« La Vème République : rupture ou continuité ?
Publié le 03/11/2019
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« La Vème République : rupture ou continuité ? » Introduction : « Histoire Républicaine » « Un des caractères essentiels de la constitution de la Vème République c’est qu’elle donne une tête à l’État » dit le Général de Gaulle en conférence de presse en 1962. En ces temps-là, il n’a qu’un objectif : instaurer l’élection du président de la République Française au suffrage universel direct. Pour la première fois en 114 ans et la « Constitution de 1848 », c’est le peuple qui allait choisir son principal représentant ; et c’est le peuple et non les hommes politiques, qui allait confier à un Homme la plus haute fonction de l’État. Chose impensable pour les parlementaires tant le traumatisme de 1852 est fort. En effet le dernier président élu par le peuple ou du moins une partie du peuple, Louis Napoléon Bonaparte, n’a pas attendu plus de 4 ans pour abuser de la confiance des parlementaires et réinstaurer l’Empire qui se rapprochait d’autant plus du régime monarchique aboli 4 ans plus tôt que du régime républicain. Mais surtout ce sont les souvenirs encore trop récents du régime de Vichy et du maréchal Pétain, pourtant investi par l’assemblée comme président du Conseil mais dont les dérives se sont finalement fait ressentir, qui jouent contre les idées du général. Dans l’histoire des institutions française, ce n’est pas la première fois que cette question se pose. En 1946, le Général de Gaulle alors président du Conseil du Gouvernement Provisoire de la République Française, manifeste déjà ses idées que selon lui, la France a besoin d’un pouvoir exécutif fort pour assurer sa pérennité. Le système de la IIIème République est dépassé, proclamée en 1875, ces institutions se sont montrées bien trop faibles en cas de crise majeure. Le modèle d’un régime parlementaire c’est que justement, il confère tous les pouvoirs au parlement, et les élus qui le compose forment une classe politique qui cherche à défendre ses intérêts. Les idées du Général ne sont donc pas retenues, les parlementaires préférant retrouver leur statut d’avant- guerre. Ainsi la promulgation de la Constitution du 27 octobre 1946 marque le début de la IVème République française qui, malgré la crise connue au cours des années 1930, reste fidèle au modèle de la république parlementaire qui s’était imposé en 1875. Celui que l’on appellera plus tard « le plus illustre des français » se retire de la vie politique française après son discours du 16 juin 1946 à Bayeux où il prévient le peuple de la faiblesse de leur régime : « […] il y a là pour nous une question de vie ou de mort, dans le monde et au siècle où nous sommes, où la position, l'indépendance et jusqu'à l'existence de notre pays et de notre Union française se trouvent bel et bien en jeu ». C’est finalement le temps qui donne raison au Général. La IVème République se révèle être un échec tant l’instabilité gouvernementale est forte, 24 gouvernements se succèdent en 11 ans avec une durée moyenne de 6 pauvres mois. Ce qui lui est fatal, c’est le coup d’État du 13 mai 1958 à Alger, en plein département de l’Algérie française. Les institutions montrent leurs limites et le président René Coty ne voit qu’un seul homme capable de régler la crise. Il se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Investi plus tard par le parlement comme président du Conseil, le Général de Gaulle fait comprendre que maintenant, la Constitution française sera écrite selon ses idées : « j'accepte votre proposition, j'accepte d'être investi par le parlement, mais je veux diriger la France dans le cadre d'une institution nouvelle, que l'on réforme la constitution ». Après avoir vu les conditions fixées par le parlement pour écrire cette constitution dans la loi du 3 juin 1958 ; c’est en seulement 4 mois qu’une toute nouvelle constitution est adoptée par le peuple français. Celle-ci modifie fortement les institutions française à tel point que l’on ne reconnait plus le système politique connu depuis 1875, plus de 70 ans. Pour beaucoup c’est une rupture totale avec la IVème République. Pourtant, on appelle toujours l’État « République Française » comme en 1875 et comme en 