L'Avare, Molière, IV, 7 - Acte 4 et scène 7
Publié le 12/09/2006
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Molière, dramaturge du XVIIe siècle, est resté comme l’un des plus grands auteurs de littérature française. La preuve en est que l’on désigne la langue française comme « la langue de Molière «. Parmi ses comédies, L’Avare en 1669 peint brillamment un type social universel et atemporel. Le texte étudié est la scène 7 de l’acte IV de L’Avare. Il s’agit du monologue comique de l’avare Harpagon. Son argent, enterré dans le jardin, a disparu et on assiste à son désarroi. Le type du monologue a été critiqué par les théoriciens car il est caractérisé par l’immobilité et il est donc source d’ennui. Ecrire un monologue constitue par conséquent un défi pour les dramaturges. Comment Molière le relève-t-il ? Bien évidemment, avec le rire mais le sérieux n’est jamais loin. Il s’agira donc de voir comment Molière, à travers un monologue comique, donne une leçon sur l’avarice. Pour ce faire, nous nous intéresserons d’abord à la teneur comique du monologue puis à son enseignement. Ce monologue présente plusieurs types de comiques ce qui le rend très vivant et évite donc l’ennui. On remarque tout d’abord un comique de situation. En effet, la situation fait rire car l’avare a perdu son argent et se trouve complètement affolé : il y a une disproportion entre la cause et la conséquence. L’affolement est rendu par la ponctuation émotive, notamment des lignes 1 à 7 où les points d’exclamation et d’interrogation sont omniprésents. Les phrases sont courtes et hachées ce qui donne un rythme rapide comme le montre clairement l’expression « Allons vite […] « (l.33). Cette rapidité parcourt tout le monologue pour mimer l’état d’esprit troublé, paniqué d’Harpagon qui frise l’incohérence. La panique est également visible à la ligne 2 par la gradation hyperbolique des voix passives « je suis perdu, je suis assassiné «. Harpagon, qui ne connaît pas l’identité du voleur (de l’assassin), est obligé d’employer la voix passive qui le place du même coup en position de victime, comme les nombreux pronoms indéfinis « on « des lignes 2, 3, 11, 20 et 32. La perte de son argent s’apparente à une mort : « on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent « (l.3) n’a pas de lien coordonnant mais un « car « ou un « parce que « sont implicites et marquent bien un rapport de cause à effet. Les lignes 13, 14 et 36 annoncent la mort prochaine de l’avare qui veut se suicider car sans son argent, la vie lui est insupportable. A l’inverse, le retour de son « magot « est synonyme de vie et de résurrection : « N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris ? « (l.16, 17). Ce désespoir prend tout son sens quand Harpagon personnifie l’argent : il lui parle en le tutoyant des lignes 11 à 14, il le qualifie de « cher ami « (l.11). Il vit presque une relation amoureuse avec ses pièces et il est plein de compassion et d’attendrissement comme le montre l’adjectif « pauvre « répété deux fois à la ligne 10. Harpagon se lamente et le comique de situation repose donc bien sur la disproportion entre l’événement survenu et la réaction engendrée. Le comique passe aussi par les termes employés. Le comique de mots est particulièrement perceptible des lignes 4 à 6 : la succession des questions est une parodie du langage tragique avec ses grandes questions existentielles qui tournent autour de la même notion : « Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? N’est-il point ici ? « (l.5, 6). A la ligne 12, nous voyons des termes du registre tragique : la structure est emphatique et présente une gradation en rythme ternaire : « j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie «. Le comique naît de l’écart entre les propos et les attitudes pathétiques d’Harpagon et la réalité qui, objectivement, n’est pas si affreuse. On retrouve cette même structure ternaire doublée d’une gradation à la ligne 15 : « je me meurs, je suis mort, je suis enterré. « Il s’agit de la suite logique des événements mais ils sont énoncés, ce qui crée le comique car il est tout à fait absurde de pouvoir prononcer le deuxième et