L'amour occupe une place essentielle dans le roman. En quoi sa représentation est-elle révélatrice du regard porté par le romancier sur la société ?
Publié le 11/09/2006
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Corpus de textes : - Honoré de Balzac, La Femme de trente ans (1831) - Delly, Comme un conte de fées (1935) - Nathalie Sarraute, Le Planétarium (1959) Dans le roman, chaque auteur livre à ses lecteurs, au travers du regard de ses personnages, une certaine représentation du monde et de son temps. Depuis le Moyen-âge et l’avènement du roman courtois jusqu’à la littérature contemporaine, on a pu observer la place prépondérante et essentielle accordée à la relation amoureuse au sein du roman. Les romanciers donnent donc à lire, selon leur époque, des perceptions plus ou moins différentes de l’amour et des aspirations de leur temps. On peut donc se demander en quoi la conception de l’amour développée par l’auteur dans son récit est révélatrice de la vision qu’il porte sur sa société et ses mœurs ? Nous verrons que la représentation de l’amour peut être réaliste et s’accorder avec la façon dont il était vécu à l’époque du roman, mais également que sa description peut porter le point de vue du romancier qui se veut souvent avant-gardiste. La vision de la relation amoureuse livrée par l’auteur peut tout d’abord être assez objective et représenter la passion telle qu’elle était perçue et vécue à l’époque de l’écriture. Le romancier cherche donc à dépeindre les sentiments et les actions de ses personnages en restant proche de la réalité de son époque. Pour cela, il traduit les places respectives de la femme et de l’homme dans la société et la façon dont l’être aimé est idéalisé par le regard de l’autre notamment par celui de la femme aimante. L’auteur caractérise dans un premier temps la relation homme/femme par la position que chacun des personnages occupe par rapport à l’autre et définit les codes de l’amour propres à son époque. Ainsi en 1831, dans La Femme de trente ans, Balzac appui par sa description du comte d’Aiglemont, qui apparaît comme un héros de guerre sur son cheval et qui ne daigne pas regarder sa maîtresse, l’image de l’infériorité de Julie par rapport à son amant. Dans ce même ouvrage ainsi que dans Une Vie de Maupassant parut en 1883, la jeune femme est confrontée aux infidélités répétées de celui qu’elle aime mais se doit d’accepter sa situation. Ces récits présentent donc la femme comme un être écrasé par la toute puissance du mari contre laquelle sa position ne lui permet que d’accepter de souffrir. En leur enlevant tout droit de parole, les deux romanciers du XIXe siècle montre donc la réalité d’une époque et d’une société dans laquelle les femmes étaient à tous points de vue inférieures aux hommes, même au sein d’une relation amoureuse. Près d’un siècle plus tard, en 1959, à la parution du Planétarium de Nathalie Sarraute, on observe encore une nette séparation des places occupées par l’homme et par la femme au sein du couple. Dans l’extrait du corpus, on peut remarquer que la femme se laisse porter par son mari et le laisse tout décider pour elle. Elle agit comme une enfant qui serait dépendante de l’homme qu’elle aime et qui ne pourrait pas agir par elle-même. On observe une situation similaire dans le roman L’Amant de Marguerite Duras : la jeune femme a là encore besoin de celui avec qui elle partage une relation pour plusieurs raisons. C’est tout d’abord lui qui subvient aux besoins de sa famille, et c’est par lui qu’elle acquiert son expérience et se construit en tant que femme. L’étude de ces deux ouvrages peut donc nous amener à dire que malgré le changement d’époque et de société la position de la femme dans le couple reste quasi similaire car elle est toujours inférieure à celui qu’elle aime sur de nombreux plans. Néanmoins, même si son rôle n’a pas beaucoup changé, on peut noter une certaine évolution par rapport à la prise de conscience de la femme qui se rend compte de sa position d’infériorité et qui va pouvoir aller jusqu’à l’assumer complètement comme dans Le Planétarium de Sarraute. Cependant, la lecture de certains romans appartenant à au « nouveau roman « comme Moderato Cantabile de Duras, nous permet de dire qu’à partir de la fin de la guerre et du début du mouvement d’émancipation des femmes, ces dernières acquièrent peu à peu une