L'Art De Convaincre Ou De Persuader Dans Les Pensées De Pascal
Publié le 26/09/2010
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Blaise Pascal laissa derrière lui une oeuvre littéraire et philosophique considérable, notamment à travers ses Pensées. Lui qui avait consacré sa vie à Dieu après s'être converti au jansénisme s'était ainsi fixé à travers cet ouvrage de mener les incroyants vers Dieu et la vérité du christiannisme. Afin de parvenir à son but, Pascal avait un plan: il s'agissait dans les premières liasses de démontrer à l'homme la misère de sa condition sans Dieu, puis de prouver que la félicité est possible auprès de Dieu, etc,. Néanmoins le plan qu'a souhaité suivre l'auteur à ne suffit guère à satisfaire ses ambitions, aussi a-t-il élaboré une méthode précise afin de réussir son entreprise. Il s'agit pour Pascal d'argumenter en touchant à la fois la raison et le coeur de son lecteur. N'oublions pas que Pascal était l'un des auteurs majeurs du classicisme dont la devise était "Plaire et instruire". Nous verrons comment le philosophe s'est employé à respecter cette devise afin de mêler l'utile à l'agréable. Dans un premier temps nous étudierons comment se manifeste l'art de convaincre chez Pascal, puis nous verrons que cependant son esprit méthodique et l'argumentation logique qui en découle ne diminue en rien l'art de la persuasion auquel excelle l'auteur.
Il ne faut guère oublier que Pascal est avant tout un scientifique. Or le raisonnement scientifique implique par excellence le raisonnement inductif, qui consiste à partir de faits particuliers pour énoncer une vérité générale. Aussi Pascal emploie-t-il des exemples qu'il souhaite parlants afin d'éclairer son raisonnement. Ainsi, lorsqu'il veut illustrer la différence entre l'homme et l'animal saisit-il l'image significative du "bec du perroquet" (fragment 98), qui n'agit que par instinct, contrairement à l'homme doué de la faculté de penser. Le "nez de Cléopâtre" (fragment 392) eut quant à lui changé la face de la terre "s'il eût été plus court". Enfin lorsque Pascal traite des superstitions au fragment 41 s'adresse-t-il au lecteur en lui posant la question suivante: " Qui ne sait que la vue des chats, des rats, l'écrasement d'un charbon, etc., emportent la raison hors des gonds?". On peut distinguer dans ce fragment un deuxième type de raisonnement découlant de la logique: le raisonnement a fortiori, soit "à plus forte raison". Cela signifie que si telle loi se vérifie même dans un cas en apparence peu probable, elle se vérifiera dans des cas plus favorables. Ainsi si "le plus grand philosophe du monde"éprouve le vertige "quoique sa raison le convainque de sa sûreté", tous les hommes qui ne bénéficient pas d'une telle sagesse éprouveront le vertige à leur tour.
Néanmoins le philosophe ne se contente pas du raisonnement inductif ou a fortiori afin de convaincre son lecteur; en effet, il utilise également le raisonnement que Pascal lui-même appelle "le renversement du pour au contre". Ce procédé qui consiste à tirer une idée de son contraire a pour avantage de neutraliser complètement ces deux idées. Prenons le cas des Pyrrhoniens, qui soutiennent que l'homme est misérable. Ils s'opposent clairement à l'idée des Stoïciens, qui soutiennent que de l'homme se dégage une certaine grandeur. Les deux opinions étant fausses, ou du moins aucune d'elle n'étant entièrement vraie, l'impasse est totale. Cette impasse est recherchée par Pascal car elle lui permet d'affirmer l'absurdité de la condition humaine: puisqu'elle est humainement inexplicable, la seule solution est de croire au christiannisme et aux vérités qu'il apporte à l'homme en quête de vérité.
Les arguments d'autorité font également partie intégrante de l'art de convaincre de Pascal dans les Pensées. Certains prennent la forme de maxime et ont pour objet de surprendre le lecteur par leur formulation ou encore par la paradoxalité de leur contenu, c'est par exemple le cas du fragment 105 qui dit: "La grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable; un arbre ne se connaît pas misérable". La thèse de Pascal affirmant que la misère est à l'origine de la grandeur de l'homme semble contradictoire lorsqu'elle n'est pas expliquée, de plus la comparaison de l'arbre à l'homme pourrait surprendre plus d'un lecteur.
L'art de convaincre dans les Pensées repose également sur la mise en évidence des failles de certains penseurs, et sur l'appui de la pensée de certains théoriciens, que Pascal cite à travers son oeuvre afin de montrer que la vérité de sa pensée à déjà été établie auparavant. Ainsi le philosophe s'appuie-t-il en grande partie sur des philosophes de l'Antiquité, notamment sur Socrate dont l'un des préceptes majeurs était : "Connais-toi toi même". Néanmoins il utilise aussi régulièrement la pensée d'auteurs de son époque, comme Descartes lorsqu'il traite du lien de la pensée concernant l'être et son existence. Il utilise également les préceptes du Pyrhonisme pour mieux les confronter à leurs contradictions. Ainsi dans les fragments 100 et 101, Pascal opère une critique véhémente du pyrhonisme qui donne trop de puissance à la raison afin de détruire les certitudes de l'homme. En effet, la raison est nécessaire, mais elle demeure insuffisante puisqu'elle ne peut combattre ce à quoi elle appartient:le monde sensible.
