La santé retrouvée du Mexique
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
23 juillet 1989 - Depuis la malheureuse annexion du Texas par l'oncle Sam en 1845, il est de bon ton au sud du rio Grande de cultiver un sentiment " anti-yankee ", que la consommation massive de séries télévisées américaines et de Coca-Cola n'a pas tout à fait édulcoré. Le dictateur Porfirio Diaz plaignait jadis le " pauvre Mexique, si loin de Dieu, si près des Etats-Unis ". L'ancien chef de l'Etat Lopez Portillo soulignait plus récemment combien il était inconfortable de " partager le lit d'un éléphant ". C'est pourtant vers un accord historique de libre-échange avec le grand voisin du Nord que le président mexicain Carlos Salinas entraîne aujourd'hui son pays avec le ferme espoir d'aboutir avant la fin de son mandat ( non réélectif) en 1994. " Sa grande oeuvre ", dit-on à Mexico. " l'affaire du siècle ", osent même certains.
L'équipe au pouvoir rêve d'un vaste marché commun qui, par ricochet jusqu'au Canada, s'étendrait d'Anchorage à Acapulco. Les amateurs de symboles remonteront peut-être au tremblement de terre de 1958, qui renversa l'Ange de l'indépendance, pour voir les prémices de cet alignement.
Etre ou non la 51e étoile de la bannière américaine ? La question se pose en d'autres termes. Le traité de libre-échange met en jeu des intérêts vitaux de part et d'autre des 3 000 kilomètres de frontière commune entre les Etats-Unis et le Mexique : le trafic de drogue, l'immigration et l'emploi, les réserves de pétrole, un commerce bilatéral qui représente 52 milliards de dollars par an.
Le Mexique est d'abord le pays de transit par excellence de la cocaïne colombienne. Malgré de gros efforts de saisie, les autorités n'ont jamais réussi à démanteler des réseaux où sont impliquées, dit-on, quelques personnalités en vue. La marchandise est le plus souvent acheminée vers les Etats-Unis par voie aérienne. Les trafiquants acquièrent au préalable un terrain au Nouveau-Mexique, puis parachutent régulièrement leur butin en prenant soin ( contre 50 000 pesos, soit environ 100 francs) d'établir de faux plans de vols.
La question de l'immigration soulève avant tout un problème politique à Washington : à quel rythme va-t-il intégrer les 15 millions de Chicanos ( Mexicains vivant en Amérique), déclarés ou sans papiers, qui forment une main-d'oeuvre flottante, indispensable dans les Etats du Sud, pour l'agriculture californienne en particulier.
A travers un accord de libre-échange, l'administration Bush entend stimuler le système des maquiladoras, ces usines d'assemblage sous douanes installées au Mexique qui importent toutes leurs matières premières et réexportent l'essentiel de leur production, soutenues par une main-d'oeuvre locale très bon marché et souvent qualifiée. " Les Etats-Unis amèneront les usines chez les Mexicains au lieu d'avoir les Mexicains chez eux ", résume un observateur européen. " Le Mexique s'expose à devenir une économie de sous-traitance. " On compte aujourd'hui plus de quinze cents maquiladoras, toutes étrangères, la plupart américaines, puis japonaises. Deux sont françaises, la firme Essilor, et Générale Biscuit. ( Thomson est indirectement présent par RCA, qui fabrique des téléviseurs ).
Le pétrole ne sera pas un obstacle
Les avis sont partagés sur l'apport de ces enclaves à l'économie mexicaine, outre les 500 000 personnes qu'elles emploient au rabais ( 25 francs par jour). Certains y voient une délocalisation des industries à moindre valeur ajoutée, susceptible de creuser encore l'écart entre les Etats-Unis et leur voisin du Sud. D'autres considèrent que le phénomène de maquiladoras est un pas décisif vers l'intégration industrielle. Ils citent l'exemple de General Motors, qui a attiré quarante-cinq sous-traitants autour de son usine de montage pour l'approvisionner immédiatement en freins, pare-brise, sièges, et autres accessoires.
Après avoir constaté qu'elle vendait tous les ans pour 30 millions de dollars d'étiquettes et de cartons dans la zone frontalière de Tijuana, une société américaine a fini par s'installer au Mexique.
Loin de se cantonner au point de fraction entre les deux Etats, les maquiladoras ont essaimé à l'intérieur du pays comme Kodak à Guadalajara, Volkswagen à Puebla, Nissan à Aguascalientes, et beaucoup d'autres à Monterrey, dans le Nord, là précisément où les présidents Bush et Salinas se sont rencontrés fin 1990 pour parler " affaires ".
A cette occasion, l'hôte de la Maison Blanche s'est déclaré prêt à débloquer, via l'Eximbank, 1,8 milliard de dollars en faveur des sociétés américaines de services qui voudraient travailler avec la société pétrolière d'Etat mexicaine Pemex. Omniprésent dans les arrière-pensées américaines, crise du Golfe oblige, l'or noir n'est pas officiellement sujet à négociation. L'article 27 de la Constitution du Mexique qualifie le pétrole de bien inaliénable du peuple. Il ne peut en aucun cas être recherché et a fortiori extrait ou raffiné par des opérateurs étrangers. Une position de principe que le pays des Aztèques n'aura pas le moyen de tenir indéfiniment.