1946. Par la compréhension approfondie de ces différents faits nous pouvons nous interroger : Est- ce que la Vème République représente une rupture totale avec les institutions françaises qui la précède, ou assure-t-elle une certaine continuité de l’État ? Nous étudierons dans un premier temps les principes nouveaux de cette Vème République et dans un second temps les traditions qu’elle perpétue. I- La Vème République, rupture institutionnelle et juridique Introduction à la partie I : L’adoption de la nouvelle constitution La Constitution de la Vème République est écrite principalement par Michel Debré, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice du gouvernement De Gaulle III, à l’été 1958. C’est un gaulliste de la première heure, qui sera nommé premier ministre après l’élection du Général en Janvier 1959. Pour rédiger la constitution, il s’entoure de hauts fonctionnaires et de plusieurs experts qui formulent un avant- projet. Le parlement forme de son côté un comité consultatif pour le règlementer, au final il ne propose que quelques changements. Après le parlement, l’avant-projet est examiné par le Conseil d’État à la mi- août. Le texte final issu de ces interventions est adopté le 28 septembre 1958 par les électeurs français après une consultation par référendum à une majorité de près de 80%. La constitution est promulguée par René Coty le 4 octobre 1958. Elle prévoit que les institutions soient mises en place dans les 4 mois qui suivent sa promulgation. Pour la première fois dans l’histoire politique française, c’est le pouvoir exécutif représenté par le gouvernement qui dirige réellement le pays. I.A- Un pouvoir exécutif renforcé § 1 – Une première rupture : les métamorphoses du système électoral et du parlement français Le gouvernement est effectivement autorisé à prendre les mesures nécessaires à la mise en place de ces institutions au plus vite, c’est-à-dire compléter la constitution mais surtout la mettre en œuvre. Le parlement de la IVème République est au centre de la vie politique. Les premières lois de la Vème République regardent donc la mise en place d’un nouveau parlement. Il doit être élu au plus vite car c’est lui qui assure la représentation du peuple. Les élections législatives sont fixées les 23 et 30 novembre 1958. Le 9 décembre 1958, c’est le début de la Ière législature du parlement de la Vème République, les Gaullistes sont majoritaires pour la première fois de leur histoire. Ce nouveau parlement perd son pouvoir premier d’autrefois : ce n’est plus lui qui élit le président de la République, et ce n’est même plus lui qui investit le premier ministre. C’est une rupture totale avec les précédentes législatures qui affaiblit le parlementarisme français et le marginalise totalement : les parlementaires n’ont plus le pouvoir qu’ils détenaient depuis 1870 de décider de qui occupera la fonction politique la plus importante en France. C’est en premier lieu, selon la constitution de 1958, un collège électoral d’environ 80 milles grands électeurs qui a pour tâche d’élire le chef de l’État. Ce conseil électoral composé principalement d’élus locaux, marque la seule élection de la Vème République qui s’est déroulée en suffrage universel indirect. Les élections de 1958 voient 3 candidats se présenter. Le 21 décembre 1958, le collège électoral élit le général de Gaulle avec 78,5%. Il prend ses fonctions la semaine suivante le 8 janvier 1959, et succède officiellement à René Coty, son mandat est fixé pour 7 ans. Michel Debré est logiquement nommé premier ministre. Pourtant pour De Gaulle, le président doit être désigné par le suffrage universel direct. Le choix de ne pas imposer le suffrage universel direct aux parlementaires en 1958 a été dicté par la trop grande rupture du changement du système électoral par rapport à la IVème République et de la perte de pouvoir qu’ils subissent. Au fil de son mandat, le Général met tout en œuvre pour appliquer sa réforme. § 2 – Une deuxième rupture : un président fort, élu pour le peuple par le peuple Le président de la République Française est l’incarnation de l’autorité de l’État. Il occupe la fonction politique la plus importante en France. C’est le chef des armées, le garant de la Constitution de la Vème