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Le bonheur consiste-t-il dans la satisfaction des désirs ?

Publié le 05/12/2010

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Nous venons de voir que d’un côté, la satisfaction effrénée des désirs semblait vouée à l’échec si les désirs se renouvellent sans cesse, si chaque désir satisfait laisse place à un autre désir à satisfaire. Une telle quête risque bien d’être infinie et de nous enfermer dans une frustration permanente, dans un désir qui se complaît dans la tension vers une multiplicité d’objets, un désir qui s’éparpille en désirs. Dans cette perspective, la plénitude qu’est le bonheur paraît bien loin et il faudrait se contenter au mieux de petits plaisirs ponctuels. Mais d’un autre côté, dans l’hypothèse où nous pourrions satisfaire tous nos désirs, devrions-nous souhaiter une telle satiété ? Rousseau nous a montré qu’un être sans peine, sans manque était malheureux et comme mort. Celui qui n’a plus rien à désirer risque, au mieux, l’ennui le plus total, au pire la mort. Il faudrait donc ne pas épuiser le désir : d’une part, nous pouvons penser que le désir n’est pas toujours l’expression d’un manque mais peut porter sur ce que l’on a, en un sens figuré, dans l’amour par exemple ; c’est alors lui-même que désire le désir. Ce qui compte pour être heureux ce n’est pas tant d’atteindre les multiples objets du désir mais bien le fait de désirer. D’autre part, si nous devons satisfaire certains désirs seulement, il s’agit de savoir lesquels.

 

Quels désirs devons-nous satisfaire ? 

 

Nous ne maîtrisons probablement pas l’apparition de nos désirs et, si nous pouvons œuvrer dans ce sens, c’est en commençant par réguler leur satisfaction. Autre chose est de satisfaire nos désirs quand nous le pouvons, autre chose est de considérer que le bonheur réside dans cette satisfaction. Ne faut-il pas alors distinguer différents types de désirs afin de comprendre qu’il est vain de rechercher le bonheur dans leur satisfaction ? Si seuls quelques désirs sont à satisfaire, lesquels et pourquoi ?

Dans la Lettre à Ménécée, Epicure propose une classification des désirs. C’est à partir d’une meilleure compréhension de la valeur réelle et de l’importance de nos désirs que nous pouvons espérer trouver la voie du bonheur. Voici la classification qu’il propose :

 

NECESSAIRES = BESOINS

- Bonheur, santé, vie

NATURELS                                     

NON-NECESSAIRES

DESIRS (amitié, sexualité, etc.)

NON-NATURELS ou VAINS, INUTILES

(richesses, honneurs, etc.)

 

Épicure distingue ainsi trois types de désirs différents qu’il s’agit de considérer à leur juste valeur. Il s’agit d’une classification qui est en même temps une hiérarchisation destinée à nous mettre sur la voie du bonheur et de la sagesse, à nous faire comprendre où nous devons placer notre bonheur et où nous sommes certains de ne pas le trouver, de nous perdre et d’être possiblement malheureux. Selon Épicure, la recherche du bonheur rime avec la recherche de  ce qui nous est nécessaire et avec le plaisir. Mais il s’agit d’un plaisir en un sens bien particulier, car le philosophe du Jardin  distingue également deux plaisirs différents :

- Le plaisir stable ou catastématique, qui correspond à un état d’équilibre, résulte d’un besoin simplement satisfait, sans plus. Il ne s’agit pas d’une jouissance positive, d’une excitation, mais bien d’une sage satiété. Si, par exemple, j’avais faim et que j’ai mangé quelque chose mettant un terme à ce manque, à ce déséquilibre, peu importe quoi tant que cela comble adéquatement de besoin, j’éprouve ce premier type de plaisir.

- Le plaisir en mouvement, qui lui correspond à un état d’excitation, de jouissance positive, de surplus par rapport à l’équilibre constituant donc également un certain déséquilibre. Par exemple, j’ai un tel plaisir si en plus d’avoir satisfait ma faim je l’ai fait en dégustant mon plat préféré, si j’ai un peu trop mangé, un peu trop bu, par plaisir justement. Mais on dépasse ici la simple satisfaction du besoin.