Il est de notoriété publique que la Pemex souffre de graves sous-investissements depuis huit ans. Les puits existants sont mal gérés, la corrosion attaque 6 000 kilomètres de tuyauterie sous-marine, l'exploration est au point mort, les réserves privées ne sont guère renouvelées, alors qu'elles atteindraient des volumes considérables, proches des niveaux saoudiens. Faute de maintenance, une raffinerie explose de temps à autre...
Véritable Etat dans l'Etat par le passé, Pemex fait aujourd'hui les frais du rétablissement du pouvoir politique à son encontre.
La porte reste ouverte et une chose paraît claire : le président Salinas refuse que le pétrole soit un obstacle au processus qui doit mener à l'accord commercial. Dans ce pays de 82 millions d'habitants, où le revenu moyen par tête plafonne à 1 800 dollars, l'amarrage à l'Amérique du Nord est au mieux une aubaine, au pis un mal nécessaire.
Inaugurée par l'ancien président Miguel de la Madrid, à partir de 1986, l'apertura ( ouverture) mexicaine s'interprète comme un gage de bonne conduite envers les pays riches, au premier rang desquels les Etats-Unis.
En cinq ans, les protections douanières ont été abaissées de 40 % à moins de 10 % dans une ambiance générale propice au laissez-passer.
Composée de monétaristes orthodoxes obsédés par les grands agrégats, l'équipe au pouvoir est convaincue de la panacée du libre-échange.
Après avoir rallié habilement les entrepreneurs à la cause libérale, elle tente à présent de séduire les investisseurs étrangers.
A suivre la campagne de presse internationale qui se déchaîne depuis un mois en faveur du Mexique, dans les magazines anglo-saxons notamment, on peut créditer le président Salinas d'un bon savoir-faire médiatique. Son pays est désormais présenté comme le nouvel Eldorado, une sorte d'Asie du Sud-Est, la dimension industrielle en plus. En novembre, un forum de l'économie mondiale organisé par les promoteurs du symposium de Davos s'est tenu en grande pompe dans la capitale mexicaine. Une façon supplémentaire de braquer le projecteur sur la politique de privatisation amorcée par Carlos Salinas.
Un programme de privatisations
Trois secteurs publics sont à vendre : le téléphone ( avec la compagnie Telmex), la banque ( dix-huit établissements) et l'acier ( trois unités). Début décembre, le consortium composé de France-Télécom, South Western Bell et du conglomérat mexicain Carso, dirigé par l'homme d'affaires Carlos Slim, a remporté l'appel d'offres gouvernemental, supplantant l'autre groupe de candidats mené par l'espagnol Telefonica. Cette opération ouverte à hauteur de 20,4 % aux capitaux étrangers devrait rapporter 4 milliards de dollars à l'Etat, dont la moitié en équivalent pesos, le consortium gagnant ayant pour sa part proposé un montant de 1,75 milliard de dollars ( 8,8 milliards de francs). Si on ajoute le milliard et demi attendu de la privatisation de la sidérurgie et les 4 milliards de dollars escomptés sur la dénationalisation bancaire, le déficit des finances publiques pourrait disparaître en 1991.
L'inflation, remontée cette année à 30 % ( contre 20 % en 1989, mais 160 % en 1987) est projetée à 14 % pour 1991. Soucieux de renforcer la monnaie nationale, les responsables mexicains ont décidé une dévaluation quotidienne du peso contre dollar limitée à 40 centimes, soit une appréciation en termes réels, compte tenu de l'inflation globale du pays six fois plus élevée.
Les économistes qui entourent Carlos Salinas semblent cependant peu se préoccuper de secteurs fragilisés par la mise en oeuvre de leur doctrine. Le textile et l'agriculture souffrent. La politique de la canne est à ce point incohérente que, pour la première fois depuis cinq siècles, le Mexique a dû importer du sucre ( 700 000 tonnes en 1989). Plusieurs inconnues subsistent. La chute de moitié des revenus depuis 1982 touche de plein fouet les classes moyennes, qui, à la différence des autres pays d'Amérique latine, est très importante au Mexique.
Si l'accord n'est pas signé avant, 1992 s'ouvrira dans une ambiance électorale aux Etats-Unis et 1993 sur la dernière année du mandat Salinas. Quelques gros cactus hérissent encore la route dorée du libre-échange entre deux nations jadis ennemies. La politique économique en cours parie sur l'avenir, mais le présent frappe à la porte. Une pauvreté qui explose chez les déracinés de Mexico, le quart-monde du tiers-monde. Un " pas grand-chose " absent des grands agrégats surveillés avec fièvre par les économistes en place.
ERIC FOTTORINO
Le Monde du 15 janvier 1991
Liens utiles
- Quelles solutions pour surveiller la santé du fœtus pendant la grossesse ?
- ATT : Femmes précaires, santé fragile
- Dans l'existence le plus important c'est d'avoir la santé
- HISTOIRE GÉNÉRALE DES INDES OCCIDENTALES ET LA CONQUÊTE DU MEXIQUE
- HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DU MEXIQUE (L’) William Hickling Prescott (résumé)