République (selon l’article 5 de la constitution), et il tient un rôle éminent en matière de politique étrangère. Son pouvoir est bien plus étendu que sous les IIIème et IVème République. On pense d’abord que le président concentre beaucoup de pouvoirs, il est souvent assimilé à un monarque « non héréditaire » ; mais très vite à partir de Jules Grévy les parlementaires en font un personnage effacé dans le jeu institutionnel. Jules Grévy occupe le poste de 1879 à 1887, c’est le 3ème président de la République Française en fonction en 8 ans, depuis 1871 et Adolphe Thiers, alors que ses deux prédécesseurs sont élus initialement pour 7 ans. Ainsi deux présidents ont donc démissionné en à peine 8 ans de régime. Ces démissions d’Adolphe Thiers et de son successeur s’expliquent par les forts désaccords entre le parlement et ces derniers. C’est en image une preuve du manque de pouvoir du président à cette époque. Jules Grévy est le premier président à être réélu dans l’histoire de la politique française, mais il doit à sa décision de se mettre en retrait des décisions du parlement. Volontairement, il renonce à son droit de dissolution, pourtant inscrit à l’article 2 de la constitution de 1875, et s’interdit d’intervenir contre les vœux du parlement. La dissolution est d’ailleurs utilisée une seule fois en 65 ans de IIIème République, contre 5 fois sous la Vème République. L’institution présidentielle est à partir de Jules Grévy totalement effacée, il s’exprime devant le conseil des ministres en 1882 : « Savez vous ce que je ferai, Messieurs ? Et bien, je ne ferai rien… ». Le président de la République se cantonne alors à une fonction représentative, laissant le pouvoir au président du Conseil. Ceux qui ont incarné les deux postes choisissent la deuxième option, comme Jean Casimir Perrier qui démissionne après 1 an de mandat trouvant qu’il a très peu de pouvoir, et préférant retrouver la fonction de président du Conseil qu’il a déjà occupée plus tôt. Le Général de Gaulle avait deux idées pour lutter contre ces absurdités : qu’il y ait primauté du président de la République et qu’il y ait renaissance de l’autorité gouvernementale. La primauté du président est un des caractères fondamentaux du régime : « Le président est la clé de voute du régime » dit le rédacteur de la constitution Michel Debré. N’oublions pas que sous les deux républiques précédentes le président était élu par le parlement. En 1958 le général instaure le collège électoral composé de 80 milles élus locaux. Avec la révision constitutionnelle de 1962, il a été décidé qu’à compter de l’élection de 1965, le président serait élu au suffrage universel direct. Le Général souhaite effectivement un lien direct avec les français, pour lui il faut casser cette division politique / peuple, mais il veut surtout instaurer une légitimité totale venant du peuple envers son premier représentant, il veut un président fort, élu pour le peuple par le peuple. Cette réforme ne plait pas au parlement qui renverse le gouvernement de Pompidou, en déposant une motion de censure comme souvent sous la IVème République. Mais De Gaulle surprend en utilisant son pouvoir de dissolution de l’assemblée nationale, c’est la première fois depuis les années 1870 qu’un président use de cette option. C’est un choix très fort, qui marque une rupture totale avec les institutions précédents, pour la première fois le président est plus fort que l’assemblée nationale, on appelle cela la primauté du président. La nouvelle majorité élue par le peuple conforte le Général, il nomme Pompidou premier ministre à nouveau et la réforme est adoptée. Le président élu par le peuple à une plus grande légitimité : il a donc des pouvoirs beaucoup plus importants qu’avant. Il a le pouvoir de nommer le premier ministre et ses ministres avec plus de marge de manœuvre car il ne doit pas soumettre son gouvernement à l’approbation du parlement. Il peut organiser un référendum pour consulter directement le peuple et passer outre le parlement, le Général de Gaulle a utilisé ce procédé à de nombreuses reprises lors de ses mandats, cette pratique s’est ensuite petit à petit perdue. Il n’y a au final eu aucun moment sous la Vème République où l’assemblée a pu empêcher le pouvoir exécutif