position d’égalité avec l’homme et suscitent des sentiments d’admiration jusque là réservé à l’amant. Mais l’auteur, pour retranscrire les relations telles qu’elles étaient vécues à son époque, va également montrer que l’amour passe presque toujours par une certaine idéalisation de l’autre. Dans ce sens, on peut dire que selon les époques, chacun des deux membres du couple doit correspondre à un certain modèle établi par les valeurs qui évoluent avec le temps de l’écriture. Ainsi, en 1678, à la parution de La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette, l’héroïne du roman, Mademoiselle de Chartres représente le modèle féminin tel qu’il est idéalisé par tous les hommes. La jeune femme doit donc correspondre aux codes sociaux en vigueur de son temps pour susciter l’amour. Au XVIIe siècle, la jeune femme se doit donc d’être belle, pleine d’esprit, vertueuse et aimable. Cet idéal persiste dans les esprits pendant plusieurs siècles. L’homme pour sa part était également extrêmement idéalisé comme nous pouvons le remarquer dans l’extrait de La Femme de trente ans de Balzac en 1831. Il devait, tout comme la femme correspondre à des canons définit par les valeurs de la société de son époque qui était l’admiration pour un certain physique viril et héroïque, pour une certaine froideur de caractère et pour l’exercice de la fonction militaire. Ces modèles universels de l’autre tel qu’il devait être pour susciter la passion correspondent tout à fait à l’idée que l’on se faisait alors de l’amour. Les auteurs marquent donc, par la description de leurs personnages la réalité d’une époque où l’amour prenait une place secondaire. Les mariages étaient le plus souvent arrangés mais l’amour survenait tout de même dans un deuxième temps et donnait lieu à des dilemmes comme celui auquel est confronté le personnage de La Princesse de Clèves. Au fil du temps, on commence cependant à distinguer plus de nuances dans les descriptions et les regards portés sur l’être aimé dans le roman. Ainsi, en 1830, dans Le Rouge et le noir de Stendhal, le personnage principal qu’est Julien Sorel diffère du héros classique et correspond au héros romantique en proie à des réflexions sur lui-même. De même les deux femmes dont il va s’éprendre au cours du récit représentent de façon distincte les deux pans de la société du XIXe siècle que sont la province représentée par Mme de Rênal et la ville symbolisée par Mathilde de la Mole. La passion amoureuse telle qu’on la connaît de nos jours commence alors à devenir un des buts premiers de l’existence même si les codes sociaux sont encore très marqués. Avec le temps, les personnages vont évoluer et l’idéalisation de l’autre va peu à peu se défaire au profit de l’avènement de la passion pure comme on peut l’observer dans Moderato Cantabile de Marguerite Duras en 1958 ou du moins celui de l’amour premier et partagé entre les deux membres du couples même s’il subsiste une certaine modélisation de l’image de l’autre (Le Planétarium en 1959). Cependant, même si la plupart des romans représentent de façon plus ou moins exacte la réalité de leur époque, certains auteurs ne s’inscrivent pas dans cette logique temporelle. Ainsi, Delly dans Comme un conte de fées en 1935, choisit de reprendre des codes amoureux dépassés par l’idéalisation de l’homme aimant et noble. Au contraire, l’abbé Prévost en 1731 cherche avec Manon Lescault à dépasser les codes de son temps pour créer un récit se rapprochant de l’égalité entre l’homme et la femme. Dans Manon Lescault, il va même jusqu’à inverser les rôles et faire de son héroïne la maîtresse absolue du le cœur du Chevalier des Grieux, son amant. On peut donc dire que pour être en adéquation avec ses lecteurs, le romancier cherche souvent à représenter la relation amoureuse selon l’idéal social de l’amour partagé par ses contemporains. Toutefois, il peut arriver que certains auteurs choisissent soit d’inscrire leur récit dans un cadre social dépassé, soit au contraire de proposer une alternative aux codes sociaux en vigueur et ainsi de faire preuve d’une certaine forme d’avant-gardisme par rapport à son temps. Selon les auteurs, la description de l’amour n’est donc pas toujours objective et dans ce sens le roman peut apparaître comme un moyen de formulation d’un idéal de l’amour absolu.
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