond ; sauf si l’on considère le « bonheur collectif » là où l’on doit répondre à la satisfaction de la communauté ; c’est-à-dire d’un groupe d’individus vivant ensemble et qui partagent des buts, des valeurs et des traditions communes ; à la satisfaction d’une majorité. Néanmoins, si l’on s’accorde sur cette définition du bonheur comme une sensibilité personnelle ou d’un groupe, on peut toujours se questionner quant à son existence : sur le possibilité que, finalement, le bonheur ne soit qu’une illusion. Une illusion c’est la représentation bienfaisante qui vient répondre à la satisfaction de désirs forts (jusqu’au fantasme), quand cette satisfaction par le réel est impossible. L’illusion n’est que l’expression sensible, le leurre, la sensation qui nous fait croire ici au bonheur, tel un illusionniste ou un prestidigitateur qui certes nous trompe mais sans buts néfastes : l’illusion du bonheur ne serait donc que bienfaisante. Alors, subsiste une interrogation : le bonheur n’est il qu’une illusion bienfaisante ou au contraire une réalité accessible à tous ? Et quand bien même, si le bonheur n’est qu’une illusion, comment s’atteint-il et de quoi se compose-t-il ? Il apparaît effectivement que le bonheur n’est qu’une illusion : il représente un idéal, un modèle qui répondrait à la satisfaction de tous les désirs dans le temps, une sorte « d’utopie » (au sens large) du genre humain. Néanmoins, notons que dans sa poursuite effrénée du bonheur, ce que Aristote appelle la recherche du « Souverain Bien », but ultime de l’existence, l’homme peut atteindre un stade de « bien être », un bonheur momentané ; autrement dit, même sans atteindre le bonheur, on peut être heureux. L’homme s’approche alors au plus près du bonheur sans y accéder : c’est ce qui motive l’homme dans sa quête du bonheur ; il le frôle sans jamais l’atteindre. Le bonheur est une illusion nécessaire à l’homme. Il a en effet besoin d’elle, afin que sa vie lui soit supportable, tolérable : il est vital pour l’homme de répondre à certaines questions, à certains souhaits. L’illusion de bonheur donne alors une réponse satisfaisante. En effet, l’homme a ancré au plus profond de lui, des interrogations, sur son existence : qui est-il ? D’où vient il ? Et, c’est d’ailleurs la plus préoccupante à ses yeux, où va-t-il ? La mort est le premier élément qui rend le bonheur accessible, car elle représente pour la grande majorité des individus un véritable « saut dans le néant ». Liée à la mort, la religion apparaît alors comme créatrice de bonheur. Elle apporte réconfort et confiance à l’homme par la promesse d’une autre vie meilleure. Cependant, si il apparaît que la religion, et ses promesses, ne sont qu’illusoires, alors le bonheur qu’elle a engendré l’est aussi. C’est ce que tendent à démontrer trois philosophes, sous différents angles. S. Freud, père de la psychanalyse affirme que la religion n’est qu’une illusion car elle est artificielle et crée par l’homme pour l’homme : son but est de répondre aux questions concernant la mort et la violence inhérente au monde dans lequel nous vivons. Freud, en montrant ainsi que la religion n’est qu’un leurre, qui nous voile la face, qui nous cache la mort telle qu’elle est, démontre simultanément l’illusion du bonheur des hommes ayant crée la religion, afin de répondre faussement à nos désirs. C’est un bonheur imaginaire. Marx rejoint Freud sur le fait que la religion est illusoire ; cependant, lui considère la religion comme « l’opium du peuple », un puissant analgésique et hallucinogène (qui engourdit l’esprit et le fait délirer). Elle ne serait ici bas, que pour nous rendre la vie supportable, étant donné les conditions misérables dans lesquelles nous vivons (contexte de la révolution industrielle au XIXème siècle ; vie ouvrière très difficile). L’illusion du bonheur apparaît ici comme nécessaire à la condition humaine. Nietzsche quant à lui analyse la religion comme un repère, une institution rassurante pour les faibles et les « ratés » du monde. Ceux qui sont malheureux « ici-bas » seront heureux dans « l’au-delà ». Il illustre sa thèse par le célèbre passage biblique : « Les premiers seront les derniers » Matthieu, 20,16. Ainsi il tend à démontrer que la religion n’est que le vecteur illusoire, d’un accès à un bonheur tout aussi illusoire. Outre la mort, l’homme a d’autres désirs irréalisables qui l’empêchent d’accéder au bonheur. Ainsi, on constate qu’il n’y à pas que l’imaginaire (le concept de mort) qui interpelle l’homme, mais aussi les choses du réel qui l’importe. De fait, autrui est un grand obstacle dans la recherche du bonheur ; en effet, chaque homme poursuit ses propres objectifs, ses propres ambitions, motivés par ses désirs personnels. Aussi, quand l’individu rencontre autrui, ce dernier peut venir gêner la réalisation de ses désirs car leurs intérêts peuvent diverger (conflit d’intérêts). Kant, dans l’insociable sociabilité montre bien le compromis qui tiraille l’homme : être en société pour son épanouissement et la fuir pour la même raison. Si l’homme fait un choix entre les deux devient malheureux car il a besoin des deux aspects pour vivre. Un autre élément du réel vient aussi s’imposer entre l’homme et son bonheur : le temps. L’homme est un être temporel, et subit donc les effets de ce dernier. Le fait que l’homme dispose d’un temps établit, et non infini, en fait un être frustré : en effet cela l’oblige à choisir ; or choisir c’est renoncer. De la même manière cela l’amène à définir son mode de vie, ses actions etc.