de gouverner. § 3 – Une troisième rupture : un pouvoir exécutif fort, responsable mais protégé Si les présidents de la IIIème République ont souvent démissionné tellement leur pouvoir était restreint montrant de ce fait une forte instabilité présidentielle, sous la IVème République c’est le Gouvernement et les différents présidents du Conseil qui ont été victimes d’instabilité : leur pouvoir était faible mais surtout ils pouvaient très facilement être renversables par un pouvoir législatif beaucoup trop fort. La Constitution de 1958 établit une séparation stricte des pouvoirs, déjà établie dans les constitutions précédentes mais jamais respectée. La Vème République est un régime semi – présidentiel, avec une séparation stricte des pouvoirs législatifs, exécutifs, et judicaires article. Le gouvernement est nommé par le président de la République élu par le peuple et le parlement n’a pas son mot a dire. La tradition veut que le premier ministre nommé se soumette à un vote de confiance face à l’assemblée mais c’est plus une formalité qu’une procédure officielle. Contrairement aux précédentes constitutions, il n’est pas inscrit dans la constitution de 1958 que le parlement doit investir suite à un vote le gouvernement et son chef. La constitution indique cependant que le gouvernement est responsable devant le parlement, comme lors des précédentes institutions. Il y a par contre un nouvel encadrement de la responsabilité gouvernementale, pour lutter contre l’instabilité des gouvernements de la IVème République. On a encadré très strictement la possibilité pour le gouvernement de voter une motion de censure contre le gouvernement. C’est un texte par lequel le parlement entend dénoncer la politique du gouvernement et le sanctionner, très fréquent sous les deux Républiques précédentes. Sous la Vème République le vote de cette motion est encadré : une motion ne peut être déposée que par au moins 1/10 des députés (58 députés). Une motion déposée est ensuite soumise au vote : pour qu’un gouvernement soit renversé il faut que la motion soit votée à la majorité des membres complet composant l’assemblée. Une motion ne peut donc être votée que s’il y a 289 voix pour. C’est impossible car tous les gouvernements ont toujours eu une majorité au parlement sous la Vème République, on parle du « fait majoritaire ». L’exécutif est donc protégé par cette limitation du pouvoir législatif, on parle de la rationalisation du parlementarisme. I.B- Un pouvoir législatif limité § 4 – Une quatrième rupture : de nouvelles autorités normatives L’organisation du parlement, les pouvoirs du parlement et les rapports gouvernement parlement ont été modifiés en 1958 : tout d’abord il y a inscrite dans la constitution une incompatibilité entre les fonctions parlementaires et ministérielles selon l’article 23. Au niveau des pouvoirs du parlement, on parle de la limitation du domaine de la loi. Jusqu’en 1958, le domaine de la loi était illimité, ça veut dire que le parlement était compétent pour faire des lois dans tous les domaines et le gouvernement n’était compétant que pour exécuter les lois, il n’y avait pas de compétences normatives. En 1958, on a limité le domaine de la loi, en insérant dans la nouvelle constitution à l’article 34 une liste des domaines dans lesquels le parlement est compétent. Tout ce qui n’est pas cité ne fait pas parti de sa compétence, car c’est uniquement le gouvernement qui agit par décret qui l’est. Sous la IVème république, c’était seul le parlement qui érigeait les règles de droit. Le gouvernement a maintenant une compétence normative qui est devenu indépendante de celle du parlement. Sous la Ve République le pouvoir exécutif a la compétence normative de principe qu’il exerce par voix de décret, et le parlement la compétence normative d’attribution. C’est donc une nouvelle rupture car avec la nouvelle République, le pouvoir exécutif érige aussi des règles de droit § 5 – Une cinquième rupture : faire la loi sous la Vème République Il y a deux types de loi : la proposition de loi qui vient du parlement et le projet de loi qui vient du gouvernement. Le projet / proposition de loi doit être inscrit dans l’ordre du jour pour être discuté au parlement. Mais sous la Vème République, c’est