troisième événement. On retrouve ici le même comique de situation qu’aux lignes 16 et 17 : comment peut-on rationnellement annoncer sa résurrection ?! Ainsi, les mots et les tournures de phrases d’Harpagon relèvent du style tragique et pathétique et ce comique de mots redouble le comique de situation. Le monologue est indubitablement comique et présente un Harpagon ridicule mais derrière le rire, il faut tirer un enseignement. Molière utilise le rire dans un but : corriger les mœurs. La comédie a une visée didactique. En effet, elle nous montre tout d’abord que l’avarice rend fou. La folie d’Harpagon transparaît aux lignes 7, 8 quand l’avare se saisit lui-même en pensant tenir le voleur, il se traite même de « coquin «, ce qui est une insulte. Aux lignes 8 à 10, les troubles envahissent Harpagon qui perd ses repères et ses facultés. A partir de la ligne 18, Harpagon parle au public : « que dites-vous ? « Il interroge les spectateurs désignés par le pronom « vous « : « N’est-il point caché là parmi vous ? « (l.30) Ainsi, à la ligne 24, Harpagon voit le public : « Que de gens assemblés ! « Il s’interroge, lignes 26 à 28, et tend à la paranoïa. « Ils me regardent tous, et se mettent à rire. « (l.31) décrit ce qui se passe au moment même dans la salle. On assiste alors à un mélange entre la réalité dans la salle avec le public et l’action des personnages sur scène. L’illusion théâtrale est brisée, l’avare sort de son cadre. Sa folie est tellement importante qu’elle le dépasse et l’amène à sortir du cadre de la pièce et de l’illusion. Des lignes 22 à 24, Harpagon arrive au bout de sa déchéance puisqu’il en vient à se soupçonner lui-même. Il est sa propre victime. La folie non contenue peut constituer un danger. En effet, Harpagon soupçonne tout le monde : « servantes, valets, fils, fille, [lui]-même « (l.23, 24) sans oublier les spectateurs : « ils ont part sans doute au vol que l’on m’a fait. « (l.32). Il envisage d’avoir recours à la torture (« faire donner la question « l.22) pour faire avouer les domestiques, ses propres enfants et lui-même. La folie ne le concerne plus seulement mais elle touche ses proches. Il veut punir et venger : « Je veux faire pendre tout le monde « (l.35). Sa folie est donc sans bornes comme l’attestent les lignes 33 et 34 : « Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. « L’accumulation des pluriels marque l’abondance et participe aux hyperboles mais notons cependant que l’énumération est ordonnée selon la logique des événements : d’abord l’arrestation avec les enquêteurs (« des commissaires, des archers «), ensuite le procès avec « des prévôts, des juges, des gênes « puis la mort car c’est la sentence indubitable dans l’esprit du vieillard : « des potences et des bourreaux «. Ainsi, derrière le rire, se dessine une grave réalité : l’avarice fait perdre la raison et douter de tous. Elle est un véritable danger pour soi et son entourage. C’est un excès destructeur. Comme pour toute chose, il s’agit de rester dans la mesure, l’équilibre. En conclusion, avec la comédie de caractère L’Avare, Molière fait rire et réfléchir. Le monologue d’Harpagon est très vivant et le comique naît surtout de la situation disproportionnée dans laquelle se trouve le personnage suite au vol de son argent. Il exprime son désespoir avec des hyperboles et un vocabulaire tragique qui créent le ridicule et excluent tout sentiment de pitié car tous les malheurs d’Harpagon sont le résultat de son avarice. Tout ce qui lui arrive est sa faute. Molière nous montre ainsi ce qui nous guette si on se laisse entraîner par l’avarice : on rira de nous et l’on confinera à la folie. L’excès a des effets destructeurs sur nous-même et sur les autres. Outre L’Avare, Molière a mis et mettra en scène d’autres caractères ridicules et dangereux à la fois : Le Misanthrope (1666), Le Bourgeois gentilhomme (1670), Le Malade imaginaire (1673). / Le thème de l’argent est souvent traité en littérature, notamment par les moralistes du XVIIe siècle : citons par exemple La Fontaine dans la fable « L’Avare qui a perdu son trésor « (Fables, IV, 20).
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