F 74,105,108,126(exemples concrets, répétition et reformulation)
Ainsi nous l'avons vu Pascal tente avant tout de convaincre le lecteur incroyant afin d'obtenir son adhésion réfléchie, en ayant recours à de nombreux exemples, à des articulations logiques et en utilisant une progression dialectique, soit le "renversement du pour au contre". Mais le philosophe ne se contente pas de ce type de raisonnement scientifique: en effet, faire adhérer des incroyants à la foi exige d'aller bien au delà de la raison: il faut s'adresser à leur sensibilité et surtout, à leur coeur.
Le philosophe fait donc appel aux sentiments de son lecteur afin de le faire adhérer à sa pensée. Pour cela, il provoque tout d'abord les émotions chez son lecteur. Il ne faut pas oublier que les Pensées cherchent à entraîner une prise de conscience, afin que l'homme se rende compte de ses nombreux défauts tels que sa vanité et qu'il réalise sa misère, pour qu'il puisse ainsi assumer sa condition et s'en répentir. Il paraît donc logique que dans la troisième liasse, dîte "Misère", Pascal cherche à créer le désespoir: fragment 52 avec "nous sommes si malheureux", le fragment 64 est quant à lui particulièrement désespérant: "Quand je considère la petite durée de ma vie [...] le petit espace que je remplis et même que je vois, abimé dans l'infinie immensité des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraie et m'étonne de me voir ici plutôt que là". Cela signifie que sans Dieu l'homme n'est rien, et cela pose la question du sens de l'existence, dont le "dernier acte" -soit la mort- est toujours "sanglant" (F154).
Afin de persuader le lecteur de la vanité du monde, Pascal a recours à divers registres, tels que le tragique au fragment 33 par exemple. En parlant des jeunes gens qui se divertissent jusqu'à oublier la vanité du monde, Pascal affirme ceci "ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d'ennui. Ils sentent alors leur néant [...] car c'est bien être malheureux que d'être dans une tristesse insupportable aussitôt qu'on est réduit à se considérer, et à n'en être point diverti". Ainsi les termes "néant", "malheureux", "tristesse insupportable", "réduit à se considérer" appartiennent clairement au champ lexical du désespoir. Le registre lyrique ne doit pas être oublié pour autant. En effet, le philosophe aime à employer des images frapppantes afin d'illustrer ce qu'il avance, on note ainsi la présence récurrente de comparaisons (-notamment au fragment 105 lorsque Pascal oppose l'homme à l'arbre), de métaphores ainsi que de personnifications ( au fragment 78 par exemple l'épée devient un objet agissant), qui participent à la vivacité du style de Pascal.
Enfin, Pascal ne se contente pas d'utiliser certains registres et images afin de persuader le lecteur, car il joue également la carte de la sincérité absolue. Le philosophe a voué sa vie à une religion qu'il désirait plus que tout partager avec autrui. Convaincre les gens de la vérité de sa thèse était pour lui essentiel, car on le comprend à travers les Pensées, son engagement pour la cause était absolue. Il déclarait d'ailleurs au fragment 41 qu'on convainc plus aisément si l'on est nous même convaincu. Aussi Pascal n'hésite-t-il pas à bousculer son lecteur, en l'apostrophant, et surtout en ayant recours au registre ironique. Ainsi l'auteur utilisait-il régulièrement l'antiphrase, notamment afin de railler la prétention de certains philosophes qui affirmaient détenir la vérité par la force de leur raison. Ainsi les "braves pyrrhoniens" (fragment 41) faisaient les frais d'une telle ironie régulièrement. Néanmoins la raison, qui faisait l'objet de personnification par Pascal est également soumise à la forme de l'antiphrase lorsqu'elle est décrite comme "cette belle raison corrompue-qui- a tout corrompu"(fragment 41) et qui n'a donc en vérité rien de beau. Ce registre, constitué également d'antanaclase -comme par exemple au fragment 37) dépasse la moquerie afin d'ammener le lecteur à se remettre en question, et c'est en cela que l'ironie est fondamentalement un art de persuader.
plus important de persuader que de convaincre. De plus, le but apologétique de l' oeuvre, la conversion, donc, se fait bien plus aisément en faisant appel aux sentiments qu' à la raison.
Des formules choc comme " cloaque d' erreur et d' incertitude", "coeur rempli d' ordures" ou "monstre incompréhensible" accentuent la prise de conscience nécessaire à l' homme pour se rendre compte de ses défauts, de les assumer et de s' en repentir.
Selon Pascal, du fait que "nous sommes automates autant qu'esprit [...] vient que l'instrument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule démonstration" (fragment 671).
L'une des maximes les plus connues des Pensées de Pascal est extraite du fragment 397. Elle dit ceci: "C'est le coeur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi. Dieu sensible au coeur, non à la raison. Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point".
Ainsi, Pascal a utilisé la méthode de convaincre et de persuader afin que le lecteur adhère à ses différentes thèses mais surtout qu'il adhère au but que le philosophe s'était fixé: mener les incroyants à Dieu. C'est d'ailleurs un but que Pascal annonce lors du dernier fragment au chapitre I intitulé "Ordre": "les hommes ont mépris pour la Religion. Ils en ont haine et peur qu'elle soit vraie; pour guérir cela, il faut commencer par montrer que la Religion n'est point contraire à la raison, vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fut vraie et puis montrer qu'elle est vraie". Mais pour parvenir à faire adhérer son lecteur, Pascal ne peut guère se contenter d'une démonstration quasi-mathématiques, il doit aussi toucher son coeur, car lui-même le rappelle au fragment 251: "C'est le coeur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi. Dieu sensible au coeur, non à la raison. Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point". Ainsi souhaite-t-il surtout persuader le lecteur, en s'adressant à son intuition et à sa sensibilité.
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