le gouvernement qui le fixe, il joue donc un rôle prépondérant dans la législation française puisqu’il décide de quoi discuteront les parlementaires et il privilégie donc ses projets de lois aux propositions. Ce projet / proposition passe d’abord devant une commission du parlement spécialisée dans le domaine de la loi, cette commission donne un avis, qui est discuté en séance publique. En séance publique le texte est souvent amendé mais de nombreux amendements sont irrecevables car la constitution de 1958 a nettement baissé le droit des parlementaires : les députés ne peuvent par exemple pas amender un texte s’il nécessite une dépense publique. Le gouvernement intervient donc beaucoup dans la procédure législative car il inscrit en priorité ses projets il règlemente beaucoup la discussion des parlementaires, c’est inédit. La constitution pose aussi à l’article 49 alinéa 3 une procédure inédite pour forcer la main du parlement et faire taire les propositions. Si le conseil des ministres choisi de conférer ce pouvoir au premier ministre, il demande d’arrêter les discussions, le texte est donc considéré comme adopté, il défie les députés de voter une motion de censure contre son gouvernement pour l’en empêcher. Ainsi, le texte est adopté alors qu’il n’a pas été discuté, car la motion de censure ne serait jamais adoptée soit mathématiquement, soit logiquement car un gouvernement renversé serait synonyme d’une dissolution de l’A.N. et les députés pourraient perdre leur mandat suite à une nouvelle élection. Une procédure qui confère autant de pouvoir à l’exécutif était inenvisageable sous les IIIème et IVème République. Elle n’est pas la seule puisque la constitution de 1958 établit une autre procédure qui permet au gouvernement de passer outre le parlement, les ordonnances. Le pouvoir des ordonnances est défini à l’article 38 alinéa 1, elles n’existaient pas sous les républiques précédentes. Paradoxalement, les ordonnances étaient l’autorité législative exclusive des rois de France sous l’ancien régime. Une ordonnance est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi : c’est-à-dire les domaines définis par l’article 34 comme relevant de la compétence du parlement. Le but de l’ordonnance c’est pour le gouvernement d’aller vite en contournant les discussions au parlement. Un gouvernement qui procède par ordonnance fait donc la loi sans consulter le parlement. C’est une rupture totale dans le système juridique français car le pouvoir législatif est devenu très faible. Conclusion à la partie I : La Vème République, une institution inédite L’étude de la constitution de 1958 nous permet de relever 5 ruptures dans les institutions françaises sur le plan exécutif et législatif. On conclut que la Vème République établit une président fort qui a de très nombreux pouvoirs et qui semble être en mesure de gouverner seul. On pourrait le rapprocher à un monarque tant on lui confère de nombreux pouvoirs. Pourtant, la Vème République est devenue le régime le plus stable que la France ait connu depuis la Révolution française. C’est un régime représentatif, qui organise des élections à tous les niveaux politiques de l’État, doté d’une justice évolutive selon son époque, et dont le préambule de sa Constitution est la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen pourtant établit en 1789. Si les institutions qui dirigent le pays sont profondément modifiées voire nouvelles, le principe républicain semble rester le même depuis 230 ans. II- La Vème République, continuité républicaine et démocratique Introduction à la partie II : « Res publica » et « Demos Kratia » Le droit romain institue la République en 509 av JC à la chute de la monarchie. Ce qu’ils appellent « la chose publique » prend forme dans leur vision de gouverner : gouverner la cité c’est une affaire publique et collective. La démocratie désigne un régime politique dans lequel les citoyens ont le pouvoir. Dans une démocratie représentative, le peuple élit des représentants qui gouvernent en son nom. On désigne en France par République l’institution qui a remplacé la Monarchie en 1792. La France a connu cinq républiques différentes qui avait pour point commun de ne pas accorder les pleins pouvoirs à un seul homme (la