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« L'art n'est pas fait pour peindre les exceptions » écrit Gustave Flaubert dans une lettre à George Sand du 5 décembre 1866. En vous appuyant sur votre lecture des oeuvres au programme, vous commenterez et discuterez cette affirmation de l'auteur de Madame Bovary.

Publié le 18/09/2010

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flaubert

 

 

 

Ce propos, qui constitue une prise de position esthétique clairement formulée, et qui pourrait être entendu comme un véritable manifeste en faveur du réalisme (auquel on se souvient que Flaubert, en vérité, était hostile !) se trouve dans une lettre de Gustave Flaubert à George Sand que l’on reproduit intégralement ci-dessous. Il souligne les divergences entre ces deux prosateurs. Cette citation pose une série de problèmes touchant à la question mise au programme : « Littérature et réalité «. En voici quelques-uns, susceptibles de nourrir et d’orienter la réflexion : • L’art a-t-il une fonction (est-il « fait « pour quelque chose ?) qui détermine sa substance, sa matière, son champ d’inspiration ? • Que peut-on entendre par « exceptions « en art, et plus spécialement dans l’écriture romanesque ? De quelles espèces celles-ci peuvent-elles être ? Actions extraordinaires ? Personnages héroïques ? Psychologies hors du commun ? • Si l’art n’est pas fait pour peindre des exceptions, le réel est-il sa matière première ? Mais qu’est-ce, dès lors, que peindre le réel ? Le reproduire ? L’analyser ? • Et dès lors qu’un « sujet « quel qu’il soit, est traité dans une œuvre d’art, ne devient-il exceptionnel par là-même ? Est-ce, en général, l’objet qui est exceptionnel, ou bien le traitement que « l’art « lui fait subir ? • Ne peut-on distinguer un art qui puise son inspiration ou ses sujets parmi les exceptions (et les traite de manière telle qu’elles deviennent porteuses d’un savoir commun, partageable) et un art qui va chercher dans le commun son inspiration et ses sujets et les traite de manière telle qu’ils apparaissent exceptionnels ?

 

Proposition de corrigé (Plan détaillé)

 

I. L’ART PEINT DES EXCEPTIONS Je commencerai par prendre le contrepied du propos de Flaubert afin de problématiser et de situer son propos. En effet, si l’on s’en tient à la seule littérature, il semble bien que longtemps l’art se soit attaché à peindre des exceptions : les œuvres les plus anciennes mettent volontiers en scène des héros, des princes, voire des dieux (chansons de geste du Moyen-âge, tragédies du Grand siècle, passions romantiques, etc.). Et si l’art n’est pas réductible à cette dimension, elle en représente une grande part. L’exception est la règle en art.

 

 

Le domaine de l’exception est le domaine de l’art si l’art suppose grandeur, force, énergie, s’il tend à styliser le réel en lui prêtant des caractères plus tranchants ou plus vifs. Épopée et tragédie Qu’est-ce qu’une exception : ce qui sort de l’ordinaire. Exceptions de diverses espèces : • Historiques : les grands moments : guerres, révolutions… Elles constituent pour commencer la matière de l’épopée (Odyssée, Enéide, Chanson de Roland, légende napoléonienne…) • Psychologique : folie, passion amoureuse alimentent notamment la tragédie (Phèdre)… Épopée et tragédie peignent, par excellence, des exceptions. Elles représentent le côté noble, élevé de l’art. En passant le l’épique au romanesque et du tragique au dramatique, l’art tend à réduire la part de l’exception au profit d’une création plus contrastée, voire franchement réaliste. La beauté du mal Baudelaire, dans Les Fleurs du mal, choisit délibérément de prendre le « Mal « comme sujet et d’en extraire de la beauté. Il situe le sujet de la poésie du côté de l’exceptionnel, même si la vie et les tableaux parisiens alimentent son inspiration Le travail du poète se voudrait alors pareil à celui d’un alchimiste qui changerait la boue en or L’odieux rendu plaisant Boileau : « Il n’est point de serpent ni de monstre odieux Qui par l’art imité ne puisse plaire aux yeux « II. L’ART PEINT LA REALITE COMMUNE On observera toutefois que parallèlement à la veine héroïque ou mythique court dans l’art une veine populaire, mettant en scène les gens du peuple et la vie ordinaire. Cela se vérifie dès le Moyen-âge et persiste à toutes les époques. Ce « réalisme « mis en œuvre avec force par Balzac, tend même à se généraliser et à se radicaliser à partir du milieu du XIXe siècle, précisément à l’époque où écrit Flaubert, qui correspond à la crise et au reflux des valeurs romantiques. Écrivant aux Goncourt à propos de l’un de leurs romans, Flaubert s’exclame : « Pourquoi, à côté de Soeur Philomène, qui est une sainte (et conséquemment une exception), n’avez-vous pas mis la généralité des religieuses, à savoir de bonnes filles de basse-cour, parfaitement stupides et parfois fort bourrues ? « Le réalisme balzacien Voir l’Avant-propos à la Comédie humaine. Le parti-pris des choses Ponge prend son parti du monde réel, des objets prosaïques. Voir le développement proposé dans le cours à propos de la poétique pongienne de l’objet.

 

Les tropismes Nathalie Sarraute essaie d’appréhender les mouvements les plus infimes de la conscience qui sont fugaces, de l’ordre du furtif et de l’inaperçu. Ce faisant, elle prête une attention tout à fait exceptionnelle à la réalité commune. Elle ne « peint « pas à proprement parler des exceptions, puisque ces « tropismes « appartiennent à la vie courante, mais saisit III. L’ART PRODUIT DE L’EXCEPTION A PARTIR DU COMMUN Qui est Madame Bovary : une figure de femme qui n’est en rien de l’ordre de l’exception, bien au contraire, mais qui prend valeur exemplaire, héroïque grâce au roman de Flaubert. Il convient donc de distinguer entre un art qui s’empare de l’exception pour construire à partir d’elle son objet (l’art héroïque) et un art qui transforme le commun en objet d’exception. Créer des types Porter les personnages extraits de la réalité commune jusqu’au statut de type. Ainsi Molière avec l’Avare ou le Tartuffe. Encore s’agit-il là en quelque manière de types préexistants, répertoriés de longue date (l’avare, l’hypocrite, par exemple…) Flaubert pour sa part invente un type nouveau en créant le personnage de Madame Bovary à partir d’un fait-divers extrait d’une gazette de province. Il crée en quelque sorte un nouveau poncif : « le bovarysme «. Emma Bovary est-elle une exception ? On peut se poser cette question. Flaubert présente son héroïne comme une petite bourgeoise bien ordinaire, élevée au couvent. Mais il lui prête une énergie telle (cf l’article de Baudelaire sur Flaubert) que cette figure féminine devient une exception. Sans vraiment démentir le propos de Flaubert, elle conduit à en nuancer le sens et la portée. Objeu et objoie Quand Ponge s’empare du pain ou du cageot, il transforme cet objet en « objeu « ou en « objoie «. L’objet réel devient objet stylistique et le commun se trouve hissé jusqu’à une valeur d’exception. Conclusion - Nuancer le propos de Flaubert, comme son œuvre même y invite, puisque, par exemple, en recréant Carthage dans Salammbô il crée un univers historique absolument opposé à la réalité de son époque « bourgeoise «. Il prend alors délibérément le parti de l’exception. - Selon Flaubert lui-même, le but de l’art n’est pas la reproduction de la réalité (mimesis).

 

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