la règle de droit au regard de larègle morale
Publié le 13/10/2014
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« La règle de droit au regard de la règle morale » I ) Les divergences entre le droit et la morale A ) Des domaines différents B ) Des sanctions différentes II ) Les convergences entre le droit et la morale A ) La morale, moteur du droit B ) Le droit, facteur d'évolution de la morale Introduction : Le droit comporte des règles, mais toutes les règles ne sont pas juridiques et il est parfois difficile de distinguer ce qui sépare le droit des autres disciplines, comme la Morale. On peut définir la règle de droit comme étant l'ensemble des règles posées et sanctionnées par l'autorité publique. Elles ont pour objectif principal d'organiser la vie en société et les relations entre les membres qui la composent. La règle de droit a un caractère extérieur, c'est à dire qu'elle ne dépend pas de la volonté de celui qui y est soumis, elle s'impose à chaque membre du corps social. Selon Kant, là est toute la différence entre la règle de droit et la règle morale. Cette dernière est l'ensemble de règles admises par la conscience individuelle, et si la règle de droit est extérieure, la règle morale est, elle, interne. Elle est le produit de la conscience de l'individu, il se l'impose à lui-même. Notre droit ainsi que notre morale actuels sont largement inspirés des valeurs judéo-chrétiennes. L'Antiquité et le Moyen Age s'en sont peu souciés, mais c'est avec le mouvement de laïcisation du droit, après la rupture de l'unité chrétienne au XVIe siècle que le problème de la distinction du droit et de la morale s'est réellement posé.Nous allons donc nous intéresser à la règle de droit et la règle morale pour tâcher d'établir un rapport des plus complète, quelles sont les caractères communs aux deux règles, et à quel moment se différencient-elles ? Au-delà des divergences, sanctions et contenus qui plaident pour une opposition entre le droit et la morale, des convergences certaines peuvent être relevées. On constate ainsi que ces deux systèmes normatifs ont pour but d'imposer aux individus des principes et règles destinés à régir leur vie en société et à ce titre s'influencent et interfèrent entre eux. Quand on aborde les rapports du droit et de la morale, des divergences (I) et des convergences (II) ne cessent de s'alterner. La théorie de la séparation entre le droit et la morale a été défendue par Kant. Elle trouve ses principaux arguments dans la différence de domaine (A) et de sanctions (B) du droit du droit et de la morale. A ) Des domaines différents C'est parce qu'ils ont des buts différents, le droit et la morale ont un domaine différent. Leurs contenus se distinguent aussi puisque pour atteindre leurs objectifs, la forme et la teneur des règles sont différentes. Si le droit et la morale imposent tous deux aux individus un ensemble de principes et de règles destinés à régir leurs comportements, ils poursuivent des objectifs distincts. La morale a une finalité individuelle, le perfectionnement intérieur de l'individu. Au contraire, le droit a une finalité sociale, l'agencement d'un certain ordre social, l'organisation des rapports inter-individuels. Certes, la morale peut être collective et contribuer, comme le droit, à l'amélioration de la vie en société, au maintien de l'harmonie sociale, mais elle est avant tout individuelle. Parce qu'elle vise à l'élévation de l'individu, la morale semble avoir des objectifs plus vastes que le droit. Parce qu'elle ne se contente pas de gouverner les actes extérieurs de l'homme mais aussi ses pensées, elle a une liste de devoirs plus étendus que le droit. Le droit, en revanche, s'en tient aux attitudes extérieures, ce qui ne lui permet pas de condamner des pensées que la morale pourtant réprouve. En l'absence de commencement d'exécution, le droit ne peut pas sanctionner l'intention pourtant moralement condamnable. Cette impuissance technique à appréhender certains phénomènes se double parfois d'une volonté de s'écarter de toute considération morale. La prescription en est l'illustration la plus marquante. Le droit estime que passé un certain délai les individus ne peuvent plus être tenus des actes délictueux qu'ils ont commis. L'écoulement du temps fait perdre son caractère juridiquement répréhensible à un acte qui moralement reste toujours condamnable. La même contrariété entre le droit et la morale se retrouve à propos non plus de la prescription extinctive mais de la prescription acquisitive qui admet qu'une personne puisse devenir titulaire d'un droit ou propriétaire d'une chose qui appartenait à autrui par la simple possession prolongée. La morale n'admet pas quant à elle que l'on détourne le bien d'autrui. Le droit apparaît ainsi, dans une certaine mesure, moins contraignant que la morale puisqu'il n'impose que des règles régissant les rapports avec les tiers et non des règles de conduite personnelle. Et non seulement il est moins contraignant au sens où il impose moins de devoirs, mais il offre également à l'individu des droits. Dans un autre registre, le droit est plus contraignant car il est plus fortement sanctionnateur. Si le droit et la morale sont tous deux pourvus de sanctions qui assurent la garantie de leurs buts, commun ou respectif, ces sanctions ne sont en effet pas comparables dans leur nature. B ) Des sanctions différentes