séparation des pouvoirs), mais aussi de respecter des principes d’égalité, ou de veiller au respect des Droits de l’Homme définis en 1789. On a vu que la différence entre les cinq républiques concerne les attributions et les modes de désignation du pouvoir. Malgré cela, la République française a toujours été une démocratie car le peuple a détenu le pouvoir en élisant ses représentants par le biais d’élections locales et législatives, puis avec le rajout de l’élection présidentielle. On parle de la continuité républicaine, c’est-à-dire une continuité dans les principes de construction de l’État et ce depuis qu’elle a été envisagée par les révolutionnaires en 1792. II.A- Une République indivisible, sociale et démocratique … § 1 – Une première continuité : la république indivisible envisagée lors de la révolution de 1789 La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 qui posait les bases de la constitution du 4 octobre de la même année fait référence en son point 4 au préambule de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) mais aussi à la constitution de 1946. La DDHC est l’élément principal de la continuité entre les précédentes républiques et la nouvelle. Elle est même encore applicable, elle fait partie du droit positif, c’est-à-dire qu’en droit français il est possible d’invoquer cette constitution pour se défendre en cas de jugement. Il y a 17 articles dans la DDHC qui regardent la liberté, l’égalité des droits, la souveraineté nationale, la force de la loi et de son caractère protecteur, le droit de propriété et aussi le principe de la séparation des pouvoirs à l’article 16. On retrouve dans toutes les constitutions républicaines ces mêmes principes, ces mêmes libertés, ces mêmes droits. En plus de la DDHC on retrouve dans le préambule de la constitution de 1958 une référence à la constitution de 1946, qui elle aussi parti du droit positif. On estime en effet en 1958 que les droits issus de 1946 : sur les syndicats, sur le droit à la santé ou le droit de grève, sont complémentaires avec la philosophie des lumières. La IVème République est en effet marquée par de nombreuses avancées sociales suite aux nombreux gouvernements socialistes qui se sont succédé en période de reconstruction d’aprèsguerre. C’est un autre principe instauré par les révolutionnaires qui marque la continuité républicaine dans le sens où c’est sa force qui en fait un régime pérennisé : c’est son caractère indivisible inédit. Il y a 227 ans, le 25 septembre 1792, la République a été proclamée indivisible, et cela reste vrai aujourd’hui. La France est une république proclamée une et indivisible dans chaque constitution. Tout n’a pas été simple, les révolutionnaires redoutent en effet la République au début, car la monarchie en place depuis plus d’un millénaire était plutôt rassurante, et surtout le roi était symbole d’unité du peuple. En 1792, la République à l’étranger c’est le symbole de la division, de la fédéralisation et du régime éphémère. Ils craignent l’éclatement de la France en plusieurs factions distinctes. Ils craignent aussi la grande république fédérale, sur le modèle des États-Unis. Ils sont donc dans une situation difficile : entre 1789 et 1792 ils font tout pour garder le Roi, on parle de la monarchie constitutionnelle qui est un échec lorsque Louis XVI est arrêté en train de fuir le pays. Pour se rassurer on déclare la République une et indivisible, avec une seule langue, un seul drapeau, une seule hymne et surtout, un seul lieu de pouvoir, et l’indivisibilité signifie un seul État, une seule constitution, un seul gouvernement, un seul parlement, et les lois qui sont les mêmes pour tous. Le texte est voté à l’unanimité par la convention nationale. Ce principe d’indivisibilité est le corollaire du principe d’égalité devant la loi. En France, on estime que l’État ne peut garantir l’égalité de tous les citoyens que si uniquement il est un et indivisible. Il assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, il respecte toutes les croyances. § 2 – Une deuxième continuité : la république indivisible et laïque La France est devenue au cours de l’histoire une république laïque. Son affirmation est plus récente que son indivisibilité, elle date de la loi de séparation