Seul le plaisir stable, état d’équilibre, est à rechercher absolument en vue du bonheur : la vie heureuse, c’est donc la santé du corps et la tranquillité de l’âme, sans plus. Pour être heureux, tous nos actes doivent viser l’absence de douleur pour le corps et de troubles pour l’âme. Le plaisir stable se définit essentiellement négativement comme « absence de… « (douleurs, troubles, etc.) et non positivement : c’est l’ataraxie, ou absence de troubles. Ainsi, le critère de toutes nos actions comme on le remarque chez les nourrissons est la recherche du plaisir, de l’absence de douleurs et de troubles, avant tout comme recherche d’équilibre. S’il ne nous manque rien de ce qui est nécessaire, alors nous pouvons considérer que nous sommes heureux. Le bonheur consiste ainsi dans un plaisir bien compris. C’est un bonheur hédoniste (hedone = plaisir) et en même temps très austère. De ce point de vue, quand on dit de quelqu’un qu’il est épicurien, on fait bien référence à Épicure, mais en oubliant la distinction fondamentale entre ces deux plaisirs. Selon le langage courant, un épicurien est un bon vivant qui profite du jour, cueille le jour (« carpe diem «) et vit le moment présent en recherchant son plaisir, mais un plaisir en mouvement au sens Épicure. L’adjectif épicurien trahit donc l’esprit de la philosophie Épicure.

Il ne s’agit pas forcément d’écarter le plaisir en mouvement. S’il se présente à nous, nous pouvons tout à fait l’accepter avec plaisir justement. Il s’agit bien d’un plaisir et non d’un mal. Mais il ne faut pas croire en revanche que nous y trouvons notre bonheur. Dès lors, si nous perdons la possibilité d’avoir de tels plaisirs (en mouvement), nous ne devons pas penser que nous sommes malheureux car ils ne concernent pas le bonheur, qui se trouve ailleurs. Si je perds toute ma richesse, toute ma fortune tout en continuant à pouvoir satisfaire convenablement mes besoins, dans un état d’équilibre et de plaisir stable, je ne suis pas un homme malheureux, tant s’en faut. « Le pain d’orge et l’eau nous causent un plaisir extrême, si le besoin de les prendre se fait vivement sentir «, tout le monde en a fait l’expérience. Il faut savoir se contenter de peu.

« C’est pourquoi nous disons que le plaisir et le commencement et la fin de la vie bienheureuse « ; le commencement parce que c’est en fonction de lui que nous agissons, ils détermine nos actions, la fin car c’est vers lui que nous tendons. Pour y parvenir, il faut être capable de laisser de côté certains plaisirs pour éviter de trop grandes douleurs et d’accepter parfois certains maux, certaines douleurs, en vue d’un plaisir plus grand ou pour éviter une douleur encore plus grande. Se faire arracher une dent malade reste un mal et une douleur, mais un mal nécessaire pour éviter un mal plus grand encore, pour rétablir l’équilibre.

Le bonheur est donc une chose très simple et facile à atteindre pour peu que nous comprenions ce qu’il est nécessaire de rechercher et ce qui est superflu.

 

Pour conclure, nous voyons que le bonheur peut résider dans la satisfaction du désir bien compris ; le problème est qu’une telle voie semble rompre avec l’idée que nous nous en faisons spontanément. Mais justement, c’est peut-être en raison d’une conception erronée, inaccessible que trop de gens se croient malheureux, et le sont d’une certaine manière en raison de ce sentiment, alors qu’ils ne devraient pas l’être. Nous ne pouvons pas totalement maîtriser l’apparition des désirs, mais nous pouvons maîtriser leur satisfaction par une certaine forme de  sagesse. Certaines sagesses, comme le bouddhisme, encore plus austère, proposent même d’aller plus loin en cherchant à domestiquer totalement nos désirs, à mettre fin au désir.

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