Les sanctions du droit et de la morale sont de nature différente. En cas de violation d'une règle purement morale l'individu éprouvera des remords, des regrets, c'est-à-dire les reproches de sa propre conscience. Il s'agit donc de sanctions purement internes, très éloignées des sanctions juridiques traditionnelles dominées par les moyens de contrainte de l'autorité étatique. Les sanctions juridiques sont, contrairement aux sanctions morales, extérieures à l'individu en tant qu'elles sont prononcées par un tiers représentant le reste de la collectivité. Selon Kant, le droit est hétéronome (nul n'y peut être à la fois juge et partie ; les actes sont jugés et sanctionnés par des tiers) alors que la morale est autonome (chacun y est son propre juge ; chacun est juge de ses propres actes). Prononcées par l'autorité étatique les sanctions du droit se manifestent par des formes différentes des sanctions de la morale. La condamnation à des dommages-intérêts ou à une peine d'emprisonnement n'a aucune comparaison avec une sanction morale intérieure, ni même la réprobation sociale qui peut être une autre forme de sanction de la violation d'une règle morale. Ce caractère interne ou personnel de la sanction relativise la portée des règles morales. La sanction de la conscience ne contraint que ceux qui se soumettent à la morale. Celle-ci est donc variable et tributaire de la volonté, de la conscience de chacun. À l'extrême, si la morale réprouve certains comportements, ceux qui n'en n'ont pas échappent à sa condamnation. Parfois, le droit prend le relais : en sanctionnant la violation de règles morales, il confère à la morale une nouvelle force. Ce passage se fait par l'absorption par le droit de règle morale, c'est-à-dire la traduction en obligations juridiques de commandements moraux. Une fois que la règle morale a été transformée en règle juridique son respect est garanti par la contrainte étatique. Il faut voir entre le droit et la morale une complémentarité qui émerge de leurs convergences, rendant toute relative leur opposition. Le droit et la morale ont des buts complémentaires et parfois communs comme la justice ou l'organisation sociale des individus, qui induisent des influences réciproques. Source d'inspiration et d'évolution constante, la morale est un véritable moteur du droit qui est souvent fondé sur une règle morale (A). Mais inversement, le droit peut se révéler un facteur d'évolution de la morale (B). A ) La morale, moteur du droit La morale est une source d'inspiration du droit et agit sur son évolution. Il existe de nombreux cas de confusion entre le droit et la morale. De nombreuses règles morales ont en effet été absorbées par le droit et s'expriment sous la forme d'obligations ou d'interdictions juridiques. Cette consécration juridique de règles morales se réalise de différentes façons. Parfois, le droit adopte le contenu de règles morales sans s'y référer directement. Le devoir moral de ne pas nuire à autrui connaît ainsi plusieurs traductions juridiques comme l'interdiction de tuer ou de porter atteinte aux biens d'autrui. Le même phénomène est constaté pour toutes les infractions pénales qui sanctionnent les atteintes aux biens ou aux personnes. D'autres fois, le droit se réfère directement à la morale pour condamner des comportements qu'elle réprouve. Ainsi le droit annule les contrats pour cause immorale (art. 1133 du Code civil), indemnise le préjudice moral, exige l'exécution de bonne foi des conventions (art. 1134, al. 3, C. civ.) ou condamne l'abus de droit, c'est-à-dire l'exercice d'un droit en contradiction avec les buts qui le justifient. La morale est une source continuelle d'inspiration du droit même dans ses parties les plus techniques. On l'a vu avec l'exemple du Code de la route, on le retrouve quand on aborde les règles fiscales qui techniquement ne sont pas imprégnées de morale mais socialement le sont : le principe de l'impôt est moralement légitimé : il appartient à ceux qui gagnent de l'argent de participer au bien-être de ceux qui n'en ont pas ou moins. La répartition des richesses ou la participation au fonctionnement des services publics sont des impératifs dictés par la charité, notion morale s'il en est. On risque ainsi de toujours trouver un fondement moral aux règles juridiques. Le droit ne serait alors « pas autre chose que la morale relayée et sanctionnée par le groupe social ». Certains auteurs le défendent comme ils défendent l'idée que « le droit ne peut se développer que par une montée continue de la sève morale ». Légalement et jurisprudentiellement le droit doit être et est vivifié par la morale. En témoigne l'introduction de l'éthique (du grec,êthos,«moeurs», se définissant comme « l'art de diriger la conduite ») dans de nombreux secteurs socio-professionnels qui conduit par exemple à la constitution de morales professionnelles qui exigent du professionnel, dans des codes de bonne conduite, des engagements autres que juridiques. Le droit n'ignore pas ces morales, parfois même il les codifie (par exemple le Code de la déontologie médicale en 1979). L'évolution de la morale n'est pas sans incidence. Elle permet une actualisation du droit. Toutes les grandes questions juridiques actuelles, les débats doctrinaux, sont influencés par des considérations morales. Elles sont par exemple au coeur de la protection de la dignité humaine, de la