de l’Église et de l’État le 9 décembre 1905, sous la IIIème République. On avait effectivement un État religieux en ce sens que le Roi était très catholique, dit comme le représentant de Dieu en France. Les révolutionnaires ont été très hostiles à la religion et au clergé : ils ont confisqué les biens de l’Église, ils ont obligé les prêtres à prêter serment à la constitution, on parle du phénomène de déchristianisation. Dans la DDHC, c’est l’article 10 qui dispose de la liberté de religion, tant qu’elle n’est pas ostentatoire. Les révolutionnaires ont posé le principe de laïcité qui est toujours en vigueur. On a pour un temps cherché à rétablir les relations entre les catholiques et l’État tout en s’appuyant sur le principe de laïcité. C’est le cas lors du concordat de 1801 qui est un accord passé après la Révolution par le consul Bonaparte avec le pape, chef de l’Église catholique, qui visait à pacifier les rapports entre l’État et l’Église. Les points essentiels sont qu’elle renonce aux biens qui lui ont été confisquées pendant la révolution, et qu’il y ait une reconnaissance du libre exercice de la religion, en échange de quoi c’est l’État qui rémunère les prêtres. Le concordat s’applique jusqu’à la loi de 1905. Celle- ci précise que la République ne subventionne ni ne salarie aucun culte. Elle fait preuve d’indépendance totale entre le pouvoir politique et le pouvoir spirituel. On affirme que le pouvoir ne peut jamais être exercé de manière confessionnelle. La religion dépend de la sphère privée, l’État ne s’en mêle pas. La loi de 1905 a connu deux compléments. Dans le domaine scolaire, certains ont fait valoir leur religion de manière visible et active dans le cadre de l’école, ce qui va à l’encontre de la laïcité qui interdit toute forme de prosélytisme. La loi du 15 mars 2004 dispose que le port de signe ou tenue par lequel les élèves manifestent une appartenance religieuse est interdit. Une loi du 11 octobre 2010 que nul ne peut dans l’espace public porter une tenue destinée à dissimuler son visage. Le message essentiel du principe de laïcité c’est la neutralité de l’État, ce n’est pas de l’indifférence. Il veille à ce qu’elles soient librement pratiquées. La loi de 1905 est constitutionnalisée en 1958, puis les législateurs ont dû affiner le dispositif, car effectivement le principe républicain, c’est de faire que la loi évolue avec son temps. II.B- … En constante évolution § 3 – Une troisième continuité : « Liberté, Égalité, Fraternité », la république sociale Le principe de laïcité et les lois sur la laïcité ont donc évolués au fil des années de la République. C’est logique car depuis les deux derniers siècles, le monde évolue de plus en plus vite et les problématiques ne sont plus les mêmes qu’une décennie plus tôt. C’est surtout au cours du XXème siècle que la République française a fortement évolué, dans son caractère le plus providentiel. C’est en effet depuis le lendemain de la Première Guerre mondiale et l’entre- deux guerres que de nombreux principes ont été posés, avec l’avènement du socialisme notamment, comme les congés payés et le droit de grève dans les années 1930. On parle de l’aspect social de la République dont la devise est avant tout « Liberté, Égalité, Fraternité » écrite lors de la révolution qui est aujourd’hui posée à l’article 2 de la constitution. Le caractère social était aussi très fort dans le préambule de la constitution de 1946. Évidemment, il revenait alors au parlement de donner un vrai contenu au caractère social de la République, dans un pays qui devait se reconstruire au lendemain de la guerre la plus dévastatrice que le pays ait connu. On parle de la gratuité de l’enseignement, du régime d’indemnisation du chômage, le RSA, de la protection universelle maladie, accompagné par de nombreuses nationalisation d’entreprises pour assurer des emplois. § 4 – Une quatrième continuité : le régime démocratique et souverain La République est un institution politique, mais le régime politique français est la démocratie. Le pouvoir appartient au peuple qui le délègue à ses représentants qu’il élit de manière démocratique, et ce grâce à un vote à tous les niveaux : le maire au niveau communal, les conseillers au niveau des conseils territoriaux, les