… car elles doivent avoir une places dans son espace temporel. Définir c’est limiter ; l’homme est donc contraint par sa temporalité à se limiter. Ainsi, il est difficile pour l’homme dans ces conditions de trouver un sentiment de plénitude : le temps lui impose ses dilemmes. L’illusion du bonheur est dans ce cas ci la mémoire, qui par les souvenirs nous donne l’impression de posséder, de maîtriser une parcelle de temps. C’est un temps passé que nous nous remémorons, le « présent du passé » selon l’expression de saint Augustin, qui nous empêche de voir le « présent du présent » : maintenant. Néanmoins, même si l’homme ne peut accéder complètement au bonheur, il peut cependant s’en approcher. Le bien être, ce qui nous apporte, l’espace d’un instant le sentiment de plénitude qui nous fait dire : je suis heureux. « Être heureux » est presque à la portée de tout le monde étant donné son caractère fugace, l’homme a ainsi trouvé plusieurs moyens, naturels ou artificiels d’éprouver cette sensation. Le premier dont nous traiterons est l’art. L’art permet en effet à l’homme une substitution du réel par la représentation, qui lui permet de s’isoler, de manière presque autarcique dans le « monde des représentations ». C’est aussi le moyen pour lui d’évacuer ses désirs ou fantasmes refoulé, en recréant ce désir dans la représentation. Il façonne, de cette manière, le monde qu’il souhaiterait, de telle façon qu’il le rende heureux. L’Art est donc la substitution du réel par la représentation qui permet à l’homme d’être dans une sorte de « rêve éveillé ». Les créations artificielles crées par l’homme dans ce but sont multiples ; mais la plus forte, celle qui sans conteste a pris le plus de place est celle qui mobilise la communauté : il s’agit de la démocratie. C’est en effet l’espace publique d’union entre les citoyens, où l’individu peut-être reconnu pour ses idées et peut les partager avec la communauté ; en outre la politique peut contribuer à la réciprocité du bonheur quand les aidées, les valeurs, et les décisions sont partagées. Enfin, le troisième moyen notable d’être heureux, c’est l’amour. Elle permet à l’individu, comme le soulignait Platon de se sentir un, de « trouver sa moitié ». C’est le moyen pour autrui de partager une vie, et de se sentir ainsi intégrer à la vie de l’autre, ses désirs… Freud y verra une analyse plus charnelle où pour lui le rôle du sexe est fondamental, permettant ainsi à l’homme d’expurger ses désirs refoulés (fantasme). Pour Freud, le sexe aurait ainsi une sorte de vertu thérapeutique, nous permettant d’approcher le bonheur. L’homme a trouvé des finalités dans cette recherche du bonheur ; la première est la construction d’une famille qui est pour lui l’échappatoire à la temporalité de son existence : il y a un sentiment de continuité, de laisser une « trace ». Cela lui apporte par la même occasion la possibilité de façonner un monde : celui de ses enfants par leur éducation. La deuxième finalité est l’absolu religieux, où l’homme se destitue du monde réel pour le monde du religieux, où la transcendance lui permet de mesurer la plénitude de l’expérience effectuée. Il est détaché de toute réalité contraignante, l’absolu religieux est pour ceux qui le vivent une finalité proche du bonheur. La dernière finalité de l’homme pour accéder au bonheur n’est pas volontaire ; il en est inconscient tout en étant son acteur. Schopenhauer disait : « Le monde est ma représentation ». En effet, l’homme tend à dématérialiser son réel au profit des représentations, fruit de ses désirs. En créant un monde de représentations, l’homme nie les contraintes du réel, pour vivre dans sa représentation. L’homme n’atteindra donc pas le bonheur, celui-ci est un idéal, un absolu. Il tente de s’en convaincre, en créant toutes sortes d’illusions, parfois « bienfaisantes », hors du réel. Alors l’homme crée un bonheur réel inférieur à son asbolu, ce bien être qui prend racine dans le réel et lui permet temporairement d’être heureux. C’est pourquoi l’homme cherche des finalités, véritables institutions du bien-être qui lui permettent de manière chronique d’être heureux. L’homme, en se créant un bonheur illusoire, a également crée un monde associé, illusoire aussi. L’homme est rentré dans le monde de l’illusion et ne veut plus en sortir. « Le monde est un immense théâtre, les hommes et les femmes n’en sont que les acteurs » Shakespeare, Comme il vous plaira Le rideau finira t’il par tomber ?