L'Apologue: Une Forme Argumentative Efficace ?
Publié le 25/09/2010
Extrait du document
« Une morale nue apporte de l’ennui
Le conte fait passer le précepte avec lui…. « affirme La Fontaine dans « le Lion et le Chasseur «Fables VI, 2.
Pensez vous que l’apologue soit la forme d’argumentation la plus efficace pour faire adhérer autrui à nos thèses ?
Pour argumenter de nombreux auteurs ont eut recourt à la fiction. C’est le cas notamment du fabuliste Jean de La Fontaine qui l’explicita dans sa fable « Le Lion et le chasseur « en affirmant « Une morale nue apporte de l’ennui/Le conte fait passer le précepte avec lui/En ces sortes de feintes il faut instruire et plaire. « Ainsi il expliquait sa préférence pour l’apologue pour présenter ses idées. Aussi on retrouve ici le principe fondamental du Classicisme : plaire tout en instruisant.
Cependant on peut se demander si le recours à la fiction est le meilleur moyen de convaincre et de persuader son lecteur de ses idées ?
Il s’agira de montrer dans un premier temps que les œuvres fictives peuvent s’avérer très efficaces pour argumenter avant de voir qu’elles présentent toutefois quelques limites et qu’il serait bon d’envisager également d’autres moyens pour convaincre et persuader.
Ainsi tout d’abord l’apologue peut sembler une arme efficace pour l’auteur pour défendre ses idées. En effet, il présente un atout de taille : il plaît. Le lecteur peut être séduit par le récit présenté et sera donc plus réceptif au message que l’auteur cherche à lui trans-
-mettre. Le cadre spatio-temporel notamment permet de rendre le récit attrayant. Ainsi, Voltaire dans Candide fait varier son cadre spatio-temporel et au fil de sa lecture le lecteur a l’impression de voyager. En effet, Candide peint des cadres idylliques et exotiques qui font rêver, l’épisode de « l’Eldorado « notamment au chapitre dix-huit fait découvrir au lecteur un monde d’abondance, de luxe, de plaisir, originale avec des « fontaines d’eau rose « et une architecture raffinée. Aussi l’apologue séduit le lecteur en créant et en faisant évoluer des personnages attachants qui nous séduisent. C’est le cas notamment des animaux de la plupart des Fables de la Fontaine qui réussissent même à charmer les jeunes enfants. Mais la fiction peut également plaire par la diversité des registres qu’elle propose, évitant ainsi la lassitude du lecteur, aussi le récit de Candide revêt tour à tour des aspects de pathétique (au troisième chapitre quand le personnage éponyme est confronté pour la première fois à l’atrocité de la guerre) ou de comique (lorsque ce dernier se fait « fesser «).
D’autre part, l’apologue invite le lecteur à une lecture participative, il lui propose de ne pas rester un spectateur inactif mais au contraire de participer avec l’auteur à l’élaboration du véritable sens du récit. Dans la fable « Les obsèques de la Lionne « appartenant au recueil Fables de La Fontaine chaque animal représente une personne réelle et le fabuliste amène son lecteur a déchiffrer cela en montrant les ressemblances entres ces animaux et les hommes : ils partagent la même structure familiale, les mêmes références culturelles (références à la religion par exemple) .Ainsi le lecteur fait émerger seul des vérités sur le monde des humains en établissant un parallèle entre ces animaux qui « ressemblent aux humains « et les hommes et il sera d’autant plus convaincu du bien fondé de la thèse qu’il l’a lui-même formulée.
Enfin, le recours à la fiction représente un véritable avantage pour l’auteur pour éviter de voir ses œuvres censurées. En effet, pendant certaines périodes de l’histoire la censure était très importante c’est le cas pendant le siècle des Lumières (18ème siècle) ou de nombreux auteurs durent renoncer à exprimer leurs idées explicitement sous peine de sanctions. D’autres justement usèrent de la forme de l’apologue pour pouvoir continuer à exprimer leurs idées. Montesquieu, par exemple, délivra ses critiques de manière détournée en écrivant son roman épistolaire les Lettres Persanes, qui réunit la correspondance échangée entre deux étrangers en voyage en France. Et cela est particulièrement habile de la part de Montesquieu car leur regard étranger permet une observation à distance de la société française et accentue les travers notés : satire des mœurs, critique du clergé,….Ainsi, dans la lettre vingt-quatre par exemple écrite par Rica à Ibben, Rica délivre son opinion sur le Roi et le Pape, opinion qui est en réalité celle de l’auteur, et met ainsi en avant les défauts du Pape et du Roi.