députés au niveau national. Pour ce qui est de l’élection présidentielle, le caractère démocratique a été posé en 1848 et la seconde république. C’est la première fois qu’on proclame le suffrage universel même si dans les faits seuls les hommes ont le droit de vote. Mais le tout premier président de la République Française est élu directement par le peuple. On a donc une forme de continuité en disant que la Vème République reprend l’idée posée un siècle plus tôt d’élire directement son principal représentant. De plus l’article 2 de la constitution de 1958 dit : « le principe de la République c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » ; et on y reprend là mot pour mot les dispositions de l’article 2 de la constitution de 1946. La continuité du caractère républicain est donc prouvée. La souveraineté nationale est l’un des grands principes de la déclaration de 1789, en France la souveraineté appartient à la nation. Elle est exercée par les représentants de la nation. La souveraineté populaire ce serait le cas dans lequel nous exercerions notre souveraineté nous-même, le peuple déciderait lui-même (théorie de Rousseau). La souveraineté populaire existe très rarement, seulement dans le cadre d’un référendum. Article 3 de la constitution de 1958 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qu’il exerce par ses représentants et par la voix du référendum ». On retrouve aussi une certaine forme de continuité dans l’engagement en faveur de l’environnement, dans le sens où les droits et devoirs qui sont définis dans la charte de l’environnement de 2004 sont définis dans la DDHC : le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et de souveraineté de la nation. Dans cette charte il y a le principe selon lequel l’avenir de l’humanité est indissociable de son milieu naturel, le principe selon lequel l’un des intérêts fondamentaux de la nation c’est la protection de l’environnement, la notion de diversité biologique, l’idée selon laquelle il faut anticiper les risques, pratiquer le développement durable. Le conseil constitutionnel applique ce texte, c’est- à-dire qu’il considère que cette charte s’impose aux législateurs, comme les articles de la constitution, ceux de la déclaration de 1789 et ceux du préambule de 1946. Conclusion : Le fond et la forme de l’institution Républicaine française En définitive, la Vème République en place depuis la constitution du 4 octobre 1958 marque une grosse rupture vis-à-vis des institutions et des règles sur l’exercice du pouvoir par rapport aux anciennes républiques. La République française se voit en effet dotée d’un président de la République qui la représente à l’étranger. Son pouvoir est très large, il est de loin la première institution française, chose que la France dans son régime démocratique (c’est-à-dire hors Empire), n’a jamais connue depuis la Révolution. Le Général de Gaulle, héros de guerre, est l’instigateur de cette profonde réforme des institutions. Au-delà de la primauté du président qu’il instaure, il modifie un système électoral dépassé et renforce le pouvoir exécutif représenté par le gouvernement en lui conférant des pouvoirs forts dans l’édiction des lois. Le système juridique français est modifié avec de nouvelles pratiques qui permettent de passer au gouvernement de passer outre le pouvoir législatif dans l’application de certaines lois. Pourtant, le citoyen devant la loi se voit toujours assuré une égalité dans son jugement, c’est son droit comme indiqué en 1789 par la Déclaration des Droits de l’Homme. Il bénéficie de nombreux droits et de nombreuses libertés qui sont les mêmes depuis 230 ans. Car la République française reste un régime démocratique, qui confère au citoyen des pouvoirs et notamment celui d’élire ses représentants. Les principes d’indivisibilité et laïcité définit en 1789 qui font la force de la République se retrouvent encore dans la constitution de 1958, montrant l’unité et la continuité des principes républicains et démocratiques malgré la forte modification des institutions au fil du temps. Aussi, la république évolue avec son temps, tout en respectant des contraintes sociales, environnementales et institutionnelles.
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