coparentalité (égalité homme-femme, nom de famille, autorité parentale) ou de la loyauté de la preuve ou de la moralisation des pratiques commerciales. Il existe d'ailleurs dans le Code civil un article qui constitue une enclave de la morale au sein du droit, un rempart destiné à éviter certains dérapages contraires aux règles morales les plus élémentaires. Il s'agit de l'article 6 qui dispose que l'« on ne peut déroger, par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs ». Mais si on comprend bien le sens général de l'évolution du droit inspirée par la morale, la difficulté surgit quand il y a une certaine relativité des valeurs morales. Par exemple l'avortement est considéré tantôt comme un crime, tantôt comme un droit suivant les morales. Le droit à l'avortement traduit une morale libératrice de la femme qui est libre de déterminer sa fécondité et son rôle de procréatrice ou non. L'avortement-crime exprime au contraire le droit à la vie de l'enfant. En prenant partie, le droit va créer une nouvelle morale. Inversement, il contribue à son tour à faire évoluer la morale. B ) Le droit, facteur d'évolution de la morale Il suffit de constater que l'application répétée des réformes législatives a permis de les faire entrer dans les moeurs. Il s'agit de toutes les réformes législatives qui, au moment de leur entrée en vigueur, choquent les partisans de la morale traditionnelle (ex. instauration du divorce en 1884, création du divorce par consentement mutuel en 1975, légalisation de l'avortement en 1975, principe d'égalité entre les enfants naturels et les enfants légitimes, instauration du PACS en 1999...). Alors qu'au départ ces réformes se sont heurtées à l'hostilité d'une partie de l'opinion publique, elles ont été progressivement mieux admises pour finalement « entrer dans les moeurs ». Ce qui signifie que leur application a fini par convaincre ou lasser une grande partie de leurs adversaires. Ainsi de nos jours la vie commune en dehors des liens du mariage ne choque plus la majorité de l'opinion publique, ce qui est la preuve qu'une règle juridique peut contribuer à faire évoluer la morale. Avec la question de la gestation pour autrui, celle du mariage homosexuel illustre l'influence qu'exercent réciproquement l'un sur l'autre le droit et la morale. Aujourd'hui, le mariage entre personnes du même sexe est condamné en France (Civ. 1Ere, nº 05-16.627,13 mars 2007). Le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré conformes à la Constitution les articles 75 et 144 du Code civil dont il résulte que « en droit français, le mariage est l'union d'un homme et d'une femme » (Cons. const., déc 28 janv 2011, nº 2010-92QPC). Cette décision intervient après qu'il a déclaré conforme à la Constitution l'article 365 du Code civil qui s'oppose à l'adoption au sein des couples non mariés et, notamment, de personnes de même sexe (Cons. const., déc 6 oct. 2010, nº 2010-39 QPC). Ainsi, à la suite de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel condamne le mariage homosexuel. Pourtant si la généralisation des législations internes le reconnaissant (Belgique, Pays-Bas, Norvège, Suède, Espagne, Canada...) et la reconnaissance d'un partenariat homosexuel, proche du mariage, avec le PACS conduisent à une évolution du droit qui trouvera son aboutissement en 2013, le nouveau président de la République ayant annoncé l'adoption d' une loi autorisant le mariage homosexuel. Que dira alors la morale dans cinquante ans ? Les pouvoirs publics, pour aider à faire naître une nouvelle morale, ont même institué le Comité consultatif national de l'éthique qui a pour mission d'émettre des avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Cette recherche d'éthique trouve son illustration dans l'adoption des lois dites « bioéthiques » dominées par le respect du corps humain (la loi nº 94-548 du 1er juillet 1994, nº 94-653 qui a créé le nouveau titre du Code civil traitant « du respect du corps humain », art. 16 à 16-13 et la loi nº 94-654 du 29 juillet 1994 et modifiées par la loi nº 2004-800 du 6 août 2004 et la loi nº 2011-814 du 7 juillet 2011). Les règles juridiques, par le vote d'une loi au Parlement ou par des revirements de jurisprudence (par exemple en admettant les libéralités entre concubins après les avoir condamnées), peuvent évoluer plus rapidement que les règles morales qui changent plus lentement en raison d'un phénomène de pesanteur sociale hostile, par principe, à tout changement. La difficulté à adopter aujourd'hui de nouvelles lois, sur la gestation pour autrui ou l'euthanasie par exemple, témoigne de la volonté de prendre en considération la morale mais illustre, malgré les obstacles, la possibilité de faire évoluer la morale, voire de la créer. Les règles morales sont évolutives en fonction de l'idéal recherché par la société. Si celui-ci ne s'exprime pas, le droit prend le relais et, comme il est censé exprimer la volonté générale, construira la nouvelle morale. Il peut aussi la remplacer. Le droit peut constituer le minimum que l'individu va respecter. Il ne s'agira plus de morale puisqu'il ne s'agira pas de règles que l'individu s'impose de respecter, mais l'individu se sentira moralement tenu d'un devoir, techniquement imposé par le droit. La convergence est à son paroxysme : le respect du droit est aussi une règle morale.
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