La forme de l’apologue présente donc de nombreux avantages pour argumenter car elle permet de séduire le lecteur au moyen d’un cadre spatio - temporel varié, exotique mais aussi grâce à des personnages attachants, ou à la diversité des registres, or un lecteur qui est séduit adhérera mieux à la thèse défendue par l’auteur. Aussi elle est un moyen efficace d’éviter la censure qui est souvent un frein à l’expression des idées de l’auteur. Enfin, elle ne laisse pas le lecteur de côté et réussit habilement à l’inciter à participer à la construction de son sens. Cependant, malgré ces qualités elle présente quelques limites et elle peut-être confrontée à d’autres moyens d’argumentation plus efficaces.
Tout d’abord, bien que l’auteur de l’apologue invite son lecteur à construire avec lui son sens ce dernier peut échouer et ne pas remarquer les critiques mêlées à la fiction, ne les comprendre que partiellement ou même encore réaliser un véritable contresens. Ainsi, au troisième chapitre de Candide, où il est question de la guerre un lecteur qui ne serait pas assez attentif ou non averti pourrait faire une mauvaise interprétation du texte car, Voltaire ne réalise pas dans cette oeuvre un réquisitoire explicite de la guerre mais adopte le point de vue naïf de son personnage qui voit lui dans la guerre une chose utile et belle : la critique réside donc dans l’usage de l’ironie, qui peut ne pas être perçue par le lecteur.
Pour écarter ce risque de mauvaise compréhension il peut donc être parfois préférable d’argumenter de façon directe et de placer ainsi on œuvre sous le signe de la clarté. Le chevalier De Jaucourt, par exemple, dans son article « Traite des Nègres « (appartenant à l’œuvre l’Encyclopédie) dénonce ainsi de manière très claire et sans ambiguïté l’esclavage : il condamne ouvertement cet acte qui est selon lui une pratique inhumaine, un acte illégitime qui « viole la religion, la morale, les lois naturelles, et tous les droits de la nature humaine «. De plus, ne pas se dissimuler derrière des personnages fictifs permet à l’auteur de s’impliquer personnellement dans son œuvre et de défendre de manière plus forte son point de vue en offrant par exemple la possibilité d’avoir recours à un ton virulent. C’est le cas de Clément Marot dans son « Epître au Roi « dans lequel il n’hésite pas à s’engager pour se défendre (afin de prouver qu’il n’a pas commis de délit) et à accuser clairement son avocat de l’avoir trompé. Il use ainsi de la première personne du singulier et de termes évaluatifs comme « menteur «.La thèse est claire et ferme et ce parti pris affiché séduit le lecteur.
Enfin, il ne faut pas négliger certaines autres formes argumentatives comme le dialogue argumentatif qui présente de nombreux atouts absents dans d’autres formes argumentatives. Tout d’abord, il s’agit d’une forme argumentative très dynamique car elle permet de substituer à la parole unique plusieurs voix (polyphonie) qui sont l’expression de différents points de vue et caractères ce qui évite l’ennui du lecteur. Aussi cette forme permet une certaine clarté car les personnages qui dialoguent exposent généralement leurs thèses de manière simple. C’est le cas pour l’oeuvre Dictionnaire philosophique de Voltaire dans l’article « Liberté de penser « où Boldmind, libre penseur s’adresse à Medroso, qui n’a pas l’habitude de penser par lui-même. Il recourt ainsi à des images, des antithèses assez simples pour étayer sa thèse et bien se faire comprendre de son interlocuteur. Enfin, le dialogue argumentatif n’impose pas une thèse au lecteur mais cherche plutôt à l’amener à se rallier spontanément à la cause défendue et cette liberté laissée au lecteur est un atout majeur.
On peut donc dire que l’apologue constitue un bon moyen d’argumentation mais ne constitue pas nécessairement le meilleur moyen d’argumenter. En effet, l’apologue présente l’avantage de séduire le lecteur, il lui permet également de participer au récit en déduisant de lui-même les critiques contenues dans l’œuvre et permet de contourner la censure. Cependant le manque d’engagement de l’auteur, les risques de mauvaise compréhension pour le lecteur constituent des limites. Ce sont principalement des défauts que l’on ne retrouve pas dans d’autres moyens d’argumentation plus explicites comme les articles d’encyclopédie, de dictionnaires, les essais ou encore les dialogues argumentatifs. Toutefois, établir une hiérarchie des moyens d’argumentation est quelque chose de délicat car l’efficacité des moyens d’argumentation est toute relative. En effet suivant le public visé peut-être l’auteur devra t-il choisir tel ou tel moyen pour argumenter. Ainsi pour toucher un jeune public ne vaudrait-il pas mieux avoir recours à la forme de l’apologue (comme les fables) par exemple plus faciles et amusantes plutôt qu’à l’essai présentant souvent des termes spécifiques et complexes ?
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